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31 juillet 2017 1 31 /07 /juillet /2017 18:27
Le verrou de Bercy toujours bloqué par la force politique du Capital

La soumission de " la République en marche "

Rejet de la suppression du verrou de Bercy : une occasion ratée de lutter contre la fraude fiscale !

 

Sources : ATTAC France  le 21 juillet 2017

Pour lutter réellement contre la fraude et l’évasion fiscales, Attac propose une série de mesures concrètes, parmi lesquelles la suppression du verrou de Bercy.

 

Le « verrou de Bercy » désigne le monopole du ministère du Budget sur les décisions de poursuites judiciaires pour fraude fiscale : en France, seul Bercy peut engager des poursuites pénales pour fraude fiscale, sur avis de la commission des infractions fiscales, qui filtre les dossiers de fraudeurs susceptibles d’être transmis à la justice. De ce fait, chaque année, seulement 2 % des infractions fiscales sont transmises à la justice, un ratio à faire pâlir d’envie tous les autres délinquant·e·s ! Il faudrait au contraire permettre à la justice et au fisc d’agir en toute indépendance par rapport au pouvoir politique. Faire sauter le « verrou de Bercy », c’est supprimer le monopole du ministre du Budget en matière d’ouverture de poursuites pénales et supprimer la commission des infractions pénales. Cette revendication a une portée symbolique forte. Elle est portée largement par la société civile.

 

Le Parlement a failli voter cette suppression. Le 11 juillet, le Sénat avait adopté – contre l’avis du gouvernement – un amendement demandant la suppression du verrou de Bercy. Mercredi 20 juillet les députés de la « République en marche ! » ont rétabli de justesse en commission des lois ce verrou (25 voix contre 24).

 

Plutôt que de chercher à économiser quelques milliards d’euros en gelant le point d’indice des fonctionnaires, en remettant en cause les APL ou en dégradant encore les services publics, le gouvernement ferait mieux de s’attaquer à l’évasion fiscale : rappelons qu’elle ampute chaque année les budgets publics de 60 à 80 milliards d’euros, soit l’équivalent du déficit public. Pourquoi le gouvernement ne donne-t-il pas la priorité à la lutte contre l’évasion fiscale ? Ne devrait-il pas renforcer les effectifs du fisc et de la justice, notoirement insuffisants pour lutter contre l’évasion fiscale ?

 

Attac se félicite que les débats parlementaires aient fait apparaître un large soutien à cette mesure (votée par des députés de la France insoumise, du Parti communiste, du Parti socialiste, du MoDem, du groupe Les Constructifs et de Les Républicains), qui n’a donc été rejetée que par la volonté du gouvernement suivie par la majorité LREM. Cela montre que les revendications que nous portons ne demandent qu’un peu de volonté politique.

 

Attac poursuivra dès la rentrée ses actions afin d’obtenir de nouvelles avancées concrètes dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

 

ATTAC France

 

Pour en savoir plus :

- Quelques rappels sur l’évasion fiscale par Attac France

 

 

- Les députés de la France insoumise font feu de tout bois pour obtenir la suppression du " verrou de Bercy "

Le 25 juillet 2017 dans le cadre du débat sur le projet de loi pour redonner confiance dans la vie publique, les députés insoumis ont lancé le débat sur le verrou de Bercy. Un débat houleux dans lequel la ministre et la rapporteuse En Marche ont défendu ce verrou qui permet au ministre des Finances de bloquer une enquête sur des fraudeurs du fisc. Sont intervenus pour les insoumis : Alexis Corbière, Éric Coquerel,

Le verrou de Bercy toujours bloqué par la force politique du Capital
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28 juin 2017 3 28 /06 /juin /2017 21:17
La finance vampirise les forces vives du pays  : « Le surendettement provoqué par des prêts prédateurs et la spéculation tuent »

Pour Jean-François Gayraud[1] commissaire divisionnaire spécialiste de l’évasion fiscale et essayiste, la finance mondialisée, boostée par les multinationales, vampirise les forces vives des pays. Avec l’aide de médias inféodés, et d’une justice au pas, elle veut se substituer définitivement à l’État-nation, et menace à court terme nos structures démocratiques.

 

Sources : Le Parti de Gauche Midi-Pyrénées entretien réalisé par Stéphane Aubouard

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L'Humanité : Votre livre, " l’Art de la guerre financière "[2], convoque l’un des grands classiques de la littérature stratégique et militaire, l’Art de la guerre, du Chinois Sun Tzu. Pourquoi ce titre  ?

Jean-François Gayraud : Tout est parti de la crise grecque. Depuis une dizaine d’années, la Grèce est le théâtre d’une guerre financière qui ne dit pas son nom. J’ai été à la fois indigné et étonné de la manière dont le peuple grec a été maltraité. Les médias ont rendu compte de cette affaire de façon à la fois tronquée et surtout xénophobe. Partant de ce constat, je me suis dit qu’il fallait changer de clé de lecture sur la question financière. En convoquant la criminologie et la géopolitique, j’ai ajouté cette fois-ci une autre discipline  : la stratégie ou, si vous préférez, la polémologie.

 

La finance internationale s’est aujourd’hui constituée en puissance, avec des objectifs propres souvent adossés pour des raisons tactiques à des États. Son action relève d’une stratégie militaire, autrement dit de l’hostilité. Or, comme dans toute guerre, il y a un art de la guerre financière. C’est la réalité. En matière financière comme dans beaucoup d’autres domaines, ce ne sont pas toujours les « grandes décisions politiques » qui changent le monde, mais les choix à la fois discrets, techniques et invisibles, donc stratégiques et toujours idéologiques. Ce qui caractérise la pensée conservatrice, c’est qu’elle veut nous faire croire qu’il y a un caractère naturel et inéluctable des situations. Derrière le paravent de la science et de la technique, s’est imposée une croyance selon laquelle les marchés financiers peuvent se substituer à l’État et à la démocratie. Or la dérégulation des marchés est une addition de décisions et de créations humaines. Il s’agit donc d’un problème de choix et de décisions. Tant qu’on ne comprend pas que les rapports de forces existent, que nous sommes dans un univers non simplement de concurrence comme le pensent les libéraux dogmatiques mais aussi d’hostilité, on passe à côté de l’essentiel.

 

 

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L'Humanité : De quelle stratégie use la finance pour mener cette guerre  ?

Jean-François Gayraud : La finance aime la ruse et brouille les pistes. Elle sait créer de la distance et avance masquée  : cette distance est à la fois géographique, sociale et médiatique, si bien que le lien de causalité est difficile à établir entre les dommages sociaux et leurs causes profondes. Je prends dans mon livre l’exemple de la hausse des suicides en Grèce, liés aux décisions brutales des prêteurs internationaux et des différents gouvernements grecs qui ont jeté la population dans la pauvreté à coups de mémorandums et de surendettement. Il s’est produit le même phénomène aux États-Unis avec la crise des subprimes. Le surendettement provoqué par des prêts prédateurs et la spéculation tuent, ce n’est pas une métaphore. Quand, du jour au lendemain, le cours du blé augmente, que le prix de l’électricité ou de l’eau atteint des sommets, des gens se nourrissent moins bien, se chauffent moins bien, et il est évident que cela affaiblit, blesse et tue. Ces morts ne sont pas des dommages collatéraux. Encore faut-il savoir observer et nommer cette réalité.

 

 

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L'Humanité : Vous voulez dire que les intellectuels ont déserté les rangs sur ce sujet…

Jean-François Gayraud : En un sens, oui. Il faut apprendre à renommer correctement ces phénomènes et à savoir les analyser. Aujourd’hui encore, en « science économique », qui se définit comme une discipline positiviste, le crime n’a pas d’étiologie spécifique. Les économistes ne veulent pas voir que, lorsque le crime se systématise, il détruit des richesses, modifie en profondeur le fonctionnement des marchés et transforme l’environnement. Pour eux, le crime n’est qu’un accident, un déplacement de valeurs, aux conséquences mineures. Les sociologues en revanche ont réussi à aborder la question. Je pense notamment à l’Américain, Edwin Sutherland, qui a créé le concept de criminalité en col blanc dans l’entre-deux-guerres. Il a su montrer l’omniprésence de ces crimes, malgré leur quasi-invisibilité matérielle, sociale et judiciaire. Malheureusement, la sociologie est actuellement dans la déconstruction de tous les concepts de criminalité, ce qui amène à un relativisme dangereux et à des comportements d’impunité inégalés. Si vous expliquez que le crime n’existe pas en général, comment l’appliquer ensuite aux criminels financiers  ?

 

Mais tout celà n’est pas le fruit du hasard. L’idéologie libérale est commune à peu près à toutes les élites, et couvre un très large spectre allant de la droite à la gauche. Si bien qu’il existe une réelle convergence intellectuelle, et non une opposition, entre l’esprit de Mai 1968 et le Medef aujourd’hui. Cette idéologie libérale/libertarienne, qui fait l’éloge de la libération de tous les désirs, alimente le consumérisme et la machine capitaliste. Elle est l’élément clef de la toute-puissance des marchés et elle a pour adversaire, pour ennemi même, l’État-nation, socle pourtant de la solidarité et de la liberté.

 

 

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L'Humanité : Cette idéologie ultraconservatrice attaque l’État-nation mais aussi les valeurs de citoyenneté et de travail…

Jean-François Gayraud : C’est vrai. Le catéchisme libéral de la médiasphère nous impose une tonalité toujours pleurnicharde sur le coût du travail, et ce de manière lancinante. Tout cela consiste en une vision du monde volontairement hémiplégique quant aux analyses des forces économiques en présence. Il s’agit d’oublier et de taire systématiquement le coût exorbitant du capital toxique et par conséquent de tromper le citoyen.

 

Les vingt-huit banques qui constituent l’oligopole mondial possèdent à elles seules quelque 56 000 milliards d’euros de réserves, tandis que la dette mondiale cumulée atteint environ 47 000 milliards d’euros… Ce que ces chiffres démontrent par leur aberration et leur côté irréel, c’est qu’il y a une masse financière qui vit sa propre vie et qui est déconnectée de l’économie réelle. C’est un fait majeur et nouveau dans l’histoire humaine, deux époques sont aujourd’hui clairement identifiables  : une première durant laquelle la politique pouvait encore affirmer son autorité sur le financier, puis celle qui, lentement mais sûrement depuis le XIXe siècle, a inversé ce rapport de forces, avec un monde de la finance qui assoit jour après jour sa domination sur le pouvoir politique et même judiciaire. Depuis les années 1980, quels que soient les pays, la finance n’est plus confrontée au droit punitif  ; il y a une réelle impunité pénale. On se situe dans un mode de gestion judiciaire qui relève de la transaction pénale. Or un « bankster » réagit comme n’importe quel autre criminel  : il ne s’arrête que lorsqu’on l’arrête. Le grand scandale, et historiquement la faute de Barack Obama, dans la gestion de l’après-crise des subprimes ayant conduit à la misère des centaines de milliers d’Américains, aura été l’absence de sanction pénale contre les banquiers fraudeurs.

 

 

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L'Humanité : Cette absence de droit financier, c’est aussi l’avènement de ce que vous appelez la « zombicratie »  ?

Jean-François Gayraud : Il est frappant d’observer, comme corollaire à ce système financier, la manière dont les grandes multinationales se sont autonomisées et comment non seulement elles fabriquent des biens et des services, mais aussi comment elles portent un projet de société en dehors de tout choix démocratique. Observons ce que les faux gentils de la Silicon Valley, les Gafa (Google/Apple/Facebook/Amazon), nous proposent comme nouvel « avenir radieux », emballé dans un marketing sirupeux  ! Le libéralisme était l’idéologie motrice du projet démocratique. Aujourd’hui, les deux concepts s’opposent. Cet hyperlibéralisme vient saper les fondements des institutions démocratiques au profit de multinationales industrielles et financières.

