« Tout est réuni pour que la politique de Trump produise à la fois une crise du capitalisme et une crise politique populaire... » Par cette porte inattendue, la « révolution citoyenne » peut surgir !
Dans les colonnes de l'Insoumission, Jean-Luc Mélenchon analyse les crises et les chocs provoqués par la mise en application des mesures de droit de douane aux Etats-Unis d’Amérique qui cherchent par tous les moyens à conserver leur domination sur le monde. Le leader insoumis alerte sur les chocs majeurs, un choc récessif et inflationniste dans tous les pays, un choc financier, et un choc social qui s’ajoute comme conséquences des dévastations que les deux premiers vont produire, ainsi qu’un choc guerrier.
« Condamner la politique absurde de Donald Trump ne signifie pas que nous serions d’une manière ou d’une autre ralliés à la doctrine du libre-échange »
La mise en application des mesures de droits de douane aux États-Unis d’Amérique est dorénavant bien comprise comme un événement considérable.
Il s’agit ici de la re-fragmentation du système des échanges commerciaux mondiaux et par conséquent de tous les aspects de la production et de l’organisation des échanges et de la division internationale du travail.
Est mis à terre l’ordre sur lequel reposait toutes les mesures politiques, économiques et sociales depuis quarante ans au moins.
Il est impossible qu’un tel revirement survienne sans provoquer de considérables secousses.
🔴 Nous-mêmes, Insoumis, n’avons jamais été partisans du libre-échange.
Mais nous avons toujours considéré qu’il n’était pas possible de procéder à la hache pour mettre en place le protectionnisme nécessaire pour permettre à notre nation de retrouver par exemple sa souveraineté alimentaire et sanitaire. Et de même pour l’essentiel des produits industriels dont elle a besoin pour assurer ses industries de pointe comme le spatial, le numérique, le maritime, en imposant sur tous ces terrains d’actions économiques 100 pour-cent de droits de douane.
C’est pourquoi nous parlions de « protectionnisme solidaire », ce qui signifiait dans notre esprit un retour au bilatéralisme pour ce qui est de la négociation des droits de douane, en fonction des intérêts mutuels qui pouvaient être négociés dans cette circonstance, au cas par cas, pays par pays. Condamner la politique absurde de Donald Trump ne signifie pas que nous serions d’une manière ou d’une autre ralliés à la doctrine du libre-échange et de la « concurrence libre et non faussée ».
Mais nous ne pouvons accepter qu’en tel choc soit infligé à l’ensemble de l’économie mondiale. Et donc très directement à tous les peuples du monde. Surtout venant d’une puissance brutale qui n’a aucun autre objectif que de conforter sa puissance, et si possible de l’amplifier. Et dans tous les cas de l’imposer au reste du monde.
« La certitude d’une aggravation des tensions sociales partout et des « lutte de classes ». » Nous pouvons deviner au moins deux conséquences probables au vu des conditions dans lesquelles s’opère la politique de Monsieur Trump.
La première est que d’un côté les droits de douane des USA,
de l’autre les répliques dans tous les autres pays du monde ce sera autant d’inflation importée partout.
Et cette inflation vient s’ajouter à celle qui déjà s’est produite après la COVID du fait du rattrapage par les prix des retards d’accumulation des principales puissances capitalistes, grandes entreprises, banques et autres. Dans la période immédiatement précédente, aucune compensation salariale n’a été accordée d’une manière générale pour rattraper la ponction de l’inflation sur les salaires. Seuls quelques pays, seuls quelques activités dans quelques pays ont bénéficié de rattrapage.
Mais globalement, les peuples se sont appauvris. Le nouveau choc inflationniste va donc tomber sur un terrain déjà meurtri. Et dans une logique des rapports sociaux qui sont celles de la période du néolibéralisme triomphant. C’est-à-dire des rapports sociaux brutaux et totalement déséquilibrés.C’est donc la certitude d’une aggravation des tensions sociales partout et des « lutte de classes ». Qui en résulte d’une façon générale.
Dans de telles circonstances. Plus ces tensions interviendront dans des sociétés déjà déséquilibré du point de vue du fonctionnement de leur démocratie et de l’exaspération des tensions déjà présentes, plus évidemment, elles généreront de crises politiques. Jusque dans des formes majeures, comme celle de « révolutions citoyennes ». C’est-à-dire d’une volonté de reprise du contrôle par le grand nombre sur sa destinée.
« Tout est réuni pour que la politique de Trump produise à la fois une crise du capitalisme et une crise politique populaire » À côté de cet événement social, et peut-être avant lui l’autre conséquence de la politique douanière de Trump, c’est le déséquilibre qu’il introduit à l’intérieur de la sphère financière globale c’est-à-dire du choc qui lui inflige et qui peut produire par effet domino une contagion de paniques boursières. Et d’effondrement en chaîne de sociétés liées les unes aux autres, soit par des prêts interentreprises, soit par des prêts bancaires qu’elles ne peuvent plus honorer. Dans ces conditions, tout est réuni pour que la politique de Trump produise à la fois une crise du capitalisme et une crise politique populaire.
L’intéressé, Donald Trump lui-même a d’ores et déjà admis que sa politique aurait un effet récessif aux États-Unis d’Amérique. Mais évidemment, et par contagion, danstoutes les nations productives du monde qui verront leur commerce mutuel passer au ralenti d’une manière considérable.
À mes yeux, il n’y a aucune chance pour que les États-Unis dans un tel épisode et en 4 ans, de la durée d’un mandat présidentiel arrive à reconstituer une base productive industrielle au niveau auquel Trump voudrait la voir parvenir pour effacer le solde abyssal du déséquilibre du commerce extérieur nord-américain. Encore faut-il bien comprendre que ce déséquilibre a été le mode d’organisation de l’économie mondiale depuis 1971. C’est parce que les États-Unis achetaient à crédit partout qu’une animation du commerce et de la production avait lieu sans qu’on ne demande jamais aux États-Unis la contrepartie des dollars qu’ils émettaient pour combler leur déficit.
Un tel système ne durera pas et poussera sans aucun doute les nations qui ont été piégées par l’usage du dollar à devoir s’en passer et à se passer des relations avec les États-Unis d’Amérique. Mais rien de tout cela ne peut avoir lieu sans que tout commence par la récession.Or, d’ores et déjà, plusieurs économies, et non des moindres dans le monde, comme celle de l’Allemagne sont en récession. La France de son côté ne prévoit pas d’augmentation de sa croissance de plus de 0,7%, c’est à dire quasiment la stagnation.
Dès lors :
les recettes fiscales seront en baisse.
Les dépenses sociales liées au chômage et à la mauvaise santé seront en hausse.
Et la mécanique qui a déjà ruiné le pays s’amplifiera puisqu’on refuse de mettre à contribution les grandes fortunes.
Tout cela ne peut que conduire au chaos comme celui qui se prépare avec par exemple le gel de 9 milliards des crédits votés dans le budget de l’État.
Des chocs majeurs vers un choc guerrier On ne sait combien de temps Donald Trump pourra continuer sur sa lancée sans rencontrer de résistance. La politique dont il a fixé les grandes orientations, à savoir :
la paix en Europe aux conditions de la Russie et sans la participation des Européens pour obtenir des garanties mutuelles avec les Russes se conclura donc dans des conditions instables et menaçantes pour le futur.
La paix au Moyen-Orient semble prendre chaque jour prendre un visage de bouleversement de la carte géopolitique que ce soit aux frontières du Liban, de la Syrie et sans doute ensuite plus loin comme avec l’Iran.
Mais fondamentalement, la préparation de la guerre[0]dans la mer de Chine n’aura pas cessé un seul jour depuis des mois et des mois.Les incidents sont quasi quotidiens. L’installation sur la pointe avancée des Philippines d’ogives nucléaires nord-américaine capable d’atteindre le continent et en particulier le territoire de la Chine[1] continentale, est une provocation. Elle fait penser à celle qui fut organisée contre la Russie soviétique quand les Américains installèrent en Turquie leurs missiles, a quoi les Russes répondirent par l’installation des leurs missiles à 150 km eux aussi de la frontière des États-Unis d’Amérique, à Cuba.
Il est absolument exclu d’imaginer que les Chinois, d’une quelconque manière, se laissent intimider par la puissance déclinante des États-Unis d’Amérique.
Il est également exclu de penser que les États européens, contrairement à ce que disent leurs discours, soient capables d’organiser une « défense européenne » souveraine.
Rien n’en prend le chemin.C’est par dizaines et dizaines que des avions F 35 sont commandés aux États-Unis d’Amérique par tous les pays d’Europe. Tous ces avions interviennent dans le cadre de l’Inter opérationnalité avec le matériel américain. C’est-à-dire sous le contrôle direct de la présidence des États-Unis d’Amérique qui peut décider quel avion décolle et quel avion ne décolle pas, quelle cible peut être visée et qu’elle ne peut pas l’être.
Et cela dans le même temps où la pression pour confisquer le Groenland au profit des États-Unis d’Amérique contre le Danemark n’a pas cessé un seul jour et semble se diriger, comme pour les autres objectifs fixés par Trump par une mise en œuvre matérielle concrète, à horizon très proche. Tout cela inflige donc des chocs majeurs :
un choc récessif et inflationniste dans tous les pays ;
un choc financier sur l’ensemble de la sphère numérique financière globale ;
un choc social s’ajoutant comme conséquences des dévastations que les deux premiers vont produire ;
La « révolution citoyenne » peut surgir par cette porte inattendue ouverte par l’absurdité de la politique des USA. Ce qui compte n’est pas l’addition des crises, mais leur superposition. Et cette superposition, intervient elle-même dans un contexte d’aggravation des conséquences de la crise climatique globale.Il est donc prévisible, a moins d’un changement d’orientation majeur que cela conduise d’une façon générale à une crise de la civilisation humaine comparable à celles qui ont été le résultat des 2 premières guerres mondiales.Et par conséquent, toutes les sociétés seront mises au défi de savoir où elles veulent aller et quels moyens elles se donnent de le faire.
Il faudra s’aligner sans rechigner et sans discuter sur les désidératas des Nord-américains et payer le tribut qu’ils ont fixé à tous leurs alliés.
C’est-à-dire 5% de leur PIB consacré à des dépenses militaires pour acheter du matériel américain.
Ou bien s’inscrire dans une logique alternative c’est-à-dire de non-alignement aux côtés de tous ceux qui refusent de céder, qui refusent d’entrer dans une logique de confrontations violentes et guerrières avec l’une ou l’autre des puissances.
🔴 C’est à la fois un moment très dangereux et un moment plein d’opportunités.
Mais un moment dans lesquels les faux pas, les à-peu-près, et les faux-semblants ne peuvent produire que des désastres.Plus que jamais les Insoumis doivent se présenter comme l’alternative à la marche, à la ruine du monde cela dans notre pays avec le peuple qui le fait vivre.
Sans concession.
Sans arrangement.
Sans dilution de la clarté et de la cohérence des objectifs de son programme si l’on veut d’un « avenir en commun ».
La « révolution citoyenne » peut surgir par cette porte inattendue ouverte par l’absurdité de la politique des USA.
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Alors quelle riposte efficace contre Trump ?
Beaucoup d’argent est en train de s’envoler en fumée, comme c’est toujours le cas lorsqu’il y a une crise financière du capitalisme. Je complète mon analyse parue ci-dessus puisque les événements confirment mon angle d’analyse.
Pour accéder au texte d'analyse complet sur la riposte à Trump cliquez sur l'image de Trump ci-dessous.👇
Selon Trump et ses acolytes, l’Amérique a dépensé d’énormes sommes d’argent pour protéger ses alliés, en particulier les pays riches parmi eux. Il est temps pour ceux-ci de rembourser la dette. La vérité historique, cependant, est très différente de cette représentation simpliste des choses.
Sources :Gilbert Achcar écrivain et universitaire du Liban | mis à jour le 07/03/2025
La logique de « l’Amérique d’abord », adoptée par le mouvement néofasciste américain connu sous le nom de MAGA[0], peut sembler rationnelle à ceux qui ne sont pas familiers avec l’histoire économique des relations internationales.
Selon Trump et ses acolytes, l’Amérique a dépensé d’énormes sommes d’argent pour protéger ses alliés, en particulier les pays riches parmi eux, c’est-à-dire l’Occident géopolitique (l’Europe et le Japon en particulier) et les États pétroliers arabes du Golfe. Il est temps pour ceux-ci de rembourser la dette : tous ces pays doivent payer la facture en augmentant leurs investissements et leurs achats aux États-Unis, en particulier leurs achats d’armes (c’est ce que Trump entend par sa pression constante sur les Européens pour qu’ils augmentent leurs dépenses militaires).Tout cela s’inscrit naturellement dans la logique mercantile qui va de pair avec le fanatisme nationaliste qui caractérise l’idéologie néofasciste(voir « L’ère du néofascisme et ses particularités », 05/02/2025[1]).
🔴 De ce point de vue, les dépenses militaires étatsuniennes – qui ont effectivement dépassé non seulement celles des alliés de l’Amérique, mais ont presque égalé à un moment donné les dépenses militaires de tous les autres pays du monde réunis – ont été un sacrifice majeur au profit des autres.
Selon la même logique, l’important déficit de la balance commerciale étatsunienne n’est que le résultat de l’exploitation de la bonne volonté américaine par d’autres pays.
C’est pourquoi Trump veut le réduire en imposant des droits de douane à tous les pays qui exportent vers les États-Unis plus qu’ils n’en importent.
Ce faisant, il cherche également à augmenter les revenus de l’État fédéral afin de compenser sa réduction de ces mêmes revenus par des réductions d’impôts au profit des riches et des grandes entreprises.
La vérité historique, cependant, est très différente de cette représentation simpliste des choses.
▶️Tout d’abord :les dépenses militaires étatsuniennes après la Seconde Guerre mondiale ont été, et restent, un facteur majeur dans la dynamique spécifique de l’économie capitaliste américaine, qui s’est appuyée depuis lors sur une « économie de guerre permanente » (ceci est expliqué en détail dans mon livre La Nouvelle Guerre froide : les États-Unis, la Russie et la Chine, du Kosovo à l’Ukraine, 2023[2]). Les dépenses militaires ont joué et continuent de jouer un rôle majeur dans la régulation du cours de l’économie étatsunienne et dans le financement de la recherche et du développement technologiques (ce dernier rôle a été important dans la révolution des technologies de l’information et de la communication, un domaine qui a ramené les États-Unis à la pole position technologique après le déclin relatif de leurs industries traditionnelles).
▶️Deuxièmement :la protection militaire que les États-Unis ont fournie à leurs alliés en Europe et au Japon, ainsi qu’aux États arabes du Golfe, fait partie d’une relation de type féodal, dans laquelle ces pays ont accordé de grands privilèges économiques au suzerain américain, en plus de leur participation au réseau militaire sous son commandement exclusif.
La vérité contredit complètement la description que font Trump et ses acolytes des relations des États-Unis avec leurs alliés comme étant basées sur leur exploitation par ces derniers.
La réalité est exactement le contraire, car Washington a imposé à ses alliés, en particulier aux pays riches parmi eux, un type de relations économiques à travers lequel il les a exploités, notamment en imposant son dollar comme monnaie internationale, de sorte que ces pays ont financé directement et indirectement le double déficit de la balance commerciale américaine et du budget fédéral. Les dollars du déficit commercial étatsunien, ainsi que diverses ressources en dollars de divers pays, sont continuellement revenus dans l’économie américaine, certains d’entre eux finançant directement le Trésor étatsunien.
Ainsi, les États-Unis ont vécu, et continuent de vivre, bien au-dessus de leurs propres moyens.
Un fait qui est évident dans l’ampleur de leur déficit commercial, qui a approché les mille milliards de dollars en 2022[3], et la taille de leur énorme dette, qui dépasse 29 mille milliards de dollars, soit l’équivalent de 125 % de leur PIB[4].
Les États-Unis sont l’incarnation ultime d’un débiteur important et puissant qui vit aux dépens de riches créanciers dans une relation de domination du premier sur les seconds, au lieu de l’inverse.
Même envers l’Ukraine,les 125 milliards de dollars[5] que les États-Unis ont donnés à ce pays jusqu’à présent (loin des chiffres fantaisistes de Trump, quand il affirme que son pays a dépensé 500 milliards de dollars[6] à cet égard) sont équivalents à ce que l’Union européenne a fourni à elle seule[7] (or, le PIB de l’UE est inférieur d’environ 30 % à celui des États-Unis), sans compter ce que la Grande-Bretagne, le Canada et d’autres alliés traditionnels des États-Unis ont apporté. En fait, ce que les États-Unis ont dépensé pour financer l’effort de guerre ukrainien a servi leur politique visant à affaiblir la Russie en tant que rival impérial.
Washington est le principal responsable de la création des conditions qui ont facilité la transformation néofasciste en Russie et ont conduit à son invasion de son voisin.
Les États-Unis ont délibérément attisé l’hostilité envers la Russie et la Chine après la guerre froide afin de consolider la subordination de l’Europe et du Japon à leur hégémonie.
▶️Cependant,lorsque Trump et ses acolytes reconnaissent la responsabilité des administrations américaines précédentes dans la création de la situation qui a conduit à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ils ne le font pas par amour de la paix comme ils le prétendent hypocritement(leur position sur la Palestine est la meilleure preuve de leur hypocrisie), mais plutôt dans le contexte de leur transition de la considération de la Russie comme un État impérialiste rival– une approche que Washington a poursuivie de manière croissante depuis les années 1990 malgré l’effondrement de l’Union soviétique et le retour de la Russie dans le giron du système capitaliste mondial –à la considération de Poutine comme leur partenaire en néofascisme, prêts à coopérer avec lui pour renforcer le courant d’extrême droite en Europe et dans le monde, en plus de bénéficier du grand marché et des grandes ressources naturelles de la Russie.Alors qu’ils voient dans les gouvernements libéraux de l’Europe un adversaire idéologique et un concurrent économique à la fois, ils voient en la Russie un allié idéologique qui ne peut pas rivaliser avec eux sur le plan économique.
En revanche, la Chine, aux yeux de Trump et de ses acolytes, est le plus grand adversaire politique et concurrent économique et technologique.
Joe Biden a suivi la même politique, établissant une continuité entre le premier et le second mandat de Trump en ce qui concerne l’hostilité à l’égard de la Chine. Alors que l’équipe Trump peut espérer séparer Moscou de Pékin, tout comme la Chine s’est séparée de l’Union soviétique dans les années 1970 et s’est alliée aux États-Unis, Poutine ne prendra pas le risque de s’engager dans cette voie tant qu’il ne sera pas sûr de la permanence des néofascistes américains à la tête de leur pays.
La grande question est maintenant de savoir si l’axe libéral européen est prêt à prendre le chemin de l’émancipation de la tutelle étatsunienne, ce qui nécessite de mettre fin à son alignement derrière Washington dans l’hostilité envers la Chine et de consolider ses relations de coopération avec elle.
Cela exige également que les pays européens soient prêts à travailler dans le cadre du droit international et à contribuer au renforcement du rôle des Nations unies et des autres institutions internationales, deux choses que Pékin n’a cessé de réclamer.
L’intérêt économique de l’Europe est clair à cet égard, bien sûr, en particulier l’intérêt de la plus grande économie européenne, l’économie allemande, qui entretient des relations étroites avec la Chine.
L’ironie est que la Chine s’associe maintenant aux Européens pour défendre la liberté du commerce mondial contre l’approche mercantile adoptée par Trump et ses acolytes, et pour défendre les politiques environnementales contre leur rejet, accompagné du déni du changement climatique, qui caractérise diverses variétés de néofascistes.Les positions acerbes exprimées par le nouveau Premier ministre allemand, Friedrich Merz, en critiquant Washington et en appelant à l’indépendance de l’Europe vis-à-vis des États-Unis[8], si elles aboutissent à une véritable tentative de suivre cette voie, pourraient se traduire dans l’attitude de l’Union européenne à l’égard de la Chine, d’autant plus que la position française penche dans la même direction.
🔴 Tout cela confirme la mort du système libéral atlantique et l’entrée du monde dans une phase houleuse de rebattage des cartes, dont nous ne sommes encore qu’au début. Les élections au Congrès américain de l’année prochaine joueront un rôle majeur pour promouvoir ou freiner ce processus, selon qu’elles conduisent à renforcer ou à affaiblir la domination néofasciste sur les institutions américaines. Pendant ce temps, le mouvement néofasciste américain a commencé à imiter ses homologues dans divers pays en sapant progressivement la démocratie électorale et en mettant la main sur les institutions de l’État américain dans le but de perpétuer son contrôle sur elles.
Michael Löwy (1938) est une figure intellectuelle incontournable de la gauche dans le monde. Après un pèlerinage intellectuel à travers plusieurs pays, du Brésil au Royaume-Uni en passant par Israël, c’est en France que Michael Löwy s’est installé en 1969, invité par Nicos Poulantzas. Fin philosophe révolutionnaire, il a présenté une thèse sur György Lukács en 1975 et s’est passionné tant pour le marxisme que pour le surréalisme.
Parallèlement à sa vie intellectuelle, Michael Löwy est un homme engagé politiquement. Il a milité dans la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), mouvement emblématique du trotskisme en France, et aussi, de l’autre côté de l’Atlantique, aux côtés de l’aile gauche du Partido dos Trabalhadores (PT) et du Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST) du Brésil. Récemment, il a commencé à collaborer avec l’Institut La Boétie, le think tank de La France Insoumise, fondé en 2020 par Jean-Luc Mélenchon.
Pensant bienveillant, Michael Löwy s’efforce de créer une synthèse intellectuelle entre le marxisme et la pensée écologiste, dans le but de construire une nouvelle théorie politique : l’écosocialisme. Cette approche cherche à combiner le pragmatisme scientifique du marxisme avec les préoccupations utopiques des écologistes. Entretien.
Diario Red / Insoumission[1] : Vous collaborez actuellement avec l’Institut La Boétie, (think tank à La France Insoumise) après un long parcours dans les organisations de la gauche trotskiste révolutionnaire. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous rapprocher de La France Insoumise ?
Michael Löwy : À mon avis, la gauche trotskiste révolutionnaire a intérêt à collaborer avec des partis de gauche comme La France Insoumise, dans la mesure où ils constituent les principales forces incarnant une dynamique anticapitaliste dans la société. Dans le cas de Jean-Luc Mélenchon, nous avons affaire à un leader politique qui a largement contribué à populariser la notion d’écosocialisme et qui a un discours élaboré sur l’écologie.
Il a fait avancer nos thèses dans la bataille des idées. Par conséquent, il n’y a pas de contradiction entre se rapprocher de partis comme La France Insoumise et rester dans la tradition de la gauche trotskiste révolutionnaire.
Diario Red / Insoumission :Que peut apporter la pensée marxiste à l’écologie ? Michael Löwy : Le marxisme est une théorie nécessaire pour tout projet de transformation sociale, car il nous permet de comprendre scientifiquement ce qu’est le capitalisme et les raisons pour lesquelles, en raison de la logique d’accumulation du capital, il génère une exploitation sans limites de l’homme et de la nature. Pour cette raison, le marxisme est une arme pour lutter contre les « falsificateurs de l’écologie », en particulier les promoteurs du capitalisme vert, qui redoublent d’efforts pour démontrer une thèse impossible : la compatibilité de l’écologie avec le capitalisme.
De plus, le marxisme est un outil intellectuel pour comprendre ce que pourrait être une alternative au capitalisme.Il élabore ses contours, défendant la constitution d’une économie qui priorise une production destinée à satisfaire les besoins sociaux à travers une planification démocratique, par opposition aux marchandises destinées au marché.
J’insiste particulièrement sur cette notion, car elle est consubstantielle à toute perspective écologique : une société durable ne pourra pas continuer à produire n’importe quoi à des fins d’échange sur un marché, comme c’est le cas aujourd’hui. La préservation de la vie humaine sur Terre exige la production de biens en fonction de leur utilité sociale et environnementale, en opposition à l’irresponsabilité totale qui règne dans la production actuelle.
🔴Par conséquent,nous devons transformer le marxisme en un « éco-marxisme » et le socialisme en un « éco-socialisme », et mettre en œuvre une politique de planification qui intègre la notion de limites écologiques.
Diario Red / Insoumission : Comment peut-on construire une planification économique démocratique ? Michael Löwy :Il est nécessaire de rompre avec le modèle soviétique de planification. À mon avis, l’excessive verticalité du système et l’absence de démocratie ont conduit à son incapacité à répondre réellement aux besoins de la population, et, en conséquence, à sa chute. Les décisions sur la manière et les raisons de produire doivent être prises de manière participative. Comment y parvenir ?
Nous devons partir du principe de subsidiarité : les décisions qui peuvent être prises au niveau local ou micro-local doivent être réalisées à cette échelle. Cela favorisera l’autogestion et multipliera la prise de décisions au niveau direct. De nombreuses institutions qui opèrent uniquement au niveau local pourraient être gérées directement par leur personnel.
Cependant, les activités de certaines administrations et entreprises nécessitent la mobilisation d’une région ou même de tout un pays. Dans ces cas, je défends un principe de représentativité : les décisions sur ce qui doit être produit et consommé doivent être prises par le peuple, par des représentants élus et des référendums.
🔴Il est important de comprendre que l’économie n’est pas un fait naturel, mais un fait politique. Les grandes décisions économiques, concernant ce qui doit être produit et consommé, doivent être prises au niveau politique. Il ne s’agit pas d’éliminer complètement le marché, mais de lui donner sa place adéquate, notamment pour garantir la gratuité de certains services essentiels et, finalement, dépasser la politique de l’offre et son irresponsabilité sociale et écologique.
Diario Red / Insoumission :Vous vous intéressez au rôle révolutionnaire de l’utopie. Soutenez-vous les socialistes utopiques si critiqués par Marx ? Michael Löwy : Je m’inspire du penseur Miguel Abensour, qui souligne que Marx ne critique pas les socialistes utopiques pour le contenu de leurs utopies, qu’il trouvait en réalité fascinantes, mais pour leur vision parfois erronée du politique.
Beaucoup de socialistes utopiques pensaient qu’il suffisait de gagner le cœur de quelques riches philanthropes pour réaliser leurs projets et les étendre à toute la société. Ce que Marx critiquait essentiellement chez Fourier ou Proudhon, c’était qu’ils ignoraient des questions politiques centrales : quelle classe sociale devra réaliser cette société utopique ? Quel sera le processus de transition vers une nouvelle société ?
Face à des penseurs qui, parfois, défendaient le retrait de la société pour entrer dans des phalanstères et qui, parfois, ressentaient de la nostalgie pour des formes de travail écrasées par le machinisme industriel, Marx pose la nécessité d’un processus révolutionnaire mené jusqu’au bout par une classe sociale ascendante : le prolétariat, qu’il définit comme les travailleurs ne possédant pas leurs moyens de production.
Cependant, cela n’empêchait pas Marx de s’intéresser sincèrement aux idées des socialistes utopiques, qui furent l’une des trois principales sources d’inspiration de sa pensée, avec l’idéalisme allemand hégélien et les économistes classiques anglais.
Cette vision erronée de la notion d’utopie chez Marx a conduit de nombreux marxistes à rejeter a priori toute politique de l’utopie. Pour ma part, je pense que l’idée d’utopie est nécessaire à tout projet politique révolutionnaire.
Le penseur marxiste utopique Ernst Bloch, que je cite fréquemment, disait que la force du marxisme réside dans la combinaison d’un « courant froid », une lecture scientifique du capitalisme, avec un « courant chaud », la vision utopique d’une société sans classes, basée sur la justice et l’égalité, où nous serions libérés de la surexploitation, du productivisme et du fétichisme de la marchandise, et par conséquent du consumérisme.Selon moi, le « courant froid » doit être un moyen pour atteindre le « courant chaud ».
Diario Red / Insoumission :Vous parlez d’une transformation des forces productives en forces destructrices, en opposition au marxisme classique, en vous inspirant des thèses de Walter Benjamin. Ne risquez-vous pas de tomber dans une condamnation a priori du progrès technique, comme le font de nombreux penseurs écologistes décroissants ? Michael Löwy : Je pense que nous devons éviter toute simplification à propos du progrès technologique et adopter une vision dialectique. La catégorie « progrès technique » ne signifie rien en soi : le progrès technique n’est pas unique, il est multiple, et peut donc être défini de diverses manières.
Laissons de côté les simplifications et les discours binaires : nous pouvons observer qu’il existe des avancées techniques majoritairement positives, comme celles de la médecine, et d’autres négatives, comme la voiture individuelle ou l’extraction pétrolière.
🔴Pourquoi cette différence entre des réalisations qui sont considérées comme faisant partie d’un même ensemble, le progrès technique ? Pour une raison simple : je pars du principe quele véritable problème n’est pas la technique, mais le capitalisme. Le capitalisme crée une technologie qui lui est propre et qui est à son service. Prenons l’exemple de l’automobile individuelle : un produit qui, à l’origine, ne répondait à aucun besoin social réel, a fait l’objet d’une véritable fétichisation comme produit de consommation ostentatoire, et a réorganisé la société au bénéfice du capitalisme contemporain.
Il est donc nécessaire de dépasser une illusion entretenue par le marxisme le plus orthodoxe : l’écosocialisme démontre que nous ne pouvons pas nous approprier toute la technologie et tout l’appareil de production existant pour les mettre au service des travailleurs, car une partie de ces derniers existe uniquement pour satisfaire les besoins spécifiques du capitalisme. Que changerait-il en termes de politique écologique si un puits pétrolier en haute mer était sous le contrôle des travailleurs ?
Diario Red / Insoumission :L’écosocialisme est-il alors synonyme de décroissance ? Michael Löwy :Ce n’est pas si simple. Soyons clairs : l’écosocialisme implique une forme de décroissance dans la mesure où il remet en question l’existence même d’une partie de notre appareil productif et de notre production.Pourquoi ?Parce que le capitalisme ne produit pas des choses pour répondre à des besoins, mais uniquement en fonction de leur capacité à être échangées sur le marché, de leur valeur d’échange.
🔴Par exemple, le fait que tous nos appareils électroménagers deviennent obsolètes après quelques années ne répond pas à nos besoins en tant que consommateurs, mais à l’objectif d’augmenter la circulation des valeurs d’échange sur le marché, de stimuler les ventes et la concurrence, au détriment de toute responsabilité environnementale. La mise en œuvre d’un système écosocialiste qui dépasse le capitalisme impliquerait donc l’élimination de tout le gaspillage de ressources humaines et naturelles causé par l’irresponsabilité de l’économie capitaliste, ce qui entraînerait inévitablement une forme de décroissance.