 

Ce bouleversement historique nous a conduits à la crise de 2008 et en effet à l’avènement d’une zombicratie, un système avide qui sclérose l’économie. Une grande partie du système bancaire international donne l’apparence de la bonne santé, mais c’est un système mortifère, lesté, grevé de mauvaises dettes donc de prêts non recouvrables, douteux et parfois même frauduleux. Comme dans les films d’horreur, ces morts-vivants ne cessent de revenir à la vie et de se renforcer. Deux raisons à cela  : tout d’abord, les banques ont été sauvées par l’argent du public, avec le sang frais des contribuables. Ensuite, il y a eu le refus généralisé des États d’amener les banquiers fraudeurs à l’origine des bulles immobilières et boursières sur le terrain pénal. Comme il n’y a pas eu de sanctions, ni personnelle ni pénale, le système a continué de fonctionner. Pire encore, des lois sont passées, notamment en France, favorisant l’optimisation fiscale et donc la fuite des capitaux. La loi de fiducie proposée en 2007 en est un exemple flagrant. Cette loi a permis d’introduire le principe anglo-saxon de trust et donc de patrimoine d’affectation dans le droit français.

 

Mais cette philosophie financière ne date pas d’hier. à partir des années 1960, avec une loi de 1973 et enfin avec la dérégulation amorcée dans les années 1980, la France a fait le choix dangereux de ne plus financer sa dette par l’épargne interne et la Banque de France mais en allant sur les marchés financiers ; et ce au nom de la lutte contre l’inflation et de la saine gestion. Depuis, nous avons la tête sur le billot, dépendants des taux d’intérêt pratiqués par les marchés financiers dotés désormais d’un pouvoir disciplinaire sur les États et sur leurs dettes souveraines. C’est vrai pour la France comme pour beaucoup de pays.

 

 

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L'Humanité : Que reste-t-il aux forces démocratiques pour lutter contre cette hydre cancéreuse  ?

Jean-François Gayraud : Il faudrait d’abord que les États cessent d’avoir ce mauvais réflexe de sauver les banques au nom du « too big to fail ». Face à la finance dérégulée, il faudrait redécouvrir les vertus de la punition et de l’interdiction. Ce sont certes des choses que nous n’aimons pas dans notre société spectaculaire et festive comme diraient Guy Debord et Philippe Muray. Or l’idée de punir les criminels financiers est une arme intéressante. D’abord, parce que cela peut freiner la récidive. Et puis parce c’est un mode de régulation fondamental. Subitement, on met une masse critique de droit dans les marchés.

Il y a aussi des exemples de résistance collective. L’Islande, comme le village d’Astérix, a su résister à l’idéologie dominante et aux solutions conformistes et paresseuses. Bien sûr, on peut toujours rétorquer que c’est un petit pays et un cas particulier. Il n’en demeure pas moins qu’il y a eu une réaction civique, populaire, de clairvoyance, de résistance – et dans une relation pourtant très asymétrique au départ, les Islandais ont compris qu’ils pouvaient refuser le diktat de la doxa libérale. Mais ce pays a pu faire jouer sa souveraineté monétaire car il n’était pas encore corseté par les traités européens et l’euro.

 

C’est toute la différence avec ce qui s’est passé en Grèce, bien qu’Athènes eût aussi des armes à faire valoir. Le Grexit que prônait Yanis Varoufakis était une arme redoutable dont le gouvernement grec s’est trop rapidement privé, rendant ensuite la négociation perdue d’avance pour le peuple grec, qui depuis subit l’austérité imposée par la complexe machinerie de prêts internationaux qui ne sert qu’à rembourser des banquiers. Le peuple grec ne voit presque rien de cet argent.

 

Enfin, il reste encore et toujours l’agora. Il faut faire confiance au débat public et à la souveraineté populaire. L’idée qu’une petite élite et un groupe d’initiés seraient les seuls sachant est une affirmation que personne n’est obligé de croire.

 

Note :

[1] Un système capitaliste du crime organisé Le haut fonctionnaire de police est docteur en droit, diplômé de l’Institut d’études politiques et de l’Institut de criminologie de Paris. Auteur d’essais, dont la Grande Fraude. Crime, subprimes et crises financières ou encore le Nouveau Capitalisme criminel (éditions Odile Jacob), Jean-François Gayraud démontre que sur les marchés financiers le crime est systémique. Partant d’une connaissance approfondie du crime organisé, il décortique l’étrange coopération qui se noue entre criminels à col blanc, gangsters et hommes politiques.

[2] L’Art de la guerre financière, de Jean-François Gayraud, éditions Odile-Jacob, 167 pages. 21,90 euros.

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20 février 2017 1 20 /02 /février /2017 09:27

Hausse des salaires, relance par l'investissement, création de plus de 3 millions d'emplois en un quinquennat... Jean-Luc Mélenchon entouré de l'équipe économique en charge du programme a consacré plusieurs heures à détailler le financement de notre programme "L'Avenir en commun" à l'occasion d'une émission spéciale diffusée sur notre chaine YouTube.

 

 

- Extraits de l'émission spéciale chiffrage du programme " L'Avenir en commun "

La France Insoumise chiffre son programme : « L'Avenir en commun, combien ça coûte ? »
La France Insoumise chiffre son programme : « L'Avenir en commun, combien ça coûte ? »
La France Insoumise chiffre son programme : « L'Avenir en commun, combien ça coûte ? »
La France Insoumise chiffre son programme : « L'Avenir en commun, combien ça coûte ? »
La France Insoumise chiffre son programme : « L'Avenir en commun, combien ça coûte ? »
La France Insoumise chiffre son programme : « L'Avenir en commun, combien ça coûte ? »
La France Insoumise chiffre son programme : « L'Avenir en commun, combien ça coûte ? »
La France Insoumise chiffre son programme : « L'Avenir en commun, combien ça coûte ? »
La France Insoumise chiffre son programme : « L'Avenir en commun, combien ça coûte ? »
La France Insoumise chiffre son programme : « L'Avenir en commun, combien ça coûte ? »
La France Insoumise chiffre son programme : « L'Avenir en commun, combien ça coûte ? »

 

- Pour visionner l'intégralité de l'émission spéciale chiffrage du programme

 

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Synthèse du chiffrage du programme de la France Insoumise

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2 janvier 2017 1 02 /01 /janvier /2017 09:23
Jacques Généreux : stop à l’ânerie économique Illustration B. Jaubert. Plainpicture

Jacques Généreux : stop à l’ânerie économique Illustration B. Jaubert. Plainpicture

Pour neutraliser et dépasser la déconomie, "L'avenir en commun " !

 

Le carcan d’une pensée orthodoxe empêche de reconnaître ses erreurs passées. Dans « la Déconnomie », Jacques Généreux tente de remettre à l’endroit une discipline dévoyée par des choix insensés.

Jacques Généreux enseigne l’économie à Sciences-Po depuis trente-cinq ans. Membre des Economistes atterrés, co-animateur du programme de la France insoumise et de son candidat, Jean-Luc Mélenchon, il signe un ouvrage la Déconnomie, qui vient de paraître [1].

 

Sources : Libération interview par Vittorio De Filippis

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Libé. : Qu’entendez-vous par « déconnomie » ?

Jacques Généreux : Notre système économique, c’est-à-dire le capitalisme actionnarial, n’est pas simplement inefficace. Il est criminel, il tue des gens au travail, détruit la planète, infeste l’air et l’alimentation avec des produits cancérigènes. Nos politiques économiques ne sont pas seulement impuissantes à nous sortir de la crise… elles nous y enfoncent ! Quant à la théorie économique dominante, elle « démontre » que la grande récession déclenchée en 2008 était impossible ! Tout cela est, à proprement parler, « déconnant », c’est-à-dire insensé, imbécile et catastrophique. Rien n’est plus troublant que l’aisance avec laquelle une large fraction de nos élites adhère aveuglément au même fatras d’âneries. La « déconnomie » est le nom de cette épidémie de bêtises.

 

 

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Libé. : Comment ce système a-t-il pu se mettre en place ?

Jacques Généreux : il trouve ses racines dans la dérégulation financière et dans la mise en compétition mondiale des territoires qui a donné les pleins pouvoirs aux détenteurs de l’argent. La libre circulation des capitaux permet à leurs gestionnaires d’exercer un chantage permanent à la délocalisation. Voilà comment le capitalisme impose un management exclusivement tendu vers le rendement financier et obtient une politique fiscale et sociale qui sert ses intérêts. Ce n’est pas une fatalité naturelle. C’est l’effet d’une contre-révolution conservatrice initiée dans les années 80 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Une victoire des riches dans la lutte des classes, comme disait Warren Buffett. Mais cela n’explique pas tout. Toute la gauche a œuvré autant que la droite à la dérégulation financière et au libre-échange. Et je ne pense pas que tous les élus de gauche, pas plus que tous les économistes et les journalistes, qui ont soutenu cette grande libéralisation, soient devenus des valets du capital, décidés à faire exploser les inégalités et à épuiser les travailleurs au nom du profit ! Il faut prendre au sérieux le fait que la plupart d’entre eux ont vraiment cru à la bêtise du siècle, à savoir qu’il n’y avait pas d’alternative. Ils ont raisonné comme si la politique se limitait désormais à ce que la guerre économique mondiale autorisait. C’est la pensée d’un poisson rouge qui ne se demande pas ce qu’il pourrait faire s’il sortait du bocal.

 

 

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Libé. : Un bocal que les politiques ont eux-mêmes construit

Jacques Généreux : La prétendue disparition des marges de manœuvres politiques, « liée à la mondialisation », n’est qu’une automutilation décidée par les gouvernements, et elle est aggravée en Europe, où les dirigeants ont signé des accords leur interdisant un usage efficace de l’outil budgétaire. Une gauche progressiste raisonnant à l’endroit pourrait restaurer la régulation financière et recouvrer l’usage de la politique budgétaire. Mais, depuis les années 90, la majorité des sociaux-démocrates ont raisonné à l’envers. Au lieu de se demander « quel est notre objectif social et quels instruments mobiliser pour l’atteindre ? », ils se disent « avant d’envisager quelque objectif que ce soit, nous devons être compétitifs, c’est le prix à payer pour qu’un jour nous puissions mener une politique de gauche ».

 

 

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Libé. : C’est la fameuse troisième voie ?

Jacques Généreux : Oui, et c’est aussi une ânerie monumentale. Si le préalable à tout progrès social, c’est de s’aligner sur les pratiques qui permettent d’affronter la guerre économique mondiale, alors, on transforme le pays en champ de bataille et de régression sociale. Il est absurde de présenter la compétition sans frein comme la voie qui va restaurer la solidarité sociale ! Ce sophisme a pourtant largement gangrené la pensée politique et les milieux intellectuels. On comprend bien l’intérêt qu’une classe de riches peut trouver à promouvoir cette pensée imbécile. Mais, encore une fois, on ne peut pas faire l’hypothèse saugrenue qu’en une génération la majorité des élus de droite comme de gauche, des économistes et des journalistes se soient convertis aux âneries, dans le but de mieux servir les intérêts du capital.

 

 

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Libé. : La faute à quoi, à qui ?

Jacques Généreux : A une bêtise hallucinante. Prenons un seul exemple. N’importe quel béotien en économie peut comprendre que la réduction des dépenses publiques en pleine récession aggrave la crise. Cela revient à faire une saignée sur un patient hémorragique. Eh bien, nous avons dix-huit gouvernements de la zone euro et leurs milliers d’experts qui ne l’ont toujours pas compris, qui n’ont quasiment jamais été contestés par la presse économique et ont le soutien de la majorité des professeurs des universités.

 

 

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Libé. : Mais vous ne pouvez pas faire comme s’il n’y avait pas de problème de dette publique ?

Jacques Généreux : Attention aux contre-vérités ! La grande crise ouverte en 2008 est celle de la finance privée, provoquée par un excès de crédits finançant une croissance artificielle et des bulles spéculatives. Et cet excès manifeste l’impasse du capitalisme actionnarial. La création de valeur pour l’actionnaire siphonne les deux moteurs essentiels de la croissance : la rémunération du travail et les investissements productifs. Il ne reste alors que la fuite en avant par le crédit et la spéculation pour soutenir l’activité. Mais, bien sûr, quand la catastrophe financière est là et qu’elle dégénère en crise économique, les déficits publics explosent à cause de la récession et des plans de sauvetage des banques. Nos dirigeants ont instrumentalisé la peur d’une faillite financière de l’Etat pour justifier des politiques de rigueur stupides, puisqu’elles ont aggravé l’endettement des Etats les plus endettés ! Mais les causes véritables de la crise demeurent, à savoir le pouvoir exorbitant laissé aux détenteurs des capitaux dans la gestion des entreprises et la dérégulation de la finance spéculative. Or, nos dirigeants n’ont rien fait pour empêcher que ces mêmes causes ne produisent bientôt une nouvelle catastrophe financière.

 

 

- Libé. : Les Banques centrales ont fourni les liquidités pour sauver le système financier. Les taux sont à zéro aujourd’hui…

Jacques Généreux : Le résultat est nul. Il y a une surliquidité monétaire dont les banques ne savent que faire et qui vient nourrir de nouvelles bulles spéculatives. Le crédit gratuit est impuissant à relancer l’économie tant que les investisseurs s’attendent à une croissance faible et à des politiques de rigueur budgétaire. Seuls des plans d’investissements publics et massifs peuvent à la fois relancer l’activité, restaurer la confiance des investisseurs et réarticuler un avenir soutenable autour de la transition écologique. Au lieu de cela, nos gouvernements et leurs experts ressassent les âneries des années 20 sur les vertus de l’austérité.

 

 

- Libé. : Pour comprendre la bêtise des politiques, vous invoquez des biais cognitifs, des erreurs de raisonnement auxquelles notre cerveau serait enclin. Peut-on illustrer cela par un cas concret ?

 Jacques Généreux : Reprenons justement la fascination irrationnelle pour les politiques d’austérité budgétaire en temps de crise. Le raisonnement qui sous-tend cette stratégie repose le plus souvent sur une confusion entre ce qui est pertinent au niveau individuel (ou « microéconomique » dans notre jargon d’économistes) avec ce qui se passe au niveau du pays (ou « macroéconomique »). Face à une récession, il est raisonnable qu’un entrepreneur cherche à réduire ses coûts de production. Mais si on extrapole ce raisonnement individuel pour estimer que la politique nationale doit aider tous les agents économiques à réduire leurs dépenses, c’est le suicide de l’économie nationale ! Le pays ne doit donc surtout pas être géré comme une entreprise, mais tous ceux qui utilisent cet argument idiot emportent souvent la conviction. Pourquoi ? Parce que notre cerveau est spontanément enclin à interpréter les phénomènes complexes comme l’effet d’intentions individuelles et de calculs rationnels de quelque acteur individuel. Il est très tentant d’interpréter le monde à partir de son expérience personnelle.

 

 

- Libé. : Mais comment des intellectuels, des experts, peuvent-ils être le jouet de tels biais cognitifs ?

Jacques Généreux : Le fait est qu’une large partie de nos élites intellectuelles soutient des raisonnements économiques parfaitement absurdes. A partir de là, soit vous supposez qu’ils sont tous des hypocrites qui soutiennent à dessein de faux raisonnements pour manipuler l’opinion, soit, comme je le fais, vous prenez plus au sérieux l’hypothèse qu’ils croient vraiment aux bêtises qu’ils racontent. Même des prix Nobel peuvent s’entêter dans l’erreur. Par conséquent, il nous faut comprendre la bêtise des intelligents.

 

 

-Libé. : En vous appuyant sur les sciences cognitives ?

Jacques Généreux : Plus précisément sur la psychologie appliquée à l’économie, la psychologie cognitive et la biologie évolutionniste. Ces disciplines nous apprennent que la pensée rationnelle bien pesée n’a rien de spontané. Notre cerveau a toutes les capacités cognitives pour la plus grande intelligence mais « il n’est pas fait pour penser », comme le dit le biologiste Thomas Durand[2]. Il est le résultat d’une longue évolution qui a sélectionné les dispositifs cognitifs présentant un avantage pour la survie, la reproduction ou la compétition sociale. Or, de ce point de vue, la recherche patiente d’une connaissance rationnelle des phénomènes ne présente aucun avantage. Pour reprendre la distinction de Kahneman (Nobel d’économie 2002), nous avons donc un système de pensée à deux vitesses. Sans effort délibéré pour actionner la pensée lente de la raison, nous sommes guidés par une pensée réflexe instantanée qui se fiche pas mal de la vérité et ne vise qu’à nous protéger, à séduire ou à combattre nos rivaux.

 

-Libé. : Et en quoi cela contribue-t-il à « la déconnomie » ?

Jacques Généreux : Notre pensée réflexe est truffée de biais cognitifs qui sont utiles pour notre sécurité physique et psychique ou pour la compétition sociale, mais nous induisent en erreur lorsque nous devons résoudre des problèmes logiques ou penser des phénomènes complexes. L’économie comportementale a ainsi pu démontrer que nos choix économiques sont souvent irrationnels. Cela n’empêche pas le courant dominant de la science économique de prétendre expliquer tous les phénomènes macroéconomiques à partir du calcul prétendument rationnel des individus. Et ce travers des économistes reflète lui-même les biais cognitifs qui nous poussent à voir derrière tout événement l’action intentionnelle d’un agent responsable, alors que nous devrions chercher à comprendre les interactions sociales complexes dont le résultat échappe aux volontés individuelles. Et pour couronner le tout, la pensée réflexe prédispose tous les esprits, même les plus brillants, à dénier leurs propres erreurs et à ne reconnaître que celles des autres. Car l’important, pour la survie et le succès en société, c’est d’être persuasif et non pas de trouver la vérité.

 

 

-Libé. : Nos dirigeants ne sont-ils pas contraints de réfléchir sérieusement ?

Jacques Généreux : Rien n’oblige personne à l’intelligence. Ce n’est pas un réflexe, c’est un vrai travail, un effort constant de la volonté pour déjouer les pièges de la pensée automatique. Donc, si l’on n’est pas prévenu de ces pièges et si l’on n’a pas le goût profond de la vérité, le temps et la tranquillité nécessaires à la réflexion, alors on risque fort de penser de travers. C’est bien l’expérience que semblent vivre nos dirigeants pour ce qui est de l’économie. Même lorsqu’ils trouvent le temps de réfléchir, l’intensité et les conditions de la compétition politique sont telles qu’ils cherchent d’abord des arguments pour gagner, ce qui n’a souvent rien à voir avec la recherche rationnelle de la vérité ou de la justice. Et les faits sont là. Même au bout de huit ans de crise, ils n’ont toujours pas reconnu leurs erreurs grossières. Comme dans les années 30, ils semblent attendre un grand désastre mondial pour envisager de penser et d’agir autrement.

 

 

-Libé. : Mais pourquoi le débat public ne permet-il pas à l’intelligence collective de surmonter la bêtise ?

Jacques Généreux : La faute à la compétition généralisée et excessive qui détruit les conditions nécessaires au déploiement de l’intelligence. La pensée lente a besoin de temps et de sérénité. Or, notre « modèle » économique sature le temps disponible pour la réflexion et généralise le stress au travail, la rivalité, la peur du chômage ou du déclassement. La concurrence à outrance met aux premières loges la pensée réflexe, celle de l’animal qui lutte pour la survie et la préséance dans la meute. La compétition solitaire, ça rend « bête » au sens littéral du terme. C’est la délibération collective et coopérative qui rend intelligent. Puisque nous sommes plus doués pour déceler les erreurs des autres que les nôtres, nous avons besoin de la discussion argumentée avec les autres pour comprendre nos erreurs.

 

 

-Libé. : Mais la politique n’est-elle pas justement le support du débat argumenté ?

Jacques Généreux : Elle devrait l’être. Mais la façon dont fonctionne notre pseudo-démocratie tend à abrutir le débat public au lieu de l’éclairer. Parce que c’est un système de compétition généralisée pour les postes, qui s’est trouvé particulièrement exacerbé par le développement des techniques de communication, d’abord par la télévision, ensuite par Internet et les réseaux sociaux. Nous sommes dans une démocratie de l’opinion instantanée, dans laquelle il faut avoir tout de suite une opinion sur tous les sujets. Pour exister dans le débat public, pas besoin de l’éclairer, il suffit d’y croiser le fer au quotidien, pour tenir sa place.

 

 

-Libé. : C’est « une lutte des places » qui s’est substituée à « la lutte des classes » ?

Jacques Généreux : Oui, c’est ce que je pense. La compétition pour les bulletins de vote fonctionne désormais comme un marché aux voix qui sélectionne les plus doués pour la lutte des places et non pas les plus compétents et les plus motivés pour la quête du bien commun.

 

 

-Libé. : Où est donc l’alternative politique à « la déconnomie » ?

Jacques Généreux : Il reste un discours progressiste incarné par Mélenchon et qui fait appel à l’intelligence des gens, en leur expliquant ce que j’ai nommé la « grande régression » et en proposant des issues raisonnées. C’est aussi le seul discours qui entend remobiliser l’intelligence collective des citoyens en refondant nos institutions. Mais, il y a fort à faire pour combattre le discours de la réaction nationaliste ou xénophobe qui fait appel à la bêtise en se contentant de stimuler les réflexes inspirés par la peur.

 

 

- Libé. : Comment mettre de l’intelligence dans tout ça  ?

Jacques Généreux : C’est tout un programme ! Mais il faudrait déjà prendre conscience que notre bêtise est une partie du problème…

 

Note :

Voir notre article précédent : La déconnomie de Jacques Généreux http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

[1] La Déconnomie, Jacques Généreux, aux éditions le Seuil.

[2]  Thomas Durand, l’Ironie de l’évolution, à paraître au Seuil. Vittorio De Filippis JACQUES GÉNÉREUX LA DÉCONNOMIE Le Seuil 416 pp., 19,50 €.

 

 

 

Pour en savoir plus :
-
Mon dossier : Primaires - Elections présidentielles 2017

- Voir notre article précédent : La déconnomie de Jacques Généreux http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

1) Sur la chaîne tv5 Monde, dans l’émission Grand Angle Xavier Lambrechts a invité Jacques Généreux pour parler de son dernier livre "La déconnomie" publié aux éditions du seuil.

On peut revoir l’interview en cliquant sur le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=DVt...

2) Jacques Généreux a été interviewé dans le journal Libération pour parler de son dernier livre "La déconnomie"

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11 octobre 2016 2 11 /10 /octobre /2016 08:07
Photo: Zuma / TASS

Photo: Zuma / TASS

Comme le rapporte l’agence « Xinhua », au sommet du « G20 » la Chine[1] a proposé au monde un nouveau modèle de gestion de l’économie mondiale. Les jalons essentiels en sont consignés dans un document appelé « le consensus de Hangzhou ». Fait intéressant, « Xinhua », constate une bonne compréhension du projet par les autres membres du G20.

 

Sources : Le site du Parti de Gauche Midi-Pyrénées par Andreï Ivanov, traduit du Russe par Marianne Dunlop

Formellement, à la rencontre de Hangzhou[2] rien d’extraordinaire ne s’est passé. Les médias ont rapporté que les dirigeants du monde ont discuté entre eux des problèmes les plus aigus, mais ne disent pas quelles mesures pratiques ont été envisagées. Par exemple, dans le cadre de diverses réunions, Hollande, Merkel, Obama et Poutine ont discuté de la Syrie et de l’Ukraine. Mais en fait, il semble que tout reste inchangé, rien n’a été expressément convenu, et chaque Etat continuera à tenir sa ligne. La même chose peut être dite sur les problèmes de l’économie mondiale. Bref, on s’est rencontré, on a parlé et on est reparti. Le sommet du G20 dans la conscience de masse est associé à une espèce de « club d’élite », et non une autorité qui prendrait des décisions politiques.

 

Par conséquent, le message de « Xinhua » mérite une certaine attention. Il apparaît, selon l’agence, que « grâce aux efforts de la Chine, au sommet du G20 à Hangzhou pour la première fois une place importante dans les politiques macro-économiques mondiales a été accordée aux questions de développement, pour la première fois a été élaboré un plan d’action pour la mise en œuvre d’un développement durable à l’horizon 2030 ». Autrement dit, avant les dirigeants du monde se réunissaient seulement pour parler, mais en Chine, ils ont commencé à travailler sérieusement.