Cependant, la décroissance en elle-même ne sera jamais un projet de société. En effet, il existe des formes de décroissance capitalistes, comme les mesures malthusiennes ou la destruction d’activités jugées « insuffisamment rentables », qui sont souvent nécessaires au bien-être de la société.
🔴Par conséquent, il existe un danger que la question de la décroissance soit posée par les classes dominantes sans aucune critique du capitalisme, créant une société encore plus aliénée. La décroissance est également une notion complexe qui ne peut être résumée par des lieux communs ou des idées uniformes. Elle ne peut être pensée simplement comme une diminution du PIB, mais comme une manière de réorganiser la production.
Nous devons sérieusement nous poser ces questions : quelle partie de l’appareil productif doit être démantelée et quelle partie doit être développée ? Par exemple, je pense que les énergies fossiles et la publicité font partie des activités qui doivent décroître. En revanche, les investissements dans les transports publics doivent augmenter, car les voitures individuelles sont destinées à disparaître.
Diario Red / Insoumission :Vous êtes brésilien. Les discours écosocialistes et les formes de décroissance qu’ils impliquent sont-ils audibles dans un pays et un continent qui désirent à tout prix se développer et croître économiquement ? Michael Löwy :Malgré la présence de réseaux écosocialistes actifs au sein des forces de gauche, notamment au Brésil, il faut reconnaître que la vision dominante en Amérique latine, dans toutes les forces politiques, reste développementaliste. Il est évident que l’Amérique latine doit se développer ; ce n’est pas la question. La véritable question est : quel type de développement le continent a-t-il besoin ? À mon avis, il ne faut pas y reproduire les erreurs du développement des pays du Nord.
🔴Le modèle de développement suivi en Amérique latine est le suivant : produire des matières premières non transformées destinées au marché mondial, avec des conséquences désastreuses sur le plan écologique. Les tentatives de diversification industrielle en Amérique latine, comme le développement d’une industrie automobile ou aéronautique, sont également conditionnées par les exigences du marché mondial.
Ces productions sont-elles une priorité pour les Sud-Américains, dont la majorité n’a ni voiture ni accès aux avions ? Il est nécessaire de penser un autre modèle de développement, ce qui implique de produire pour la population et non pour le marché mondial.
Par exemple, mon pays, le Brésil, détruit la forêt amazonienne pour produire une quantité de soja et de viande qui dépasse largement la demande nationale, voire régionale : la surproduction agricole pour satisfaire le marché mondial et le secteur de la viande conduit nécessairement à l’accélération de la déforestation de l’Amazonie… Avec le temps, cela pourrait provoquer l’assèchement des fleuves qui coulent vers le sud du pays et qui alimentent la production agricole…Une véritable catastrophe !
Dans cet écocide, l’extrême droite est en première ligne, avec l’ex-président Bolsonaro, qui voulait éradiquer la forêt « parce qu’elle ne sert à rien » et mettre fin aux modes de vie indigènes. Le peuple brésilien ne se nourrit pas de soja, mais principalement de riz, de haricots, de farine et de poulet.
🔴Par conséquent, l’agriculture doit être orientée en priorité vers le marché intérieur et viser une production biologique. Il n’y a pas d’autre solution pour stopper le désastre écologique en cours. Cela a été compris par le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST), qui est aujourd’hui le principal producteur de riz biologique du pays.
Comme pour le progrès technique, la question du développement doit être abordée selon une approche dialectique et non comme une perspective uniforme. Il existe un développement capitaliste, destructeur, et un développement nécessaire dont l’Amérique latine a besoin : plus de services publics, d’électricité, d’approvisionnement en eau, d’assainissement, etc.
L’Amérique latine peut être pionnière en matière de progrès technique respectueux des équilibres naturels, contrairement aux sociétés occidentales. Dans ce combat, la gauche, les paysans, les indigènes et une partie de l’Église jouent un rôle fondamental.
Diario Red / Insoumission :Quels sont les principaux obstacles à une politique écologiste et écosocialiste en Amérique latine, et au Brésil en particulier ? Michael Löwy :Je pense que la gauche latino-américaine a souffert d’une idéalisation du pétrole. Le contrôle de celui-ci était perçu comme un moyen d’acquérir plus de souveraineté économique par rapport aux États-Unis, mais il a fini par affaiblir les économies du continent, dévaster l’environnement et attiser les ambitions des oligarchies étrangères.
Cependant, je constate quelques signaux positifs. Au sein du gouvernement de Lula, la ministre de l’Environnement, Marina Silva, s’oppose à l’exploitation pétrolière dans l’estuaire de l’Amazone. Lula n’a pas encore pris de décision sur le sujet, mais il est important que cette position ait été exprimée.
🔴La seconde menace est le libre-échange et la surdépendance au marché mondial, dont j’ai exposé la relation de cause à effet avec la déforestation de l’Amazonie. Il est certain que la signature de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur[2] est une très mauvaise nouvelle pour la préservation de l’environnement en Amérique latine.
Notes :
[1] L’Insoumission et le média espagnol Diario Red (Canal Red) s’associent pour proposer à leurs lecteurs des contenus sur les résistances et les luttes en cours en France, en Espagne et en Amérique du Sud. À retrouver sur tous les réseaux de l’Insoumission et de Diario Red.
La question des formes de planification revient dans le débat public, notamment dans la perspective d’une transition écologique. Cependant, l’aggravation des politiques d’austérité et des mesures de régression écologique et sociale, notamment en France, semble aller dans une direction opposée. Quelle place le néolibéralisme peut-il laisser à des perspectives de planification ?
Cet article s’inspire d’une communication présentée dans le cadre du congrès 2024 de l’Association française d’économie politique (AFEP)[0], qui avait pour thème la question suivante : « Face aux crises, des planifications sont-elles possibles ? »
Le néolibéralisme peut être considéré comme inaugurant, à partir de la décennie 1990, une conception et une pratique du rôle de l’État cohérentes et nouvelles dans l’histoire du capitalisme. Il configure en effet un État principal organisateur des marchés et de la concurrence.
Dans la mesure où les crises financières récurrentes, la crise sociale, la crise écologique font revenir dans le débat public la thématique de la planification, on peut se demander si cette forme contemporaine d’intervention de l’État ouvre un espace renouvelé pour des formes de planification ou, au contraire, si elle s’y oppose frontalement et lui fait obstacle.
L’État néolibéral : un État fort et actif
Il est important tout d’abord, avant d’examiner l’action effective de l’État à cette étape du capitalisme, de préciser quelle conception de son rôle sous-tend le projet néolibéral. En effet, prévaut souvent l’idée erronée, y compris au sein des forces sociales opposées au néolibéralisme, que celui-ci supposerait un État minimal réduit à ses fonctions régaliennes, voire absent du fonctionnement de l’économie et plus globalement de l’organisation sociale. En réalité :
deux représentations du rôle de l’État dans l’économie ;
deux cohérences en apparence contradictoires
coexistent dans l’histoire de la pensée économique depuis ses débuts.
Adam Smith
🔴 Le paradigme des défaillances du marché. L’idée est apparue dès la naissance de l’économie politique, Adam Smith par exemple constatant que, si prédominantes que soient la concurrence et la « main invisible » du marché, elles ne sont pas en mesure d’assurer la fourniture de biens comme les ponts ou l’instruction publique[1]. Mais c’est Alfred Marshall qui, à la fin du XIXe siècle, systématise cette idée[2].
Les défaillances du marché désignent des cas de figure où la régulation par la seule concurrence ne permet pas à l’économie d’atteindre une situation optimale d’allocation des ressources : il demeure des pénuries, du gaspillage, des goulots d’étranglement. Les externalités négatives, comme les dégradations environnementales, en sont un cas emblématique : les agents économiques, par exemple les entreprises, ne supportent pas les coûts sociaux et collectifs de leur activité, si une action de la puissance publique (par exemple un impôt, du type taxe Pigou[3]) ne les amène pas à modifier leurs calculs. Mais on peut citer aussi les biens collectifs ou les monopoles naturels, dont la production dans un cadre concurrentiel ne peut être rentable et qui doivent donc être pris en charge par l’État.
🔴 La figure hayekienne du marché autorégulateur et non construit, sui generis. On peut faire référence à une filiation ultralibérale qui, parallèlement à la précédente, traverse toute l’histoire de la pensée économique, depuis Malthus à la fin du XVIIIe siècle jusqu’à l’école du Public Choice et aux libertariens aujourd’hui, en passant par le courant des économistes « autrichiens », et notamment Friedrich von Hayek[4].
Pour eux, les défaillances du marché n’existent pas, ou du moins ne sont pas à prendre en considération dans la mesure où les défaillances d’un État qui serait amené à tenter de les corriger seront toujours plus importantes. Pour Hayek, qui se place dans une optique philosophique de rejet des Lumières et du « constructivisme », aucun mode de coordination des actions individuelles ne peut être plus efficace que le marché, qui est non construit, naturel et le lieu d’un processus continuel d’apprentissage par les individus qui le rend insurpassable.
Adolph Wagner en 1899
▶️ Si on compare ces deux filiations :
la première semble constituer, on le verra, un guide du rôle effectif de l’État dans la reproduction du capital aux XXe et XXIe siècles, et plus particulièrement dans l’étape néolibérale.
Tandis que la seconde reste une utopie, qui ne paraît pas applicable ni appliquée dans les politiques publiques (malgré les déclarations d’intention de nombreux responsables politiques et dirigeants depuis le début des années 1980), et ne rend pas compte du fonctionnement effectif du système. En effet, l’évolution du capitalisme, l’approfondissement de la division sociale du travail et la complexification des sociétés rendent impossible un retrait de l’État qui par ailleurs n’a jamais été absent de la construction et de la mise en place des économies de marché. On peut faire référence à la loi de Wagner sur l’extension des domaines d’activité de l’État en corrélation avec la croissance du PIB[5].
Mais bien qu’utopiste, cette conception n’en a pas moins des effets performatifs sur la trajectoire des sociétés en posant une norme de référence, même inatteignable, et en alimentant un discours adossé à un imaginaire.
Cependant, Christian Laval et Pierre Dardot mettent en évidence la constitution dans la phase néolibérale d’un État créateur et organisateur des marchés et des différentes formes de la concurrence, un État régulateur[6]. Pour eux, « le néolibéralisme peut se définir comme l’ensemble des discours, des pratiques, des dispositifs, qui déterminent un nouveau gouvernement des hommes selon le principe universel de la concurrence ». Or ce programme suppose un « État fort », des règles, et non le laisser-faire. Mais cette modalité d’intervention de l’État est principalement indirecte et en rupture avec l’État de l’étape précédente du capitalisme (qu’on peut appeler « étape fordiste » pour faire référence à la catégorie régulationniste), qui était un État redistributeur, planificateur (notamment en France), parfois producteur, et sur lequel s’adossaient des politiques discrétionnaires de réglage fin de la conjoncture.
La cohérence de cet État néolibéral est assise sur des fondements théoriques pluriels et éventuellement hétérogènes qui convergent cependant pour constituer un mainstream global à la puissance normative forte.
Thomas Sargent
On peut en recenser trois en particulier.
▶️L’ordolibéralisme, dans le cadre de la construction de l’Union européenne[7].
▶️Le cadre conceptuel des anticipations rationnelles des agents économiques. Ce corpus d’hypothèses, constitutif de la nouvelle macroéconomie classique à partir du début des années 1980, considère que les agents économiques sont en quelque sorte extralucides et réagissent comme s’ils avaient en tête tout le modèle économique. On ne peut donc pas les tromper et leur comportement sera de nature à annuler d’avance tous les effets escomptés des politiques économiques[8]. Le théorème dit de Ricardo-Barro, ou d’équivalence ricardienne, en est un exemple : si l’État s’endette pour financer des dépenses publiques destinées à relancer la croissance économique par le biais de la demande, les agents économiques anticiperont de futures augmentations des impôts consacrées au remboursement de cette dette et, épargnant pour les financer, réduiront leur consommation.L’augmentation de la dépense publique sera donc annulée par une diminution de la consommation des ménages et l’effet sur la demande globale, et donc sur la croissance, sera nul.
▶️Le paradigme néoinstitutionnaliste, ou Nouvelle économie institutionnelle (NEI), aujourd’hui ultradominant dans les élaborations normatives des grandes institutions internationales. Ses hypothèses peuvent apparaître contradictoires avec les anticipations rationnelles : rationalité limitée des agents économiques, notion élaborée par Herbert Simon[9], information imparfaite et asymétrique, existence de modes de coordination non-marchands.
Cette conception fait des institutions, formelles comme informelles, le résultat de calculs d’optimisation des individus, qui utilisent des formes sociales complémentaires ou alternatives au marché pour organiser leurs interactions. Mais, une fois construites, les institutions constituent également l’environnement permettant au marché de fonctionner, plus ou moins efficacement, et délivrant à ces mêmes individus les incitations les conduisant à des comportements efficients[10]. C’est ainsi que l’existence de règles, de droits de propriété plus ou moins clairs apparaît de nature à expliquer les performances différentes, dans l’histoire et dans le monde, des pays en termes de développement[11].
La NEI met en avant la thématique de la gouvernance, réduite à un panel de procédures techniques censées permettre une allocation efficiente des ressources, et se présente donc comme une politique économique dépolitisée. Il n’est en effet pas question de choix de société qui pourraient être effectués sur la base d’une délibération démocratique.
La régulation néolibérale contre la planification
La régulation conçue dans cette optique consiste en une organisation de l’activité économique par l’État ou les instances étatiques au moyen d’un pilotage indirect par les résultats des différentes catégories d’acteurs (entreprises privées, administrations publiques ou parapubliques, voire associations). Ces résultats sont mesurés par une panoplie d’indicateurs chiffrés dans le cadre de procédures d’évaluation systématiques.
Dans le secteur privé marchand, il s’agit de substituer aux grilles de qualifications fondées sur des conventions collectives de branche une évaluation des compétences individuelles dépendant de la capacité des salarié·es à atteindre les objectifs[12]. Dans le secteur non-marchand, le New Public Management (NPM), traduit par la loi organique relatives aux lois de finances (LOLF) puis la révision générale des politiques publiques (RGPP) en France, a pour objectif d’aligner le fonctionnement de ce secteur sur celui du secteur concurrentiel[13]. Le secteur associatif est mis en demeure de s’adapter à ces critères. C’est le cas, par exemple, pour les mutuelles de santé, de plus en plus contraintes à s’aligner sur les règles et les critères de fonctionnement des compagnies d’assurance privées.
D’une façon générale, on assiste à une tentative d’extension de la régulation concurrentielle et des critères de rentabilité à toutes les activités. De nombreux travaux et prises de position[13bis], issus de la recherche académique comme de la société civile, ont abondamment documenté le principe d’inefficacité fondamental qui sous-tend ce processus (inefficacité sociale, mais aussi économique à l’aune des critères mis en avant par les réformateurs eux-mêmes) et l’hypertrophie des structures de régulation ainsi convoquées, à l’opposé d’un « État minimal ».
Dans le paradigme des défaillances du marché, les interventions de l’État sont circonscrites à un périmètre limité et défini techniquement. Ainsi, la déréglementation et l’ouverture à la concurrence des monopoles publics, auparavant fondés par l’existence de monopoles naturels, sont aujourd’hui justifiées par les évolutions technologiques qui les auraient fait disparaître. Dans le secteur des télécommunications, ce serait le cas du remplacement du téléphone fixe par la téléphonie mobile et l’expansion des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Cette définition exclusivement technique des biens collectifs est contestée par une approche en termes de communs définis par une décision politique et par leur place dans la société[14].
De façon complémentaire, l’étape néolibérale est marquée par un tournant dans la conception des politiques économiques. Un premier changement majeur avait eu lieu au début des années 1980, avec une inversion de la hiérarchie des objectifs des politiques économiques : la désinflation et les grands équilibres ont été mis au premier plan au détriment de la croissance du PIB et de l’emploi[15].
Mais, à la fin de la décennie 1990, c’est un changement encore plus radical de la conception même des politiques publiques qui intervient : les politiques discrétionnaires, cherchant à opérer une action contracyclique par rapport aux variations de la conjoncture (par exemple contrecarrer une conjoncture récessive), sont bannies pour promouvoir exclusivement des politiques structurelles et des politiques de règles. Ces politiques sont conçues comme devant rester intangibles quelles que soient les échéances politiques et les variations conjoncturelles.
La conception des traités de l’Union européenne, la construction et le fonctionnement de ses principaux organes (Banque centrale européenne, Commission européenne, Commission de la concurrence…) et dispositifs de fonctionnement constituent une sorte d’idéal-type de cette conception. En effet, l’indépendance de la Banque centrale européenne, théorisée par le corpus des anticipations rationnelles mais imputable également, selon Christian Laval et Pierre Dardot, à l’ordolibéralisme, garantit la permanence de l’orientation anti-inflationniste de la politique monétaire, tout en envoyant aux marchés financiers le signal de crédibilité requis. Le Pacte de stabilité budgétaire, dans ses versions successives, verrouille les politiques budgétaires des États membres en les empêchant de s’adapter aux variations de la conjoncture et d’exercer une action contracyclique, c’est-à-dire de remédier aux tendances récessives par une politique de relance.
L’interdit posé sur les politiques conjoncturelles et discrétionnaires laisse toute la place aux politiques structurelles telles que la Stratégie européenne de l’emploi. Celle-ci organise à partir de 2000, de façon convergente, les réformes des marchés du travail dans les différents pays, orientées vers la flexibilisation et l’action sur l’offre de travail, en articulation avec les réformes des systèmes de protection sociale (retraites, assurance chômage). L’objectif est d’agir sur l’offre de travail, à la fois sur le plan quantitatif (dispositifs de workfare) et qualitatif (employabilité, réformes de la formation)[16]. On observe un parallélisme de cette mutation dans les pays en développement et dans les économies industrialisées, identifiable dans la doctrine des organisations internationales[17].
Cette conception du rôle de l’État contrecarre dans ses principes mêmes toute possibilité de processus de planification, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, elle repose sur une approche exclusivement microéconomique, fondée sur les mécanismes d’incitations en information imparfaite adressées aux agents économiques au niveau individuel. Celle-ci exclut a priori toute prise en compte de la globalité, des paradoxes de composition, des mécanismes systémiques et des perspectives de transformation volontariste des structures par une l’action publique.
Ensuite, le pilotage par des indicateurs chiffrés mesurant les résultats à court terme exclut toute trajectoire de transition économique et sociale de moyen-long terme, par nature potentiellement contradictoire avec une augmentation de la rentabilité immédiate. Elle exclut également, pour la même raison, la prise en compte de critères de soutenabilité environnementale ou de besoins sociaux[18].
Enfin, les objectifs de cette régulation néolibérale sont fondés sur le postulat de l’inexistence d’un intérêt général qui serait irréductible à la somme des intérêts individuels. Les actions des agents économiques sont supposées mues uniquement par la recherche de rente telle que théorisée par l’école du Public Choice : la sphère du politique n’a pas d’existence ni même de logique propre, on a affaire à un marché politique comparable au marché des biens et services : les offreurs sont les dirigeants politiques qui cherchent à se faire élire, ou réélire, et les acheteurs sont les électeurs, organisés en groupes de pression. Cette conception, proche de celle des libertariens, réintroduit par ce biais l’utopie ultralibérale.
🔴 Une véritable planification orientée vers des alternatives à la crise sociale et écologique semble devoir remplir deux conditions.
La première, qui ne constitue en rien une feuille de route en ce qu’elle n’apporte pas de solution toute faite aux difficultés à résoudre (hiérarchisation des objectifs, niveaux de décision appropriés), est de reposer sur des modalités de construction donnant toute sa place à la délibération démocratique.
La deuxième est de se mettre en mesure de rompre clairement avec les normes de la rentabilité capitaliste, porteuses à la fois d’aveuglement court-termiste et de destructivité sociale et écologique.
Or, les modalités de la régulation étatique néolibérale apparaissent contradictoires avec ces deux conditions.
La promotion de politiques de règles conçues comme intangibles constitue en effet une mise à l’écart des mesures de politique économique de tout contrôle citoyen, qu’il s’agisse des instances élues ou de la société civile.
L’usage systématique d’indicateurs de résultats isolés d’une prise en compte des systèmes globaux interdit la construction de stratégies orientées vers des objectifs écologiques et sociaux durables.
[3] Arthur Cecil Pigou, « The Economics of Welfare», 1920. Pigou préconise une taxation des activités génératrices d’externalités négatives de façon à inciter les agents économiques qui en sont à l’origine à « internaliser les externalités », c’est-à-dire à intégrer dans leurs calculs les coûts pour la collectivité. L’exemple le plus emblématique est l’écotaxe, ou système « pollueur-payeur », sous toutes ses formes
[8] Les références sont nombreuses. Les principaux fondateurs sont Robert Barro, Robert Lucas et Thomas Sargent. Voir, par exemple, Thomas Sargent, « Rational Expectations », The Concise Encyclopedia ou, dans une perspective critique, Emmanuelle Bénicourt et Bernard Guerrien, La Théorie économique néoclassique. Microéconomie, macroéconomie et théorie des jeux, La Découverte, 2008
Suite de l'ABC de 5000 ans de dettes privées illégitimes...
Le pourquoi du comment : " Les politiques austéritaires d’ajustement structurel favorisent le recours à l’endettement privé "
En Asie, en Afrique et en Amérique latine et Caraïbe, le « système dette » se durcit comme dans les pays les plus industrialisés.
Plusieurs changements fondamentaux sont intervenus au cours des 40 dernières années, principalement depuis l’éclatement de la crise de la dette du Tiers-monde au début des années 1980.
Les politiques austéritaires d’ajustement structurel favorisent le recours à l’endettement privé Des politiques d’ajustement structurel se sont généralisées en prenant comme prétexte la crise de la dette publique[0]. Cette crise a été provoquée par l’effet combiné de la chute des prix des produits exportés par le Tiers-monde sur le marché mondial à partir de 1981-1982 et par l’augmentation des taux d’intérêts imposée par la Réserve fédérale des États-Unis à partir de 1979-1980[1]. L’application des politiques d’austérité et d’ajustement structurel ont dominé la fin du 20e siècle dans la plupart des pays, en particulier dans les pays dits « en développement » et dans les pays de l’ex-bloc de l’Est.
Ces politiques d’ajustement structurel ont été dictées par les institutions internationales alors que les gouvernements de droite ne demandaient pas mieux que de s’appuyer sur ces injonctions pour appliquer une série de contre-réformes qui toutes servaient les intérêts des grandes entreprises privées, des grandes puissances et des classes dominantes locales[2]. Ces politiques ont dégradé les conditions de vie d’une partie importante de la population, notamment dans les zones agricoles mais aussi en milieu urbain.
🔴 Quelles mesures en particulier ont provoqué un plus grand besoin de la population à recourir à la dette privée pour tenter de survivre ? On peut énumérer les mesures suivantes :
la fin des subventions à une série de produits de consommation de base (aliments, combustibles de chauffage…) et de services (électricité, eau, transport), ce qui a augmenté le coût de la vie ;
la politique de recouvrement des frais dans les secteurs de l’éducation et de la santé, ce qui a poussé les classes populaires à s’endetter pour payer les frais de scolarité et de santé ;
la suppression ou privatisation des banques publiques, notamment celles en charge du crédit aux paysans, ce qui les a poussés dans les bras des usuriers et/ou des organismes de microcrédit ;
la suppression des sociétés publiques qui achetaient aux agriculteurs des produits agricoles de base à des prix garantis fixés à l’avance ; cette suppression a eu des effets dramatiques lors de la chute des cours des produits agricoles sur le marché local ou mondial et a poussé à l’endettement ;
la fin des stockages de céréales à charge des autorités publiques, qui permettait autrefois d’assurer la sécurité alimentaire en cas de mauvaises récoltes et d’autres événements négatifs. La fin des stockages a favorisé des augmentation subites et spéculatives des prix des aliments, et poussé les familles à s’endetter pour acheter des aliments à tout prix ;
l’ouverture du marché interne à la concurrence des importations et des investissements étrangers, qui a entraîné la faillite de multiples entreprises locales et la misère de petits producteurs (agriculteurs, artisans…) ;
la promotion accentuée de la révolution verte et du recours aux intrants[2bis] chimiques (pesticides, fertilisants…) ou aux semences génétiquement modifiées (OGM[2ter]), ce qui conduit les paysans à emprunter pour se procurer sur le marché les semences, les pesticides, les herbicides, les fertilisants avec l’espoir de pouvoir rembourser une fois réalisées la récolte et la vente sur le marché ;
la privatisation des terres (voir les contre-réformes au Mexique en 1993, en Égypte à la même époque et dans de nombreux pays) ;
l’accaparement des terres par des sociétés étrangères ;
la réduction de l’emploi dans la fonction publique ;
le blocage ou la baisse des salaires ;
la généralisation de la TVA et des impôts indirects ;
la réduction des retraites là où elles existaient.
La conjonction de ces contre-réformes et de ces mesures a augmenté le recours à l’endettement dans les couches populaires tant pour la consommation courante que pour de mini-investissements dans le secteur informel urbain et parmi les petit·es et moyen·nes agriculteur·ices.
Le développement du microcrédit à partir des années 1980-1990
À partir des années 1980 se développent des initiatives de microcrédit.Depuis le début, des gouvernements et de grandes institutions internationales comme la Banque mondiale[3] ont soutenu la promotion du microcrédit. C’est le cas en Colombie, comme le décrit Daniel Munevar, dans une étude inédite[3bis]. Dans ce pays, avec l’appui de fondations privées, de la Banque interaméricaine de développement (BID), du gouvernement des États-Unis, la microfinance s’est développée au début des années 1980. Un plan de développement du microcrédit aux petites entreprises du secteur informel a été adopté par le gouvernement colombien dès 1984. Des expériences similaires se sont développées en Bolivie, au Pérou, au Mexique. L’institution de microcrédit la plus connue au niveau mondial est incontestablement la Grameen Bank fondée à la fin des années 1970 par Muhammad Yunus au Bangladesh.
La Banque mondiale a fait systématiquement la promotion de la microfinance.
L’Organisation des Nations unies s’y est ralliée et a proclamé l’année 2005 « année internationale du microcrédit ».
En 2006, le Nobel de la paix a été attribué à Muhamad Yunus et à la Grameen Bank. Cette année-là, les chefs d’États et de gouvernements, au premier rang desquels Jacques Chirac, José Zapatero, George W. Bush, Luis Inacio Lula, sans oublier Bill Clinton et Bill Gates ont chanté les louanges du microcrédit.
L’enjeu est de taille
Avec un important appui institutionnel des gouvernements[4] et de plusieurs organismes internationaux, les institutions de microcrédit se sont progressivement multipliées dans les pays en développement.
À l’échelle de la planète, environ 2 milliards d’adultes n’ont pas de compte bancaire. Cela ouvre une perspective de développement extraordinaire aux entreprises de microcrédit.
En 2019, leur nombre atteignait 916 avec 140 millions de client·es, dont 80 % de femmes, et un portefeuille de crédit de 124 milliards de dollars. Parmi eux, 65% des emprunteur·euses vivent en zone rurale.
Ces données qui se rapportent à 2019 sont tirées d’un rapport intitulé Baromètre 2019 de la microfinance[4bis]. Le document est édité en français par un “consortium” réunissant les trois principales banques françaises (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale), la Fondation Grameen – Crédit Agricole, Renault, Véolia (première transnationale mondiale pour les services : eau, déchets, énergie), Master Card, Engie (GDF Suez), Danone (agroalimentaire), KPMG (une des quatre principales firmes d’audit au niveau mondial), Vinci (infrastructures de transport et gestion - autoroutes, aéroports -, énergie, BTP), la Mairie de Paris, le gouvernement princier de la principauté de Monaco, le ministère français des Affaires étrangères et du développement international… L’écrasante majorité des crédits octroyés se situent entre 100 et 1000 dollars.
La plupart des grandes banques privées internationales ont créé une branche microcrédit chargée de débusquer les occasions de s’introduire dans le secteur, généralement en développant des partenariats avec des agences de microcrédit déjà existantes.
Certes, les montants prêtés sont faibles mais, comme mentionné plus haut, 2 milliards d’adultes n’ont pas de compte bancaire et sont des clients potentiels du microcrédit. Deux autres facteurs très importants sont à prendre en compte :
Primo, les taux d’intérêts réels pratiqués dans le secteur de la microfinance (en ajoutant au taux officiel, les commissions diverses exigées des emprunteurs) oscillent entre 25 % et 50 %.
Deuzio, selon les agences de microcrédit,le taux de recouvrement est supérieur à 90 % car les pauvres sont enclins à faire l’impossible pour rembourser leurs crédits.
Un enjeu stratégique pour le capitalisme
Le système capitaliste fonctionne en cherchant en permanence à pénétrer et dominer des sphères, des espaces qu’il ne domine pas entièrement. A la fin du 20e siècle, il a remporté une énorme victoire avec la restauration des relations capitalistes dans des sociétés comme l’URSS, les autres pays européens membres de son bloc, ainsi que la Chine et le Vietnam. Il aborde la crise environnementale comme une occasion de développer le marché des permis de polluer et de développer un capitalisme vert[5].
A partir des années 1960, avec le développement de la révolution verte, il a réussi à enchaîner aux relations capitalistes des centaines de millions de paysan·nes en les rendant dépendants des semences qu’il avait brevetées, des pesticides, des herbicides, des fertilisants qu’il brevetait et produisait.
A partir des années 1990, s’est développée une nouvelle vague de dépossession avec une politique d’accaparement de terres à grande échelle au niveau international[6].
Depuis les années 1980, avec le développement du microcrédit, le capitalisme vise progressivement à faire rentrer les 2 milliards d’adultes qui n’ont pas de compte en banque dans le circuit financier qu’il domine. Ces 2 milliards d’adultes, en majorité des femmes, sont déjà insérés dans les relations monétaires de manière plus ou moins profonde, mais une partie de ce qui est réalisé comme travail et une partie de ce qui est produit l’est encore pour la sphère domestique ou communautaire non monétaire (production alimentaire d’autosubsistance, travail au foyer). C’est un enjeu stratégique pour les capitalistes de réussir à les faire rentrer de manière systématique dans le système capitaliste via l’endettement formalisé à travers des relations contractuelles d’emprunt. Il s’agit par exemple de mettre un terme au système traditionnel de mutualisation de l’épargne entre femmes là où il existe encore, mettre fin par exemple aux tontines d’Afrique subsaharienne par lesquelles les femmes mettent en commun leur épargne et se prêtent à tour de rôle des sommes nécessaires pour certaines dépenses extraordinaires ou pour des projets/investissements. Faire rentrer par l’endettement la partie de l’humanité qui jusqu’ici n’était pas encore pleinement insérée dans les relations formelles (contractuelles) capitalistes constitue réellement un enjeu stratégique. (Lire aussi : « FMI : Inhumain aux niveaux micro et macro »[6bis])
🔴 C’est pourquoi se développe sur ce terrain l’activité des gouvernements, des organismes internationaux comme la Banque mondiale et toutes les banques multilatérales opérant dans les pays du Sud (Banque africaine de développement, Banque asiatique de développement, Banque interaméricaine de développement, Banque européenne d’investissement, etc.), des grandes entreprises financières(presque toutes les grandes banques privées, des fonds d’investissement), des grandes sociétés commerciales (les grandes chaînes de distribution), des sociétés de communication (principalement celles des téléphones mobiles).
🔴 À côté du microcrédit proprement dit sur lequel ce texte attire l’attention, il faut ajouter le développement du crédit à la consommation par les chaînes de distribution commerciale dans un grand nombre de pays émergents[6ter]. Il faut souligner également le développement de l’utilisation des téléphones mobiles pour effectuer des paiements et des transferts d’argent, notamment pour des personnes qui n’ont pas de compte bancaire[7]. Ce développement des paiements par téléphone mobile mériterait une étude spécifique.
La fable du microcrédit
La question principale pour Muhammad Yunus est : « comment autoriser la moitié la plus fragile de la population du globe à rejoindre le courant principal de l’économie mondiale et à acquérir la capacité de participer aux libres marchés ? »[8]. Yunus part du postulat que l’économie mondiale fonctionne bien via le libre-marché : le seul problème des pauvres, c’est d’avoir le pied à l’étrier. Accéder à un premier prêt leur ouvrira la voie. Les banques considèrent que les pauvres ne sont pas solvables ? Elles refusent de leur accorder des prêts ? Yunus va tester le prêt aux pauvres. Avec ses équipes, il réalise un véritable forcing à ce sujet :« Quand un emprunteur tente d’esquiver une offre de prêt en prétextant qu’il n’a pas d’expérience des affaires et ne veut pas prendre cet argent, nous cherchons à le convaincre qu’il peut avoir une idée d’activité économique à créer » (p. 40) Endettez-vous d’abord, on verra après ce que vous arriverez à faire… Pour Yunus, « le social-business est la pièce manquante du système capitaliste. Son introduction peut permettre de sauver le système » (p. 171). Le tout est de savoir s’il faut sauver un système mortifère.
De nombreuses études empiriques consacrées au microcrédit et de nombreux auteurs montrent que celui-ci ne permet pas réellement aux clients de sortir structurellement de la pauvreté[9]. Le microcrédit plonge une grande partie des usagers dans l’endettement, voire le surendettement. Il ne permet pas le développement d’entreprises dans le secteur formel. Les microentreprises qui s’endettent auprès des agences de microcrédit restent dans le secteur informel. Le microcrédit ne permet pas aux collectivités locales de se renforcer et de remplacer des services publics qui se dégradent ou disparaissent suite au retrait de l’État réalisé dans le cadre des politiques néolibérales. En fait, le microcrédit reproduit les mécanismes qui génèrent la pauvreté. Une fois endettées, les personnes, en majorité des femmes, peuvent être plus facilement dépossédées, soumises et obligées de chercher à s’incorporer au marché du travail salarié pour trouver une source de revenus. De la sorte, elles contribuent à renforcer la masse des sans-emplois et à peser vers le bas sur les salaires. Dans maintes situations, les clients des institutions de microcrédit qui sont en difficulté de paiement finissent par avoir recours aux usuriers traditionnels qui posent moins de conditions mais exigent des taux encore plus élevés.
Des exemples concrets liés au microcrédit
🔴 Bangladesh : pays emblématique du microcrédit
Au Bangladesh, un des pays où le microcrédit est le plus développé, sur une population de 160 millions d’habitants, en 2015, des microcrédits étaient octroyés à 29 millions de personnes pour un montant moyen de 200 euros (17 000 takas, la monnaie du Bangladesh)[10]. Plus de 80 % des emprunteurs sont des femmes. Abul Kalam Azad, membre du CADTM, travaille pour Action[10bis] Aid à Dacca, au Bangladesh, et témoigne : « Le microcrédit, dans son fonctionnement « classique », consiste à accorder de petits prêts à plusieurs débiteurs réunis en un seul groupe. Un groupe bénéficiant d’un prêt est composé d’environ 25 à 30 personnes devant s’engager sur 16 principes (qui ont pour but de garantir que les emprunteurs agiront de manière collective et inclusive en tant que groupe de débiteurs). Les membres d’un groupe commencent par constituer un fonds d’épargne commun, avant de s’adresser à une agence de microcrédit sur cette base afin de demander un prêt. Plus récemment, les agences de microcrédit ont commencé à pratiquer des prêts aux individus. Dans le cas d’un prêt individuel, le débiteur doit constituer une garantie auprès de l’agence s’élevant à 30 % du montant contracté[11]».
Le taux d’intérêt[11bis] réel varie entre 35 et 50 % (si on prend en compte les commissions officielles prélevées). En conséquence, vu les difficultés de s’acquitter d’un tel taux, une cliente de la microfinance (nous employons le féminin vu que les femmes sont majoritaires parmi les clients), en moyenne, est endettée auprès de 3 organismes de microcrédit. Prenons un exemple fictif mais tout à fait plausible. Elle commence par emprunter à la Grameen Bank (actuellement, la troisième banque de microcrédit en termes de volume au Bangladesh). Si elle n’arrive pas à payer à temps, elle emprunte à BRAC (qui est le principal organisme de microcrédit) pour rembourser Grameen. Ensuite, ne pouvant pas rembourser BRAC et Grameen, elle se tourne vers ASA (la deuxième banque de microcrédit). Si elle n’arrive pas à rembourser, elle décide de disparaître avec les siens. Si la famille vit dans un village, elle le quitte sans laisser d’adresse et va rejoindre la ville pour se fondre dans la masse avec un sentiment de culpabilité. Dacca, la capitale, compte 14,5 millions d’habitants et d’autres villes bourgeonnent.
La difficulté de faire face au remboursement des microcrédits constitue un facteur très important de stress et d’humiliation pour les personnes endettées. Selon Abul Kalam Azad : « Les difficultés liées au remboursement du microcrédit ont induit énormément de stress au sein des familles contractant des prêts ». Comme une grande partie des personnes emprunteuses n’a pas de propriété immobilière, la dépossession ne porte pas sur la terre ou le domicile, elle porte sur la garantie de 30 % que l’emprunteuse a dû déposer auprès de l’agence de microcrédit.
Pour comprendre comment les organismes de microcrédit affichent un taux de remboursement de plus de 98 %, il faut prendre en compte ce facteur très important.Une personne qui souhaite emprunter doit déposer en garantie 30 % de la somme empruntée. Si elle n’arrive pas à rembourser, l’organisme de microcrédit garde la garantie. C’est ainsi que les agences de microcrédits arrivent à un taux de recouvrement de 98 %. Celui-ci cache en réalité un phénomène de dépossession, celle d’un nombre important de personnes qui, n’arrivant pas à faire face aux obligations de remboursement, perdent la garantie qu’elles ont déposées et quittent leur village pour échapper à l’opprobre.
Une précision supplémentaire : au Bangladesh, les trois principales banques de microcrédit contrôlent 61 % du marché. Quand vous vous déplacez dans la capitale Dacca, vous vous apercevez que la majorité des ATM (guichets automatisés de retrait bancaire) sont ceux de ces trois principales banques.
🔴 Colombie : le microcrédit soutenu systématiquement par l’État
Comme indiqué plus haut, le gouvernement colombien et celui des États-Unis, de même que la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement, sont intervenus activement dans le lancement, le soutien et l’extension de la microfinance. Dans ce pays, les microentreprises, qui représentent la majorité des emplois, ont constitué la cible principale des microcrédits. Cinq institutions dominent le secteur en contrôlant 72 % des crédits en 2014. La principale banque de microcrédit, Bancamia, est liée à la deuxième plus grande banque privée espagnole, BBVA. L’État les soutient de manière structurelle. En 1996, Corposol/Finansol, qui contrôlait 40 % du marché des nouveaux crédits aux microentreprises, dut être sauvée avec l’aide des finances publiques car elle avait donné la priorité à la recherche à tout prix d’une extension maximale[12]. Les hauts cadres des banques de microcrédit proviennent de grandes banques privées, notamment des États-Unis comme la Citibank.
Toutes les évaluations réalisées par le gouvernement colombien font état des succès de ce qu’il appelle l’industrie du microcrédit. La raison est simple : ces évaluations ne prennent en compte que la croissance du secteur de la microfinance sans se préoccuper de ses effets sur l’activité économique, sans se pencher sur la capacité des microentreprises à quitter le secteur informel pour passer au secteur formel. En réalité, la microfinance colombienne a maintenu les microentreprises dans l’informalité et a poussé à leur surendettement, ce qui a augmenté le taux des impayés.
À partir des années 2000, le gouvernement a convaincu les grandes banques privées colombiennes d’investir dans la microfinance. Annuellement, 130 millions de dollars ont été investis par elles entre 2002 et 2006, largement avec une garantie publique en cas de défaut de paiement ou de faillite[13]. La quantité de crédits bénéficiant de la garantie de l’État a été multipliée par 5 entre 2001 et 2005.
Par la suite, le gouvernement décida d’augmenter encore le nombre de microcrédits octroyés, il fixa comme objectif à atteindre l’attribution de 5 millions de microcrédits entre 2006 et 2010. L’objectif fut dépassé, 6,1 millions de crédits furent octroyés. Pour la période 2010-2014, même dépassement : alors que le gouvernement voulait atteindre 7,7 millions de microcrédits, le total atteignit 10,2 millions de microcrédits. Mais le programme en pleine extension n’avait pas réussi à améliorer la qualité de l’emploi. En 2006, sous la pression des banques de microcrédit, le gouvernement autorisa une augmentation des taux d’intérêt[14]. Les taux autorisés pouvaient se situer entre 22,6 % et 33,9 %.
À partir de 2010, les taux admis furent encore augmentés, ils pouvaient osciller entre 30 et 50 %. De plus, le gouvernement autorisa l’introduction de taux variables avec indexation tous les 3 mois. En Colombie, l’expansion du microcrédit est exponentielle. On est passé d’un volume total de 136 millions de dollars en 2002 à 3 800 millions en 2016, soit une croissance annuelle de 28,1 %. En termes de taille individuelle des crédits, en 2015, 72 % des microcrédits varient entre 1 et 25 fois le salaire minimum légal, tandis que les 28 % restants oscillent entre 25 fois et 120 fois le salaire minimum légal. En 2015, le rendement sur fonds propres (ROE) était phénoménal[15] : Bancamia atteignait 11,7 % , la Banque mondiale des Femmes –sic !- (WWB) 9,1 % et la banque Monde féminin (Mundo Mujer) 21 %. Goldman Sachs, une des banques les plus rentables au niveau mondial, obtient des résultats nettement inférieurs !
Alors que la santé apparente des banques colombiennes spécialisées dans le microcrédit est excellente, il n’en va pas de même des personnes et des microentreprises qui font appel à leurs prêts. 32 % des clients sont surendettés et ont dû demander une restructuration de leurs dettes qui passe essentiellement par une extension de la période de remboursement. Avec la conjoncture économique qui s’est dégradée en Colombie en 2016-2017, le nombre des défauts de paiement a fortement augmenté[16].
🔴 Afrique du Sud : Il est fréquent que les patrons, sur ordonnance judiciaire, déduisent directement le montant à rembourser du salaire de leurs travailleurs
Le 16 août 2012, dans la région de Marikana en Afrique du sud, la police a ouvert le feu sur des mineurs en grève et en a tué trente-quatre. Cet épisode tragique est souvent considéré comme marquant un tournant dans l’histoire de la démocratie dans ce pays appelé ’nation arc-en-ciel’. Ce qu’il révèle, c’est non seulement le soutien quasi-inconditionnel apporté aux forces du capital par l’ANC (qui avait dirigé la lutte anti apartheid) et la nouvelle classe dirigeante noire, mais également combien est important le niveau d’endettement des mineurs. L’essentiel de leur dette est dû à des ‘ micro-prêteurs ’ ; en fait la croissance du microcrédit en Afrique du Sud est tout simplement phénoménale. Des Sud-Africains qui gagnent entre 3 500 et 10 000 rands par mois (un salaire d’ouvrier) consacrent jusqu’à 40 % de leur revenu à rembourser des emprunts. Il est fréquent que les patrons, sur ordonnance judiciaire, déduisent directement le montant à rembourser du salaire de leurs travailleurs. Si les mineurs étaient en grève en 2012 pour obtenir une augmentation de salaire, c’est que ces prélèvements leur laissaient à peine de quoi vivre et qu’ils avaient emprunté à des taux usuraires auprès des prêteurs sauvages qui se sont multipliés près des mines ou dans des localités comme Marikana[17].
🔴 Maroc : quand les victimes s’organisent
Depuis le milieu des années 1990, l’État marocain a promu le microcrédit par le biais de financements publics nationaux et internationaux (Fonds Hassan II pour le développement, PNUD[17bis], USAid...).
Ce sont aujourd’hui 13 institutions coordonnées dans le cadre de la Fédération nationale des associations de microcrédits, dont quatre représentent 95 % des prêts (dont deux filiales de banques) qui structurent le secteur. Celui-ci a connu, de 2008 à 2011, une crise due aux défaillances de remboursement, qui s’est entre autres concrétisée par la faillite de la fondation Zakoura, entrainant une intervention de l’État pour réorganiser et consolider ces structures.
Des années 1990 à la fin 2015 près de 50 milliards de dirhams de prêts ont été distribués. Les prêts vont de 500 dirhams à 50 000 dirhams [50 à 5 000 euros] au maximum à un taux effectif moyen de 35 % mais qui peut aller bien au-delà.
Profitant de la situation d’urgence à laquelle sont confrontés les emprunteurs, de leur niveau d’étude et de leur méconnaissance des procédures, les organismes de microcrédit cachent le taux d’intérêt effectif annuel réel, ne donnant que le taux mensuel.
Les difficultés de remboursement d’emprunts excessifs et l’application de taux usuraires expliquent la naissance d’un mouvement de victimes des microcrédits dans la région de Ouarzazate (Sud-Est du Maroc) en 2011[18]. Ce mouvement a regroupé environ 4 500 victimes, en grande majorité des femmes. ATTAC CADTM Maroc a soutenu cette lutte et l’a considérée comme une lutte juste contre la cupidité des institutions bancaires et des investisseurs qui les contrôlent, en montrant le caractère illégitime et illégal de ces prêts.
Caravane internationale de solidarité avec les femmes victimes des micro-crédits au Maroc
Comme l’écrit ATTAC CADTM Maroc : « À travers sa lutte, ce mouvement a révélé la fausseté de l’objectif déclaré des institutions de la microfinance jusque dans la loi qui les régit, et les moyens illégaux auxquels elles ont recours dans les cas de dettes impayées. Les emprunteurs ont été soumis à diverses formes de menaces et dépouillés de leurs biens. Les femmes en particulier ont dû faire face à d’énormes pressions : certaines ont quitté leurs familles, d’autres ont émigré, certaines se sont vu forcées à recourir la prostitution »[19]
Les organisateurs du mouvement ont été poursuivis en justice, condamnés à des peines sévères dans un premier temps. Devant la forte mobilisation des victimes et la solidarité internationale qu’elles ont reçue, le tribunal a finalement prononcé l’acquittement[20].
Comme le souligne ATTAC CADTM Maroc : « la question des microcrédits dépasse la question de l’avidité et de la cupidité des institutions financières internationales et locales mais pose le problème plus général du type de politiques mises en place pour lutter contre la pauvreté et plus largement encore du modèle de développement qui sous-tend ces politiques. D’un côté, on supprime les moyens de subsistance d’une partie de la population, par l’accaparement des terres, l’extension de l’agrobusiness, la fermeture des services publics ou leur privatisation et, d’un autre, on lui prête de l’argent de façon à ce qu’elle soit solvable pour accéder à des services payants : écoles privées, cliniques, etc. tout en lui demandant de créer ses propres activités génératrices de revenus dans un monde en crise et en lui retirant au passage une part importante des bénéfices de l’opération. »[21]
D’autres mécanismes de dettes privées D’autres mécanismes d’endettement privé jouent un rôle fondamental dans les pays dits en développement qu’ils soient émergents ou non.
🔴 En Chine, plus d’une centaine de millions de personnes sont victimes d’une énorme bulle immobilière en développement depuis plus de 10 ans.
Les logements atteignent des prix astronomiques. Des dizaines de millions de paysans sont victimes de la spéculation[21bis] immobilière qui entraîne un renchérissement des terres agricoles à proximité des agglomérations urbaines. Les banques chinoises se sont lancées dans des crédits hypothécaires de plus en plus massifs et les abus se multiplient de la part des banquiers. Le taux de défaut de paiement augmente. Lorsque les prix de l’immobilier s’effondreront, les familles menacées par des expulsions de logements se compteront par dizaines de millions.
🔴 En Inde :
En Inde on dénombre au cours des 20 dernières années plus de 300 000 suicides de paysans endettés et le nombre de victimes ne faiblit pas[22].
En résumé, en ce début du 21e siècle, tant au Nord qu’au Sud de la planète, les opprimés sont confrontés à une recrudescence de l’utilisation des dettes privées comme mécanisme d’asservissement, de spoliation et de dépossession. C’est pour cela que le CADTM a décidé d’intégrer dans ses activités la lutte pour l’abolition des dettes privées illégitimes.
[4] Une fois de plus, ce qui est présenté comme une initiative qui surgit de la société civile et de l’initiative privée doit son succès à un soutien vital de la part de l’État et des organismes internationaux comme la Banque mondiale qui prolonge l’action des États.
[7] Voir « Le Kenya, leader mondial du paiement mobile ». Voir aussi « ONU, Transferts d’argent : le téléphone portable au secours des banques », Afrique Renouveau En Ligne ; CNUCED, « Les services monétaires par téléphonie mobile »
[15] Le Return On Equity mesure en pourcentage le rapport entre le résultat net et les capitaux propres investis par les actionnaires. L’équation revient à ROE = Résultats net / capitaux propres.
[17] Source : Samantha Ashman, Financiarisation et luttes des mineurs en Afrique du Sud (Financialisation and Mine Workers’ Struggles in South Africa), communication à la journée d’études : « Finance et mouvements sociaux », Paris, 13 avril 2017.
L’endettement privé des classes populaires et la répression du non-paiement de dettes comme sources d’accumulation primitive du capitalisme
En Europe, du XVIe au XVIIIe siècle, l’endettement privé des classes populaires et la répression du non-paiement de dettes ont contribué à constituer une masse de prolétaires : peine d’emprisonnement, mutilation, création de bagnes contribuèrent à obliger les populations paupérisées à accepter du travail dans les manufactures. Cela fait partie intégrante des sources de l’accumulation primitive ayant permis au capitalisme de s’imposer comme mode de production dominant d’abord en Europe puis dans le reste du monde (voir encadré ci-dessous).
L’Accumulation primitive par dépossession
K. Marx met en avant comme sources, souvent violentes, de l’accumulation primitive ayant permis au capitalisme de prendre le dessus sur d’autres modes de production : la séparation radicale du producteur d’avec les moyens de production, la suppression des biens communaux, le mouvement d’enclosure dans les campagnes, la dépossession des artisans de leurs outils de travail, la répression sanguinaire contre les expropriés (qui avaient tout perdu à cause de dettes qu’ils n’arrivaient pas à rembourser), la conquête coloniale et la mise en coupe réglée des continents accaparés par les puissances européennes, le commerce des esclaves, le système de la dette[0] publique[1].
Silvia Federici y ajoute la chasse aux sorcières, ce vaste mouvement sanglant de répression des femmes de la fin du XVe au milieu du XVIIe siècle. Ernest Mandel résume la position de Marx et souligne que « On pourrait même affirmer que Marx a sous-estimé l’importance du pillage du tiers-monde pour l’accumulation du capital industriel en Europe occidentale[2]. »
Rosa Luxemburg en 1913, dans L’Accumulation du capital (Paris : Maspero, Vol. II, 1969) revient également sur le processus d’accumulation primitive et son prolongement à l’ère de l’impérialisme de la fin du XIXe siècle[3]
Une partie importante de la masse des prolétaires qui rejoignaient les villes où des manufactures commençaient à se développer était constitué de populations rurales surendettées qui avaient été dépossédées de leurs terres par les créanciers.
Le non-paiement des dettes a été violemment réprimé jusqu’au milieu du XIXe siècle dans les pays qui ont été au centre de l’essor du système capitaliste industriel : l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord.
De lourdes peines de prison sanctionnaient les pauvres coupables du non-paiement des dettes. La peine capitale était couramment appliquée en Angleterre jusqu’au XVIIIe siècle. Aux États-Unis, dans l’État de Pennsylvanie, à la fin du XVIIIe siècle, les mauvais payeurs pouvaient être condamnés au fouet, être mis au pilori avec une oreille clouée à celui-ci, avant d’être coupée. Ils risquaient également d’être marqués au fer rouge.En France, des peines de prison étaient systématiquement appliquées. Bien sûr, s’y ajoutait l’expulsion du logement, la saisie de tous les biens.
Quelques exemples de dépossession et de résistance au XVIII et au XIXe siècle Aux États-Unis, peu de temps après l’indépendance, des mouvements de protestation furent organisés par des paysans dont les terres et les biens étaient saisis pour non-paiement des impôts et taxes. Ce paiement était exigé en monnaie, alors que beaucoup de paysans n’en avaient pas ou très peu, vivant de troc et de paiement en nature. De nombreux paysans avaient servi dans les armées révolutionnaires mais n’avaient jamais reçu l’entièreté de leur solde. Dans le Massachusetts, en 1782 à Groton, et encore en 1783 à Uxbridge, des citoyens s’organisèrent et s’attaquèrent aux autorités, exigeant le retour des biens confisqués. Au début de la Rébellion de Shays, en 1786, les foules empêchèrent les tribunaux de siéger à Northampton et à Worcester après que le gouverneur Bowdoin ait renforcé les actions en justice destinées à recouvrer les dettes et que la législature ait imposé une taxe supplémentaire destinée à financer le paiement de la part du Massachusetts dans la dette étrangère des États-Unis. Daniel Shays, dont le mouvement porte le nom, était un ancien combattant non-payé. Il s’était retrouvé devant un tribunal pour non-paiement d’impôts.
Rébellion de Shays, 1786
À partir de 1798, s’organisa un mouvement d’autodéfense des endettés qui exigea l’adoption d’une législation les protégeant contre l’arbitraire des créanciers et de la justice. Une loi fédérale fût adoptée en 1800 mais elle se limitait à protéger les banquiers et les commerçants en suspension de paiement. Par ailleurs les différents États continuèrent à avoir recours à leurs propres lois, qui le plus souvent favorisaient les créanciers.
Scott Standage[4] cite un livre de 1828, The Patriot ; or, People’s Companion qui plaidait pour l’abolition de l’emprisonnement des endettés, estimant que la dette constituait une forme « d’esclavage civil » au même titre que l’esclavage des Noirs – les endettés, pas plus que les esclaves, ne bénéficiant d’aucune protection dans la Constitution.
Chercher à échapper aux créanciers constituait une des causes du courant migratoire de l’Est des États-Unis vers l’Ouest, le Far West. Une partie majoritaire des Européens qui ont participé à la colonisation du Nouveau Monde aux XVIIe et XVIIIe siècles s’étaient endettés pour payer leur voyage et se trouvaient dans un rapport de servitude par rapport à leurs créanciers. Durant de longues années, ils étaient tenus de rembourser la dette initiale et étaient menacés de prison ou de mutilation en cas de non-paiement. On estime qu’entre la moitié et les deux tiers des Européens qui se sont installés dans les 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord entre 1630 et 1776 sont venus dans de telles conditions de servitude pour dettes[5].Ce type de servitude pour dette n’a été aboli aux États-Unis qu’en 1917.
🔴 Le même type de contrat d’endettement afin de financer la colonisation a été appliqué dans l’ensemble de l’empire britannique. Des millions de pauvres ont quitté l’Inde dans ces conditions pour s’installer soit dans les îles Caraïbes britanniques, soit à l’Île Maurice, soit en Afrique du Sud, soit dans d’autres parties de l’Empire. Rien que sur l’Île Maurice, entre 1834 et 1917, près d’un million et demi d’Indiens se sont installés en ayant été contraints par la misère d’accepter des contrats de servitude pour dette[6].
En 1875, en Inde, dans la vaste région appelée le Deccan, des émeutes éclatèrent au cours desquelles des paysans endettés se sont soulevés pour détruire systématiquement les livres de comptes des usuriers et ainsi répudier leurs dettes[7].
La révolte a duré deux mois et a concerné une trentaine de villages couvrant 6 500 km2.
Une commission d’enquête parlementaire fut mise en place à Londres et en 1879 fut adoptée une loi intitulée en anglais « Dekkhan Agriculturists’ Relief Act[8] » qui offrait une certaine protection aux paysans endettés.
En 1880, une crise de la dette a frappé les petits et moyens paysans aux États-Unis. Cela s’est produit à nouveau à une échelle massive dans les années 1930 comme l’écrivain John Steinbeck le décrit dans son célèbre roman Les Raisins de la colère (titre original en anglais : The Grapes of Wrath) publié en 1939. Ces crises successives ont entraîné la dépossession de millions de paysans endettés des États-Unis en faveur des grandes entreprises privées de l’agrobusiness.
Du truck system du XIXe siècle au crédit à la consommation au XXe siècle
Au XIXe siècle, lors de la généralisation de la révolution industrielle et de l’expansion du capitalisme, les patrons ont mis en place le " truck system[8bis] qui permettait d’endetter de manière permanente les salariés. Les travailleurs, dans l’attente du paiement du salaire, devaient acheter au magasin du patron tous les biens élémentaires dont ils avaient besoin pour vivre : aliments, moyens de chauffage, d’éclairage, vêtements… Ils étaient obligés d’acheter à des prix exorbitants et au moment de la paie, après décompte de leurs achats, très souvent ils devaient reconnaître une dette car leurs dépenses avaient dépassé leur salaire. Pour en venir à bout, les ouvriers ont dû mener de durs combats. C’est aussi une des raisons qui ont amené les ouvriers à se doter de coopératives pour produire des aliments (boulangerie…) ou pour vendre à des prix abordables les produits de première nécessité. Le truck system a finalement été interdit.
🔴 Après la seconde guerre mondiale, les années 1950-60 sont marquées, dans les pays les plus industrialisés (c’est vrai également dans plusieurs pays du Sud comme l’Argentine, par exemple), par une période de forte croissante économique (les « Trente glorieuses ») qui permet aux travailleurs d’obtenir par la lutte des avancées sociales importantes : nette augmentation du pouvoir d’achat, consolidation du système de sécurité sociale, amélioration des services publics en particulier dans l’éducation et la santé… L’État procède aussi à bon nombre de nationalisations, ce qui renforce son pouvoir d’intervention économique. Les populations profitent davantage de la richesse créée à l’échelle nationale et la part des salaires dans le revenu national augmente.
🔴 À partir de l’offensive néolibérale initiée au Chili en 1973 avec le dictateur Pinochet et en Argentine en 1976 avec la dictature de Videla (dictatures qui ont bénéficié du soutien actif de Washington) et développée ensuite par Thatcher et Reagan au cours des années 1980, les salaires réels ont été comprimés. Dans les pays les plus industrialisés, la consommation de masse a poursuivi sa progression au prix d’un endettement de plus en plus important de la population[9]. Les gouvernants, les banques et les grandes sociétés privées de l’industrie et du commerce ont favorisé le recours de plus en plus massif à l’endettement des ménages.
L’emprisonnement pour dettes relatives à des amendes non payées à l’État n’a pas disparu partout
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le non-paiement de dettes privées, et plus précisément de dettes privées ou d’amendes à l’égard de l’État, est jusqu’à aujourd’hui toujours passible d’emprisonnement dans plusieurs pays européens bien que plusieurs conventions internationales l’interdisent[10].
En France, l’emprisonnement pour dette a été aboli à deux brèves reprises, en 1793 et en 1848. Il fut supprimé définitivement en matière civile et commerciale par la loi du 22 juillet 1867. Le Code de procédure pénale l’a supprimé en 1958 en matière criminelle quant aux dommages-intérêts accordés à la partie civile. Aujourd’hui, l’emprisonnement pour dette ne s’applique plus qu’aux condamnations à une peine d’amende, aux frais de justice et aux paiements au profit du Trésor, et encore, à condition qu’il s’agisse bien d’une infraction de droit commun et n’emportant pas peine perpétuelle. Donc en France, la contrainte judiciaire consiste à incarcérer ou maintenir en détention une personne solvable pour défaut de paiement de certaines amendes, auxquelles elle a été condamnée par le Trésor public ou l’administration des douanes[11].
En Belgique, l’emprisonnement (appelé emprisonnement subsidiaire) pour non-paiement des amendes à l’égard de l’État est toujours possible même si depuis une vingtaine d’années les ministres de la justice qui se sont succédés ont recommandé de ne pas l’appliquer. Dans une réponse du ministre de la justice belge à une question parlementaire posée par un député d’extrême-droite (Vlaams Belang) à une époque où ce parti atteignait plus de 20 % des voix, on apprend de la bouche du ministre que « L’article 40 précise « À défaut de payement dans le délai de deux mois à dater de l’arrêt ou du jugement s’il est contradictoire, ou de sa signification, s’il est par défaut, l’amende pourra être remplacée par un emprisonnement dont la durée sera fixée dans le jugement ou l’arrêt de condamnation, et qui n’excédera pas six mois pour les condamnés à raison de crime, trois mois à raison de délit et trois jours pour les condamnés à raison de contravention ». « S’il n’a été prononcé qu’une amende, l’emprisonnement à subir, à défaut de payement est assimilé à l’emprisonnement correctionnel ou de police selon le caractère de la condamnation. » L’article 41 précise : « Dans tous les cas, le condamné peut se libérer de cet emprisonnement en payant l’amende ; il ne peut se soustraire aux poursuites sur ses biens en offrant de subir l’emprisonnement. »[12] En pratique, un juge en Belgique peut émettre une sentence prévoyant un emprisonnement subsidiaire (cela ne se passe qu’en matière pénale). Dans ce cas, le juge prévoit l’amende et indique que si la personne le souhaite ou n’a pas les moyens, elle devra effectuer une peine de prison. Évidemment, il est clair que le riche choisira de payer l’amende et évitera la prison, tandis qu’une personne qui a de faibles revenus et pas de patrimoine ou très peu devra aller en prison. Cela montre que la justice telle qu’elle est rendue est une justice de classe.