 

« Cela signifie que les fruits du développement économique ne doivent pas seulement profiter à un petit nombre de personnes ou de pays, mais que tous les pays doivent en tirer profit, indépendamment du fait qu’ils soient pauvres ou riches, développés ou sous-développés. Là est le problème de l’économie mondiale « , – a commenté Zhao Xijun, Vice-Président de l’Académie des finances de l’Université Populaire de Chine.

 

Étant donné la retenue traditionnelle des médias chinois dans leurs formulations, on peut conclure que la Chine prépare un modèle fondamentalement nouveau de l’ordre mondial.

 

 

- Nous pouvons essayer d’imaginer quelle sera son essence.

L’économie mondiale ralentit sa croissance. Cela s’est produit d’abord dans les pays développés, et il y avait de l’espoir pour la croissance dans les pays en développement. Mais, plus récemment, il est devenu clair que cet espoir ne se justifiait pas. Qu’est-ce qui peut relancer l’économie mondiale ? Certains disent les nouvelles technologies. Toutefois, les gains de productivité ne suppriment pas le problème de la saturation des marchés. En Europe déjà certaines banques commerciales concèdent des prêts à intérêt négatif, à tel point dans le monde d’aujourd’hui il est devenu difficile de trouver une utilisation à l’argent.

 

Le problème, bien sûr, n’est pas l’absence physique de consommateurs. C’est juste que le modèle actuel est basé sur la croissance effrénée de la consommation dans les pays riches et laisse de côté des centaines de millions de personnes dans les pays pauvres, en fait exclus de l’économie mondiale. Pour la reprise de la croissance il est nécessaire de créer la demande des consommateurs en Afrique, dans les pays les plus pauvres d’Asie et d’Amérique latine. Mais cela signifie que nous devrions réduire les disparités entre les différentes régions du monde et abandonner l’ancien modèle.

 

La nouvelle économie doit être basée non pas sur la croissance de la consommation, mais sur la fourniture du nécessaire à tout le monde. Cela suppose d’économiser l’énergie et les ressources, et de transférer la motivation pour le travail des besoins aux capacités de chacun.

 

Le modèle actuel repose sur le dollar, et il est basé sur l’inégalité. En outre, les pays les plus prospères, plutôt que produire eux-mêmes, gèrent la redistribution des résultats du travail des autres et des ressources des autres. Changer le système n’est possible qu’en renonçant au dollar.

 

Il n’est pas difficile de deviner qu’en qualité de nouvelle monnaie mondiale, la Chine envisage le yuan. A propos, au dos des billets d’un yuan est représenté le Lac de l’Ouest, situé au centre de Hangzhou. On peut dire que le lieu du G20 chinois n’a pas été choisi au hasard. Les experts disent que l’image sur le billet de banque est un symbole de l’unité du ciel, de la terre et de l’homme. Cela est tout à fait différent des symboles ouvertement maçonniques au verso du dollar sur un fond de toile d’araignée qui semble envelopper le monde.

 

La seule chose que l’on peut contester parmi les affirmations de l’article de « Xinhua » est que tous les dirigeants du monde accueillent favorablement les initiatives de la Chine. Les USA et les pays européens ne renonceront pas si facilement au fondement de leur prospérité.

  • La Chine tente aujourd’hui d’évincer les pays occidentaux dans la gestion de l’économie mondiale, – a déclaré le directeur adjoint de l’Institut d’Etudes Extrême-Orientales Andrei Ostrovsky.
  • Les « majorités de contrôle » dans les institutions financières internationales clés sont détenues par les États-Unis et l’Union européenne. Si nous parlons des devises, partout ont cours le dollar, l’euro, la livre sterling, le yen. Ce n’est que récemment qu’il a été décidé d’inclure le yuan dans la liste des monnaies de réserve mondiale.

 

A Hangzhou, la Chine a tenté de réviser le système de la gouvernance économique mondiale, et d’associer au processus les pays en développement. Le G20 comprend 19 pays plus l’Union européenne, et 77 pays étaient représentés au sommet. La Chine étant le pays organisateur, elle a le droit d’inviter d’autres États. Elle en a profité au maximum, afin d’obtenir un large soutien à ses initiatives.

 

 

- INTERVIEW

  • « SP » : – Qu’a l’intention de faire la Chine en pratique ?

La Chine a déjà mis en place la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, le fonds « Route de la Soie ». Ce sont des faits tangibles. La Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures dépasse déjà la Banque asiatique pour la reconstruction et le développement.

 

La Chine met en œuvre le projet « Route de la Soie ». Peu importe comment les autres pays l’accueilleront, la Chine a déjà commencé à mettre en œuvre son programme économique. La Chine s’éloigne peu à peu de l’esprit « profil bas » de Deng Xiaoping, ce qui est apparu clairement au sommet du « G20 » à Hangzhou.

 

  • « SP » : – Quels sont les principaux changements à attendre ?

La Chine est prête à accroître la capacité économique des pays en développement. Aujourd’hui, la proportion du G20 dans l’économie mondiale est de 86%, et tous les autres pays ne représentent que 14%, ainsi, nous voyons une grande disparité dans le monde. Pour réduire l’écart, il faut changer le système de gouvernance économique mondiale. Aujourd’hui, le système est lié au dollar, au Système fédéral de réserve et aux accords de Bretton Woods. Les Chinois tentent de corriger cette chose. La première étape est de faire du yuan une monnaie convertible. De toute évidence, ce n’est pas l’affaire d’un seul quinquennat.

 

La transition du « dollar mondial » au « yuan mondial » est un long processus. Mais le yuan est entré dans le panier de devises mondiales de réserve. Cela signifie que toutes les banques qui font l’échange de devises seront tenues d’avoir des réserves de yuans, donc acheter sur le marché mondial de la monnaie chinoise. Par exemple, les banques russes veulent avoir des bureaux à l’étranger. A partir d’octobre, elles devront avoir non seulement des livres et des dollars, mais aussi des yuans.

 

L’essentiel est de voir d’où vient ce processus. Le fait est que l’économie chinoise est en pleine croissance, et son taux de croissance est plus élevé qu’aux Etats-Unis et dans l’Union européenne. Il faut compter avec la Chine.

 

  • « SP » : – Les initiatives de la Chine peuvent ne pas plaire à l’Occident

Bien sûr. Et il y a des tentatives pour faire dévier la Chine de sa voie vers le développement durable. Ce n’est pas un hasard si on assiste à ces scandales autour des îles contestées dans la mer de Chine du Sud. Il est amusant de voir la polémique entre le leader des Philippines et le président des États-Unis. Les deux parties ont dû faire des compromis en raison de la Chine.

 

Le facteur chinois est aujourd’hui un élément clé dans le monde, au même titre que les États-Unis. En parité de pouvoir d’achat le PIB en Chine est plus élevé qu’aux Etats-Unis. Le revenu moyen par habitant des provinces côtières du Shandong, Jiangsu, Zhejiang est assez comparable au revenu américain sur la côte atlantique, à Boston ou à Philadelphie.

 

  • « SP » : – Comment les changements amenés par la Chine dans l’économie mondiale pourraient-ils affecter la Russie ?

Nous avons signé beaucoup d’accords et de contrats avec la Chine. Le problème est que notre « pivot vers l’Est »est mal appliqué. 85% du volume total du commerce extérieur se fait encore avec l’Occident, et seulement 15% en Orient, et sur ces 15% la Chine représente 12%. Notre volume du commerce extérieur avec la Chine est faible. Au cours des huit premiers mois de cette année, le volume du commerce extérieur représentait moins de 50 milliards de dollars. Nous ne pouvons pas encore atteindre le niveau de 2014. En pratique c’est« chaud en politique, froid en économie ». La coopération économique est loin derrière l’entente politique.

 

La part du commerce transfrontalier est seulement 15% du commerce total. Le volume des investissements mutuels est faible. L’an dernier, les Chinois ont investi chez nous environ un milliard de dollars, et nous en Chine – seulement 40 millions. Le commerce extérieur est directement lié à l’investissement mutuel.

 

Nous devons déterminer si nous nous tournerons vers l’Est. Au forum économique oriental on en a parlé. Mais les négociations sont en cours, et nous ne voyons pas de progrès. Quelque chose se fait, mais pas des changements fondamentaux. Il y a eu cette question des crèmes glacées, que nous faisons beaucoup mieux que les Chinois. Pourquoi y a-t-il des problèmes même avec les glaces ?

 

La Chine propose avant tout l’ouverture des marchés régionaux grâce à l’élimination des taxes à l’exportation et l’importation, – considère le Directeur de l’École d’études orientales, École supérieure d’économie Alexei Maslov.

 

C’est bénéfique pour la Chine, qui a accumulé une masse des marchandises. Elle veut pénétrer de nouveaux marchés. Les États-Unis s’y opposent, en interdisant le dumping. Quand la Chine parle des nouvelles règles du commerce mondial, elle est préoccupée principalement par elle-même et non les autres pays.

 

Simplement le marché mondial actuel s’est constitué sans la participation de la Chine, comme un système étroit. La Chine veut obtenir sa part du marché.

 

Actuellement, à mon avis, les propositions de la Chine ne seront pas acceptées. Mais la Chine est obligée de les mettre en avant pour se déclarer comme le chef du nouvel ordre mondial et attirer à elle un grand nombre de pays d’Asie.

 

La Chine propose l’admission des Etats à leurs marchés respectifs. Formellement, cela sonne bien. Mais l’avantage n’est que pour ceux qui ont des marchandises excédentaires. Dans une certaine mesure, cela est bénéfique pour la Russie, mais pour l’instant nous ne disposons pas d’une quantité suffisante de produits qui puissent entrer sur les marchés mondiaux. La Chine est opposée à diverses restrictions de quotas commerciaux. La Chine se bat pour elle-même, mais prétend défendre les intérêts des autres pays.

 

  • « SP » : – dans quelle mesure est justifiée la thèse selon laquelle la Chine veut passer d’un modèle de croissance de la consommation à un modèle de croissance du bien-être ?

Ce n’est pas un modèle économique, mais une déclaration politique. Pendant longtemps, l’économie de la Chine a augmenté grâce à des investissements en actifs fixes, c’est-à-dire, à travers la construction d’usines et de routes. Formellement, cela augmentait le PIB. Mais la croissance était fondée sur l’augmentation des immobilisations, et non sur la croissance du bien-être des citoyens. Aujourd’hui, la Chine entend développer la consommation intérieure. Ainsi, la RPC entend relancer l’économie.

 

Mais on n’a jamais vu que la croissance de la consommation rende tout le monde en même temps plus riche. Quelqu’un sera plus pauvre, d’autres seront ruinés. Mais théoriquement cela donne une chance de nourrir tout le monde.

 

  • « SP » : – La Chine a l’ambition de reformater le système économique mondial ?

La Chine a des ambitions sérieuses. En plus de développer le commerce, la Chine est intéressée à être admise aux grands projets d’investissement dans le monde. Aujourd’hui, ils peuvent ne pas rapporter d’intérêt, mais le bénéfice est à long terme. Il s’agit de lignes de chemin de fer, de l’achat de ports. La Chine est engagée vers l’expansion et l’investissement étranger. Mais pour cela, il faut obtenir beaucoup de permissions des bureaucraties d’État, auxquelles la Chine s’oppose.

 

Si nous prenons la question du « yuan d’or », la Chine ne l’aborde pas ouvertement. Mais il est clair que la Chine ne souhaite pas lier sa monnaie à la notion de libre convertibilité. La Chine n’a pas soulevé cette question afin de ne pas dépendre du système de Bretton Woods, quand toute conversion passe par le dollar.

 

Le yuan peut rester une monnaie de réserve, comme elle est maintenant. Ou bien la Chine peut essayer d’élever le yuan au rang de devise, qui permettra la conversion. Autrement dit, la question est celle de la formation d’un système alternatif de conversion de devises. Théoriquement, c’est bien beau, mais en pratique, cela exige un consensus de nombreux Etats. Je doute sérieusement que la Chine soit en mesure de le faire au cours des prochaines années.

 

Ce que dit la Chine est conçu pour au moins 25 ans, ce qui est le temps long habituel pour les Chinois.

 

Note :

[1] Chine 1ère puissance économique mondiale 2ème puissance politique et militaire

[2] Xi Jinping rencontre les dirigeants du monde entier à Hangzhou les 4 et 5 septembre 2016

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30 septembre 2016 5 30 /09 /septembre /2016 08:29
La dette agitée pour que le peuple ait peur : STOP à l'enfumage !

Sources : Eric Durand | modifié le 08/10/2020

- Des titres provocateurs et des chiffres manipulés pour faire peur !

Les gouvernements se succèdent, la méthode reste la même.

Pour imposer des politiques de rigueur ou d'austérité, justifier la remise en cause des conquis sociaux, la casse des services publics, il faut marteler à coup d'éditoriaux, d'émissions, éminents "spécialistes" (tous issus des mêmes cercles patronaux et de la finance) à l'appui, que les français vivent au dessus de leur moyen..... et pour ça, tout est bon !

La dette agitée pour que le peuple ait peur : STOP à l'enfumage !
La dette agitée pour que le peuple ait peur : STOP à l'enfumage !
La dette agitée pour que le peuple ait peur : STOP à l'enfumage !
La dette agitée pour que le peuple ait peur : STOP à l'enfumage !

- A présent, voyons ce qu’il en est de la dette française elle-même en 2014

Assez de baratin avec les « générations futures » endettées par nos mauvaises habitudes, nos fonctionnaires trop nombreux, nos exigences exorbitantes, nos services publics dispendieux....

En deux mots, pour les défenseurs du système et autres experts, on vivrait (enfin le peuple... pas eux !) au dessus de nos moyens !

 

  • On nous dit : « l’endettement public atteint 1 985 milliards d’euros sur un PIB de 1 950 milliards d’euros, soit 98 % du PIB » ;
  • Absurde. Le PIB, c’est le PIB d’une année. La dette, ça court sur plusieurs années ;
  • L’honnêteté pour évaluer sérieusement la situation voudrait qu’on rapporte la dette à ce qu’il faudrait payer si on devait la rembourser en fin de course.
  • La durée moyenne d’un emprunt d’Etat est selon l'Agence France Trésor de 7 ans et 124 jours : il faut donc comparer le niveau d’endettement au PIB de la France pendant 7 ans, soit près de 15 000 milliards d’euros ;
  • Donc : 1 985 milliards d’euros de dette publique totale divisé par 2672 jours (7 ans et 124 jours) : cela fait 271,15 milliards d’euros par an !
  • Et une dette de 1 985 milliards d’euros sur 7 ans ou de 217,15 milliards par an, ça fait seulement 13,9 % du PIB de la France sur 7 ans..... ou.... 13,9 % du Pib annuel !
  • moins que l'endettement de nombre de ménages qui parfois dépasse 30% des revenus !

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On est loin des 98% agités sans cesse pour affoler le monde !

- Car il est stupide de rapporter toute la dette à la valeur d’une seule année de production. Pourquoi le fait-on ?

- C’est d’autant plus absurde que le remboursement de la dette n’est pas exigible dans ce délai !

- Il donc est absurde de comparer un stock pluriannuel à un flux annuel. C’est pourtant ce qui se fait à longueur de catéchismes médiatiques.

- Si votre banque vous demandait de rembourser tout d'un coup votre dette immobilière, vous auriez certainement un problème ?

 

 

- Vous n'avez pas tout compris ? Prenons l'exemple d'un citoyen lambda !

Cette personne (cas réel) achète une voiture en n'ayant pas d'autres emprunts en cours (toyota yaris hybride 4 portes) :

  • prix de la voiture neuve : 19 900 €
  • revenus annuels de cette personne (son PIB) : 26 400 €
  • Le taux d'endettement pour cette voiture rapporté à 1 an de revenu est de 19 900 € / 26 400 € = 75,37 %..... et là on à peur.... on n’achète pas la voiture !
  • Or le remboursement est effectué sur 36 mois
  • Le taux d'endettement réel pour cette voiture par rapport aux revenus est de : [revenus totaux sur 36 mois (26 400 €/12x36) = 79 200 €] / (19 900 € prix de la voiture) = 25,12 % et là on n'a plus peur.... on achète la voiture !

 

- Une autre comparaison indispensable est de rapporter la dette aux avoirs du pays (Patrimoine économique national[1]) !

Combien le pays possède-t-il en 2014 ? C’est important pour savoir s’il a « les reins » solide face à la somme qu’il emprunte.

 

Le patrimoine économique national est composé :

  • du patrimoine non financier dont :

- le capital naturel, valeur du stock des ressources renouvelables et non-renouvelables (terres agricoles, forêts, minéraux, gisements de gaz et de pétrole, ...) ;

-  les actifs produits : machines, équipements, structures, terrains urbains ;

- les ressources humaines ou la "valeur économique des individus".

  • du patrimoine financier net (solde des créances et dettes de l’ensemble des agents résidents vis-à-vis de l’étranger).

 

🔴 Montant du Patrimoine économique national en 2014 : 13 064 milliards d’euros fin 2014[2]

... a rapporter au montant de la dette 2014 : 1985 milliards d'€ ([1985/13 064]*100)...

 

➡️ ➡️ Au total, la dette ne représente donc que 15,19% des avoirs de notre pays.

➡️ Pas de quoi engager une campagne de culpabilisation du peuple !

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21 septembre 2016 3 21 /09 /septembre /2016 08:29
Pourquoi la destruction de l’instruction publique est devenue l’objectif essentiel des gouvernements de la Ve république ?

Voilà plus d’un demi-siècle que l’instruction publique dans notre pays vit au rythme effréné des « réformes ».

Officiellement, il s’agit de promouvoir plus d’égalité, plus de « démocratie » dans un système réputé élitiste. En réalité, il s’agit non seulement de la destruction de l’instruction publique, car à notre époque d’extinction des Lumières, un public instruit est non seulement inutile mais même nuisible à la bonne marche des entreprises et des petites affaires gouvernementales, mais encore de l’existence même de la culture, de la « grande culture », qui est incompatible avec l’existence du « capitalisme tardif », de ce « capitalisme absolu » qui s’empare méthodiquement du contrôle des âmes comme de celui des corps.

 

Source : La Sociale par Denis Collin

- Les derniers mois de l'année 2016

Au cours des premiers mois de l’année 2016, c’est surtout la lutte contre la loi dite « loi travail » dont le nom est associé à la ministre Mme El Khomry qui a mobilisé les organisations syndicales, les militants et une large frange des salariés et de la jeunesse. Mais si dangereuse soit cette loi – et je n’ai pas l’intention d’en minimiser ici les dangers – elle est intervenue comme un opportun paravent d’une « réforme » encore plus dangereuse, une réforme qui n’a pas besoin d’un vote au Parlement, la réforme des collèges de Mme Najaud-Belkacem.

 

Pour ne citer qu’un point de cette réforme, rappelons qu’elle a porté le coup de grâce à l’enseignement, déjà bien mal en point, des langues anciennes, latin et grec. C’est évidemment très symbolique. La suppression du latin et du grec agit comme un révélateur d’un processus d’ensemble et d’un projet politique porté depuis des décennies par la classe dominante et ses porte-parole. L’humanisme de la Renaissance, celui qui a donné aux études le nom d’« humanités », est né du « retour » aux études des auteurs anciens, aux Grecs, les philosophes – c’est l’édition d’Henri Estienne de Platon (1578) qui continue d’être la base de toutes les éditions de ce père fondateur de la philosophie – mais aussi les poètes et les dramaturges, aux Latins païens aussi, à Lucrèce et à Cicéron et aux historiens latins, Tite-Live, Salluste, Quinte-Curce, des penseurs qui servirent de référence à la naissance de la pensée politique moderne. Et assénant le coup de grâce au latin et au grec, Mme Najaud-Belkacem, sans même le savoir sans doute, a décidé de refermer cette « parenthèse » de la modernité, du républicanisme, des Lumières et des aspirations universelles à la liberté qui est d’abord la liberté de l’esprit.

 

L’instruction classique – classique parce que c’était elle qui était dispensée dans les classes – visait à instruire les élèves à l’école des grands esprits (voir le superbe texte de Léo Strauss, Qu’est-ce qu’une éducation libérale ?). L’obéissance des élèves visait à les préparer à l’autonomie, c’est-à-dire à la capacité de se donner à soi-même sa propre loi, c’est-à-dire d’être un homme libre au sens plein du terme. On n’est libre disait Aristote que si l’on est capable de commander à des gens du même genre que soi. On n’est citoyen que si on a appris à obéir aux lois et il n’est pas d’autre moyen pour, devenu adulte, être capable de discuter ces lois, de les modifier quand elles doivent être modifiées. L’humanisme de la Renaissance et les Lumières faisaient le pont avec cet « humanisme » grec, celui d’Aristote, et avec le républicanisme romain d’un Cicéron.

 

 

- Ce pourrait n’être qu’un exemple.

En vérité, la suppression de l’enseignement des langues anciennes dans les établissements secondaires est le concentré des « réformes » de plus d’un demi-siècle. Réformes institutionnelles avec la loi Debré de 1959 qui vise à donner une place bien plus importante à l’enseignement privé, réformes des programmes et de l’organisation des cycles avec la réforme Fouchet du collège qui crée les CES et aboutira en 1975 au collège unique de René Haby. Réformes pédagogiques et réformes des contenus de l’enseignement et des objectifs que doit se donner l’école. Il serait fastidieux d’énumérer la liste de ces réformes qui s’additionnent les unes aux autres dans la même direction. Officiellement, on poursuit l’objectif de la « réussite scolaire » pour tous. Les « réformes » ont proclamé la nécessité d’en finir avec les discriminations sociales – l’école française serait élitiste – et d’adapter l’école à la réalité de la société d’aujourd’hui. Remarquons avant d’aller plus loin que ces deux objectifs se contredisent apparemment puisque la société dans laquelle nous vivons est de plus en plus inégalitaire et donc une école adaptée à la société actuelle serait une école renforçant les discriminations sociales … ce que font les réformes en dépit de leur objectif proclamé ! Mais il faut s’y habituer : la langue des « réformateurs » de l’école s’apparente à la « novlangue » du 1984 d’Orwell : les mots employés le sont parce qu’ils signifient en réalité le contraire de ce que le bon sens pouvait deviner. La paix, c’est la guerre, la liberté, c’est l’esclavage… L’égalité, c’est la discrimination, le savoir, c’est l’ignorance !

 

 

- Pour atteindre ces objectifs, il faut en finir avec le savoir « académique ».

Usant jusqu’à la corde une expression de Montaigne, on préfère les têtes bien faites aux têtes bien pleines … mais ce sont surtout des têtes vides que l’on va fabriquer. Avec le savoir académique doit s’effacer tout ce qui lui était lié : les disciplines ou les matières, le rapport professeur-discipline-classe, cette triade maléfique héritée des Jésuites soutiennent nos farouches révolutionnaires de l’école, genre Peillon. Mais aussi ce qui en découle : les notes, traumatisantes pour l’élève, auxquelles on va faire succéder ce qui est largement utilisé dans les entreprises : l’évaluation des compétences[1]. Au savoir « abstrait » – et en effet quoi de plus « abstrait » que les mathématiques ? – on va substituer des apprentissages « concrets » permettant à l’élève de s’exprimer, un élève qui n’a plus besoin de professeur – n’est-il pas depuis la réforme Jospin « l’élève-au-centre » ? – mais seulement d’une « personne ressource » qu’il pourra consulter quand il en éprouvera le besoin au cours du processus de « construction de son savoir »[2].

 

Briser les formes de la transmission du savoir au profit des inventions pédagogiques échevelées sorties des crânes des penseurs des prétendues « sciences de l’éducation », c’est absolument nécessaire quand on veut liquider les contenus des disciplines. Ainsi, tous les professeurs de mathématiques le savent bien, les mathématiques dans le secondaire ne sont plus que des mathématiques opératoires – il faut que ça serve – mais l’art de la démonstration, c’est-à-dire les mathématiques proprement dites, a pratiquement disparu. De même que les élèves de 5e ont maintenant le niveau des élèves de CM1 de 1987 – c’était notre série « le niveau monte » – de même les élèves qui entrent en classes préparatoires sont de moins en moins aptes à suivre les programmes des classes préparatoires scientifiques, programmes dont les ambitions ont été pourtant revues à la baisse.