Le ministre précise : « En 2000, en matière correctionnelle sur 22 632 condamnations à une amende, les parquets ont ouvert 3 745 dossiers concernant l’exécution des peines d’emprisonnement subsidiaire. En 2001, sur 21 375 condamnations à une amende seuls 1 745 dossiers d’exécution de peines de prison subsidiaires ont été ouverts dans les parquets. »
Même si, en pratique, des peines d’emprisonnement ne sont plus appliquées ou très rarement, le fait que certains pays ont maintenu cette possibilité ne peut qu’inquiéter. En effet dans l’éventualité d’une accession de l’extrême-droite au gouvernement et du renforcement permanent des méthodes répressives, il est possible que des peines d’emprisonnement pour dette soient prononcées à l’encontre de boucs émissaires des classes populaires. Il ne manque pas de magistrats réactionnaires dans l’appareil de la justice pour prendre des initiatives qui renforceraient le caractère de classe de l’application de la loi.
Plus largement, Jami Hubbard Solli a montré que dans plus de 20 pays, la loi autorise les créancie·res à demander l’incarcération des débiteur·ices en cas de défaut de paiement[13]. Par exemple, au Kenya et en Ouganda, cette législation est bel est bien appliquée. En effet, plusieurs centaines de personnes n’ayant pas pu rembourser leur dette sont emprisonnées.
Dettes hypothécaires illégitimes et expulsion de logement
Lorsque la bulle immobilière a éclaté au Japon (années 1990), aux États-Unis (2006-2007), en Irlande et en Islande (2008), en Espagne (2009), des dizaines de millions de ménages des classes populaires ont été acculés à la cessation de paiement et ont commencé à être victimes d’expulsions massives[14]. Dans un contexte de baisse du salaire réel, de chômage massif et de conditions de prêts abusives, les effets de ces dettes sont catastrophiques pour une partie croissante des secteurs populaires.
Aux États-Unis, après 2006, quatorze millions de familles ont été dépossédées de leurs logements par les banques[15].
En Espagne, il s’agit de plus de 300 000 familles. Nous sommes confrontés une nouvelle fois dans l’histoire des pays du Nord à un phénomène massif de dépossession brutale.
Aux États-Unis, la justice a dénombré pas moins de 500 000 cas de contrats immobiliers abusifs et frauduleux, le chiffre réel est bien plus élevé.
En Espagne, la législation qui est utilisée par les banquiers pour expulser les familles de leurs logements date de l’époque du dictateur Franco. En Grèce, dans le cadre du troisième mémorandum accepté par le gouvernement Tsipras en 2015, les banques ont commencé à avoir les mains libres pour expulser les familles incapables de payer leurs dettes hypothécaires[16].
Aux États-Unis, en Espagne, en Irlande, en Islande, en Grèce…, un nouveau type de mouvement et de mobilisations est né afin de résister à cette politique d’expulsion/dépossession.
Dettes étudiantes illégitimes
Dans les pays anglo-saxons les plus industrialisés ainsi qu’au Japon, les politiques néolibérales appliquées dans le système d’éducation ont augmenté de manière dramatique le coût des études supérieures et ont restreint très fortement l’accès aux bourses d’étude. Le même phénomène est à l’œuvre à l’échelle planétaire.
Cela a obligé des dizaines de millions de jeunes des classes populaires à s’endetter dans des proportions dramatiques afin de pouvoir réaliser des études supérieures. Aux États-Unis, la dette étudiante dépasse 1 700 milliards de dollars, soit le double de la dette publique totale de l’ensemble du continent africain, qui compte plus d’un milliards d’habitant·es[17]).
Un seuil symbolique qui exprime la gravité de la situation.
Deux étudiant·es sur trois sont endetté·es et doivent en moyenne 37 667 dollars.
En 2008, 80 % des étudiant·es qui terminaient un master en droit cumulaient une dette de 77 000 dollars s’ils avaient fréquenté une université privée et de 50 000 dollars s’il s’agissait d’un établissement public.
L’endettement moyen des étudiant·es qui ont accompli une année de spécialisation de médecine atteignait 140 000 dollars. Une étudiante qui a réussi son master en droit déclarait à un quotidien italien : « Je pense que je n’arriverai pas à rembourser les dettes que j’ai contractées pour payer mes études, certains jours je pense que lorsque je mourrai, j’aurai encore les mensualités de la dette pour l’université à payer. Aujourd’hui j’ai un plan de remboursement étalé sur 27 ans et demi, mais il est trop ambitieux car le taux est variable et je parviens à grande peine à payer (…). La chose qui me préoccupe le plus est que je suis incapable d’épargner, et ma dette est toujours là et me hante»[18].
Comme elles subissent des discriminations majeures dans l’accès à l’emploi, dans la distribution des salaires, et dans la répartition du travail domestique non rémunéré (pour les femmes), les femmes et les personnes racisées sont les premières à subir ce système universitaire basé sur l’endettement[19]. Elles s’endettent donc davantage et mettent beaucoup plus de temps pour rembourser ces emprunts. En 2019, 20 ans après avoir commencé leurs études, les personnes noires s’étant endettées devaient 95% de leur dette étudiante. Les individus blancs dans la même situation avaient remboursé 94% de cet emprunt[20].
Au Japon, un·e étudiant·e sur deux est endetté. L’endettement moyen des étudiants atteint l’équivalent de 30 000 dollars. Au Canada, la tendance est la même[21]. Aller à l’université coûte de plus en plus cher alors que sur le marché du travail sinistré et saturé, il est de plus en plus difficile de trouver un emploi avec un salaire décent. Après leurs études, les jeunes endettés et leurs familles éprouvent de plus en plus de difficultés à rembourser les dettes. Pour la rembourser, ils sont souvent amenés à accepter des emplois très précaires et des conditions de travail dégradantes. Les banques font des profits juteux grâce à la dette étudiante.Comme sur la thématique des dettes hypothécaires illégitimes, de nouvelles formes de luttes et de nouveaux mouvements sont en train de naître pour combattre contre les dettes étudiantes illégitimes. C’est notamment le cas aux États-Unis avec le mouvement Strike Debt ! On assiste à des tentatives de fédérer les différentes résistances sur le front de la dette : dettes étudiantes, dettes hypothécaires, dettes de consommation, dettes liées aux impôts, sans oublier la dette publique[22].
Le surendettement affecte et dégrade les conditions de vie d’un secteur grandissant des couches populaires dans tous les pays les plus industrialisés.En Belgique, le nombre de personnes en règlement collectif de dettes a plus que doublé entre 2007 et 2017.
Les femmes cheffes de famille monoparentale sont partout durement touchées par le surendettement. Les souffrances liées aux humiliations auxquelles les personnes surendettées sont soumises grandissent. Les intrusions auxquelles se livrent les autorités dans la vie privée et au domicile des surendettés se multiplient et s’aggravent. Vu la précarisation du travail, le paiement de salaires de misère pour un temps partiel ou même pour un temps complet, de plus en plus de salariés et de salariées sont victimes du système dette.
La Fabrique de l’homme endetté
Au cours des dernières décennies, la politique de destruction des conquêtes sociales menées par les gouvernements successifs et la classe capitaliste vise notamment à s’attaquer aux contrats de travail stable et négocié collectivement. Les droits élémentaires des travailleur·euses et des allocataires sociaux sont présentés comme des privilèges et des obstacles à la compétitivité et à la flexibilité.
Une campagne en faveur de l’auto-emploi est menée systématiquement en faisant miroiter la perspective de la liberté.De plus en plus de personnes sont poussées à s’endetter afin de s’auto-employer, de créer leur micro entreprise, de faire d’eux-mêmes une entreprise, d’exploiter eux-mêmes « leur capital humain ». Comme le dit Maurizio Lazzaretto dans son livre La Fabrique de l’homme endetté, « Dans l’économie de la dette, devenir capital humain ou entrepreneur de soi, signifie assumer les coûts et les risques d’une entreprise flexible et financiarisée, coûts et risques qui ne sont pas seulement, loin s’en faut, ceux de l’innovation, mais aussi et surtout ceux de la précarité, de la pauvreté, du chômage, des services de santé défaillants, de la pénurie de logements, etc. »[23].
Grandit le nombre de personnes qui, ayant tenté l’expérience de l’auto-emploi échouent dans le surendettement et perdent le peu qu’ils possédaient. Plus loin, Lazzarato écrit : « Le processus stratégique du programme néolibéral en ce qui concerne l’État-providence consiste en une progressive transformation de « droits sociaux » en « dettes sociales » que les politiques néolibérales tendent à leur tour à transformer en dettes privées, parallèlement à la transformation des « ayants droit » en « débiteurs » auprès des caisses d’assurance chômage (pour les chômeurs) et auprès de l’État (pour les bénéficiaires des minima sociaux) »[24].
Alors que les politiques menées par les gouvernements néolibéraux mènent à l’appauvrissement des salariés (blocage ou réduction des salaires, précarisation,…) et des autres détenteurs de droits sociaux (blocage ou réduction des retraites, réduction ou suppression des aides sociales, dégradation ou disparition de certains services publics, diminution ou suppression des allocations de chômage, réduction ou suppression des bourses d’études, etc.), «la finance prétend les enrichir par le crédit et l’actionnariat. Pas d’augmentation de salaire direct ou indirect (retraites), mais crédit à la consommation et incitation à la rente boursière (fonds de pension, assurance privée) ; pas de droit au logement, mais crédits immobiliers ; pas de droits à la scolarisation, mais prêts pour payer les études ; pas de mutualisation contre les risques (chômage, santé, retraite, etc.) mais investissement dans les assurances individuelles. »[25]
🔴 Depuis la crise qui a éclaté dans les pays les plus industrialisés en 2007, on assiste donc à un nouveau durcissement du « système dette » dans sa facette dette privée : dettes hypothécaires abusives, dettes étudiantes illégitimes, dettes de consommation aliénantes et appauvrissantes. Cela va de pair avec l’action des gouvernements qui utilisent l’augmentation de la dette publique qu’ils ont favorisée pour renforcer l’offensive contre les conquêtes sociales du XXe siècle.
Soutenir les initiatives qui prennent à bras le corps la lutte contre les dettes privées illégitimes Comment veut-on que des gens humiliés car surendettés, abusés par les banques, jetés en dehors de leur logement et qui, malgré cela, sont encore redevables d’une partie de la dette, puissent se mobiliser tous ensemble pour qu’on arrête de payer la dette publique de l’État ou pour des actions collectives sur les droits des travailleurs ? S’ils ont été défaits dans leur lutte personnelle parce qu’il n’y avait pas un mouvement de résistance suffisamment fort pour empêcher les expulsions de logement, pour sortir d’autres formes de surendettement, ils risquent de ne pas trouver la force de continuer à se battre, ils risquent de considérer que la question de la dette publique illégitime ne les concerne pas, de même en ce qui concerne les combats collectifs pour les droits sociaux. Il faut soutenir les initiatives qui prennent à bras le corps la lutte contre les dettes privées illégitimes.
[10] L’emprisonnement pour dettes est d’ailleurs interdit par l’article 1er du protocole n° 4 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier protocole additionnel à la Convention, tel qu’amendé par le protocole n° 11. Cf. : http://www.echr.coe.int/Documents/Convention_FRA.pdf
[20] Taylor Nicole Rogers, Gary Silverman, « Race and finance : the student loan trap », Financial times, 21/12/2021. Étude menée sur près de 25 ans par Federal Reserve Bank of St Louis, publiée en 2017.
Sous la dynastie de la famille d’Hammourabi, comptabilité précise des dettes sur des tablettes qui étaient conservées dans le temple
ABC de 5000 ans de dettes privées illégitimes
L’endettement privé a servi depuis le début de l’Histoire, il y a 5000 ans, à asservir, à spolier, à dominer, à déposséder les classes populaires (au sein desquelles, les femmes sont au premier rang des victimes), les classes travailleuses : familles paysannes, artisan-es, pêcheur/seuses, jusqu’aux salarié-es modernes et aux membres de leur foyer (les étudiant-es qui s’endettent pour poursuivre des études).
Le processus est simple : le prêteur exige que l’emprunteur/euse mette en gage ce qu’il ou elle possède. Il s’agit, par exemple, de la terre possédée et cultivée par le/la paysan-ne, ou des outils de travail s’il s’agit d’un-e artisan-e. Le remboursement du prêt se fait en nature ou en monnaie. Comme le taux d’intérêt est élevé, pour rembourser le prêt, l’emprunteur/euse est obligé de transférer au prêteur une grande partie du produit de son travail ou de son patrimoine et s’appauvrit. S’il entre en défaut de paiement, le prêteur le dépossède du bien qui a été mis en gage. Dans certaines sociétés, cela peut aboutir à la perte de la liberté du débiteur ou de la débitrice et/ou de membres de sa famille.
C’est l’esclavage pour dette. Aux États-Unis et dans certains pays européens le défaut de paiement pouvait être sanctionné par la loi par des mutilations physiques jusqu’au début du XIXe siècle et par l’emprisonnement jusqu’à la deuxième moitié du XIXe siècle. En Europe et aux États-Unis, dans le premier quart du XXIe siècle, même si le nombre de personnes incarcérées pour ce motif est très limité, l’emprisonnement pour dette n’est pas aboli. Aujourd’hui, des milliers de personnes sont encore emprisonnées pour le non-paiement de dettes en Afrique, au Moyen Orient[0] et ailleurs.
Dettes privées à travers les âges Depuis 5 000 ans, les dettes privées jouent un rôle central dans les relations sociales. La lutte entre les riches et les pauvres, entre exploiteurs et exploité-es, a pris très souvent la forme d’un conflit entre créanciers et endetté·es. Avec une régularité remarquable, des insurrections populaires ont commencé de la même manière : par la destruction rituelle des documents concernant la dette[1] (tablettes, papyrus, parchemins, livres de comptes, registres d’impôts…). C’est notamment David Graeber dans son livre " Dette : 5000 ans d’histoire[1bis] " qui l’affirme. Mais il est loin d’être le seul.
Les effets de la pandémie du COVID et les réponses apportées par les gouvernements ont fortement augmenté les dettes des classes populaires et notamment des secteurs les plus opprimés, les plus pauvres. Avant cela, la précédente crise internationale qui avait commencé en 2007 avait mis à nu le comportement frauduleux des banques notamment en matière de prêts hypothécaires dans différentes parties du monde, et en particulier dans le Nord. Suite aux expulsions massives de logements qui ont suivi aux États-Unis, en Espagne et ailleurs, de plus en plus de personnes ont remis en question les dettes dans des pays où habituellement l’obligation de rembourser un crédit était incontesté. Aux quatre coins de la planète, des mouvements sociaux remettent en cause le paiement des privées illégitimes qu’elles soient hypothécaires ou étudiantes, qu’elles soient réclamées par de grandes banques privées ou par des agences de microcrédit qui octroient des crédits à des conditions abusives.
🔴 Voici à grands traits quelques étapes historiques du « système dette privée » au Proche-Orient, en Europe et dans des parties du monde conquises par des puissances européennes. Il faudrait compléter avec ce qui s’est passé en Asie, en Afrique, dans les Amériques précoloniales, mais le tableau brossé ici est déjà très éloquent.
Hammourabi, roi de Babylone, et les annulations de dette[2] Le Code Hammourabi se trouve au musée du Louvre à Paris. En fait, le terme « code » est inapproprié, car Hammourabi nous a légué plutôt un ensemble de règles et de jugements concernant les relations entre les pouvoirs publics et les citoyen-nes. Le règne d’Hammourabi, « roi » de Babylone (situé dans l’Irak actuel), a commencé en 1792 av. J-C et a duré 42 ans. Ce que la plupart des manuels d’Histoire ne relèvent pas, c’est qu’Hammourabi, à l’instar des autres gouvernants des cités-États de Mésopotamie, a proclamé à plusieurs reprises une annulation générale des dettes des citoyen-nes à l’égard des pouvoirs publics, de leurs hauts fonctionnaires et dignitaires. Ce que l’on a appelé le Code Hammourabi a vraisemblablement été écrit en 1762 av. J-C. Son épilogue proclamait que « le puissant ne peut pas opprimer le faible, la justice doit protéger la veuve et l’orphelin (…) afin de rendre justice aux opprimés ». Grâce au déchiffrage des nombreux documents écrits en cunéiforme, les historien-nes ont retrouvé la trace incontestable de quatre annulations générales de dette durant le règne d’Hammourabi (en 1792, 1780, 1771 et 1762 av. J-C).
À l’époque d’Hammourabi, la vie économique, sociale et politique s’organisait autour du temple et du palais. Ces deux institutions très imbriquées constituaient l’appareil d’État, l’équivalent de nos pouvoirs publics d’aujourd’hui, où travaillaient de nombreux artisans et ouvriers, sans oublier les scribes. Tous étaient hébergés et nourris par le temple et le palais. C’est ainsi qu’ils recevaient des rations de nourriture leur garantissant deux repas complets par jour. Les travailleur/euses et les dignitaires du palais étaient nourris grâce à l’activité d’une paysannerie à qui les pouvoirs publics fournissaient (louaient) des terres, des instruments de travail, des animaux de trait, du bétail, de l’eau pour l’irrigation. Les familles paysannes produisaient notamment de l’orge (la céréale de base), de l’huile, des fruits et des légumes. Après la récolte, les familles paysannes devaient en verser une partie à l’État comme loyer. En cas de mauvaises récoltes, ils/elles accumulaient des dettes. En-dehors du travail sur les terres du temple et du palais, les familles paysannes étaient propriétaires de leurs terres, de leur habitation, de leur bétail et des instruments de travail. Une autre source de dettes des familles paysannes était constituée par les prêts octroyés à titre privé par de hauts fonctionnaires et des dignitaires afin de s’enrichir et de s’approprier les biens des familles paysannes en cas de non remboursement de ces dettes.
🔴 Lors de mauvaises récoltes, l’impossibilité dans laquelle se trouvaient les familles paysannes de rembourser les dettes contractées auprès de l’État (impôts en nature impayés) ou auprès de hauts fonctionnaires et de dignitaires du régime aboutissait régulièrement à la dépossession de leurs terres et à leur asservissement. Des membres de leur famille étaient également réduits en esclavage pour dette. Afin de répondre au mécontentement populaire, le pouvoir en place annulait périodiquement les dettes privées[3] et restaurait les droits des paysans. Les annulations donnaient lieu à de grandes festivités au cours desquelles on détruisait les tablettes d’argile sur lesquelles les dettes[4] étaient inscrites.
Les annulations générales de dette se sont échelonnées sur 1000 ans en Mésopotamie entre 2400 et 1400 avant l’ère chrétienne Les proclamations d’annulation générale de dettes ne se limitent pas au règne d’Hammourabi, elles ont commencé avant lui et se sont prolongées après lui[5]. On a la preuve d’annulations de dette remontant à 2400 av. J-C, soit six siècles avant le règne d’Hammourabi, dans la cité de Lagash (Sumer), les plus récentes remontent à 1400 av. J-C à Nuzi. En tout, les historien-nes ont identifié avec précision une trentaine d’annulations générales de dette en Mésopotamie entre 2400 et 1400 av. J-C. On peut suivre Michael Hudson[6] quand il affirme que les annulations générales de dette constituent une des caractéristiques principales des sociétés de l’Âge du bronze en Mésopotamie. On retrouve d’ailleurs dans les différentes langues mésopotamiennes des expressions qui désignent ces annulations pour effacer l’ardoise et remettre les compteurs à zéro : amargi à Lagash (Sumer), nig-sisa à Ur, andurarum à Ashur, misharum à Babylone, shudutu à Nuzi.
Ces proclamations d’annulation de dette étaient l’occasion de grandes festivités, généralement à la fête annuelle du printemps. Sous la dynastie de la famille d’Hammourabi a été instaurée la tradition de détruire les tablettes sur lesquelles étaient inscrites les dettes. En effet, les pouvoirs publics tenaient une comptabilité précise des dettes sur des tablettes qui étaient conservées dans le temple. Hammourabi meurt en 1749 av. J-C après 42 ans de règne. Son successeur, Samsuiluna, annule toutes les dettes à l’égard de l’État et décrète la destruction de toutes les tablettes de dettes sauf celles concernant les dettes commerciales.
Quand Ammisaduqa, le dernier gouvernant de la dynastie Hammourabi, accède au trône en 1646 av. J-C, l’annulation générale des dettes qu’il proclame est très détaillée. Il s’agit manifestement d’éviter que certains créanciers profitent de certaines failles. Le décret d’annulation précise :
que les créanciers officiels et les collecteurs de taxes qui ont expulsé des familles paysannes doivent les indemniser et leur rendre leurs biens sous peine d’être exécutés ;
Si un créancier a accaparé un bien par la pression, il doit le restituer et/ou le rembourser en entier, faute de quoi il devait être mis à mort.
À la suite de ce décret, des commissions ont été mises en place afin de réviser tous les contrats immobiliers et d’éliminer ceux qui tombaient sous le coup de la proclamation d’annulation de dette et de restauration de la situation antérieure, statu quo ante. La mise en pratique de ce décret était facilitée par le fait qu’en général, les paysan-nes spolié-es par les créanciers continuaient à travailler sur leurs terres bien qu’elles soient devenues la propriété du créancier. Dès lors, en annulant les contrats et en obligeant les créanciers à indemniser les victimes, les pouvoirs publics restauraient les droits des paysan-nes. La situation se dégradera un peu plus de deux siècles plus tard.
Sans embellir l’organisation de ces sociétés d’il y a 3000 à 4000 ans, il faut souligner que les gouvernants cherchaient à maintenir une cohésion sociale :
en évitant la constitution de grandes propriétés privées,
en prenant des mesures pour que les familles paysannes gardent un accès direct à la terre,
en limitant la montée des inégalités, en veillant à l’entretien et au développement des systèmes d’irrigation.
Michael Hudson souligne par ailleurs que la décision de déclarer la guerre revenait à l’assemblée générale des citoyens et que le « roi » n’avait pas le pouvoir de prendre la décision.
Il semble que, dans la cosmovision des Mésopotamiens de l’Âge du bronze, il n’y a pas eu de création originale par un dieu. Le gouvernant, confronté au chaos, a réorganisé le monde pour rétablir l’ordre normal et la justice.
Après 1400 av. J-C, on n’a trouvé aucun acte d’annulation de dette. Les inégalités se sont fortement renforcées et développées. Les terres ont été accaparées par de grands propriétaires privés, l’esclavage pour dette s’est enraciné. Une partie importante de la population a migré vers le nord-ouest, vers Canaan avec des incursions vers l’Égypte (les Pharaons s’en plaignaient).
🔴 Au cours des siècles qui suivirent, considérés par les historien-nes de la Mésopotamie comme des temps obscurs (Dark Ages) -à cause de la réduction des traces écrites-, on a néanmoins la preuve de luttes sociales violentes entre créanciers et endetté-es.
Égypte : la pierre de Rosette confirme la tradition des annulations de dette La pierre de Rosette qui a été accaparée par des membres de l’armée napoléonienne en 1799 lors de la campagne d’Égypte a été déchiffrée en 1822 par Jean-François Champollion. Elle se trouve aujourd’hui au British Museum à Londres. Le travail de traduction a été facilité par le fait que la pierre présente le même texte en trois langues : l’égyptien ancien, l’égyptien populaire et le grec du temps d’Alexandre le Grand.
Le contenu de la pierre de Rosette confirme la tradition d’annulation des dettes qui s’est instaurée dans l’Égypte des Pharaons à partir du VIIIe siècle av. J-C, avant sa conquête par Alexandre le Grand au IVe siècle av. J-C. On y lit que le pharaon Ptolémée V, en 196 av. J-C, a annulé les dettes dues au trône par le peuple d’Égypte et au-delà.
Bien que la société égyptienne du temps des Pharaons fût très différente de la société mésopotamienne de l’Âge du bronze, on retrouve la trace évidente d’une tradition de proclamation d’amnistie qui précède les annulations générales de dette.
Ramsès IV (1153-1146 av. J-C) a proclamé que ceux qui ont fui peuvent rentrer au pays. Ceux qui étaient emprisonnés sont libérés. Son père Ramsès III (1184 –1153 av. J-C) a fait de même. A noter qu’au 2e millénaire, il semble qu’il n’y avait pas d’esclavage pour dette en Égypte. Les esclaves étaient des prises de guerre. Les proclamations de Ramsès III et IV concernaient l’annulation des arriérés de taxes dues au Pharaon, la libération des prisonniers politiques, la possibilité pour les personnes condamnées à l’exil de rentrer au pays.
🔴 Ce n’est qu’à partir du VIIIe siècle av. J-C, qu’on trouve en Égypte des proclamations d’annulation de dettes et de libération des esclaves pour dette. C’est le cas du règne du pharaon Bocchoris (717-711 av. J-C), dont le nom a été hellénisé.
Une des motivations fondamentales des annulations de dette était que le pharaon voulait disposer d’une paysannerie capable de produire suffisamment de nourriture et disponible à l’occasion pour participer à des campagnes militaires. Pour ces deux raisons, il fallait éviter que les paysan-nes soient expulsés de leurs terres sous la coupe des créanciers.
Dans une autre partie de la région, on constate que les empereurs assyriens du Ier millénaire av. J-C ont également adopté la tradition d’annulations des dettes. Il en a été de même à Jérusalem, au Ve siècle av. J-C. Pour preuve, en 432 av. J-C, Néhémie, certainement influencé par l’ancienne tradition mésopotamienne, proclame l’annulation des dettes des Juifs endettés à l’égard de leurs riches compatriotes. C’est à cette époque qu’est achevée la rédaction de la Torah[7]. La tradition des annulations généralisées de dette fait partie de la religion juive et des premiers textes du christianisme via le Deutéronome qui proclame l’obligation d’annuler les dettes tous les sept ans et le Lévitique qui l’exige à chaque jubilé, soit tous les 50 ans[8].
Durant des siècles, de nombreux commentateurs des textes anciens, à commencer par les autorités religieuses qui sont du côté de classes dominantes, ont affirmé que ces prescriptions n’avaient qu’une valeur morale ou constituaient des vœux pieux. Or les recherches historiques des deux derniers siècles démontrent que ces prescriptions correspondent à des pratiques avérées.
🔴 Lorsque les classes privilégiées ont définitivement réussi à imposer leurs intérêts, les annulations n’ont plus eu lieu, mais la tradition d’annulation est restée inscrite dans les textes fondateurs du judaïsme et du christianisme. Des luttes pour l’annulation des dettes privées ont jalonné l’histoire du Proche-Orient et de la Méditerranée jusqu’au milieu du premier millénaire de l’ère chrétienne.
Dans le « Notre père », la prière de Jésus la plus connue, au lieu de la traduction actuelle « Seigneur pardonnez-nous nos offenses (péchés) comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », le texte grec originel de Matthieu (ch.6, verset 12) dit : « Seigneur, annulez nos dettes comme nous annulons les dettes de ceux qui nous en doivent ». D’ailleurs, en allemand et en néerlandais, le mot « Schuld » exprime le péché et la dette. Alleluia, ce terme qui est signe d’allégresse et est utilisé dans les religions juives et chrétiennes, provient de la langue parlée à Babylone au IIe millénaire avant l’ère chrétienne et signifiait la libération des esclaves pour dette[9].
Grèce En Grèce, à partir du VIe siècle avant l’ère chrétienne, on assiste à des luttes très importantes contre l’esclavage pour dette et pour l’annulation des dettes privées du peuple. Aristote écrit dans La constitution des Athéniens : « Les hommes pauvres avec leur femme et leurs enfants devinrent les esclaves des riches. ». Des luttes sociales et politiques se développèrent qui aboutirent à des dispositions légales interdisant l’esclavage pour dette, il s’agit notamment des réformes de Solon à Athènes.À Mégare, une ville voisine d’Athènes, une faction radicale fut portée au pouvoir. Elle interdit les prêts à intérêt et le fit de manière rétroactive en forçant les créanciers à restituer les intérêts perçus[10].
Dans le même temps, les villes grecques se sont lancées dans une politique d’expansion fondant des colonies de la Crimée jusqu’à Marseille, notamment avec les enfants des pauvres endettés. L’esclavage s’y développa fortement et d’une manière plus brutale et oppressive que dans les sociétés du Croissant Fertile qui ont précédé.
Rome De nombreuses luttes politiques et sociales violentes ont été causées par des crises de la dette privée.Selon la loi romaine primitive, le créancier pouvait exécuter les débiteurs insolvables. La fin du IVe siècle av. J.-C. a été marquée par une forte réaction sociale contre l’endettement. Si l’esclavage pour dettes a été aboli pour les citoyens romains, l’abolition du prêt à intérêt n’a pas été longtemps appliquée. De fortes crises d’endettement privé se sont produites dans les siècles suivants tant dans la péninsule italienne que dans le reste de l’empire romain. L’historien Tacite écrivait à propos d’une crise d’endettement qui se produisit en 33 ap. J.-C., sous le règne de Tibère : « Le prêt à intérêt était un mal invétéré dans la cité de Rome, et une cause très fréquente de séditions et de discordes ; aussi le refrénait-on même dans les temps anciens… »[11].
Féodalité Au début de la féodalité, une grande partie des producteurs libres a été asservie car les familles paysannes accablées de dettes sont incapables de rembourser leurs dettes. C’est le cas notamment pendant le règne de Charlemagne à la fin du VIIIe et au début du IXe siècle[12].
Les religions juive, musulmane et chrétienne par rapport aux prêts à intérêt Depuis son origine, la religion musulmane interdit le prêt à intérêt. Le judaïsme l’interdit au sein de la communauté juive, mais a amendé cette position sous la pression des riches et l’a autorisé à partir du premier siècle de l’ère chrétienne [13]. La religion chrétienne l’interdit jusqu’au XVe siècle. Les autorités protestantes et catholiques finissent par le promouvoir.
En Europe, la problématique des dettes privées reprend une forme exacerbée à la fin du Moyen Âge
La problématique des dettes privées reprend une forme exacerbée à partir des XIIIe et XIVe siècles avec la monétarisation des relations.En effet, les corvées et les impôts en nature ont été progressivement remplacés par des sommes d’argent. En conséquence, les paysans, les artisans, etc. doivent s’endetter afin de payer les impôts. N’arrivant pas à rembourser, de plus en plus de paysans, d’artisans ou d’ouvriers sont victimes de saisies, ils sont dépossédés et/ou emprisonnés, et souvent mutilés[14].
En 1339, à Sienne (Italie), le gouvernement municipal de la ville annonce au conseil qu’il est nécessaire d’abolir l’emprisonnement pour dette, faute de quoi il faudrait mettre presque tous les citadins en prison tant ils sont endettés. Seize ans plus tard, en 1355, le peuple siennois en révolte met le feu à la salle du palais municipal où étaient rassemblés les livres de compte. Il s’agissait de faire disparaître les traces des dettes qu’on leur réclamait et qui, à leurs yeux, étaient odieuses[15].
🔴 Autre signe de l’importance du rejet de l’exploitation par la dette, à la fin du XIVe siècle, lorsque les classes laborieuses prirent momentanément le pouvoir à Florence, conduits par les Ciompi, les ouvrier-es journalier-es de l’industrie textile, on trouve parmi leurs revendications :
supprimer l’amputation d’une main en cas de non-paiement des dettes et déclarer un moratoire[15bis] sur les dettes non payées [16].
Ils exigeaient également une place dans le gouvernement et que les riches paient plus d’impôts.
Des événements similaires se déroulèrent à la même époque, dans les Flandres, en Wallonie, en France, en Angleterre…
Le rejet des dettes au cœur des insurrections massives des familles paysannes du monde germanique aux XVe et XVIe siècles De 1470 à 1525, une multitude de soulèvements paysans de l’Alsace à l’Autriche, en passant par la majorité des régions d’Allemagne, la Bohême, la Slovénie, la Hongrie et la Croatie, sont liés en grande partie aux rejets des dettes réclamées aux familles paysannes et citadines des classes dominées.
Des centaines de milliers de familles paysannes prirent les armes, détruisirent des centaines de châteaux, des dizaines de monastères et des couvents. La répression fit plus de 100 000 morts parmi les paysan-nes[17].
Lors d’une des rébellions, en 1493, les paysan-nes soulevé-es exigèrent notamment la mise en pratique d’une année jubilaire, où toutes les dettes seraient annulées[18].
Thomas Münzer, un des leaders des soulèvements paysans, décapité en 1525 à l’âge de 28 ans, en appelait à l’application intégrale des Évangiles et notamment à l’annulation des dettes. Il s’opposait à Martin Luther qui, après avoir commencé en 1519-1520 par dénoncer l’usure et la vente des indulgences par l’Église catholique, en était venu à défendre à partir de 1524 les prêts à intérêt et à exiger que les paysan-nes et tou-tes les endetté-es remboursent leurs dettes. Luther prônait, en opposition aux soulèvements paysans, « un gouvernement temporel sévère et dur qui impose aux méchants (…) de rendre ce qu’ils ont emprunté… Personne ne doit s’imaginer que le monde puisse être gouverné sans que le sang coule ; le glaive temporel ne peut qu’être rouge et sanglant, car le monde veut et doit être mauvais ; et le glaive, c’est la verge de Dieu et sa vengeance contre le monde »[19].
Dans le conflit qui opposaient les paysan-nes et d’autres composantes du peuple (notamment la plèbe urbaine ainsi que les secteurs les plus paupérisés, vagabond-es, mendiant-es…) aux classes dominantes locales, Martin Luther avait choisi son camp et proclamait que les lois de l’Ancien Testament comme l’année jubilaire n’étaient plus d’application. Selon Luther, l’Évangile décrit seulement le comportement idéal. Selon lui, dans la vie réelle, une dette doit toujours être remboursée.
🔴 Dans un texte anonyme qui a circulé en Allemagne à partir de 1521, on pouvait lire ce dialogue entre un paysan et un notable qui décrit bien l’utilisation de l’endettement pour déposséder le/la travailleur-euse de son outil ou de sa terre :
Paysan : Qu’est-ce qui m’amène ? Eh bien, je voudrais savoir à quoi vous passez votre temps.
Notable : Comment devrais-je le passer ? Je suis là, assis à compter mon argent, ne vois-tu pas ?
Paysan : Dites-moi, Monsieur, qui vous a donné tant d’argent que vous passez votre temps à compter ?
Notable : Tu veux savoir qui m’a donné cet argent ? Je vais te le dire. Un paysan vient frapper à ma porte pour me demander de lui prêter 10 ou 20 guldens. Je m’enquiers de savoir s’il possède un lopin de bonne terre. Il dit : « Oui, Monsieur, j’ai une bonne prairie et un champ excellent qui à eux deux valent une centaine de guldens ». Je réponds : « Parfait ! Mets en gage ta prairie et ton champ, et si tu t’engages à payer un gulden par an d’intérêt, tu peux avoir ton prêt de 20 guldens ». Content d’entendre de telles bonnes nouvelles, le paysan réplique : « Je vous donne bien volontiers ma parole ». « Mais je dois te prévenir », j’ajoute alors, « que si tu venais à ne pas honorer ton paiement à temps, je prendrais possession de ta terre et en ferais ma propriété. » Et cela n’inquiète pas le paysan, il engage sa pâture et son champ envers moi. Je lui prête l’argent et il paie les intérêts ponctuellement pendant un an ou deux ; puis survient une mauvaise récolte et il est bientôt en retard de paiement. Je confisque sa terre, je l’expulse et son champ et sa prairie sont à moi. Et je fais cela non seulement avec les paysans mais avec les artisans [20].
Voici, résumés en mots très simples, le processus de dépossession auquel les paysan-nes et les artisan-nes d’Allemagne et d’ailleurs ont tenté de s’opposer.
La conquête des Amériques et l’imposition de l’asservissement pour dette via le péonage Comme le commente David Graeber, les conquistadors dont Hernan Cortez s’étaient endettés jusqu’au cou pour financer leurs opérations... Du coup, ils ont exploité et spolié avec un maximum de brutalité les populations conquises afin de rembourser leurs dettes[21]. Lors de la conquête des Amériques, l’imposition de la domination européenne est allée de pair avec l’asservissement pour dette des populations natives[22]. La forme utilisée : le péonage. Le dictionnaire Littré définissait au XIXe siècle le péonage de la manière suivante : « Se dit, au Mexique, d’une sorte d’esclavage imposé aux indigènes, et qui résulte de ce que les propriétaires peuvent les retenir et les obliger à travailler gratuitement pour l’acquit de dettes que ces travailleurs ont contractées sur les propriétés. » Le péonage est le système par lequel les péons sont attachés à la propriété terrienne par différents moyens, dont la dette héréditaire. Le péonage n’a été aboli au Mexique que dans les années 1910 pendant la révolution.
[3] À cette époque, l’État n’empruntait pas. De même, l’État dans l’Égypte ancienne, la Grèce et la Rome antiques n’empruntait pas non plus, sauf tout à fait exceptionnellement dans le cas de Rome. En Europe, les États ne commencèrent à emprunter systématiquement qu’à partir des XIII-XIVe siècles. Ils n’ont pas cessé depuis.
[4] Les dettes entre commerçants n’étaient pas visées par ces annulations
[6] Cet article est essentiellement basé sur la synthèse historique présentée par Michael Hudson, docteur en économie, dans plusieurs articles et ouvrages captivant : « The Lost Tradition of Biblical Debt Cancellations », 1993, 87 pages ; « The Archaeolgy of Money», 2004. Michael Hudson fait partie d’une équipe scientifique pluridisciplinaire (ISCANEE, International Scholars’ Conference on Ancient Near Earstern Economies) comprenant des philologues, des archéologues, des historiens, des économistes qui travaillent sur les sociétés et les économies anciennes du Proche-Orient. Leurs travaux sont publiés par l’université de Harvard. Michael Hudson inscrit son travail dans le prolongement des recherches de Karl Polanyi, il produit également des analyses sur la crise contemporaine. Voir notamment « The Road to Debt Deflation, Debt Peonage, and Neoliberalism », février 2012, 30 p. Parmi les ouvrages d’autres auteurs qui, depuis la crise économique et financière initiée en 2007-2008, ont écrit sur la longue tradition d’annulation de dette, il convient de lire : David Graeber, Debt : The First 5000 Years, Melvillehouse, New York, 2011, 542 p.
[7] La Torah (loi religieuse juive) est la compilation des textes qui forment les cinq premiers livres de la Bible : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. Ils n’ont pas été rédigés dans l’ordre où nous les connaissons aujourd’hui.
[8] Voir Isabelle Ponet, La remise des dettes au pays de Canaan au premier millénaire avant notre ère, https://www.cadtm.org/La-remise-des-dettes-au-pays-de Dans le Lévitique, on trouve non seulement l’exigence de l’annulation des dettes, mais tout autant la libération des esclaves pour dettes et de toute leur famille, et le rendu de leurs champs et de leur maison. Mais attention cela ne vaut que pour la communauté d’Israël, pas pour les autres peuples.
[12] Voir Karl Marx, " Le Capital, Livre 3 ", chapitre 19, Remarques sur l’usure précapitaliste. Voir également Ernest Mandel, " Traité d’économie marxiste, tome 1 ", chapitre 4, le passage intitulé “ Le capital usurier ”
[13] Le Rabbin Hillel avait décrété que les Juifs devaient ajouter une clause aux contrats entre eux, selon laquelle ils renonçaient à l’application de la Torah et du Talmud qui institue une annulation périodique de dettes. Par ailleurs, la religion juive autorisait les prêts à intérêts envers les non juifs
[14] Silvia Federici, dans son livre, " Caliban et la Sorcière ", p. 57, montre en quoi cette évolution a affecté encore plus gravement les femmes du peuple. Voir Silvia Federici, " Caliban et la Sorcière, Entremonde ", Genève-Paris, 2014, 459 p.
[15] Patrick Boucheron, " Conjurer la peur ", Seuil, Paris, 2013, pp. 213-215.
[22] Le pape Nicolas V avait autorisé en janvier 1455 l’asservissement perpétuel des populations considérées comme ennemies du Christ. Cela justifia, entre autres, la mise en esclavage des Africain-es à cette époque (notamment dans les plantations créées par les Portugais à Madère) et ensuite cela permis aux conquistadors européens d’en faire autant dans le Nouveau Monde. Voici un extrait de la bulle Romanus Pontifex : « Nous, considérant la délibération nécessaire pour chacune de ces matières indiquées, et vu qu’antérieurement, il a été concédé audit roi Alphonse du Portugal par d’autres lettres, entre autres choses, la faculté pleine et entière à l’égard de n’importe quel-les sarrasin-nes et païen-nes et autres ennemi-es du Christ, en n’importe quel endroit où ils se trouvent, et des royaumes, duchés, principautés, seigneuries, des possessions, biens meubles et immeubles possédés par eux, de les envahir, les conquérir, les combattre, les vaincre et les soumettre ; et de réduire en servitude perpétuelle les membres de leurs familles, de s’emparer pour son propre profit et celui de ses successeurs, s’approprier et utiliser pour leur propre usage et celui de ses successeurs, leurs royaumes, duchés, comtés, principautés, seigneuries, possessions et autres biens qui leur appartiendraient... » (c’est nous qui soulignons).
Il y a urgence à créer un nouveau rapport social pour organiser la survie de l’humanité.
Dans L’Origine du capitalisme, paru début février, l’historienne canadienne Ellen Meiksins Wood souligne combien le capitalisme n’est pas un phénomène « naturel », mais bien un phénomène historique. Une leçon essentielle pour notre temps.
" Qu’est-ce que le capitalisme? Cette question, l’histoire la pose chaque fois que ce système entre en crise, étalant au grand jour ses absurdités. Pour y répondre, il faut en comprendre les origines. Voilà ce que propose Ellen Meiksins Wood dans cet ouvrage initialement paru en 2009.
Personne ne niera que le capitalisme a permis à l’humanité d’accomplir des avancées notables sur le plan matériel. Mais il est devenu aujourd’hui manifeste que les lois du marché ne pourront faire prospérer le capital qu’au prix d’une détérioration des conditions de vie d’une multitude d’individus et d’une dégradation de l’environnement partout dans le monde. Il importe donc plus que jamais de savoir que le capitalisme n’est pas la conséquence inévitable des échanges commerciaux et marchands que l’on retrouve dans presque toutes les sociétés humaines. Le capitalisme a une histoire très singulière et un lieu de naissance bien précis: les campagnes anglaises du XVIIe siècle. En rappelant cette origine, essentiellement politique, l’auteure propose une définition limpide des mécanismes et des contraintes qui font la spécificité du capitalisme. "
C’est la dernière ligne de défense du capitalisme, et souvent la plus puissante. Ce régime socio-économique serait « naturel », et le seul réellement adapté à la « nature humaine ». Il permettrait en effet, par la magie de la « main invisible » et selon la vieille fable des abeilles de Mandeville, de transformer l’égoïsme « naturel » de l’humanité en bienfaits pour l’ensemble de cette dernière. À cela s’ajoute la capacité du capitalisme de tout quantifier et donc de tout « rationaliser ». Dans les années 1950, la « main invisible » a ainsi pris sa forme mathématique sous l’apparence des modèles d’équilibre général qui dominent encore aujourd’hui les sciences économiques. La mécanique capitaliste devenait alors une équation. Autrement dit, elle atteignait un niveau supérieur de « naturalité ». Aussi vrai que deux et deux font quatre, le capitalisme serait l’essence de l’homme.
Les conséquences de cette vision sont immenses.
Si le capitalisme est la réalisation profonde de l’essence humaine, alors comment peut-on envisager de le dépasser ? C’est évidemment peine perdue. Le réformisme socialiste qui, dans les premiers textes d’Eduard Bernstein, est encore un moyen d’avancer vers le socialisme est progressivement devenu une force de gestion du capitalisme.
Et la chute des régimes « communistes » en 1989-1991 n’a fait que confirmer ce mouvement : ces régimes luttaient en vain contre la « nature humaine », ce qui expliquait leur recours à la violence. Leur chute et la mondialisation du capitalisme représentaient donc l’achèvement de l’histoire humaine, au sens hégélien du terme, par la rationalisation du monde comme une forme de réalisation de l’Esprit.
L’histoire devait évidemment traduire cette vision du monde. Puisque le capitalisme est naturel et rationnel, l’histoire de l’humanité se réduirait à un seul grand mouvement : la libération des entraves permettant à un capitalisme sous-jacent de se réaliser. Là encore, on est dans l’idéalisme hégélien : chaque société humaine a toujours eu en soi le capitalisme, mais les intérêts matériels de certains groupes ont tenté de bloquer son déploiement. C’est lorsque ces obstacles ont fini par être levés, et les derniers d’entre eux en 1989-1991, que l’homme a pu réaliser son destin rationnel à travers le capitalisme.
Un ouvrage de 2009 de l’historienne canadienne Ellen Meiksins Wood, récemment traduit en français et publié aux éditions Lux, " L’Origine du capitalisme[1]", vient briser ces belles certitudes.
Et cela en fait un livre indispensable à notre époque. Car la première partie de l’ouvrage s’emploie avec succès à déconstruire ce caractère « naturel » du développement humain vers le capitalisme. Le tour d’horizon qu’elle entreprend des différentes théories sur l’origine du système capitaliste montre combien le débat était d’emblée verrouillé.
Persuadés du caractère inéluctable du capitalisme, les historiens, y compris la grande majorité des historiens marxistes, ont soumis l’histoire à cette lecture préalable.Cette lecture s’appuyait sur l’idée que le commerce était naturellement d’essence capitaliste et ne demandait qu’à se libérer des contraintes de la société féodale pour le devenir pleinement. Une fois ce stade atteint, le capitalisme a pu donner le meilleur de lui-même et s’imposer à une humanité le reconnaissant comme le fruit de sa propre nature. C’est le modèle de la « commercialisation » qui a dominé et domine encore la lecture de l’histoire du capitalisme. « Ces gens tiennent pour acquis que le capitalisme a toujours existé, du moins sous une forme embryonnaire, depuis la nuit des temps, et qu’il serait à la limite inhérent à la nature et à la raison humaine », résume Ellen Meiksins Wood (page 25).
L’historienne montre comment même ceux qui essaient d’échapper aux modèles traditionnels « bourgeois » n’échappent pas à cette logique de la « commercialisation ». C’est notamment le cas de Karl Polanyi, qui, malgré sa critique radicale de la marchandisation, n’échappe pas au schéma liant développement commercial au progrès technique et à l’industrialisation. Il peut ainsi défendre l’idée que « lorsque les liens féodaux se sont affaiblis, avant de disparaître, fort peu de choses empêchaient les forces de marché de s’imposer ». Autrement dit, ces forces de marchés, entravées par le féodalisme, étaient bien présentes à l’état latent. Mais ce travers ne manque pas non plus de marquer la grande polémique entre marxistes des années 1950 qui oppose Paul Sweezy et Maurice Dobb.
Le premier qui sortit réellement de ce schéma de la « commercialisation » aura été l’historien étasunien Robert Brenner dans un article célèbre datant de 1976, « Agrarian Class Structure and Economic Development in Pre-Industrial Europe ».
Brenner, qui est l’inspirateur d’Ellen Meiksins Wood, voit dans le capitalisme un phénomène non pas naturel mais historique, né dans les campagnes anglaises des XVe et XVIe siècles.Il rejette l’idée de tout capitalisme latent ou embryonnaire. Ce texte va provoquer une levée de boucliers dans le milieu historique, dont il sortira un ouvrage, The Brenner Debate (republié en 2009 aux éditions universitaires de Cambridge[2]), où, pour la première fois, la validité du modèle de la « commercialisation » allait être mis en discussion.
🔴Ellen Meiksins Wood s’inscrit clairement dans la continuité du Robert Brenner de 1976. La suite de l’ouvrage tente ainsi d’aller encore plus avant pour décrirela naissance du capitalisme comme un phénomène historique, né d’un contexte historique.
Pour sortir du biais de la « commercialisation », l’historienne rappelle plusieurs éléments clés.
D’abord, il existe une différence radicale entre le commerce et son développement et le capitalisme et, partant, entre la bourgeoisie des villes vivant du commerce et le capitalisme.
Le capitalisme n’est pas simplement un système où existe le marché, c’est un système où le marché dicte sa loi à l’ensemble de la société. La concurrence est alors la force motrice de toute la société, l’obligeant à améliorer en permanence la productivité pour répondre aux prix fixés par le marché. Le marché conduit alors à un besoin de circulation des capitaux et oblige les forces sociales à s’adapter à ce besoin.
Ellen Meiksins Wood estime que la force sociale dominante est alors économique : c’est le marché et ses impératifs qui décident de l’attribution des surplus de production.
Et c’est là la différence majeure avec les sociétés précapitalistes où les surplus de production font l’objet de mesures politiques, « extra-économiques » comme le disait Marx : impôts divers, droits seigneuriaux, conflits armés. Dans ces sociétés, par ailleurs, l’utilisation des surplus est différente. Ils servent soit à entretenir la rente commerciale à un niveau constant, soit à assurer une consommation de luxe. L’investissement massif dans l’augmentation de la productivité du travail n’est alors pas nécessaire.
🔴L’historienne canadienne montre bien ici la différence notable qui existe entre les exemples classiques de « capitalisme avorté » que sont les villes italiennes de la Renaissance ou les Provinces-Unies (Pays-Bas) du XVIIe siècle et la société capitaliste en formation en Angleterre.
Dans ces deux cas, le commerce développa la richesse d’une classe urbaine nombreuse. Mais si « le marché joua un rôle dans leur développement, il paraît aussi évident que ce marché offrait des occasions bien plus qu’il n’imposait ses impératifs ».
Et Ellen Meiksins Wood d’ajouter : « En tout cas, le marché ne provoquait pas le besoin constant et typiquement capitaliste de maximiser les profits en développant les forces productives. »
Les bourgeois florentins profitaient d’occasions liées aux savoir-faire de leurs artisans, ceux des Pays-Bas jouissaient de leur maîtrise des routes commerciales. Parfois, ils « investissaient » par la guerre ou la diplomatie pour maintenir ces avantages, mais une fois les aubaines disparues et les marchés taris, leur richesse s’évanouissait. Cet échec n’était pas la conséquence d’obstacles empêchant le développement du capitalisme, mais tenait précisément à la nature non capitaliste de ces développements économiques.
Comprendre l’origine du capitalisme pour le dépasser La thèse défendue par l’ouvrage est que le capitalisme n’est pas né dans les sociétés commerçantes et urbaines comme le veut la vision traditionnelle, mais dans l’Angleterre rurale de l’époque des Tudors.
L’Angleterre a connu un développement unique durant la période féodale. Contrairement à la France, par exemple, le pays a été politiquement unifié très rapidement, avant même la conquête normande de 1066, avec une noblesse associée au pouvoir central et non recentrée sur ses pouvoirs locaux. La Grande Charte de 1215 et le pouvoir croissant du Parlement représentaient ce partage du pouvoir au niveau central. On est loin du cas français, où le pouvoir nobiliaire (Propre à la noblesse) resta longtemps décentralisé, y compris sous l’absolutisme.
L’aristocratie anglaise a ainsi perdu progressivement les moyens de prélèvement extra-économiques des surplus agricoles qui resteraient en place en France jusqu’au 4 août 1789 (les fameux « privilèges »). Mais, en compensation, l’État anglais attribua à la noblesse deux éléments clés : de fortes garanties de son droit de propriété des terres et un marché national intégré. Alors qu’en France, les petits paysans possédaient leurs terres et payaient des droits à leur seigneur, en Angleterre, les nobles louaient leurs terres à des fermiers et soumettaient ces baux à un marché national pour les valoriser davantage. Se mit donc en place « un système de rentes concurrentielles où les seigneurs chaque fois que c’était possible louaient leur terre au plus offrant », système qui, naturellement, gagna du terrain sur les droits coutumiers résiduels. Dès lors, les fermiers, pour conserver leurs terres, durent se montrer les plus concurrentiels possibles en augmentant leur productivité. La logique capitaliste était née.
Le mouvement des « enclosures » qui réduisait les terres gérées en commun a ainsi connu un premier élan décisif dès l’époque Tudor (La période Tudor est la période historique située entre 1485 et 1603 en Angleterre et au pays de Galles[3]). Mais, contrairement à ce que pensaient Polanyi et Marx, il était déjà une conséquence et non une cause du capitalisme. Rapidement, l’agriculture anglaise fut capable de nourrir l’immense métropole londonienne où allaient se réfugier les classes chassées de la campagne par ce même mouvement. Ces masses étaient désormais contraintes à acheter des biens essentiels sur le marché à bas prix. La logique aurait donc pu buter sur la faiblesse naturelle de l’emploi et du pouvoir d’achat des paysans anglais soumis à ce bond de la productivité agricole. Or, cet état de fait favorisa encore davantage le développement de marchés fondés sur la consommation de masse à bas prix et donc sur une productivité accrue. Bientôt, le capitalisme anglais devint industriel par le biais du secteur textile, destiné à répondre à un tel marché.Toutefois, « ce ne sont pas les possibilités offertes par le marché, mais bien ses impératifs qui poussèrent les petits producteurs à l’accumulation ».
« Ce fut le premier système économique de l’histoire où les restrictions économiques du marché eurent pour effet d’accroître obligatoirement les forces de production au lieu de les ralentir ou de les entraver », explique Ellen Meiksins Wood. Là où la baisse de la demande commerciale entraîna le déclin des Provinces-Unies, les ressources limitées du prolétariat anglais favorisèrent l’investissement industriel. « Quand le capitalisme industriel vit le jour, la dépendance au marché s’insinua en profondeur dans toutes les strates de l’ordre social. Mais pour en arriver là, il fallait que la dépendance au marché soit déjà un phénomène bien implanté», résume l’historienne.
Le capitalisme se développa donc bien dans un lieu précis et dans une époque donnée. Et il se développa non pas comme une force naturelle, mais bien davantage comme le fruit de « rapports de propriété particuliers », des rapports « médiatisés par le marché ». L’autrice passe sans doute rapidement sur la lutte de classes qui constitue l’arrière-plan de cette évolution, mais il n’empêche que ce livre, qui, par ailleurs, présente des réflexions également stimulantes sur le colonialisme et l’État, est essentiel pour la réflexion actuelle.
🔴À l’heure où le néolibéralisme, mode de gestion du capitalisme mondialisé, peine à répondre aux défis de notre temps, cette étude est précieuse. Elle offre un contenu profondément révolutionnaire. Car si le capitalisme est un phénomène historique, il peut être dépassé comme tout phénomène historique. Il n’est pas le seul horizon possible, fût-il, comme le souligne Branko Milanović dans son dernier livre, " Le Capitalisme, sans rival[4] " (à paraître aux éditions La Découverte en avril), le seul système socio-économique persistant. S’il n’est pas « naturel », il n’est pas immortel, ou, du moins il n’est pas destiné à emporter l’humanité dans sa disparition.
En remettant le capitalisme à sa place, autrement dit en réaffirmant son caractère historique, Ellen Meiksins Wood remplit trois rôles essentiels.
D’abord, elle permet de revenir aux fondements de la critique du capitalisme. Le philosophe allemand anti-stalinien Karl Korsch estimait dans son ouvrage Karl Marx, publié en 1938 et traduit en français aux éditions Ivrea, que « le premier des principes fondamentaux de la nouvelle science révolutionnaire de la société, c’est le principe de la spécification historique de tous les rapports sociaux ». L’apport de Marx est donc de renvoyer les catégories « bourgeoises » (à entendre ici au sens de « capitalistes ») à leur réalité historique « bourgeoise ». Dès lors que ces catégories sont effectivement historiques et ne relèvent pas de l’essence de l’homme, alors elles sont modifiables par l’histoire humaine. La critique peut donc envisager son dépassement. Le combat de Marx contre la dialectique idéaliste hégélienne et celui contre le caractère absolu de l’économie politique capitaliste vont donc de pair et se rejoignent ici dans le travail de l’historienne canadienne.
Dès lors que l’horizon se débouche et que les arguments de café de commerce du type « de tous temps » ou « la nature humaine » sont écartés, le travail d’Ellen Meiksins Wood ouvre aussi une autre perspective.Le capitalisme est issu de rapports de propriété. La question de la propriété est donc centrale pour le dépasser.En cela, cette recherche semble donner raison à la réflexion menée par Thomas Piketty ou Benoît Borrits sur la nécessité d’engager le débat sur le plan de la propriété. Tout combat qui n’engagera pas directement cette question semble voué à l’échec ou plutôt à la reproduction de la logique capitaliste.Comme le montrent les travaux de l’historienne canadienne, cela ne signifie sans doute pas la disparition du commerce, de l’échange et du progrès technique. Toutes ces notions, contrairement à ce qu’ont tenté d’imposer certains, ne sont pas l’apanage du capitalisme et existaient dans les sociétés non capitalistes.
Or, et c’est la troisième leçon de l’ouvrage, la logique capitaliste ne saurait faire face au défi écologique. Le capitalisme, et c’est là la clé de son succès et de son expansion, a une logique de fuite en avant continuelle. Ce n’est pas un régime stagnant, mais en croissance permanente. Ce besoin de progression infinie (qui se traduit bien par sa mathématisation récente) est aujourd’hui confronté au fini du monde physique. L’emballement du capitalisme agraire anglais se transmettant à l’ensemble de la société anglaise, puis au reste du monde, pose désormais un problème écologique grave et urgent. La fable du « capitalisme sobre » ne tient pas face à l’histoire même de ce système.
Conclusion Il y a donc urgence à créer un nouveau rapport social pour organiser la survie de l’humanité. Sans doute le capitalisme a apporté beaucoup à l’humanité, et il n’est pas question de remettre en cause son intérêt historique (ce que reconnaissait déjà Marx), mais ce n’est qu’un moment historique. Comme d’autres avant lui, ce régime a sans doute fait son temps. Et le livre d’Ellen Meiksins Wood aide à le comprendre[1].
L’antériorité de l’adhésion à l’OTAN sur l’adhésion à l’UE démontre que les pays candidats ne voient cette dernière que comme le pendant politico-économique de la première
L’hypothétique « convergence » risque de prendre encore des décennies, surtout en cas de nouvel élargissement
Tous les États membres devront payer davantage et recevoir moins...
La guerre en Ukraine a relancé le processus d’élargissement de l’UE vers l’Est et les Balkans à un rythme effréné. Motivée par des raisons géopolitiques, à savoir endiguer la puissance russe sur le continent européen, cette expansion soulève pourtant d’immenses questions économiques et politiques. En intégrant en son sein des États pauvres, l’Union européenne encouragerait en effet une nouvelle vague de délocalisations et de dumping social et soumettrait les agriculteurs du continent à une terrible concurrence. En outre, le seul moyen d’éviter des blocages politiques d’une Europe à 34 ou 35 serait de renforcer le fédéralisme, en rognant encore davantage les pouvoirs de décision des États-membres. Un scénario délétère poussé par les élites européennes en dehors de tout mandat démocratique.
Les pays du Sud Global savent très bien que les sanctions économiques sont des actes de guerre économique.
Les États-Unis veulent désormais entraîner l’Europe dans leur guerre économique contre la Chine
L’altermondialisme passe aussi par une forme de pragmatisme sur les enjeux internationaux
Érosion de l’hégémonie du dollar, « mutinerie » des pays du Sud contre la politique étrangère occidentale, montée en puissance des BRICS, guerre économique des États-Unis envers la Chine… Le système international né de la fin de la Guerre Froide, dominé par l’hyperpuissance américaine, est en train de s’effondrer et de laisser place à un nouvel ordre mondial multipolaire.
Plutôt que de prendre acte de cette nouvelle donne et de diversifier ses liens avec le reste du monde, l’Europe s’aligne toujours plus sur Washington. Mais est-il encore possible de mettre en place une politique altermondialiste, alors que les BRICS se comportent parfois eux-mêmes de manière impérialiste ?
Peter Mertens, secrétaire général du Parti du Travail de Belgique[1], l’affirme, à condition de prendre un tournant radical dans notre politique étrangère. Entretien réalisé par William Bouchardon et Amaury Delvaux, avec l’aide de Laëtitia Riss.
Le Vent Se Lève :Vous êtes secrétaire général du Parti de Travail de Belgique (PTB), aux côtés de Raoul Hedebouw, et vous venez de publier " Mutinerie ". Comment notre monde bascule (à paraître en français aux éditions Agone début mars 2024[2], ndlr) afin d’analyser les recompositions du système international. Dans quelle mesure votre parcours au sein du PTB a-t-il nourri l’élaboration de ce livre ?
Peter Mertens :J’ai été président du Parti du Travail de Belgique (PTB) entre 2008 et 2021, date à laquelle Raoul Hedebouw a pris ma succession. Avec d’autres membres, j’ai participé au nécessaire renouveau du parti (tout en conservant un socle idéologique marxiste, ndlr) à partir du milieu des années 2000, où nous étions alors un petit parti avec des tendances sectaires. Ce renouveau nous a pris plus de 10 ans.Notre analyse était la suivante : " nous devions construire un rapport de force et un parti de la classe travailleuse, capable de peser en Belgique ".