 

On a suffisamment dit et redit combien l’enseignement de l’orthographe et de la grammaire françaises a été sacrifié sur l’autel de « l’expression » de l’élève : il n’a rien à dire, il ne sait pas parler, mais il doit s’exprimer, c’est-à-dire faire du bruit. Significativement, l’enseignement de la littérature française a fait une place de plus en plus large aux nouvelles « formes d’expression », comme les publicités, la bande dessinée, etc. Mais surtout la littérature n’est plus étudiée comme telle. On étudie les genres (par exemplaire le genre épistolaire), les styles (une large place est faite à la rhétorique) et les écoles (savoir si Baudelaire est un symboliste, voilà la grande question). Une culture superficielle (style « questions pour un champion ») remplace la véritable culture. Des esprits formatés selon les règles de la pensée unidimensionnelle (Marcuse) et propres seulement à une pensée opérationnelle doivent définitivement remplacer « l’honnête homme », capable de pensée dialectique. Tel est le sens profond des « réformes » dont l’inspiration – si l’on peut dire – est à l’œuvre dans tous les pays. Les réformes de l’école en Italie, par exemple, décalquent les réformes françaises ou, parfois, les anticipent.

 

 

- Mesurées selon les critères d’hier, ces réformes sont proprement catastrophiques.

Le niveau de langue et de culture d’un bachelier s’est effondré au cours des dernières décennies. On trouve aujourd’hui dans les classes préparatoires (dernières filières encore vaguement sélectives) des élèves qui n’auraient jamais pu décrocher le certificat d’études primaires il y a un demi-siècle. On ne s’étendra pas sur le niveau moyen des étudiants de première année des universités, encore bien plus faible. Avec la suppression des redoublements, on est à la veille de voir arriver en terminale de purs analphabètes – pour l’heure nous avons surtout une masse de demi-analphabètes, d’élèves pour qui les auteurs classiques de la langue française sont tout à fait incompréhensibles. Pour ne rien dire des prétendus « scientifiques » qui ne comprennent rien aux mathématiques et qui n’ont pas la plus petite idée de ce que pourrait signifier la notion de vérité dans les sciences.

 

Cependant, si ces réformes sont mesurées à l’aune des véritables objectifs de « réformateurs », l’école d’aujourd’hui est assez performante. Comme il s’agit d’organiser l’enseignement de l’ignorance – pour reprendre l’excellente formule de Jean-Claude Michéa – on ne peut que constater que l’école d’aujourd’hui est en bonne voie. Pas assez cependant pour les réformateurs et leurs commanditaires qui estiment que l’on donne toujours une trop grande place au savoir « abstrait » et « encyclopédique » et pas assez aux besoins pratiques des entreprises. C’est pourquoi l’école en fait toujours trop et on doit remplacer tout ce qui reste des enseignements disciplinaires par des mauvaises farces comme les EPI qui se prétendent « transdisciplinaires » et doivent surtout servir à éliminer et la classe et le cours et le professeur que les circulaires officielles désignent sous l’élégant vocable de « technicien de ressources »...

 

On le sait bien, un ignorant conscient de son ignorance est bien plus instruit que ces demi-cultivés et demi-analphabètes qui se croient instruits parce qu’on leur répète que les jeunes en savent plus que les vieux et que les enfants sont plus savants que les parents. Ainsi, les frustres connaissances de l’école primaire d’antan valaient beaucoup plus que la mélasse avec laquelle on bourre les cerveaux des enfants et des jeunes gens. Dira-t-on que j’exagère ? Essayons de faire passer le baccalauréat des années 60 aux élèves d’aujourd’hui : cette expérience de pensée que peut faire n’importe quel professeur ayant atteint aujourd’hui l’âge de la retraite donnerait incontestablement des résultats édifiants. On peut supputer – en usant du principe de charité –- qu’existerait tout de même une toute petite minorité d’élèves ayant échappé au massacre et qui réussirait cet examen, mais la très grande majorité serait recalée.

 

Mais, nous dit-on, si les élèves n’apprennent plus le latin ni le grec, ils apprennent des choses nouvelles et combien plus utiles, dont la dernière est « l’apprentissage du code informatique » à tous les niveaux de l’école. Il s’agit même selon les plus enthousiastes de l’apprentissage d’un nouveau langage ! Qu’un langage informatique ne soit un langage que par métaphore, tous ces gens n’en ont cure. Le « langage informatique » n’est rien d’autre qu’un outil de programmation des machines et on ne parle pas à une machine, on définit seulement les séquences de son fonctionnement. En son essence, un « programme informatique » très sophistiqué n’est pas différent du « programme » du lave-linge le plus humble et l’élément de base d’un processeur informatique est bien connu de tout le monde, c’est la « porte logique » que réalise un « va-et-vient » pour commander la lumière de votre chambre à coucher, par exemple. Présenter ce qui n’est qu’une technique, parfaitement inutile d’ailleurs pour 99,9 % des utilisateurs d’ordinateurs, comme un nouveau langage et un nouveau savoir, c’est donc une pure et simple mystification.

 

Il est bien possible que les instigateurs de cette nouvelle lubie ne connaissent rigoureusement rien à l’informatique et aient succombé à la fascination des petits enfants pour les jouets extraordinaires. Mais cette ignorance impardonnable à ce niveau de décision, a été entretenue, manipulée et exploitée sans vergogne par les marchands de quincaillerie – le ministère de l’EN a commandé 175 000 tablettes … pour commencer – et par les grandes entreprises du logiciel – le même ministère a signé des accords avec Microsoft qui aboutissent à ce que « le code » qu’on apprendra à l’école sera le code des produits Microsoft. Juteuse, très juteuse affaire.

 

 

- Le tableau d’ensemble est proprement désespérant.

Mais comme il ne faut ni rire ni pleurer mais comprendre, tâchons de ressaisir cette évolution dans un mouvement global. Le capitalisme aujourd’hui n’a plus aucun besoin de la culture. La culture qui servait de légitimation à la domination des dominants, est un accessoire superflu. La « marchandisation » totale du monde, c’est-à-dire la domination absolue de « l’équivalent général », l’argent, a impitoyablement réduit tous les hommes à la commune mesure, parfaitement égalitaire en son genre ; la grosseur du portefeuille. Tout le monde peut devenir riche – plus ou moins – et tout le monde est virtuellement un millionnaire : le ministre de l’économie, un certain Macron, voulait donner aux jeunes Français l’envie de devenir millionnaires. Puisque lui-même, Macron, dont la bêtise pourrait pourtant devenir proverbiale, y est parvenu, pourquoi pas vous ? Dès lors la culture n’est plus qu’un luxe inutile, et même plus un marqueur de distinction sociale. La culture que l’on acquiert en se formant soi-même, en formant son goût, en s’instruisant, doit faire place à la nouvelle culture, celle de « l’industrie de biens culturels », dans laquelle le navet à grand spectacle hollywoodien côtoie Cinquante nuances de Gray, un t-shirt avec l’effigie de la Joconde, ou une console pour jeux vidéos. Le besoin « culturel » du capitalisme est le besoin de consommateurs de biens de l’industrie culturelle, consommateurs qui s’abrutissent encore plus en consommant l’objet de leurs désirs – voir l’invraisemblable affaire du Pokemon-Go – et, aussi, le besoin de producteurs de biens culturels, c’est-à-dire d’informaticiens et de fabricants de camelote. Et Cicéron n’a plus rien à faire là-dedans. O tempora, o mores !

 

 

- Pendant longtemps, le capital a eu besoin d’une main-d’œuvre ayant un minimum d’instruction.

C’est pourquoi il a, un peu partout, organisé une formation élémentaire de sa future « force de travail ». Ce n’est plus vrai aujourd’hui. Les idéologues et autres marchands de sommeil vantent « l’économie de l’intelligence ». Mais le mode de production capitaliste a dépassé le stade où il avait un besoin massif d’ouvriers qualifiés et d’ingénieurs : c’était l’époque de la montée des « cols blancs » et l’époque où les militants ouvriers réfléchissaient à la nouvelle place des ICT (ingénieurs, cadres et techniciens). C’étaient les années 60 et c’est une époque révolue. La grande transformation de la fin du XXe siècle a été celle de la catastrophe industrielle dans les pays avancés : des millions d’emplois supprimés par l’automatisation dans l’industrie, constructions mécaniques, électronique grand public, etc et transfert pour partie de ces emplois dans les pays émergents. Les emplois supprimés ont été principalement des emplois ouvriers. La classe ouvrière a chanté son chant du cygne dans les années 70 et elle a été invitée à quitter la scène pour laisser place aux « nouvelles classes moyennes » intellectuelles du secteur tertiaire. Mais aujourd’hui, cette nouvelle classe moyenne est dans le collimateur des modernisateurs. Tout le secteur des services commence à être massivement touché par les suppressions d’emplois : en 20 ans France-Télécom avec 180000 salariés a laissé la place à plusieurs entreprises qui totalisent moins de 100000 salariés … avant l’opération massive de « dégraissage » qui est annoncée. Dans le secteur bancaire, ce sont des milliers d’agences qui vont fermer. Il en va de même dans les grandes surfaces commerciales et chez les géants de la distribution. Et l’informatique elle-même est menacée par les progrès de ses propres techniques. En France on annonce plusieurs millions de suppressions nettes d’emplois au cours de la prochaine décennie. Le capital a besoin de petites mains taillables et corvéables à merci, de petites mains « uberisées » et non plus d’une classe de salariés qui pourraient s’appuyer sur la possession d’un métier et d’une solide qualification. Sans doute une élite possédant une solide formation technique et scientifique reste nécessaire, mais celle-ci n’est pas très nombreuse. Dès les années 90, l’OCDE annonçait la couleur. En 1996, un rapport de l’institution indiquait la marche à suivre pour en finir avec une instruction réelle : diminuer la qualité sans diminuer la quantité : « Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population. » En 1998, dans les locaux d’IBM-Deutschland à Stuttgart, le président du Conseil Fédéral du patronat allemand, Dieter Hundt, s’en est pris à « l’idéologie obsolète et erronée » de l’égalité dans le système éducatif. Tout cela signifie-t-il à terme la mort de l’école publique ? Pas tout à fait puisque, comme le fait remarquer l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) avec une rare lucidité – ou le comble du cynisme – les pouvoirs publics n’auront plus qu’à « assurer l’accès à l’apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l’exclusion de la société en général s’accentuera à mesure que d’autres vont continuer à progresser »[3].

 

On relit ces textes aujourd’hui et on a la description exacte des politiques mises en œuvre par les gouvernements « de droite » comme « de gauche ». Et cette politique découle de la dynamique même du mode de production capitaliste.

 

Au début du siècle dernier Rosa Luxemburg énonçait l’alternative fondamentale de notre époque : socialisme ou barbarie. Le XXe siècle a illustré tragiquement le propos de Rosa. Notre siècle sous des formes nouvelles montre que c’est véritablement là que nous sommes à nouveau. La question brûlante que soulèvent les réformes scolaires est tout simplement celle de la préservation de la civilisation.

 

 

 

Notes :

[1] Sur cette question, on pourrait lire « L’approche par compétences, une mystification pédagogique » par Nico Hirtt, téléchargeable ICI

Du même auteur, lire aussi « En Europe, les compétences contre le savoir ».

[2] La « pédagogie » de la « classe inversée » où l’élève lit un cours chez lui et où le professeur l’aide à faire des exercices en classe prépare la suppression des professeurs.

[3] Nico Hirtt : « La mission scolaire » in Le Courrier de la planète, n°55 – Mai 2000

 

Pour en savoir plus :

- INFOGRAPHIE. Illettrisme : de grosses inégalités en France

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16 septembre 2016 5 16 /09 /septembre /2016 21:01
Pour ceux tentés de minimiser le rachat de Monsanto par Bayer

Les deux géants de l’agrochimie ont annoncé mercredi 14 septembre leurs futures fiançailles, une fusion qui ne serait anodine ni pour les agriculteurs ni pour les consommateurs.

 

Sources : Benoît Biteau, paysan agronome

-  BAYER au service de la machine de guerre nazie

C'est après la seconde guerre mondiale, lors du procès de Nuremberg qu'il fallait définitivement se débarrasser de ces monstres. Au lieu de ça, au court de ces 70 dernières années, les pouvoirs successifs les ont laissé prospérer au détriment de l'intérêt commun, au détriment de la planète et au détriment de l'intérêt supérieur des générations futures pour ne servir que les profits de quelques uns, dans un manque d'humanisme et d'humanité rare et un cynisme insolent.

 

En effet, pendant la Seconde Guerre mondiale, Bayer se livre au trafic d'êtres humains en achetant des déportés du camp d’Auschwitz pour servir de cobayes dans le cadre d'expérimentations à prétention médicale et de caractère confidentiel.

 

Cinq lettres[1] signées par les responsables de Bayer et destinées aux dirigeants du camp d'Auschwitz, rédigées en avril et mai 1943, ont été découvertes par un régiment de l'Armée soviétique lors de la libération du camp d’Auschwitz, pour l'achat de « lots de femmes » déportées.

 

Des extraits de ces lettres sont lus dans deux documentaires réalisés par Émile Weiss, le dernier volet de la trilogie documentaire Destruction sur le camp d'Auschwitz, et également dans Criminal Doctors - Auschwitz, France, 2013.

 

La première lettre indique le besoin de femmes déportées, en tant que cobayes pour expérimenter un soporifique. La deuxième stipule que le prix de « 200 marks est exagéré ; nous offrons 170 marks par sujet, nous avons besoin de 150 femmes. » La troisième demande : « Veuillez donc faire préparer un lot de 150 femmes saines. » La quatrième indique : « Nous sommes en possession du lot de 150 femmes. Votre choix est satisfaisant, quoique les sujets soient très amaigris et affaiblis. Nous vous tiendrons au courant des résultats des expériences. » Enfin, la cinquième et dernière lettre retrouvée mentionne : « Les expériences n'ont pas été concluantes. Les sujets sont morts. Nous vous écrirons prochainement pour vous demander de préparer un autre lot. »  Après la guerre, lors des procès de Nuremberg, l'une des douze séances concerne directement le Procès IG Farben où plusieurs dirigeants d'IG Farben - dont Bayer était une filiale - sont condamnés pour crimes de guerre, entre 6 mois et 6 ans de prison. Bayer n'a pas fait l'objet de poursuites, mais son personnel dirigeant a été limogé et IG Farben démantelé.


A savoir également que Bayer et Monsanto sont issus de ce démantèlement de IG Farben.
Monsanto étant un "cadeau" fait aux américains (qui en ont profité d'ailleurs pour récupérer tout un tas de brevets, et/ou de résultats, et/ou des analyses "scientifiques" des expériences citées ci-dessus)...[
2].

 


-  Ce rapprochement Monsanto/Bayer c'est carrément recréer IG Farben...

Plus récemment, Bayer c'est aussi les huiles frelatées, la pilule contraceptive de la mort, le sang contaminé, le gaz moutarde, le tabun et, entre autres, le fabriquant du zyklon B ..........

 

Monsanto, quand à lui, est le producteur, entre autres saloperies, du Napalm et de l'agent orange (précurseur du roundup) utilisés au Vietnam et responsables d'innombrables cancers et malformations, notamment en raison de la présence de dioxine, un des poisons les plus puissants et les plus stables connus. L'agent orange est responsable de plusieurs maladies chez les militaires assurant sa dispersion, mais surtout chez les civils et combattants vietnamiens évoluant dans les zones directement ou indirectement exposées. La stabilité de la dioxine, sa granulométrie, sa bioaccumulation lui confèrent un effet durable sur les habitants des régions touchées, occasionnant ainsi des cas de cancers ou de malformations à la naissance, des années après la fin des combats. Des milliers d'hectares restent encore aujourd'hui stérilisés par l'agent orange.

 

C'est aussi le leader mondial de la recherche et de la mise en marché des OGMs, et leur cortège de désastres sur les équilibres, les ressources et l'eau en particulier, les biodiversités sauvages et domestiques, le climat et la santé.

 

Nous venons donc de laisser s'accoupler deux des plus grands monstres que l'humanité ait connu...

 

Note :

[1] Lettres de l'entreprise Bayer au camp d'Auschwitz sur l'achat de femmes pour expérimentations chimiques

[2] Monsanto est né ensuite et a récupéré des brevets d'IG Farben

 

Pour en savoir plus :

- Bayer un Poison allemand par le Parti de Gauche

- Bayer/Monsanto – Des pesticides aux OGM, la fusion de tous les dangers

- Comprendre Monsanto dans une vidéo de 3mn. Si tu n’aimes pas Monsanto alors partage !!!

- L’agent orange continue de contaminer des milliers d’enfants au Vietnam

- Pourquoi Monsanto est-elle "la société la plus détestée de la planète" ?

- En achetant Monsanto, Bayer contrôlera près d’un tiers du marché mondial des semences

- Jean-Luc Mélenchon : Lettre à la Commission européenne au sujet de la fusion Bayer-Monsanto

la pieuvre

la pieuvre

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15 septembre 2016 4 15 /09 /septembre /2016 08:14
« Entreprises libérées ». Au bonheur des patrons

Pour la CGT, Les nouvelles formes de management peuvent être pernicieuses :
Un avant-goût de pa­radis socialiste ? Pas tout à fait. Même si le passage en entreprise libérée peut apporter une bouffée d’oxygène bienvenue en misant sur l’esprit d’initiative des salariés, il ne faut pas trop en attendre : le but n’est pas de libérer les travailleurs de l’exploitation capitaliste, mais bien d’augmenter la rentabilité de l’entre­prise

 

Source : L'Humanité Dimanche | Cyprien Boganda

- Si vous en avez marre des plannings imposés et des petits chefs tatillons, l’« entreprise libérée » est faite pour vous !

Ce nouveau modèle managérial un peu fumeux, aussitôt caractérisé de « révolution » par ses promoteurs, colonise les magazines. Que cache-t-il ? Rien de révolutionnaire, malheureusement : si les patrons choisissent de lâcher la bride à leurs salariés, c’est avant tout par intérêt…

 

Le concept fait fureur chez les pontes du management. La notion d’« entreprise libérée » repose sur un principe aussi simple que séduisant : pour fonctionner plus efficacement, une entreprise doit se débarrasser du poids de sa hiérarchie traditionnelle, qui entrave l’autonomie des salariés, au profit d’une structure horizontale, plus égalitaire, qui accorde à tous une grande marge de manœuvre. Jugés contre-productifs, les échelons intermédiaires sont considérablement réduits, voire, dans certains cas, carrément supprimés. Dans l’entreprise libérée, c’en est fini du manager mal embouché qui vous passe un savon le matin parce que vous franchissez le seuil du bureau avec douze minutes de retard. Le salarié décide librement de son emploi du temps et des méthodes à utiliser pour atteindre ses objectifs. Les collectifs de travail pléthoriques sont éclatés en petites unités dans lesquelles les salariés organisent leur planning, partent en vacances quand ils le veulent, élisent des responsables d’équipe pour une durée limitée… Que du bonheur !

 

C’est en tout cas ce qu’explique le grand promoteur de l’entreprise libérée en France, Isaac Getz. Ce gourou du management est professeur de gestion – ou, plus pompeusement, de « leadership et d’innovation » – à l’ESCP Europe. Auteur d’un best-seller traduit dans quatre langues (« Liberté & Cie : quand la liberté des salariés fait le bonheur des entreprises », 2012), il explique son concept par un exemple concret : « “Chef, j’ai un problème !” Que fait le manager dans une entreprise classique ? Il écoute et donne la solution. Le problème, avec cette approche, c’est que, implicitement, le manager renvoie à son subordonné un message disant qu’il a un cerveau inférieur. » Pour le chercheur, la bonne réponse consisterait à dire : « Tu es compétent, trouve la solution et on en discute après ! »

 

 

- bon pour les cost-killers

Dans le monde, nombre d’entreprises assurent avoir « libéré » leurs salariés, les plus connues étant Gore-Tex et Harley-Davidson. En France, une grosse dizaine de sociétés revendiquent également le titre d’« entreprises libérées », comme la biscuiterie Poult, la SSII grenobloise Sogilis (logiciels informatiques) ou l’équipementier automobile Favi (pièces de boîtes de vitesses), basé dans la Somme.

 

Dans ces PME modèles, les pointeuses disparaissent par magie, les salariés créatifs sont récompensés, les patrons desserrent un peu la vis… Un avant-goût de pa­radis socialiste ? Pas tout à fait. Même si le passage en entreprise libérée peut apporter une bouffée d’oxygène bienvenue en misant sur l’esprit d’initiative des salariés, il ne faut pas trop en attendre : le but n’est pas de libérer les travailleurs de l’exploitation capitaliste, mais bien d’augmenter la rentabilité de l’entre­prise. « Au-delà du marketing Bisounours, il s’agit dans bien des cas de faire du cost-killing, résume crûment François Geuze, consultant en RH (relations humaines). En supprimant les échelons intermédiaires – à commencer par les managers –, l’entreprise réduit ses frais de fonctionnement. Les salariés doivent, du coup, assumer des tâches supplémentaires sans être payés davantage… Quant aux responsabilités les plus stratégiques, elles continuent d’être exercées par la direction ! »

 

Par ailleurs, « émanciper » les salariés à la sauce Getz vise surtout à doper leur productivité. Jean-François Zobrist, emblématique dirigeant de la Favi, en convient volontiers. « Mes opérateurs sont 2 % à 3 % plus productifs que les autres, se vante-t-il face caméra [1]. Pourquoi ? Parce qu’ils sont plus heureux. » À la Favi, les salariés bienheureux n’ont plus besoin de pointer tous les matins, mais les cadences ne sont pas pour autant revues à la baisse, loin de là. « Nous ne sommes pas chronométrés, mais on a une cadence horaire à respecter, explique Joanna, opératrice. Nous devons sortir 1 800 pièces en une journée. » [1]

 

Tous les jours, elle quitte son domicile à 4 heures du matin, pour prendre son à 5 heures. S’ensuivent huit d’heures de boulot d’affilée, avant un retour au foyer bien mérité. La semaine suivante, c’est le même rythme, mais de 13 heures à 21 heures. « Je suis très, très fatiguée », avoue-t-elle dans un sourire un peu contraint.

 

 

- du fric et de l’humanisme

Ces cadences élevées font le bonheur de l’entreprise. Le site spécialisé « Dans la cuisine des patrons » (voir encadré) s’est amusé à éplucher les comptes annuels de la Favi sur les douze dernières années. Bilan : « émanciper » l’entreprise sert surtout à débrider les profits ! « Sur 12 ans, la tendance du chiffre d’affaires est à la hausse, celle des effectifs à la baisse, conclut le site. De 66 millions d’euros en 2003, le chiffre d’affaires est passé à 71 millions en 2014 ; de 421 salariés en 2003, la moyenne des effectifs est passée à 385 salariés en 2014. » Par ailleurs, si les bénéfices se portent bien (4 millions d’euros par an, en moyenne), c’est surtout l’actionnaire majoritaire qui en voit la couleur. « Pour 60 % de son montant, le résultat a été distribué à Afica (une société spécialisée dans l’affinage des alliages cuivreux, qui a racheté la boîte en 1971 – ndlr), soit une moyenne annuelle de 2,4 millions d’euros sur les douze dernières années », souligne le site.

 

Mais, trêve de mauvais esprit : après tout, on ne va pas reprocher à un honnête PDG de chercher à dégager de l’argent. Jean-François Zobrist le résume lui-même, dans son style inimitable : « Un patron est une machine à faire du fric. Et l’humanisme est le meilleur moyen d’en faire. » Voilà qui est dit !

 

Note :

[1] Voir le documentaire « Question de confiance », de François Maillart, diffusé le 22 avril 2009, sur France 3.