Avec la croissance du parti, il y a beaucoup plus de travail, c’est pourquoi nous avons dédoublé le leadership du parti : Raoul Hedebouw est le président et le porte-parole principal et j’en suis le secrétaire général. Comme nous étions concentrés sur la construction du rapport de force en Belgique, nous étions moins occupés avec ce qui se passait à l’étranger. Désormais, nous sommes en train de remettre nos tâches internationalistes à la hauteur des défis d’aujourd’hui. Et sur ce terrain, nous sommes en contact avec de nombreux mouvements et partis à la gauche de la social-démocratie, en Europe et ailleurs dans le monde.
C’est grâce à ce leadership collectif et à ces rencontres que j’ai pu écrire ce livre, qui n’est pas juste un projet individuel. Je m’appuie aussi sur le service d’étude de notre parti, dirigé par notre directeur politique David Pestieau. Lui et son équipe m’ont aidé à rechercher des documents exhumés dans mon livre, notamment les textes de l’OTAN et de l’Organisation Mondiale du Commerce.
Le Vent Se Lève :Ces organisations occidentales sont au cœur du système international qui a été hégémonique jusqu’à récemment. Le titre de votre livre fait cependant référence à une contestation grandissante du règne de l’hyperpuissance américaine. Comment expliquez-vous que les pays du Sud soient de plus en plus réticents à s’aligner sur la position américaine ?
Peter Mertens :Le titre du livre vient d’une déclaration de Fiona Hill, une ex-membre du National Security Council américain (organe qui conseille directement le Président américain en matière de défense et d’affaires étrangères, ndlr). Selon elle, l’abstention de la plupart des pays du Sud Global sur les sanctions contre la Russie était une « mutinerie »[2bis]. Soyons clairs : la majorité de ces États ont condamné l’invasion illégale de la Russie sur le territoire ukrainien, ce qui est logique vu que nombre d’entre eux ont été envahis de multiples fois et connaissent bien l’importance de la souveraineté.
Toutefois, concernant les sanctions, ils n’ont pas suivi Washington. C’est là aussi logique : un pays sur dix sur la planète subit, sous une forme ou une autre, des sanctions de la part de Washington. Ces pays savent très bien que les sanctions économiques sont des actes de guerre économique.Or, dans la majorité des cas, les conséquences de ces sanctions sont supportées par les peuples des pays en question et ces mesures n’ont aucun effet sur le régime politique en place.
Ici, en Europe, nous ne nous en sommes pas rendus compte ; l’eurocentrisme nous aveugle. Le regard de la majorité des peuples du Sud Global sur les événements internationaux est pourtant très différent de la vision développée en Europe. J’ai récemment discuté avec beaucoup de personnes issues du Sud Global et j’ai constaté des moments de fractures profonds avec l’Occident.
La première fracture est la guerre des États-Unis contre l’Irak en 2003, qui était illégale et basée sur un mensonge[3]. Au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique Latine et en Asie, c’est un moment charnière majeur.
La crise financière de 2008 constitue le deuxième moment charnière. En Europe, cette crise nous a contraint à sauver les banques avec l’argent public et a eu pour conséquence l’austérité. Pour les pays du Sud, cette crise a été plus profonde encore et a montré la fragilité de l’hégémonie du dollar américain, autour duquel est organisé tout le commerce international.
Le Vent Se Lève : Renaud Lambert et Dominique Plihon s’interrogent en effet sur la fin du dollar[4] dans le dernier numéro du Monde Diplomatique. De nouveaux accords commerciaux sont, par ailleurs, conclus dans d’autres monnaies et les banques centrales commencent à diversifier le panier de devises qu’elles ont en réserve. Est-ce une des conséquences de la guerre en Ukraine ?
Peter Mertens :Cette érosion du dollar débute avec la crise financière de 2008.C’est à ce moment-là que l’idée des BRICS[5] est réellement née, bien qu’il existe également d’autres raisons historiques à son émergence. Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud se sont rassemblés car ils veulent faire du commerce sur une autre base que celle du néo-colonialisme, en mettant en place un système financier proposant des alternatives de paiements au dollar. C’est pour cela qu’ils ont créé une banque d’investissement dirigée par Dilma Rousseff, l’ancienne présidente du Brésil. Certes, le dollar reste hégémonique, mais cela constitue malgré tout une nouvelle donne.
Parmi leurs sanctions contre la Russie, les autorités américaines ont débranché la Russie du système international de paiement SWIFT, dont le siège est en Belgique. L’usage de cette puissante arme de guerre économique a entraîné une panique dans beaucoup de pays du Sud, car ils ont réalisé qu’elle pouvait aussi être utilisée contre eux. Avec ce genre de sanction, les États-Unis peuvent prendre otage les pays avec leur propre argent ! Cela a sans doute incité certains pays à vouloir rejoindre les BRICS. Lors de leur dernier congrès à Johannesburg fin août, les BRICS ont accueilli 6 nouveaux membres (l’Argentine, l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Ethiopie, l’Egypte et les Emirats Arabes Unis, ndlr), sur un total de 40 pays candidats[6]. C’est un vrai saut qualitatif.
De ce point de vue, la guerre en Ukraine est en effet un autre moment charnière, en raison des sanctions. J’en citerai encore deux autres :
D’abord, la COP de Copenhague en 2009, où les pays occidentaux ont refusé de prendre des mesures fortes pour le climat et pour aider les pays pauvres face au changement climatique.
Enfin, le refus des pays occidentaux de lever les brevets sur les vaccins contre le Covid-19, qui a marqué une fracture profonde face à un problème mondial.
Depuis le 7 octobre, la guerre contre la Palestine constitue un nouveau point de rupture, dont l’impact est potentiellement le plus important. L’axe guerrier États-Unis-Israël pratique une violence extrême, pensant être au-dessus de toutes les lois internationales et pouvoir se permettre n’importe quoi. Mais cet axe est plus isolé que jamais. Partout dans le monde, le deux poids deux mesures est devenu évident. Entre 2003 et 2023, il y a donc eu plusieurs moments de fractures majeurs entre l’Occident et le reste du monde ! Et pourtant, la grande majorité de l’establishment et des médias vivent encore dans la période d’avant 2003.
Le Vent Se Lève :Outre le dollar et leur armée, les États-Unis disposent également d’une puissance technologique redoutable, qu’ils utilisent pour faire avancer leurs intérêts. Les GAFAM espionnent ainsi le monde entier, tandis que de nouvelles rivalités autour des microprocesseurs se mettent en place avec la Chine. Est-il possible d’échapper à l’emprise des États-Unis en matière technologique ? Peter Mertens :Je pense qu’il faut regarder en face la puissance économique des BRICS : en termes de PIB mondial, ils pèsent désormais plus que le G7 (qui regroupe ce qui était les 7 pays les plus industrialisés au monde, ndlr). Cette puissance économique constitue une différence avec le mouvement des non-alignés des années 60-70. A l’époque, les États-Unis ont pu tuer le mouvement des non-alignés grâce à la dette. Puis l’URSS s’est effondrée et ils se sont retrouvés sans rivaux sérieux. Mais désormais, la situation est différente, notamment en raison du poids économique de la Chine. La réaction des États-Unis est claire : ils lui ont déclaré la guerre économique. J’emploie le mot guerre de manière délibérée : la guerre commerciale prépare la guerre militaire[7]. Les bateaux de l’OTAN qui encerclent la Chine et les sanctions prises par les États-Unis contre Pékin font partie de la même stratégie.
Dans mon nouveau livre, je cite longuement Alex W. Palmer, un spécialiste américain des microprocesseurs. En 2022, deux dates sont importantes selon ce chercheur : le 24 février 2022 avec l’invasion de la Russie en Ukraine et le 7 octobre 2022, date à laquelle les USA ont pris les mesures pour interdire presque tout développement des microprocesseurs en Chine.
D’après lui, ces mesures sont un acte de guerre économique inédit, dont l’objectif est de détruire tout développement économique en Chine[8]. Les États-Unis veulent désormais entraîner l’Europe dans leur guerre économique contre la Chine. Récemment, Joe Biden a convoqué le premier ministre néerlandais Mark Rutte à Washington pour lui ordonner de cesser l’exportation vers la Chine des machines fabriquées par la firme hollandaise ASML, qui sont essentielles pour la fabrication des semi-conducteurs de dernière génération. Le premier ministre hollandais a accepté sans contrepartie.
Les États-Unis sont inquiets de l’avance de la Chine dans les secteurs de technologies de pointe. Il y a de quoi : sur les 90 domaines les plus avancés au niveau des sciences et technologies, la Chine mène la danse dans 55 d’entre eux[10]. Les États-Unis ne l’ont pas vu venir. C’est pour cela qu’ils réagissent désormais par le protectionnisme et la guerre économique. Jack Sullivan (influent conseiller à la sécurité nationale auprès de Joe Biden, ndlr) l’affirme de manière assez transparente : « C’est fini le globalisme d’avant ; il faut du protectionnisme ; c’est fini avec le néolibéralisme ; c’en est fini avec l’accès de la Chine au marché international. »
On constate la même dynamique sur les ressources énergétiques, qui ont toujours formé l’infrastructure du système capitaliste.Au XIXe siècle, c’était le charbon, puis au XXe le pétrole. De l’arrivée de British Petroleum en Irak en 1902 aux guerres du Golfe, d’innombrables guerres ont été menées pour le pétrole. Désormais, c’est la guerre des batteries qui est lancée : tout le monde se rue sur le lithium et les ressources essentielles pour l’électrification. Là aussi, les États-Unis se montrent très agressifs vis-à-vis de la Chine et des BRICS. Malgré tout, je pense que les États-Unis ne parviendront pas à restreindre la montée en puissance de la Chine.
Le Vent Se Lève :Hormis cette opposition à l’hégémonie américaine, il est tout de même difficile de voir ce qui rassemble les BRICS. Par ailleurs, il existe de réelles tensions entre des pays au sein de ce bloc, notamment entre la Chine et l’Inde. Peut-on vraiment attendre quelque chose d’un groupe aussi hétérogène ?
Peter Mertens :Aucune valeur ne réunit les BRICS ! C’est une association de pays strictement pragmatique, car c’est comme ça que l’ordre mondial fonctionne. La gauche a souvent une lecture erronée car elle pense en termes de morale et de « valeurs ». Or, l’impérialisme et les forces anti-impérialistes ne pensent pas en ces termes mais plutôt en termes de pouvoir politique et économique. Les BRICS ne sont pas un projet de gauche, mais un projet pragmatique visant à servir les intérêts de ces pays, en créant une alternative au dollar et au Fonds Monétaire International et en cherchant à favoriser le commerce Sud-Sud.
Je ne suis évidemment pas dupe. L’Inde connaît de grandes tensions avec la Chine et Modi est un homme d’extrême-droite. Ses trois grands amis étaient Jair Bolsonaro, Donald Trump et Boris Johnson. Il est responsable de l’assassinat de plus de 750 paysans[11] lors de la plus grand révolte de l’histoire indienne de la paysannerie et a laissé des razzias racistes contre les musulmans avoir lieu.
De même en Arabie Saoudite : c’est le despotisme total.Il n’y a aucune liberté pour la classe travailleuse et pour les femmes. Il n’empêche que l’entrée de l’Arabie Saoudite dans les BRICS marque un tournant. En 1971, avec les pétrodollars, les États-Unis ont promis à l’Arabie Saoudite d’avoir toujours des armes et une stabilité politique en échange de pétrole bon marché. Désormais, l’Arabie Saoudite vend son pétrole à la Chine non plus en dollars, mais en yuans ! Bien sûr que c’est un régime haïssable. Mais en matière de politique internationale, on ne peut pas juste réagir émotionnellement en fonction de « valeurs », il faut analyser l’échiquier mondial avec réalisme. Et la réalité est que les BRICS défient le système construit autour du dollar. Personnellement, bien que je ne soutienne pas les régimes de certains pays des BRICS, je considère leur émergence comme une bonne nouvelle parce qu’elle défie l’unilatéralisme et l’hégémonie américaine pour la première fois depuis 1991.
Mais en parallèle de la mutinerie menée par les BRICS, il y a également une mutinerie au sein de ces pays. En Inde, je suis avec attention les luttes des paysans, des femmes et de la classe travailleuse contre le régime de Modi[11]. De même, l’Afrique du Sud connaît une corruption énorme, le fossé entre riches et pauvres y est considérable et le régime politique est fortement critiqué par la population. Lula est un progressiste, mais son gouvernement n’est pas pour autant socialiste[12]. Et contre les concessions faites aux grands propriétaires fonciers au Brésil, je soutiens ceux qui luttent pour les droits des paysans, comme le Mouvement des Paysans sans Terre.
Le Vent Se Lève :Dans votre livre, vous rappelez l’histoire du mouvement tiers-mondiste, à partir notamment de la conférence de Bandung en 1955. Ce mouvement était porteur d’espoir pour un rééquilibrage des relations internationales et de l’économie mondiale. Croyez-vous à la résurgence de l’altermondialisme et sur quelles bases ? Les tentatives consistant à faire revivre cet esprit de « non-alignement », notamment de la part de Lula, vous semblent-elles prometteuses ? Peter Mertens :Je crois que la tentative opérée par les BRICS de permettre un commerce dans d’autres monnaies que le dollar relève surtout du pragmatisme. Mais cette démarche est déjà un acte progressiste en soi. Regardons en face la situation depuis les années 50-60 :la dette des pays du Tiers Monde doit être payée en dollars. Cela signifie que ces pays doivent privilégier des monocultures tournées vers l’exportation, plutôt que des productions au service de leurs propres populations, afin d’obtenir des dollars. Et quand ils ont des difficultés à refinancer leur dette, le Fonds Monétaire International (FMI) ne leur octroie des prêts qu’à condition de couper dans les services publics, les salaires et les pensions et de privatiser davantage. Tout cela ne fait que les rendre plus dépendants des États-Unis et de l’Europe. C’est un mécanisme néocolonial ! Désormais, pour la première fois, les pays du Tiers Monde peuvent refinancer leur dette, indépendamment du FMI, grâce à la banque des BRICS. Certes, ce n’est pas un emprunt socialiste mais au moins c’est un mécanisme honnête et sans conditions. Quand bien même ce n’est un progrès en direction du socialisme, cela reste un progrès pour les pays du Sud Global, qui doit être soutenu.
Certes, cela ne suffit pas pour construire un altermondialisme de gauche.C’est pourquoi nous devons aussi soutenir les mouvements de gauche dans ces pays, afin de peser sur l’agenda politique. On peut tout à fait soutenir le MST au Brésil pour mettre la pression sur Lula, tout en reconnaissant qu’il joue un rôle important pour nos idées au niveau international. De la même manière, je soutiens le NUMSA, le syndicat des métallos sud-africains, qui lutte contre la corruption considérable au sein du gouvernement de l’ANC, tout en étant en accord avec la politique extérieure de l’Afrique du Sud. Bien sûr que la gauche a des valeurs à défendre, mais je refuse d’interpréter toute la complexité du monde actuel uniquement en termes de valeurs. L’altermondialisme passe aussi par une forme de pragmatisme sur les enjeux internationaux.
Le Vent Se Lève :L’Union européenne tend à s’aligner sur les États-Unis, contrairement à ce qu’affirment nos dirigeants. S’ils prétendent réguler l’action des GAFAM, ou encore bâtir une « autonomie stratégique » en matière internationale ou de réindustrialisation, la réalité est que nous sommes de plus en plus dépendants des Américains, y compris dans des domaines où cela était encore peu le cas, comme les énergies fossiles. Comment peut-on retrouver une véritable autonomie ? Cela implique-t-il une rupture avec l’Union européenne ? Peter Mertens :Ce qui s’est passé en Europe suite à la guerre en Ukraine, surtout en Allemagne, est grave. Quelques semaines après le début du conflit, le Bundestag a renié sa politique de non-militarisation de l’économie vieille de 75 ans et a investi plus de 100 milliards d’euros dans le budget de la défense[13]. Tout ce qui existait en termes de liens avec la Russie, notamment de la part de la social-démocratie allemande – dont les liens de Schröder avec Gazprom (l’ancien chancelier allemand a ensuite siégé au conseil d’administration de la compagnie russe, ndlr) sont le symbole le plus évident – a été détruit. Il s’agit d’un bouleversement considérable : la mémoire des comportements barbares des nazis, qui étaient presque arrivés à Moscou, a longtemps conduit à une politique de coopération entre l’Allemagne et la Russie, plutôt que d’agressivité. En quelques semaines à peine, les États-Unis ont réussi à briser cela.
Cette coupure brutale avec la Russie a suscité des remous au sein des grandes entreprises allemandes : les grands patrons de BASF, de Bosch ou Siemens ont demandé au gouvernement allemand de ne pas rompre les liens avec Gazprom, car ils souhaitaient continuer de bénéficier du gaz russe bon marché. En se rendant dépendante du gaz américain, beaucoup plus cher, l’Allemagne est rentrée en récession. En prenant des sanctions contre la Russie, l’Europe a donc pris des sanctions contre elle-même et s’est tirée une balle dans le pied. De surcroît, avec l’Inflation Reduction Act (IRA), les États-Unis tentent d’attirer sur leur territoire des firmes européennes, notamment de technologie de pointe, grâce à d’importantes subventions et remises d’impôts. La réaction de l’Union Européenne à cette offensive américaine a été très faible. Aucune politique industrielle européenne autonome n’émerge[14].
Les États-Unis veulent maintenant répliquer cela avec la Chine. C’est une folie : non seulement ils auront beaucoup de mal à se couper de la Chine, mais l’Europe en aura encore plus :nous échangeons avec la Chine 850 milliards d’euros de marchandises chaque année[15] !J’ajoute que la neutralité carbone en Europe dépend pour l’instant de la technologie chinoise. Aussi surprenant que cela puisse paraître, je suis d’accord avec les patrons de Bosch, Siemens, Volkswagen et Mercedes quand ils demandent de ne pas reproduire avec la Chine ce que l’Europe a fait avec la Russie. Dans le conflit inter-impérialiste entre capitalistes, j’espère que la bourgeoisie européenne se comportera de manière sérieuse et dira non à la bourgeoisie américaine qui veut nous entraîner dans de nouveaux conflits.
Bien sûr, je n’ai aucune illusion : la bourgeoisie européenne ne veut pas une Europe progressiste, mais cherche au contraire à imposer aux peuples européens une nouvelle dose d’austérité. Elle entend également conserver des relations néo-coloniales avec une partie du monde, bien que le rejet de la France en Afrique ne cesse de grandir[16].Mais c’est la même dialectique que pour les BRICS : on ne peut pas raisonner uniquement en termes de « gentils » et de « méchants », il y a de nombreuses contradictions sur lesquelles il faut jouer.Donc je soutiens les capitalistes allemands dans leur opposition aux États-Unis, mais continue de défendre une Europe socialiste, contre les intérêts de ces grandes entreprises.
Le Vent Se Lève :Il est vrai que les sanctions prises à l’encontre de la Russie ont renforcé la dépendance de l’Europe vis-à-vis des États-Unis. Pensez-vous qu’il soit possible de réorienter l’Union européenne vers une politique socialiste ? Ou faut-il rompre avec les traités européens et construire de nouveaux cadres de coopération ? Peter Mertens :Ma position sur cette question est liée à l’histoire belge : nous sommes un petit pays qui a été créé pour jouer le rôle d’État-tampon entre l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Un changement de société au niveau de la seule Belgique, ça n’existe pas! ! Je plaide donc pour une autre société, une autre industrialisation et une autre forme de commerce à l’échelle continentale. Cela passera, selon moi, par plus d’échanges entre ceux qui luttent et qui résistent dans toute l’Europe pour créer une rupture au sein de l’Union Européenne.
Mais cela suppose que nous soyons à la hauteur. J’en ai assez de la dépression collective de la gauche européenne qui passe son temps à se lamenter de la percée de l’extrême-droite ! Quand je vais en Amérique latine ou en Inde, eux aussi s’inquiètent de la montée du fascisme, mais surtout ils le vivent et ils luttent. Bien sûr que l’extrême-droite progresse et nous menace. Mais pour reconquérir une partie de la classe travailleuse tentée par le vote fasciste, on ne peut pas se contenter de se plaindre. La droite et l’extrême-droite s’appuient sur une narratif dépressif, selon lequel la classe travailleuse n’existe pas et l’immigration va nous détruire.
Face à cela l’extrême-droite), il faut recréer un narratif autour de la lutte des classes et rebâtir une conscience commune chez les travailleurs. Les mobilisations sociales massives que nous avons connu récemment en Angleterre, en Allemagne et en France sont des points d’appui. Comme la grève des ouvriers de l’automobile aux États-Unis, avec une belle victoire à la clé[17] ! Et puis nous devons être là où sont les gens, c’est-à-dire avant tout dans les quartiers populaires et sur les lieux de travail, pas seulement avec les intellectuels. Ce n’est que comme cela que nous pourrons arrêter la tentation fasciste au sein de la classe travailleuse.
Par exemple, avec notre programme Médecine pour le peuple (initiative de médecine gratuite dans les quartiers populaires[18], ndlr), on touche des personnes qui votent pour le Vlaams Belang (extrême-droite indépendantiste flamande, ndlr). Plutôt que de les exclure, nous discutons avec eux et tentons de les convaincre. Les gens sentent si vous êtes honnêtes et convaincus du discours que vous portez. Donc il faut un langage clair et franc, comme celui de Raoul Hedebouw, qui permet d’attirer vers nous des gens en colère en raison de leur situation précaire et de politiser cette colère. Si l’on se contente des livres, on ne changera rien. Il faut aussi des gens sur le terrain.
Du coût du capital aux chiffres de l’entreprise, un guide de lutte
La critique du coût du capital (la part non réinvestie des profits et le pouvoir exorbitant des détenteur·rices de capitaux) est au cœur de la démarche revendicative de la CGT.
La faiblesse de l’investissement productif, des salaires, les versements de dividendes, les aides publiques aux entreprises, la mise en faillite de nos services publics et de notre Sécurité sociale, la crise environnementale, la dégradation des conditions de travail, la déstructuration des collectifs, la mise en concurrence des travailleur·ses… toutes ces réalités sont différentes facettes du coût du capital et, plus généralement, de la domination du capital sur le travail dans l’entreprise et en dehors.
Toutes les semaines, le pôle économique confédéral produit des analyses qui documentent ces réalités et que vous pouvez retrouver sur le site du revendicatif confédéral[1]. Le livret « Indicateurs économiques et sociaux », aussi appelé « Baromètre[2] », donne une vision globale des enjeux économiques à travers notre prisme CGT.
L’objet du guide que vous avez en mains est de sortir de cette vision « générale », pour attaquer le coût du capital dans nos entreprises et dans nos groupes, notamment via notre rapport à « l’expertise économique ».
Un guide, pour quoi faire ? La réalité de nos entreprises, pas plus que le fonctionnement du capitalisme contemporain, ne doivent être des freins à la lutte. En échangeant avec les camarades dans les organisations est apparu un besoin d’être mieux équipé·e sur les affaires économiques internes à l’entreprise. Bien souvent, nous avons, dans le cadre de nos négociations et consultations, recours à des expert·es, sans que l’on sache toujours très bien quoi leur demander ni que faire des résultats fournis.L’objet de ce guide est d’éviter de donner « carte blanche » aux cabinets d’expertise, en étant capables de poser les bonnes questions, celles au service de nos revendications, pour aller convaincre les salarié·es et mener les luttes.
Quelques précautions d’usage cependant pour qu’il n’y ait pas de doute sur son utilité :
c’est un guide revendicatif, et non un guide « technique » ; le but n’est pas de transformer les camarades en expert·es-comptables, mais qu’elles et ils puissent, en lien avec l’expert·e et dans nos négociations, dans nos luttes, aller chercher les arguments dans les chiffres de l’entreprise pour convaincre les autres salarié·es de se mobiliser (le patron ne sera jamais convaincu, et ses intérêts seront toujours différents des nôtres) ;
disons les choses clairement, ce guide n’est pas une « recette de cuisine » permettant d’inverser le rapport de force dans l’entreprise. Aucun guide, aucun outil n’a jamais remplacé la lutte. Au niveau interprofessionnel, savoir que le patrimoine de Bernard Arnault représente plusieurs millions d’années de Smic n’a jamais poussé à la révolte en tant que tel. C’est en revanche un appui revendicatif. La même logique est à l’œuvre ici ; il s’agit d’être capable d’avoir une vision CGT des comptes de nos entreprises, pour avoir des expertises qui répondent à notre cahier des charges.
Ce guide se veut le compagnon de tout·es les camarades confronté·es à l’expertise économique et, plus globalement, aux chiffres des entreprises. Il contient nécessairement des termes techniques (notamment comptables), un peu abruptes à première vue, mais qui sont systématiquement expliqués et illustrés par un exemple. L’ensemble de ces définitions sont regroupées dans le glossaire à la fin du document.
Pensé non pas comme une baguette magique mais comme un véritable outil confédéral au service des luttes, nous espérons ce guide le plus vivant possible, et le pôle économique confédéral se tient à disposition pour le faire vivre.
📌 Accès au guide CGT des comptes de l'entreprise et du droit à l'expertise 👇
Un système de retraite est toujours un choix de société. Ses modalités soulèvent, en creux, des questions fondamentales : Souhaitons-nous une société de l’entraide ou une société du chacun pour soi ? Quel sens donnons-nous au travail ?Il nous faut répondre collectivement à ces questions ; et contrairement à ce qu’énonce le gouvernement, il n’est pas une seule réponse possible.
Le modèle que dessine la réforme du gouvernement, avec la retraite à 64 ans, est guidé par une logique productiviste, archaïque et injuste. Il s’agit de travailler plus longtemps, en faisant peser l’effort sur les plus pauvres, dans le but de produire davantage. Pour cela, le gouvernement rebat les mêmes arguments éculés qui échouent à convaincre le grand nombre. Nous en sommes à la neuvième tentative de réforme[1] : le jargon néolibéral des technocrates ne fait plus effet.
L’édifice idéologique du gouvernement est d’autant plus inefficace qu’il se déploie dans un moment politique terrible. Demander aux Français de consentir à des efforts supplémentaires est inaudible :
notre pays a connu une crise sanitaire, suivie d’une explosion des prix de l’énergie et de l’alimentation ;
On compte toujours 10 millionsde pauvres, tandis que la fortune des ultra-riches bat des recordshistoriques.
Contrairement à ce qu’ils s’imaginent, la résistance populaire face à cette réforme ne relève ni d’un malentendu, ni d’un manque de pédagogie. La majorité du pays a parfaitement compris ce qui se joue : il faudrait vivre pour travailler, et non plus travailler pour vivre.
Cette réforme organise le vol délibéré du temps libre, et donc de la liberté. Car la retraite, c’est ce temps de vie qui échappe au temps contraint du travail, à sa cadence parfois infernale, au stress, à toutes ces déterminations qui nous sont imposées par d’autres. Ce sont à ces instants de la vie que commencent le choix et la liberté.
Le modèle de société que nous lui opposons tient en une formule : la civilisation du temps libéré. Cela signifie, concrètement, de diminuer le temps de travail dans la semaine, dans l’année et dans la vie, grâce à l’application stricte des 35 heures pour aller vers les 32 heures, la sixième semaine de congés payés et la retraite à 60 ans avec 40 annuités.
Le combat pour la diminution du temps de travail fait partie de notre ADN politique, et s’inscrit dans une longue histoire dont nous sommes les héritiers[2].Au cours du XXe siècle, le nombre d’heures de travail a été divisé par deux pour produire 40 fois plus.Le sens de l’histoire, c’est d’avoir augmenté la quantité de richesse produite tout en diminuant le temps de travail. Désormais, la crise climatique et écologique met à l’épreuve ce modèle, car elle exige de transformer profondément nos modes de production et de consommation. Le modèle productiviste et consumériste, dans lequel le gouvernement s’entête, est insoutenable. À ce moment précis de la civilisation humaine, la diminution du temps de travail est autant un progrès social qu’écologique.
Au fond, si cette réforme est aussi impopulaire, c’est probablement à cause de l’aveuglement à une chose spécifique de la nature humaine : chaque être est profondément attaché à l’autodétermination dans l’organisation de sa vie. Ce que nous attendons de l’existence, c’est de prendre soin de nos écosystèmes comme de nos proches, d’entretenir des relations épanouissantes, d’être en bonne santé, d’apprendre de nouvelles choses… ce n’est pas d’être plus productifs.
Comme dirait Orwell :« et si le but poursuivi était, non de rester vivant, mais de rester humain ? ».
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Présentation du contre-projet des retraites FI : une autre réforme des retraites est possible
Le lundi 30 janvier 2023, les député.es France insoumise Mathilde Panot, Clémence Guetté et Hadrien Clouet présentaient en conférence de presse notre contre-projet de #réformedesretraites.
Pour aller plus loin
Par l'Institut La Boétie : Retraites des arguments pour convaincre
Une réforme, d’un coût de 8 milliards, soit quasiment le déficit qu’il dit craindre en 2027… On est donc face à une réforme qui vise à faire payer aux futurs salariés les cadeaux aux actionnaires.
Cliquer sur l'image 👇 pour accéder à l'intégralité de l'argumentaire
- L'intergroupe de la NUPES de l'Assemblée et les groupes de gauche et des écologistes au Sénat publient leur livret de décryptage du projet de loi retraites ! 👇
Macron est un " propagateur de mensonges "... et manipulateur : 10 éditorialistes « influents », dont Nathalie Saint-Cricq (France télévision) son fils Benjamin Duhamel (BFMTV), ont été reçus secrètement par Emmanuel Macron à l’Élysée, avec un objectif... influencer discrètement l’opinion[2] !
Retraites : les 15 mensonges de Macron dans sa lettre aux syndicats du 10 mars 2023[0]
Et qu'on le fasse savoir : sur les retraites, le Rassemblement National est une arnaque[4] qui défend la retraite à 67 ans[11] !
Pour faire avaler la pilule aux Français qui sont massivement contre cette réforme, le chef de l’État et ses soutiens n’hésitent pas à utiliser toute une série d’arguments fallacieux, largement relayés par les médias de grande écoute.
Avec un peut de recherche, les éléments de langage, l'argumentation du gouvernement et ses soutiens explosent en plein vol… car, plus les jours passent et plus ce pouvoir a décidé de se foutre de la gueule des salariés jusqu’au bout !
Un exemple : entre 60 et 64 ans, deux seniors sur trois n'ont pas d'emploi. Or, cette réforme des retraites va augmenter le nombre de senior sur le marché du travail. Cela va donc augmenter le chômage, et exercer une pression à la baisse sur les salaires.
La réforme est nécessaire pour sauver notre système ? Mensonge !
C’est probablement l’argument numéro un du gouvernement : " Si nous n’agissons pas très rapidement, le système risquerait de s’effondrer, rongé par un déficit structurel. "
Le problème pour la " macronie ", c’est que cette affirmation n'en est pas la raison officielle... car – c'est ballot –il a écrit les vraies raisons dans des documents officiels... et il s'agit en réalité de financer la baisse des impôts pour les plus grosses entreprises, comme la suppression de la " cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), effective dés 2023 depuis l'adoption par 49.3 en octobre 2022[a][b], qui est l'une des composantes de la contribution économique territoriale (CET) avec la cotisation foncière des entreprises (CFE)[1] ". Elle est assise sur la valeur ajoutée produite au cours de la période de référence...
👉En définitive, la réforme des retraites (comme celles de l'assurance chômage) n'est rien d'autre qu'une compensation financière du coût pour les finances publiques des cadeaux fiscaux faits aux actionnaires (passés par 49.3).
extrait du Projet de Loi de Finances 2023, page 9 ; 👇
extrait du Programme de Stabilité 2022-2027, page 16 👇
Pour en savoir plus dans le détail :
🔶 voir l'intégrale du Projet de Loi de Finances 2023 adopté par 49.3ICI
🔶 voir l'intégrale du Programme de Stabilité 2022-2027ICI
ALERTE : quand la réforme des retraites sert d'alibi pour s'en prendre à la durée du travail et pas que...
Proposition formulée par certains députés du MoDem, parti allié d'Emmanuel Macron, présidé par François Bayrou[4bis]...
La retraite à 64 ans ne leur suffit pas... ils veulent supprimer les 35 heures ;
Et demain, la fin des congés payés, de la Sécurité sociale ?
De leur côté, certains, comme Henri Guaino, ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, vont jusqu'à proposer la " suppression pure et simple de l'âge de départ à la retraite "[1bis]...
Le purgatoire selon Elisabeth Borne
64 ans : l'âge moyen où l'on subit des incapacités dans les gestes de la vie quotidienne (on ne peut plus se pencher, porter une charge...).
Travailler, et mourir avant la retraite : un quart des hommes et 13 % des femmes les plus pauvres meurent avant 62 ans[13].
Le projet du gouvernement, c'est donc la retraite pour celles et ceux qui ne pourront plus en profiter.
L'emploi des seniors
En 2021, une personne de 55 à 69 ans sur six ni en emploi ni à la retraite, une situation le plus souvent subie[13bis].
Les données de l'Insee confirment qu'avant l'âge de la retraite, les séniors subissent un fort niveau de chômage, pour raison de santé dans 50% des cas.
La réforme des retraites ne fera qu'empirer la situation.
Tiens en passant...
Rien ne justifie le report de l’âge de la retraitedans un pays qui n’a jamais été aussi riche qu’il est aujourd’hui…mais où tout le pognon part dans les mêmes poches : celles de ceux qui veulent vous voler votre retraite !
En 1982, quand la retraite à 60 ans fut mise en œuvre, le pays était 5 fois moins riche qu’aujourd’hui. Aujourd’hui il est 5 fois plus riche, mais tout part dans les caisses des patrons et actionnaires.
Dans les années 80, les multinationales payaient 50% d’impôts, puis 37% dans les années 90, puis entre 0 et 15% dans les années 2010, 2020. Voilà le pourquoi de la dette.
Un travailleur aujourd’hui produit 3 fois plus que dans les années ou la retraite a été mise à 60 ans, balayant ainsi l’argument comme quoi il n'y aurait pas suffisamment d’actifs aujourd’hui, mais, antisociaux insatiables, cela ne leur suffit pas.
Contre réforme retraites par E. Macron " Ne recopiez pas le modèle suédois ! "
L'homme qui a fait la retraite à 65 ans en Suède appelle Emmanuel Macron à ne pas commettre la même erreur : " Ne recopiez pas le modèle suédois ! ".
Le taux de pauvreté des seniors à doublé en 9 ans ! Ça fait froid dans le dos !
Pourquoi les recettes du système de protection sociale, donc de retraites baissent ?
Parce que Emmanuel Macron a multiplié les cadeaux fiscaux aux grandes entreprises sans contrepartie et asséché méthodiquement les sources de financement de la Sécurité sociale[5]...
Parce que le taux de cotisation patronale au niveau du Smic est de 7 % pour les entreprises de plus de 20 salariés, en baisse de 14 points par rapport à 2010[6].
Tiens, au fait !
En 2022, les allégements de cotisations sociales des employeurs du régime général (du privé) ont atteint un niveau record en 2022 représentent 73,6 milliards d’euros, en hausse de 13,1 % sur un an[5bis].
C'est le résultat de la politique suicidaire des bas salaires du gouvernement.... quicreuse le déficit des caisses de retraites, de sécurité sociale...
Le montant de ces exonérations a presque triplé en 10 ans.
Histoire de remettre les pendules à l'heure !
Pas de pension retraite en dessous de 1200 euros brut ? Les macronistes sont très fiers de pouvoir l’annoncer. Sauf que… c’est une énorme douille, il n’y a rien derrière.Premièrement, c’était déjà dans la loi depuis 2003, il suffisait de l’appliquer. Surtout, c’est pour une carrière complète au SMIC.Donc cela ne concerne que 0,002% des salariés[6bis].C’est ça le progrès pour Macron : voler deux années à tous les travailleurs et travailleuses du pays, en moyenne 36 210 euros par personne, et augmenter de moins de 100 euros une personne sur 50 000.
dit qu’elle ne concernerait que les carrières complètes ;
parlé de 1,8 million de retraités revalorisées ;
inventé le chiffre de 40 000 bénéficiaires,
Olivier Dussopt Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion de France avoueque cela concernera seulement 10000 à 20000 personnes... soit 1,2% à 2,5% des retraités[6ter]
Cliquer sur l'image 👇 pour accéder à l'intégralité de l'argumentaire
Remise des pendules à l'heure pour démasquer les mensonges de Macron et ses sbires Assemblée nationale 19 janvier 2023 : " Les dépenses de retraites ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées, dans la plupart des hypothèses, elles diminuent plutôt à terme ", indique le président du Conseil d'orientation des retraites (COR) Pierre-Louis Bras.
Les retraites et l'emploi La France est le pays d'Europe où les plus de 55 ans rencontrent le plus de difficultés à trouver un emploi (données Insee)... mais le Gouvernement veut fixer à 64 ans l'âge légal de départ à la retraite.
C'est cynique, hypocrite... et surtout injuste !
Confirmation : reporter l’âge de départ à la retraite fait augmenter le chômage des seniors En 2010, le report de l’âge légal de 60 à 62 ans et de l'âge du taux plein de 65 à 67 anss’est traduit parunehausse de 100 000 de chômeurs(surface entre la courbe orange et bleue)
Vous voulez de l'argent pour financer un hypothétique déficit de notre système de retraite.... ? Il y en a là : 👇 Sur les 10 dernières années, en moyenne, pour 100€ de richesses créées en France, 35€ ont été captés par les 1% des Français les plus riches, 32€ par les 9% suivants. Les 50% les plus précaires n’en ont capté que 8€.
Retraites : la raison de ne pas faire comme nos voisins européens ? Les retraités sont plus pauvres dans les pays où l’âge de départ est plus élevé. Simple, basique.
Une taxe de 2% sur la fortune des milliardaires français suffirait à financer un potentiel déficit de notre système de retraite... Depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, la fortune des milliardaires a doublé en France. À 42, ils se partagent désormais 544 500 000 000 €... dont, depuis 2020, 189 milliards d'euros..
1% les plus riches ont capté 63% des richesses produites depuis le #Covid19 ;
42 milliardaires se partagent l'équivalent du budget de l'État
S'il manque de l'argent au gouvernement pour sauver l'hôpital public, les EHPAD et éventuellement nos retraites, le pognon, il est là ! 👇
Le mur d’ignorance sur le financement des retraites bâti par les militants macronistes déguisés en éditorialistes de plateaux s’effondre. Sur le plateau de BFM Business, Gilles Raveaud, économiste, maître de conférences à l’Institut d’études européennes à l’université Paris 8 démonte tous leurs mensonges en un temps record.
Toujours la double peine pour les femmes ! Déjà des pensions de misère aujourd'hui ... et les 1ères victimes de la retraite à 64 ans qui allongera encore plus pour les femmes que les hommes la durée de travail avant de pouvoir partir en retraite.... ce que reconnais Franck Riester, le ministre des Relations avec le Parlement[3]
Toujours la double peine pour les femmes : c'est ça la " justice " à la sauce Macron
Des mesures injustes et inégalitaires. Régulièrement, on entend les défenseurs de ces réformes expliquer que « parce que l’on vit plus longtemps, il faut travailler plus longtemps », sans tenir compte du fait que c’est notamment à mesure que le temps de travail dans la vie a reculé que l’espérance de vie a augmenté.De plus, les écarts d’espérance de vie sont de 6 ans entre un cadre et un ouvrier, et même de 13 ans entre les 5% les plus riches et les 5% les plus pauvres.
Il est bien foutu ce graphique..au premier jour du départ à la retraite 25% des plus pauvres sont déjà morts... Par contre, il faut attendre l’âge de 80 ans pour que cette proportion soit atteinte pour les 5% les plus riches.
Face à l'intox, l'économiste Zemmour Michael répondait point par point aux arguments du gouvernement
La retraite à 65 ans est « une réforme brutale, pas nécessaire », selon l’économiste Michaël Zemmour. Avec Annie Jolivet, spécialiste de l’emploi des seniors, il décortique dans notre émission « À l’air libre » un projet dont les syndicats ne veulent pas, mais que le gouvernement pourrait imposer début 2023 avec un énième 49-3. ou un 47.1
L'enjeu derrière la réforme des retraites est celui du partage des richesses produites
Le gouvernement essaie de nous faire peur avec les terribles déficits qui mettraient en péril notre système de #retraites, alors pour vous aider à y voir plus clair dans la valse des milliards, on vous rappelle quelques ordres de grandeurs
Il n'y a pas de problème de financement des retraites. En revanche, il y a un problème avec ces politiques qui se moquent du peuple.
Au cas ou, l'argent existe !
12 milliards : l'hypothétique déficit du système de retraites ;
257 milliards : aides publiques versés aux (grandes) entreprises ;
1 000 milliards : fortune des 500 + grandes fortunes françaises.
Au cas ou, l'argent existe !
Quand les start-up lèvent plus d'argent... que le besoin de financement des caisses de retraite
Oui, on peut trouver les 12 milliards nécessaires sans faire trimer les gens 2 ans de plus.
En France, la productivité horaire est l'une des plus élevées d'Europe, devant la plupart de nos voisins européens.
Retraite à 60 ans pour toutes et tous, réduction du temps de travail à 32 H... ces mesures permettrait une création massive d'emplois,... donc le financement de notre protection sociale sans impacter la productivité économique.
Décidément la macronie est au abois : écoutez-le, on aurait pas dit mieux
QuandFranck RiesterMinistre délégué auprès de la Première ministre, chargé des Relations avec le Parlement n'a pas bien lu les éléments de langage de son gouvernement etreconnaît que la réforme des retraites pénalisera encore plus les femmes[3].
Des sous pour l'hypothétique déficit du système de retraites... il y en a Le choix de Macron et Borne est clair : gaver les actionnaires au détriment des salaires. Faire cotiser les dividendes comme les salaires dégagerait jusqu'à 48 Md€ par an pour les retraites.
Mettons à contribution les revenus du capital comme ceux du travail !
C'est l'heure de s'inviter à la table des très grands possédants (les ultra-riches) pour financer un hypothétique déficit de notre système de retraite....
Les inégalités de patrimoine sont très importantes en France. En 2021, la moitié des ménages les plus pauvres ne possèdent que 8 % des avoirs.... Où est la justice là dedans ?
C'est l'heure de s'inviter à la table des possédants.
Vous voulez de l'argent pour financer, il y en a là 👇
Tous les jours de nouvelles découvertes !
Ils sont à deux doigts de se rendre compte quecette réformes des retraites va coûter plus chère qu'elle ne va en rapporter, c'est ballot pour une réforme " technique "...
En effet, le report de deux ans de l’âge de départ devrait se traduire par près de 100 000 chômeurs de 60 ans et plus supplémentaires selon une étude de l’Unédic portant sur la réforme de 2010[8bis]!...
📌 Vous comprenez pourquoi le gouvernement à limité les débats à l'Assemblée Nationale et refusé de répondre aux parlementaires insoumis qui cherchaient à démasquer le fond de cette contre-réforme des #retraites ?
Et pendant ce temps là, l'intergroupe de la NUPES de l'Assemblée et les groupes de gauche et des écologistes au Sénat publient leur livret de décryptage du projet de loi retraites !
Ce document vise àdécrypter le projet de loi du gouvernement. Il donne les grands axes sur lesquels député·es et sénateurs·trices de nos groupes de gauche et écologistes se battront ensemble. Notre objectif commun est de faire reculer le gouvernement par la mobilisation sociale et la bataille parlementaire. Et demettre en place la retraite à 60 ans !
Cliquer sur l'image 👇 pour accéder à l'intégralité de l'argumentaire
Projet de la France insoumise pour une possible autre réforme des retraites !!
Contrairement à ce qu’ils s’imaginent, la résistance populaire face à cette réforme ne relève ni d’un malentendu, ni d’un manque de pédagogie. La majorité du pays a parfaitement compris ce qui se joue : il faudrait vivre pour travailler, et non plus travailler pour vivre.
Le modèle de société que nous lui opposons tient en une formule :la civilisation du temps libéré. Cela signifie, concrètement, dediminuer le temps de travail dans la semaine, dans l’année et dans la vie, grâce à l’application stricte des 35 heures pour aller vers les 32 heures, la sixième semaine de congés payés et la retraite à 60 ans avec 40 annuités.
Cliquer sur l'image 👇 pour accéder à l'intégralité de l'argumentaire
Qu'on le fasse savoir : sur les retraites, le Rassemblement National est une arnaque[4]!
Quand les députés du RN sont présents sur les retraites,ils veulent vider les caisses de retraite et fragiliser la sécurité sociale.
Comment ? En proposant la mise en place de primes, d'augmentation des salaires exonérés de toutes cotisations sociales[9]
Le RN préfère mettre en place des primes sans cotisations que de taxer les ultras riches[9bis] (Pour rappel, une taxe de 2% sur la fortune des 42 milliardaires français suffirait à financer le déficit des retraites) ;
Mais jamais le RN ne proposera de taxer le capital, et pour une bonne raison : car le RN compte bien sur l’oligarchie médiatique pour arriver au pouvoir en 2027 ;
Le RN a choisi son camp : ce n’est pas celui des 2 millions de manifestants, ni de 93% des actifs,mais celui des riches[8] sur la base d'un programme économique constituant une saignée pour les classes populaires[7] ;
Examen du texte de loi sur les retraites en commission :le RN ou l’opposition qui ne s’oppose pas.
Le groupe de Marine Le Pen a déposé75 amendements sur le texte #retraites… contre 105 pour Renaissance[10] ;
Les deux seuls députés RN présents en commission ont voté contre l'amendement insoumis de rétablissement de la retraite à 60 ans, car, pour eux, " il n'est pas sérieux de prétendre que l'on peut rétablir la retraite à 60 ans[12]" !
Autrement dit, ils ont moins de choses à corriger dans le texte que les députés macronistes eux-mêmes !
CONCLUSION : Le RN, une arnaque sociale à démasquer avant qu’il ne soit trop tard :
🔴 Tout est dit ici :
Quand les députés du RN sont présents sur les retraites, ils veulent vider les caisses de retraite et fragiliser la sécurité sociale👇
Promesses de recul social Macron, qui n’a été élu et réélu que par les castors qui faisaient barrage à Le Pen, veut à toute force faire croire qu’il l’a été sur son programme. Or, dans ses “promesses électorales“, il y avait une réforme du système des retraites. Lors de son premier mandat il avait fait une première tentative mais avait dû renoncer devant la levée de boucli
Petit retour en arrière : " retraites : comprendre leur histoire pour mener le bataille "
« Les retraites du 15ème siècle à nos jours : une longue histoire, une bataille actuelle » : voici le titre d’une note publiée par L’institut La Boétie, fondation insoumise. Son objectif : retracer l’Histoire passionnante de notre système de retraites depuis plus de six siècles.
Y a-t-il eu des formes de retraites dès le Moyen-Âge ?
La Révolution industrielle du 19ème siècle a-t-elle été propice à la mise en place d’un système de solidarité intergénérationnelle ?
Comment expliquer le succès du mouvement social de 1995 ? Dans quelle dynamique s’inscrit l’actuelle attaque d’Emmanuel Macron contre notre système de retraites ?
Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, la secrétaire d’État à l’Économie sociale et solidaire, Marlène Schiappa, et même Emmanuel Macron ont un point commun : il y a peu, tout report de l’âge de départ à la retraite leur apparaissait comme une véritable arnaque[1bis].
Emmanuel Macron est " déterminé ", ne cesse-t-il d’affirmer. Il veut laisser son empreinte, avec cette réforme, lors de son dernier quinquennat. Il ne laissera pas s’éterniser les débats à l’Assemblée nationale soit il reçoit le soutien des Républicains, déjà quasiment acquis, soit il utilise le 49-3 (NDLR : voir il intègre la réforme dans un projet de budget de la Sécu rectificatif, cette option pourrait permettre à l’exécutif d’éviter d’avoir recours à un 49-3 en jouant sur les délais d’examen des lois de financement de la Sécu prévus à l’article 47-1 de la Constitution. Au bout de 20 jours de débat à l’Assemblée, le texte pourrait être transmis sans vote au Sénat[2]).
Pourtant, cette réforme est rejetée par 8 Français sur 10. Toutes les organisations syndicales y sont opposées et sont déterminées à construire, ensemble, des mobilisations unitaires, avec grèves et manifestations, en janvier et février.
Cela fait trente ans que des réformes sont présentées comme le seul moyen de « sauver le système », soit en reculant l’âge de départ à la retraite, soit en augmentant le nombre des annuités de cotisations, soit, comme maintenant, en procédant à ces deux régressions cumulées.
Pourtant, dans son dernier rapport, sorti en septembre 2022, le Conseil d’orientation des retraites (COR) affirme : « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite. »
Explications.
DEUXIÉME VOLET : L'HEURE DE VÉRITÉ... ET DE LA MOBILISATION SONT VENUES ! 👇
Élisabeth Borne, Première ministre, vient d’annoncer le projet de réforme des retraites, dont le cœur est le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans et une accélération de l’allongement de la durée de cotisation à 43 annuités. Réforme qui sera présenté en conseil des ministres le 23 janvier, puis mis en débat à l’Assemblée nationale début février, pour un vote avant la fin du premier trimestre.
Pourtant, Emmanuel Macron, le 25 avril 2019, tenait des propos bien différents : « Quand on est peu qualifié, quand on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans ! C’est ça, la réalité de notre pays ! Et on va expliquer aux gens : travaillez plus longtemps, jusqu’à 64 ans !Franchement ce serait hypocrite de décaler l’âge légal[3]…»
Décembre 2022, changement du discours d’Emmanuel Macron, sur TF1 : « Sans cette réforme, notre système de retraite par répartition est en danger. »
Ainsi, outre Emmanuel Macron, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, la secrétaire d’État à l’Économie sociale et solidaire, Marlène Schiappa, ont un point commun : il y a peu, tout report de l’âge de départ à la retraite leur apparaissait comme une véritable arnaque[1bis].
Alors, pourquoi ce revirement ?
Durant la campagne présidentielle 2022, le candidat Emmanuel Macron a signé le programme de stabilité envoyé à Bruxelles, qui spécifiait : « Ce programme de stabilité (est) en faveur (…..) de la compétitivité des entreprises : c’est par exemple le cas de (…..) la baisse des impôts de production dès 2023. (…..) La maitrise des dépenses publiques repose principalement sur des réformes structurelles, la réforme des retraites notamment[4]. »
Huitième réformes en trente ans
Depuis 1993, les attaques contre le système de retraite se succèdent, sous tous les gouvernements. C’est la huitième fois, depuis ternet ans, qu’un gouvernement entend réformer le système des retraites. Les discours se suivent et se ressemblent, depuis des décennies : « Il faut le réformer pour le sauver, car il est gravement déficitaire. » Cela fait donc trente ans que des réformes sont présentées comme le seul moyen de « sauver le système », soit en reculant l’âge de départ à la retraite, soit en augmentant le nombre des annuités de cotisations, soit, désormais, en procédant à ces deux régressions cumulées. Régulièrement, gouvernements, ministres, experts et médias inféodés expliquent qu’il faut faire une nouvelle réforme pour « sauver les retraites ». Mais ces réformes sont avant tout idéologiques.
Que dit le Conseil d’orientation des retraites ? Notre système de retraite serait donc en danger ?Ce n’est pas l’avis du Conseil d’orientation des retraites (COR). Créé en 2000, le COR est une structure rattachée à Matignon (Premier ministre), difficilement soupçonnable de positions gauchistes. Son rapport annuel est attentivement scruté par l’ensemble de la classe politique.Dans son dernier rapport de septembre 2022, nous pouvons lire : « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite[5]. »
🔴 Remise des pendules à l'heure pour démasquer les mensonges de Macron et ses sbires : Assemblée nationale 19 janvier 2023 : " Les dépenses de retraites ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées, dans la plupart des hypothèses, elles diminuent plutôt à terme ", indique le président du Conseil d'orientation des retraites (COR) Pierre-Louis Bras. 👇
🔴 Pour l'’économiste Gilles Raveaud chez BFM Business : « Il n’y a pas de problème de financement des retraites. »👇
L’économiste Gilles Raveaud chez BFM Business : « Il n’y a pas de problème de financement des retraites. »
Notre système de retraite a enregistré un excédent de 900 millions d’euros en 2021, malgré la crise sanitaire.Celui-ci est de 3,2 milliards d’euros pour 2022. Pour évaluer la situation des années à venir, le taux de chômage a son importance. Le gouvernement prévoyait un taux de chômage de 8,4% en 2027. Il a révisé ses chiffres et prévoit maintenant 5% de chômage pour 2027. Dans ces projections, le COR se base sur les estimations gouvernementales jusqu’en 2027. Au-delà, il établit ses propres hypothèses. Le COR prévoit, 7% de chômage en 2032 ; il est donc obligé de simuler une récession entre 2027 et 2032 dans ses calculs. Ce qui lui permet de faire, prudemment (notez le conditionnel), cette hypothèse : « La situation financière du système de retraite se détériorerait avec un déficit allant de -0,5% de PIB à -0,8% de PIB », dans les 10 prochaines années. Cela représente environ 10 milliards d’euros par an, soit moins de 3% du budget des retraites qui est de 340 milliards d’euros. Un déficit faible et contrôlé, selon le rapport du COR: « À plus long terme, de 2032 jusqu’à 2070, malgré le vieillissement progressif de la population française, la part des dépenses de retraite dans la richesse nationale serait stable ou en diminution. »
Le haut-commissaire au Plan, François Bayrou, qui soutient le président Macron, évoque une autre piste que celle du gouvernement. Elle consisterait à augmenter d’un point les cotisations patronales retraite, qui passeraient de 16,5% à 17,5% du salaire brut, et rapporteraient 7,5 milliards d’euros[6].
Car, le faible déficit des retraites à venir n’est pas la conséquence d’une dynamique incontrôlée des dépenses, mais bien d’un manque de ressources.L’octroi de primes (non-soumises à cotisation) en concurrence des augmentations de salaires, comme la « prime Macron » par exemple, est monnaie courante, depuis plusieurs années. De même, les exonérations de cotisations sur les bas salaires accordées aux entreprises assèchent la ressource des rentrées de cotisations dans les caisses de retraites[7].
Les séniors sont évincés du marché du travail avant 62 ans En 2021, selon la Dares[8] (service statistiques du ministère du travail), le taux d’emploi des plus de 60 ans est de 35,5%.Les entreprises poussent les salariés âgés vers la sortie, via des dispositifs comme les plans de départ volontaire, les ruptures conventionnelles en fin de carrière…Un phénomène qui ne touche pas que les ouvriers ; les cadres grisonnants sont, eux aussi, dans le viseur des employeurs.Pour les ouvriers, à 61 ans, le taux d’emploi est de 28% ; pour les sans diplôme, le taux est de 25%. Autant d’assurés sociaux qui sont en salle d’attente du « ni ni », c’est-à-dire ni en emploi ni en retraite.
Cela signifie que plus de 60% d’entre eux sont, soit au chômage suite à licenciement, soit en maladie, soit en invalidité, soit au RSA.Comme le dit le rédacteur en chef du magazine Santé & travail, « pour eux, reculer l’âge de départ, c’est les laisser dans la perspective de toucher une retraite plus faible puisqu’ils auront moins cotisé ». Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees),le taux de pauvreté des séniors ni en emploi ni en retraite atteint déjà, en effet, 32%[9] !
Les économies réalisées dans les caisses de retraites, ce sont les caisses de l’assurance-chômage, de l’assurance maladie et des minimas sociaux qui seront sollicitées pour les compenser.
La retraite à 64 ans génère-t-elle des économies ? Le Trésor a calculé, fin janvier, les économies réalisées avec un passage progressif de l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans, à raison de trois mois de plus par an.Résultat, le solde du système s’améliorerait de 0,3% de produit intérieur brut (PIB), (environ 7,5 milliards d’euros à la valeur actuelle du PIB) d’ici 2027, et de 0,5% (12,5 milliards d’euros) d’ici 2032.
Une partie des économies réalisées sur les comptes des retraites sont annulées par l’augmentation des dépenses pour d’autres branches de la sécurité sociale ou pour les départements en charge d’une partie croissante de l’aide sociale[10].Eloigner l’horizon de la retraite nécessite, pour certaines personnes, de rallonger les périodes de chômage, d’arrêt maladie ou de RSA. La Dares chiffre à 1,3 milliard d’euros les allocations chômage supplémentaires à verser avec un passage à 64 ans, tandis que la Drees évalue à 3,6 milliards d’euros la hausse du coût des autres prestations sociales ! Au total, cela représente environ 0,2% de PIB.
A contrario, le report de l’âge légal génère aussi des recettes pour les comptes publics.Tous ceux qui restent en emploi payent plus d’impôt sur le revenu et aussi de CSG, de même qu’ils continuent de cotiser aux différentes caisses… Le Trésor prévoit ainsi une hausse de 0,6% de PIB.
Au total, entre l’amélioration du solde des retraites (+0,5% de PIB), la hausse des dépenses des autres branches de la sécu (-0,2%) et les autres recettes (+0,6),le Trésor en conclut qu’un report de l’âge légal à 64 ans réduirait le déficit public de 0,9% de PIB dans 10 ans.
🔶 Retraites : la raison de ne pas faire comme nos voisins européens ? ▶️ Les retraités sont plus pauvres dans les pays où l’âge de départ est plus élevé. Simple, basique.
Travailler plus longtemps, même pour les carrières longues et pénibles 🔴 Cette réforme reporte progressivement l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans, mais avec une accélération de la loi Touraine-Hollande[11] pour atteindre les 43 annuités de cotisations (172 trimestres) en 2027 au lieu de 2035. L’âge d’annulation de la décote restera à 67 ans.
La réforme s’appliquera ainsi, à partir du 1er septembre 2023 (voir le tableau, ci-dessous) :
Pour les personnes nées en 1961, départ possible à 62 ans et trois mois ;
Pour les personnes nées en 1964, départ possible à 63 ans ;
Pour les générations nées en 1968 et après, départ possible à 64 ans, à condition d’avoir 43 années de cotisations, soit 172 trimestres.
🔴 Les petites pensions des retraités actuels et des futurs retraités seraient revalorisées à hauteur de 100 € brut par mois, à compter du mois de septembre 2023...pour atteindre ultérieurement quasiment1 200 € brut, soit 85% du Smic. A condition d’avoir une carrière complète !
🔴Les « carrières longues » et les « métiers pénibles » devront travailler plus longtemps, alors qu’il est déjà difficile aujourd’hui de bénéficier de ces reconnaissances. En 2022, seulement 125 784 personnes sont parties de manière anticipée à la retraite, grâce au dispositif « carrière longue », selon le ministère du Travail.
🔴 Actuellement pour profiter d’un départ anticipé pour « carrière longue », il faut avoir cotisé quatre ou cinq trimestres avant la fin de ses 18 ans, pour un départ à 58 ans, ou avoir cotisé quatre ou cinq trimestres avant la fin de ses 20 ans pour un départ à 60 ans.
🔴 Selon Élisabeth Borne, la réforme Macron sera « une améliorationpour les carrières longues». En réalité,le départ sera toujours anticipé de deux, quatre ou six ans avant l’âge légal (64 ans), mais en travaillant donc deux ans de plus :
Ceux qui ont commencé à travailler à 14 ans, pourrontpartir à 58 ans;
Ceux qui ont commencé à travailler à 15 ans, pourrontpartir à 59 ans;
Ceux qui ont commencé à travailler à 16 ans, pourrontpartir à 60 ans, contre 58 ans actuellement ;
Et ainsi de suite…
🔴 Les « métiers pénibles » devront également travailler plus longtemps.Pourtant, en 2022 déjà, seulement 9596 personnes ont bénéficié du dispositif « pénibilité », selon le ministère du travail. Actuellement, un compte pénibilité existe, qui permet de bénéficier d’un départ anticipé au mieux de deux ans.Les critères de pénibilité qui sont pris en considération ne sont plus qu’au nombre de six ; ils étaient dix auparavant, mais quatre d’entre eux ont été supprimés en octobre 2017, soit cinq mois seulement après l’arrivée au pouvoir du président Macron.De quoi faire douter d’une réelle volonté d’améliorer ce dossier.
Pourtant de nombreux métiers devraient être mieux pris en compte: ouvriers de l’industrie ou du BTP, agents d’entretien, aides à domiciles, caissières…
🔴 Par ailleurs, les « régimes spéciaux » seraient supprimés.Les nouveaux embauchés à la RATP, dans la branche industries électriques et gazières (IEG) et à la Banque de France seront notamment affiliés au régime général pour la retraite, a précisé la cheffe du gouvernement. Ce « chiffon rouge » a toujours été utilisé par les gouvernements pour opposer les salariés les uns aux autres, monter l’opinion publique contre une catégorie de salariés, afin d’imposer une régression des droits existants ou futurs de l’ensemble des régimes.L’anticipation de départ à la retraite pour certaines fonctions professionnelles, pour des raisons de pénibilités, comme à la RATP, dans les IEG, à la SNCF, etc., devrait, au contraire, être étendue à de nombreux salariés du privé.Une exception au système général reste néanmoins prévue par le projet Macron pour les professions libérales, les avocats, ainsi que pour les marins, les salariés de l’Opéra de Paris et de la Comédie française.
Les fonctionnaires qui exercent des métiers pénibles (dits « de catégorie active ») verraient, en revanche, leur âge de départ lui aussi repoussé de deux ans.Concrètement, les pompiers, policiers ou infirmiers pourraient alors faire valoir leurs droits à la retraite à 54 ou 59 ans, selon le métier exercé, contre 52 et 57 ans actuellement.
Par William Martinet député France insoumise #nupes ⚠️ Retraite minimum à 1200€ ? Mensonge ! 🕐 2 minutes pour comprendre la dernière arnaque du gouvernement. #StopRetraiteMacron #ReformesDesRetraites
L’heure de vérité Emmanuel Macron est déterminé, ne cesse-t-il d’affirmer. Il veut laisser son empreinte, avec cette réforme, lors de son dernier quinquennat. Il ne laissera pas s’éterniser les débats à l’Assemblée nationale :
soit il reçoit le soutien des Républicains, déjà quasiment acquis ;
soit il utilise le 49-3 ;
(NDLR : voir il intègre la réforme dans un projet de budget de la Sécu rectificatif, cette option pourrait permettre à l’exécutif d’éviter d’avoir recours à un 49-3 en jouant sur les délais d’examen des lois de financement de la Sécu prévus à l’article 47-1 de la Constitution. Au bout de 20 jours de débat à l’Assemblée, le texte pourrait être transmis sans vote au Sénat[2]).
🔴 Pourtant, cette réforme est rejetée par 8 Français sur 10[12].
60% des Français disent "soutenir" ou éprouver de la " sympathie " à l'égard de la mobilisation contre la réforme des retraites[13] ;
Le soutien à la mobilisation contre la réforme des retraites monte à 67% chez les employés, 65% chez les ouvriers et 68% chez les 50-64 ans[13] ;
46% des personnes interrogées se disent prêtes " à se mobiliser " contre le projet du gouvernement " dans les prochaines semaines.[13] "
Toutes les organisations syndicales y sont opposées et sont déterminées à construire, ensemble, des mobilisations unitaires, avec grèves et manifestations, en janvier et février.
Réunis à la Bourse du travail, à Paris, les syndicats – la CFDT, Force ouvrière, la CFE-CGC, l’Unsa, Solidaires, la CFTC, la FSU et la CGT – ont appelé, mardi 10 janvier, les salariés à se mobiliser « fortement », lors d’une première journée de manifestations et de grève, le jeudi 19 janvier.
👇 Elles ont reçu le soutien politique de la #Nupes
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Une autre solution : le programme partagé de gouvernement de la NUPES[14] 📌 Garantir une retraite digne, ce qui signifie :
Restaurer le droit à la retraite à 60 ans à taux pleinpour toutes et tous après quarante annuités de cotisation avec une attention particulière pour les carrières longues, discontinues et les métiers pénibles ;
Maintenir l’équilibre des retraites en soumettant à cotisation patronale les dividendes, participation, épargne salariale, rachats d’actions, heures supplémentaires, en augmentant de 0,25% par an le taux de cotisation vieillesse et en créant une surcotisation sur les hauts salaires ;
Rétablir les facteurs de pénibilité supprimés par Emmanuel Macron ;
Porter à minima au niveau du SMIC revalorisé toutes les pensions pour une carrière complète, et le minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté ;
Prendre en compte le revenu de solidarité active (RSA) pour valider des trimestres en vue de la retraite ;
Indexer le montant des retraites sur les salaires ;
Interdire au Fonds de réserve pour les retraites d’investir dans des secteurs polluants ;
📌 Augmenter les salaires et réduire les inégalités salariales dans l’entreprise :
Porter immédiatement le SMIC mensuel à 1 500 € net et accompagner les TPE/PME ;
Organiser une conférence sociale générale sur les salaires ainsi que dans chaque branche, qui aborderont notamment :
les augmentations de salaires, notamment pour les métiers occupés majoritairement par des femmes dans les secteurs du soin, du lien et du contact ;
lesécarts de salaires : limiter l’écart de 1 à 20 entre le salaire le plus bas et celui le plus haut dans une entreprise ;
la répartition de la valeur : fixer un seuil minimal pour les revalorisations salariales, afin que la somme consacrée aux revalorisations salariales soit au moins égale à la croissance du retour à l’actionnaire (dividendes et rachats d’actions) ;
l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (salaires, formations, carrière, promotions…) : augmentation des sanctions financières et pénales (amendes, refus d’attribution de marchés publics), création de commissions de contrôle salarié dans les entreprises ;
la formation, les parcours professionnels et les conditions de travail ;
Revaloriser le traitement des fonctionnaires et dégeler le point d’indice;
Interdire les parachutes dorés et les retraites chapeaux ;
Supprimer les stock-options.
« Pour nos retraites, une seule solution, faire front ensemble » : 250 syndicalistes appellent à la grève du 19 et à la marche du 21 janvier[15] !
Seule l’action de ceux qui pensent qu’un autre monde est possible et agissent localement et globalement en ce sens permette qu’autre chose n’advienne que cet impérialisme (pas « super » du tout) et arrête ces impérialistes fauteurs de guerre...
Un spectre hante le monde en ces années vingt du vingt et unième siècle, celui de l’impérialisme, ou plus précisément de la guerre inter-impérialiste (et donc mondiale). C’est reparti « comme en 14 » ?
Sources :&ATTAC par Bernard Dreano[1] | Le super-impérialisme ?
Il faut d’abord revenir aux sens du mot.Quand on parle de l’impérialisme, on fait généralement allusion à une forme de l’économie capitaliste globalisée, un concept qui émerge au début du XXe siècle, dans les milieux marxistes et autres. Mais les impérialistes font plutôt référence aux activités politiques (et militaires) des grandes puissances, à leur emprise sur tout ou partie du monde (sous forme juridique « d’empires » comme les empires d’Europe centrale ou les empires coloniaux, ou non, comme la « république impériale » dominatrice des États-Unis). Les deux niveaux se distinguent, mais se recoupent aussi.
Le premier qui parle d’impérialisme est sans doute l’économiste libéral britannique John A. Hobson, avec son livre de 1902 " Imperialism : A Study ", décrivant le système de l’oligarchie capitaliste. Des membres de la IIe internationale vont reprendre et approfondir ce concept, par exemple du côté des radicaux russes, les bolcheviks Lénineet Nicolas Boukharine, ou des réformistes sociaux-démocrates, l’Autrichien Rudolf Hilferding et l’Allemand Karl Kautsky (deux stars de la social-démocratie bien oubliées aujourd’hui).
Pour tous, l’impérialisme, c’est le capitalisme mondialiséavec la possession monopolisée des territoires d’une planète entièrement partagée, conséquence de la concentration de la production et du capital, de la fusion du capital bancaire et financier, de l’exportation massive de capitaux. Le « stade suprême du capitalisme » (Lénine) avant la crise finale de ce système et l’avènement du socialisme. Kautsky entrevoit la perspective d’un super-impérialisme, un monde « cartellisé », mais ouvert (libre-échangiste) permettant de passer pacifiquement au socialisme, tandis que la gauche (Lénine, Rosa Luxembourg) voit dans cette utopie la justification d’une soumission d’une aristocratie ouvrière profitant du système capitaliste mondialisé, au détriment des plus pauvres et des régions périphériques du monde.
À l’époque l’oligarchie, les « trusts » (on ne parle pas encore de multinationales), se développent à partir de bases nationales, dans les principales puissances où les États et les élites sont volontiers impérialistes au sens plus trivial du mot, c’est-à-dire imbus de supériorité « civilisationnelle », avides de conquêtes, et fortement militarisés.Il en résulte la Première Guerre mondiale, une guerre donc clairement inter-impérialiste[2].
À peine celle-ci terminée, le système financier mondial connait la crise de 1929 (qui part des États-Unis), immédiatement perçue comme LA crise majeure (sinon finale) de l’impérialisme.
Les conséquences de la Première Guerre mondiale et de la crise de 1929 provoquent la Seconde Guerre mondiale, une guerre inter-impérialiste comme la première, même si elle n’est pas que cela.
La Seconde Guerre mondiale n’entraîne pas du tout l’effondrement du système capitaliste-impérialiste, mais débouche sur la tripartition du monde.
Incontestables triomphateurs, les États-Unis d’Amérique imposent leur domination sur le monde capitaliste (dit « libre »), grâce à leur force militaire, le privilège de leur monnaie associé à la prééminence des « institutions de Bretton Woods » (Fonds monétaire international et Banque mondiale) sur toutes les structures des nouvelles Nations unies, la puissance de leurs grandes entreprises, la diffusion de leurs biens culturels. Un impérialisme sous pilotage états-unien même si des contradictions demeurent, au sein duquel existent quelques « impérialismes secondaires », jouissant d’un relative autonomie d’action (on peut effectivement parler d‘impérialisme français[3][4]).
Face à ce bloc « occidental » s’affirme un camp (dit « socialiste »), qui échappe objectivement au système impérialiste au sens défini précédemment, car il n’est à l’évidence pas dominé par le capital financier, et qui se développe largement séparé du reste du monde. Mais où existent des tendances impérialistes, dominatrices et expansionnistes au deuxième sens du mot. Après leur rupture avec l’URSS en 1960-62 les Chinois décriront celles-ci comme « social-impérialisme ».
Dès 1920, Alexandre Zinoviev, le bolchevik, alors dirigeant de la toute jeune IIIe Internationale, avait proclamé au Congrès des peuples d’orient à Bakou, le « Djihad contre l’impérialisme ». C’est que, dès l’après-Première Guerre mondiale se levait le mouvement d’émancipation des peuples contre la domination impérialiste et coloniale. Elle allait s’amplifier après la Seconde Guerre mondiale, avec ce que l’économiste français Alfred Sauvy appelait « le tiers-monde », et s’incarner politiquement dans le Mouvement des non-alignés[5], des États refusant l’alignement sur les deux blocs et se réclamant peu ou prou de « l’anti-impérialisme ».
Cette deuxième partie du XXe siècle connaît de très grandes mutations technologiques qui vont modifier le monde de la production et des échanges avec la troisième révolution industrielle (celle de l’électronique et de la bio-ingénierie)[6]
Les formes de l’impérialisme se modifient, une nouvelle division du travail s’organise au niveau mondial. Aux côtés des grandes entreprises multinationales traditionnelles (industrie, extraction) apparaissent progressivement de nouvelles entreprises géantes dans le numérique et le commerce. Surtout les échanges monétaires s’amplifient de manière exponentielle, accentuant la domination du capital financier transnational qui l’accompagne et la constitution d’une nouvelle oligarchie de super-riches.
André Gunder Frank, Samir Amin et d’autres décrivent ce monde comme un système avec son « centre » et ses périphéries (pays - ou secteurs à l’intérieur des pays, semi-périphériques et périphériques). Immanuel Walerstein fera la description la plus aboutie du système-monde[7], avec cetteéconomie dite « de marché » mondialisée, gérée par le modèle néolibéral basé sur le libre-échange, c’est-à-dire la concurrence féroce et totalement faussée.
L’extension de ce modèle inégalitaire s’accentue à la fin du siècle.À partir de 1995, l’Organisation mondiale du commerce impose ses règles (de dérégulation) au détriment des droits des personnes, des communautés, des États et de la nature. Entretemps, le bloc soviétique, miné par ses contradictions internes et par la pression néolibérale s’est effondré.
Cette fois-ci nous y sommes, est-ce le super-impérialisme ?
C’est ce que pense l’américain Francis Fukuyama, mais ce n’est pas du tout l’antichambre du socialisme mondial dans rêvait Kautsky,c’est la « fin de l’histoire » et le triomphe d’un modèle capitaliste auquel adhèrerait plus ou moins la planète entière. Le règne de « l’Empire », expliquent en 2000 Toni Negri et Michael Hardt[8], à direction américaine est un « ultra-impérialisme » où ce ne sont plus les États qui font la loi, mais les transnationales.
Les États les plus faibles se disloquent ;
dans l’ensemble les États, même ceux encore puissants, abandonnent leur rôle de médiateur entre l’économie nationale et les forces économiques externes, et deviennent des agences responsables d’adapter l’économie locale aux besoins du marché global.
Toutefois ce système monde est loin d’être ordonné, il est profondément injuste et violent,ce qui provoque dans les peuples révoltes, développement de mouvements de réaction identitaires, dislocation dans les sociétés et guerres. Il est surtout totalement incapable de répondre aux défis des crises écologiques qui menacent à court terme toute l’économie.L’hégémonie économico-politico-militaire du bloc « occidental » (les États-Unis, leurs alliés européens et de la zone Pacifique) est remise en cause, avec les échecs militaires, de l’Irak à l’Afghanistan ou à l’Afrique sahélienne, et surtout l’émergence d’autres puissances dans la nouvelle configuration de la division mondiale du travail, en particulier la Chine.
La guerre en Ukraine, première étape d’une guerre inter-impérialiste généralisée ?
Cela signifie-t-il que nous sommes entrés dans une nouvelle phase, pouvant déboucher sur un conflit inter-impérialiste majeurcomme au début du XXe siècle, avec comme moteur l’affrontement entre la Chine, puissance émergente et les États-Unis, puissance déclinante[9] ?
Et, dans ce contexte, la guerre engagée par la Russie contre l’Ukraine serait-elle un avant-goût de la conflagration générale, un peu comme les guerres balkaniques des années 1912-13 avant la mondiale de 1914 ?
La politique de la Fédération de Russie est, au début du XXIe siècle, clairement impérialiste au sens d’une politique de conquête (dans l’esprit de Poutine, de reconquête), de territoire et de zone d’influence, portée par une idéologie nationaliste suprématiste mêlant références néo-tsaristes et post-staliniennes.Les Ukrainiens sont victimes des impérialistes russes, ce qui ne signifie pas pour autant que la Russie, avec son État, et ses oligarques, soit encore une actrice impérialiste majeure au sein du « système monde », ce qu’était l’URSS entre 1945 et les années 1980. C’est une puissance moyenne (PIB de l’Italie), qui n’est riche que de ses ressources en matières premières et d’abord des hydrocarbures, et surtout disposant d’un appareil militaire surdimensionné (mais dont l’efficacité s’avère limitée) et d’un stock considérable d’armes nucléaires (argument politique, mais dont l’utilisation pratique est plus que problématique). Disposant de la capacité de paralyser l’ONU grâce à son droit de véto, Poutine espère compter sur des alliés inquiets de la puissance que conserve « l’Occident », ou soucieux de rompre avec « l’hégémonie » du super-impérialisme américain.
Le soutien de cet Occident, d’abord états-unien, aussi européen, aux Ukrainiens peut donner l’impression que la guerre inter-impérialiste est déjà en cours. D’autant qu’une rhétorique datant de la guerre froide, considérant cette guerre comme celle du monde « libre » contre le « totalitarisme » fleurit.
Simple guerre locale d’agression impérialiste russe contre l’Ukraine ou (et ?) lever de rideau du grand affrontement ?
La situation n’est pas celle qui prévalait dans les années 1905-1914 sur plusieurs plans : les systèmes d’alliance ne sont pas stables comme ils l’étaient (plus ou moins) en Europe au début du XXe siècle ni comme les « blocs » de la guerre froide. L’interdépendance économique, qui existait au début du XXe siècle et que certains pensaient alors comme facteur de paix, est aujourd’hui beaucoup plus forte qu’à l’époque. Cependant,si la reproduction d’un scénario de type 1914 est peu probable, la situation est loin d’être rassurante pour autant.
La volonté de puissance chinoise d’une part, la volonté américaine de reprendre le contrôle d’autre part (cf. Trump), sont inquiétantes.
La course aux armements qui reprend un peu partout, quantitativement et qualitativement, est dangereuse.
La crise même du système monde impérialiste provoque crispations nationalistes et hystéries identitaires à une échelle inconnue depuis les années 1930.
Enfin, et surtout, la criminelle passivité des grandes puissances, États comme entreprises multinationales, face au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, va provoquer, provoque déjà, des situations intolérables qui vont à court terme décupler conflits et violences…
...À moins que l’action de ceux qui pensent qu’un autre monde est possible et agissent localement et globalement en ce sens permette qu’autre chose n’advienne de cet impérialisme (pas « super » du tout) et arrête ces impérialistes fauteurs de guerre.
Notes :
[1] Bernard Dreano est président du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale CEDETIM, cofondateur de l’Assemblée européenne des citoyens AEC/HCA-France
C’est un secret bien gardé à Bercy : le montant des " aides " publiques dont bénéficient les entreprises : 157 milliards d'€ par an c'est le " pognon de dingue " que nous coûtent nos grandes entreprises[0] !
Le coût du capital. Chaque année, l’État déverse au moins 157 milliards d’euros d’aides publiques aux (grandes) entreprises, sans aucune contrepartie[1]. Un pognon de dingue dénoncé aussi par la CGT[1bis]. Un chiffre choc révélé par des chercheurs du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé)[2], à la demande de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires). Un chiffre qui représente au moins 41% du budget de l’État selon l'Ires[3]. Deux fois le budget de l’Éducation nationale. Un chiffre sous estimé, et en folle explosion.
Les chercheurs de l’Ires estiment à 8,4 % du PIB le montant total des aides publiques reçues par les entreprises[3] souvent inefficaces (CICE, CIR) et injustes (régime " mère-fille "[3bis])...
L’évolution du coût du capital en France donne en effet le tournis : il passe de moins de 10 milliards d’euros en 1980, à 157 milliards aujourd’hui. Une augmentation de 1470% ! Un chiffre qui serait de plus sous estimé, selon l’économiste Mathieu Cocq. Si on ajoute à ces 157 milliards d’aides publiques aux entreprises (qui vont essentiellement aux grands groupes du CAC40, pas aux PME), les « mesures déclassées » (des mesures qu’on décide de ne plus compter, considérant qu’il s’agit de la nouvelle norme fiscale), on arrive à plus de 200 milliards d’euros. 200 milliards chaque année ! Et ce, sans contrepartie sociale ni environnementale.
Alors que le débat public se focalise largement sur le « coût du travail », la fraude sociale (700 millions d’euros par an), les « assistés », la « gauche des allocs[4] », il est capital de démasquer les parasites d’en haut, les responsables de la crise sociale et climatiques, dont on ne parle jamais, qu’on ne voit jamais. Pourtant, eux, pour le coup, nous coûtent vraiment un pognon de dingue.
+1470% d’augmentation des aides publiques consacrées à nos (grandes) entreprises en 40 ans « Vous voyez ce que ça fait déjà un million Larmina ? ». Cette réponse sexiste du film OSS117 a au moins le mérite de poser la question de l’échelle de grandeur. Qui, parmi nos lecteurs, se représente ce que ça fait un milliard ? Déjà, qui se représente ce que ça fait un million ? Qui a un millier d’euros sur son compte à la fin du mois ?Certains grands groupes, arrosés de milliards d’argent public ont des milliards. L’argent du contribuable, votre argent.
Parlons milliards. En 1979, le montant des aides publiques aux entreprises représentait 9,72 milliards d’euros.Déjà beaucoup. Une étude du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé), commandé par l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) et par la CGT, va vous faire tourner la tête.Son manège à elle, c’est d’apporter au débat public le coût du capital.On parle à longueur d’antennes du « coût du travail », ou encore des « assistés » (d’en bas), mais jamais de ce que nous coûte ceux d’en haut.
Ce coût, il a explosé en 40 ans :un bond de plus 1470% !Le coût du capital représentait en 2019…156,88 milliards d’euros(cf graphique ci-dessous).
157 milliards déversés sans aucune contrepartie éthique, sociale ni environnementale : faites ce que vous voulez mes Seigneurs, mais que ça ruisselle ! 157 milliards c’est le chiffre que vous devez retenir pour vos futurs débats autour de la buche de noël avec votre oncle de droite. Tonton, le CAC40 que tu défends, qui crée de l’emploi, il nous coûte un pognon de dingue.
Et ces milliards et ces milliards, ils sont déversés sans aucune contrepartie (les exigences portées par les insoumis : " Pas d’argent magique sans contreparties éthiques, sociales et écologiques : nos 10 propositions pour conditionner les aides d’Etat aux grandes entreprises ! " étant rejetées par le gouvernement).
Vous pouvez être arrosés de milliards d’argent public, du contribuable, et « en même temps » reverser des milliards de dividendes et licencier.Mais Bruno Le Maire, notre gentil ministre de l’Économie vous enjoindra, les mains jointes et à genoux, d’être gentil et de partager un peu le magot.
Vous pouvez même lui dire à Tonton, que ce chiffre de 157 milliards, il est bien sous estimé.Nos grandes entreprises, nos grands seigneurs entrepreneurs, nous coûte encore plus d’oseille, si on on ajoute à ces 157 milliards les « mesures déclassées » (des mesures qu’on décide de ne plus compter, considérant qu’il s’agit de la nouvelle norme fiscale), on arrive à plus de 200 milliards d’€. 200 milliards chaque année !
200 milliards d’euros[7]... 8% du PIB en 2019... 41% du budget de l’Etat.
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Alors tous les libéraux qui lisez, nombreux, l’insoumission, indignez vous ! Pour réduire la dette publique (surtout ne vous attaquez pas à la dette privée et aux bulles spéculatives, d’où sont venues toutes les dernières crises financières),il faut réduire, mesdames et messieurs les libéraux, les milliards d’euros déversés sur les grands groupes. De l’argent il y en a, dans l’argent gaspillé par l’État.
Pour financer, enfin, la bifurcation écologique de notre modèle économique, pour financer, enfin, un vrai plan de sauvetage de l’Hôpital Public et de l’Éducation nationale, des milliards, il y en.
Qu’on aille les chercher. Qu’on détourne, enfin, la grande diversion médiatique organisée par le capital, de la fraude sociale (700 millions d’euros), de la gauche des allocs, du « coût du travail », vers les parasites d’en haut.63 milliardaires polluent plus que la moitié des Français. 5 milliardaires détiennent autant que 27 millions de Français. Le grand capital vous exploite vous, et détruit la planète. Et il nous coûte un pognon de dingue
Alors que le gouvernement veut faire des économies sur le dos des chômeurs, des retraités,... à quand le grand ménage dans les aides aux entreprises ?
Partagez pour faire comprendre aux " gens " que les adversaires du peuple ne sont pas dans les piquets de grève !
A MÉMORISER !
Le secteur privé coûte au contribuable bien plus cher que nombre de services publics.
C’est deux fois le budget de l’Education nationale, et cela représente 30% du budget de l’État en 2021.
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TIENS AU FAIT.....
" Jour du dépassement capitaliste : à partir de ce 22 septembre 2022, vous travaillez pour... les actionnaires " titrait Marianne[5]
Comme tous les ans, le 22 septembre marque l’anniversaire de la proclamation, en 1792, de la République. Elle n’est alors pas encore « sociale », mais la Fraternité s’apprête à rejoindre l’Égalité et la Liberté dans la trinité républicaine. Ironie du calendrier, cette année, la date coïncide avec le jour du dépassement capitaliste pour les salariés.
À partir de ce jour d’équinoxe, les salariés des multinationales françaises bosseront uniquement pour rémunérer les actionnaires des sociétés du CAC 40.
En dix ans, ils ont capté 45 jours supplémentaires... En détail ci-dessous...
Des entreprises qui contribuent de moins en moins à l'effort collectif
Au total, selon les calculs des experts de l’OFCE, l’écart n’a jamais été aussi grand entre le taux de prélèvements obligatoires des ménages et celui des entreprises, ces dernières contribuant de moins en moins au financement collectif tout en en bénéficiant de plus en plus[6].
Les aides publiques seraient-elles reversées en dividendes ?
Un capitalisme sous perfusion Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises[8] ?
Ceux qui promettent de baisser les impôts de succession (LREM, LR, RN...) veulent donc baisser encore les impôts des + riches et augmenter les inégalités.
Un peu plus de la moitié des ménages héritent au moins une fois au cours de leur vie. 87 % des héritages reçus sont inférieurs à 100 000 euros. Des données qui éclairent le débat sur les frais de succession
37 % des ménages ont reçu au moins un héritage au cours de leur vie, selon une étude de l’Insee (données 2018).
Le problème, c’est que ce chiffre comprend de très jeunes qui font baisser la moyenne. Parmi les plus âgés, 54 % des 60-69 ans et 53 % des 70 ans ou plus ont hérité. Au bout du compte, la part des ménages qui vont toucher au moins une fois un héritage dans leur vie ne dépasse pas de beaucoup les 50 %.
Parmi les héritages reçus, deux tiers sont inférieurs à 30 000 euros et 87 % inférieurs à 100 000 euros. Au sein de ceux-ci, le montant hérité peut être bien plus élevé, mais l’institut statistique n’en divulgue pas le détail. Pour l’immense majorité des héritiers, ces sommes permettent de changer de voiture, de disposer d’un apport pour un achat immobilier ou de s’offrir les congés dont ils rêvent, guère plus.
Ces données éclairent le débat sur les droits de succession. 100 000 euros, c’est exactement le montant de l’abattement appliqué aux successions de chacun des parents à chacun de ses enfants. Sous ce seuil, l’héritage n’est pas taxé. Les Français connaissent mal les droits de succession, car une très faible portion de la population y est soumise.
Beaucoup de données manquent. On ignore la part des ménages qui auront hérité d’un patrimoine important à la fin de leur vie[1]. Certains ménages peuvent avoir bénéficié de plusieurs successions qui, au total, représentent une somme supérieure à 100 000 euros. De plus, comme l’indique l’Insee, le montant transmis n’est pas connu pour 14 % des héritages. Il faudrait ajouter les donations reçues de son vivant qui concernent moins de 20 % des ménages, mais représentent un flux global presque aussi important que les héritages[2].
Notes :
[1] Les dernières données fiscales à ce sujet, à notre connaissance, remontent à 2006.
[2] « L’évolution de long terme des transmissions de patrimoine et de leur imposition en France », Clément Dherbécourt, Revue de l’OFCE n° 161, Sciences Po, 2019.
Le débat actuel sur le pouvoir d’achat des Français repose avec une certaine acuité la question du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits, entre revenus du travail et revenus du capital.
Introduction
Probablement conseillés par des cabinets de conseil en ingénierie sociale de manipulation, une fois de plus, les macroniens utilisent une expression employée par leurs adversaires politiques (la NUPES[1]) pour en falsifier le sens : en l’occurrence « partage de la valeur » réduite ici à l’octroi de primes « pouvoir d’achat » par les employeurs. On remarque tout de suite le caractère non structurel, c’est-à-dire non permanent, non universel et aléatoire de ce type de versement. Celui-ci est exempté des cotisations sociales et n’entre pas dans le calcul de la retraite.
En macroéconomie, lorsque l’on parle de partage de la valeur ajoutée, c’est le partage du PIB entre la somme des salaires et la somme des profits sachant que les cotisations sociales sont considérées comme salaires indirects et les pensions de retraite comme salaires différés. Comme il a été dit par plusieurs représentants de la Nouvelle Union Populaire[1], ces primes ne permettent même pas de neutraliser l’inflation en 2022.
Remarquons que ce procédé ne se réduit pas à une simple manœuvre politicienne de bas étage mais constitue un moyen redoutable de brouillage idéologique et « d’essorage sémantique » altérant le sens non seulement d’un mot mais d’un concept.
Le partage de la valeur ajoutée : un enjeu économique et politique crucial. Nota : la valeur ajoutée représente les richesses produites dans les entreprises lorsqu’elles transforment les biens et les services pour leur production.
Le débat actuel sur le pouvoir d’achat des Français repose avec une certaine acuité la question du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits, entre revenus du travail et revenus du capital....
🔎 Comment expliquer la déformation du partage de la valeur ajoutée depuis 30 ans ?
Le partage de la valeur ajoutée revient comme un thème majeur de recherche en économie. Les dernières décennies ont en effet été marquées par une déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment du travail. Dans cette interview, Sophie Piton nous éclaire sur les différentes causes de cette tendance de long terme, aujourd'hui discutées par les économistes : le progrès technique, la mondialisation, le renforcement de la concentration, les changements de gouvernance dans les grandes entreprises.
Pour accéder à l'interview de Sophie Piton, cliquez sur l'image
Les « ordres de grandeur » sélectionnés dans les visuels de la CGT ci-dessous peuvent contribuer à faire comprendre que les décisions économiques sont des décisions politiques, et qu’il y a donc toujours une alternative.
Derrière les milliards dont nous abreuvent les gros titres de la presse se cachent des choix !
Très éloignés du quotidien de fin de mois difficiles de la masse des salariés, il nous est souvent compliqué d'en mesurer les conséquences sur notre vie. La CGT publie un petit dépliant qui devrait vous aider à rétablir, sur quelques grandes données économiques, les ordres de grandeur de ce " pognon de dingue " dont on parle et valider l'idée que le partage de la valeur ajoutée est un enjeu économique et politique crucial urgent.
Les chiffres donnés ici sont simplement des ordres de grandeur pour mettre les choses en perspective. Cela ne signifie pas qu’il y a un lien direct entre les données ou encore que l’on pourrait remplacer l’un par l’autre directement.
Partage de la Valeur ajoutée : à qui profite la création de richesse
La course aux profits : stop ou encore ?
Cadeaux fiscaux : quel coût pour le budget de l'Etat ?
Des dividendes toujours à la hausse : aux dépens de qui ?
CAC 40 : l'indécence (même en temps de crise)
Baisse de l'impôt sur la fortune : qui paie le manque à gagner ?
Aides publiques aux entreprises : quel coût pour la collectivité ?
Fraude et évasion fiscale : quels poids dans le déficit public ?
En finir avec le capitalovirus. L’alternative est possible !
Extraits de la conférence débat organisée par l’association Rencontres Marx Montpellier, soutenue par Les Amis du Monde diplomatique Montpellier et Attac Montpellier le mardi 10 mai 2022 à Montpellier avec Jean-Marie HARRIBEY coprésident du conseil scientifique d’ATTAC France, (...)
Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT de 1978 à 2022.
La France insoumise
Pour une MAJORITÉ POPULAIRE, renforcer la France insoumise pour GAGNER !
🔴 La France insoumise et ses 71 députés sont au service des Françaises et des Français face à l'inflation et l'accaparement des richesses par l'oligarchie.
✅ La dissolution, nous y sommes prêts !
Avec la #Nupes, la France Insoumise propose l’alternative
📌Pourquoi La France insoumise, ses origines ? La France insoumise : comment ? La France insoumise : pour quoi faire ?
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