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6 septembre 2016 2 06 /09 /septembre /2016 08:36
La politique des taux d’intérêt négatifs

Sources : PROJECT- SYNCICATE Athènes le 28/07/2016 par Yanis Varoufakis, (ancien ministre des finances de la Grèce, professeur d'économie à l'université d'Athènes). Traduit de l’anglais par Martin Morel

- Toutes les bonnes choses ont un prix.

Seules les mauvaises, à l’instar des déchets toxiques, présentent un prix négatif, qui équivaut au montant que le protagoniste est prêt à payer pour les faire disparaître. Se pourrait-il que les taux d'intérêt négatifs  signifient l’émergence d’une nouvelle vision de l’argent selon laquelle il serait devenu une « mauvaise » chose ?

 

Au sein des économies de marché, l’argent constitue la mesure de la valeur des biens et des services. Le taux d’intérêt représente le prix de cette mesure – c’est-à-dire le prix de l’argent lui-même. Lorsque ce prix se situe au niveau zéro, peu importe que l’argent soit prêté ou conservé sous un matelas, puisque le coût d’une telle conservation ou d’un tel emprunt est nul.

 

- Question :

- Mais comment est-il possible que le prix de l’argent – qui après tout fait tourner le monde, ou qui selon Karl Marx « transforme toutes [les] impuissances en leur contraire » – se situe au niveau zéro ?

- Et comment expliquer qu’il puisse devenir négatif, comme c’est actuellement le cas dans la majeure partie de l’économie mondiale, à l’heure où les plus fortunés de ce monde « soudoient » les États pour leur emprunter plus de 5 500 milliards $ ?

 

La réponse ne peut revêtir qu’une nature que les économistes ont en horreur, à savoir une nature philosophique, politique, et par conséquent irréductible à une explication positiviste et rationnelle. Autrement dit, la réponse doit avoir trait à l’essence même de l’argent.

 

Sur un marché agricole, les vendeurs qui se retrouvent avec de nombreuses tomates non vendues vont commencer à en baisser le prix, jusqu’à un niveau (éventuellement très bas, mais toujours positif) auquel toutes leurs tomates seront vendues. Par opposition, depuis la crise financière mondiale de 2008, chaque fois que le prix de l’argent a été abaissé, la demande s’y rattachant a chuté, et l’excès d’épargne augmenté. Manifestement, l’argent a quelque chose de différent des tomates et autres « choses » bien définies.

 

Pour comprendre comment l’argent peut à la fois constituer le bien suprême de nos sociétés et atteindre un prix négatif, il convient tout d’abord de réaliser qu’à la différence des tomates, l’argent ne revêt pas de valeur intrinsèque privée. Son utilité découle de ce que son détenteur peut conduire d’autres individus à faire. Comme le formule Lénine dans sa définition de la politique, l’argent est une question de « qui fait quoi à qui ».

 

Imaginez que vous soyez entrepreneur et que vous disposiez d’argent déposé dans une banque, ou qu’une banque soit désireuse de vous prêter d’importantes sommes d’argent dans le cadre d’un investissement dans votre activité. Vos nuits sont agitées tant vous hésitez à investir dans un nouveau produit, c’est-à-dire à exploiter votre possibilité d’accéder à de l’argent pour conduire d’autres individus à travailler pour vous. Face à l’actuelle Grande déflation, votre plus grande inquiétude réside dans le futur état d’esprit et pouvoir d’achat de vos clients. Seront-ils capables et désireux d’acheter votre nouveau produit à un prix assez élevé, et en quantités suffisantes ?

 

Supposons que lors d’une insomnie vous allumiez la radio ou la télévision et découvriez que la présidente de la Réserve fédérale américaine Janet Yellen et le président de la Banque centrale européenne Mario Draghi envisagent d’abaisser encore davantage les taux d’intérêt. Vous réjouiriez-vous à l’idée que vos coûts de financement vont diminuer ? Seriez-vous incité à investir désormais votre propre argent, maintenant qu’il s’accompagne d’un taux d’intérêt moins élevé (peut-être même négatif) ?

 

Certainement pas. Vous réagiriez probablement de manière alarmée à cette nouvelle : « Mon Dieu ! Si Janet et Mario envisagent une nouvelle baisse des taux d’intérêt, c’est qu’ils doivent avoir de bonne raisons de penser que la demande restera faible ! » Vous abandonneriez alors votre projet d’investissement. « Mieux vaut emprunter de l’argent à un prix quasi-nul, » penseriez-vous, « puis racheter davantage d’actions de ma société, booster leur valeur, engranger davantage à la bourse, et encaisser les profits en prévisions de futures périodes difficiles. »

 

 

- C’est ainsi que le prix de l’argent chute, alors même que l’offre abonde en la matière.

Ces mêmes banquiers centraux qui n’ont pas su prévoir la Grande déflation s’efforcent désormais de trouver une porte de sortie au moyen de modèles économiques et économétriques qui ne sont pas non plus parvenus à l’expliquer, et encore moins à proposer des solutions. Peu disposés à remettre en question le dogme politique selon lequel les banques centrales doivent demeurer apolitiques, ils refusent de considérer l’argent comme davantage qu’une simple « chose ». Ainsi poursuivent-ils leur quête d’une solution de bricolage technocratique à un problème qui réclame pourtant une solution politique philosophiquement astucieuse.

 

Cette quête est en effet futile. Dès lors que le prix de l’argent (les taux d’intérêt) a atteint le niveau zéro, les banques centrales ont cherché à acheter des montagnes de dettes publiques et privées auprès de banques commerciales, afin de les inciter à prêter gratuitement. La BCE est allée jusqu’à payer les banques pour que celles-ci prêtent aux entreprises, tout en sanctionnant le fait qu’elles refusent de prêter (via des taux d’intérêt négatifs concernant les réserves excédentaires).

 

Considérant ces mesures comme autant de réponses désespérées à des prévisions de déflation autoréalisatrices, les banquiers et les entreprises sont alors entrés en grève de l’investissement, tout en utilisant l’argent des banques centrales pour gonfler le prix de leurs propres actifs (actions, biens immobiliers, œuvres d’art, etc.). Tout ceci n’a contribué en rien à mettre un terme à la Grande déflation. Les riches sont simplement devenus plus riches encore, résultat qui a en quelque sorte renforcé la croyance des banquiers centraux dans l’indépendance des banques centrales.

 

Fort heureusement, tous les banquiers centraux ne se montrent pas aussi inefficaces dans la formulation de réponses inventives à la Grande déflation. Andy Haldane, économiste en chef de la Banque d’Angleterre, a courageusement suggéré que l’argent devienne totalement numérique, ce qui permettrait d’imposer à tous des taux d’intérêt négatifs en temps réel, obligeant ainsi chacun à dépenser en même temps. De son côté, John Williams, président-directeur général de la Banque de réserve fédérale de San Francisco, a récemment affirmé que la Grande déflation ne pourrait être stoppée qu’en fixant simultanément le niveau des prix et le revenu nominal national – sorte de New Deal faisant intervenir une action conjointe de la Fed et du gouvernement.

 

Ce qui distingue ces banquiers centraux du reste du lot, c’est qu’ils sont prêts à en finir avec le mythe d’une politique monétaire indépendante, à reconnaître que l’argent constitue le bien le plus politique qui soit, à défier la sacralité de l’argent en espèces, et à admettre que la lutte contre la Grande déflation exige un programme de mesures politiques progressives.

 

Simone Weil a dit un jour : « Si vous voulez vraiment connaître un homme, observez la manière dont il se comporte lorsqu’il perd de l’argent. » De même, si nous souhaitons connaître le vrai visage de nos sociétés, efforçons-nous d’observer comment elles réagissent face à des taux d’intérêt négatifs.

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2 septembre 2016 5 02 /09 /septembre /2016 08:58
Quand les socialistes libéraient la finance

Les socialistes français ont joué un rôle pionnier et directeur dans la « libéralisation » de l’économie à l’échelle mondiale. C’est la thèse que défend Rawi Abdelal dans Capital Rules.[1]

 

Sources : Reporterre le quotidien de l'écologie le 12/04/2012 par Raphaël Kempf[21]

Le candidat[2] est lyrique et la pique fait mouche. Son « adversaire », son « véritable adversaire […] n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance ». En ce 22 janvier, au Bourget, François Hollande a prononcé le discours qui lui permettra peut-être d’emporter la bataille présidentielle. En s’attaquant à la finance, il se place aux côtés des nombreux Français qui espèrent que soit mis fin aux excès du capitalisme financier mondialisé.

 

Il n’est pourtant pas sûr que cet adversaire soit vraiment anonyme. Il n’est pas évident qu’aucun parti ne soit à ses côtés pour lui permettre de croître. L’étude de l’histoire récente de la mondialisation montre au contraire que la finance a bénéficié de soutiens de poids. Sans des gouvernements, sans des autorités publiques détentrices du droit de promulguer des lois, la finance n’aurait pas pu se libéraliser. Et, pourrait-on ajouter, sans le choix fait par les socialistes français d’embrasser le capital, la finance n’aurait pas pu, pour reprendre les mots de François Hollande, prendre « le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies ».

 

 

- Politiques de la mondialisation financière

Ainsi, lorsque le candidat affirme dans son discours que « la finance s’est affranchie de toute règle, de toute morale, de tout contrôle », cela pose avant tout une interrogation d’ordre grammatical. La « finance » est ici le sujet, comme si elle avait pu faire exploser d’elle-même les chaînes qui entravaient son déploiement. D’après François Hollande, la finance s’est libérée toute seule, par la seule grâce de son dynamisme et de sa force dévastatrice, peut-on penser. Ce récit est faux. Il a fallu que des gouvernements élus, dans plusieurs pays mais principalement en France, décident de libéraliser les mouvements de capitaux pour que la finance puisse effectivement se déployer.

 

Comme en matière commerciale, où la libéralisation des échanges résulte de choix politiques traduits à l’échelle mondiale dans les accords de l’Organisation mondiale du commerce, ce sont, en matière financière, des décisions politiques qui ont permis de libérer les mouvements de capitaux. Ces événements majeurs de notre époque ne sont pas le fruit d’un mouvement naturel s’imposant avec la puissance de l’évidence. Ils résultent, nous n’y insisterons jamais assez, de choix politiques conscients.

 

Tout l’intérêt du livre important de Rawi Abdelal est de rappeler cette composante politique de la mondialisation financière. L’auteur, professeur à la Harvard Business School et spécialiste d’économie politique internationale, explique, dans sa préface à Capital Rules, avoir eu envie de comprendre pourquoi l’idée selon laquelle les capitaux doivent circuler librement au-delà des frontières constitue de nos jours «  l’orthodoxie » de la pensée économique. C’est donc à une reconstruction historique de l’émergence de cette idée que se livre Rawi Abdelal, qui explique vouloir « écrire une histoire intellectuelle, juridique et politique de la mondialisation financière » (p. x). C’est lors de ses recherches qu’il a découvert le rôle de premier plan qu’a joué la France dans cette entreprise.

 

Persuadé à l’origine, comme tout le monde, que la libéralisation de la finance est le fruit de l’activisme de Wall Street, du Trésor américain et de politiciens de droite, il «  a au contraire découvert le leadership de l’Europe dans la rédaction des règles libérales de la finance globale  » (p. xi). C’est d’abord de cette découverte, dont l’auteur semble être le premier étonné, que le livre fait part. « L’émergence d’un régime libéral de la finance globale ne peut que difficilement se comprendre comme un complot, et encore moins comme un complot orchestré par des politiciens et des banquiers américains. Les conspirateurs les plus influents ont été des socialistes français, des banquiers centraux allemands et des bureaucrates européens.  » (p. 21) – ces derniers pouvant également être membres du Parti socialiste français  : c’est notamment le cas de Jacques Delors et Pascal Lamy.

 

L’auteur propose ainsi, de son propre aveu, «  une histoire révisionniste de l’émergence de la finance globale  » (p. 218) et montre au final que celle-ci n’était «  ni inexorable, ni inévitable » (p. 223). S’appuyant sur l’étude des archives de plusieurs organisations internationales (UE, FMI, OCDE) et sur de nombreux entretiens conduits avec les «  conspirateurs » de l’époque – hauts fonctionnaires français ou européens, ministres des deux côtés de l’Atlantique, analystes des agences de notation –, le livre offre une histoire vivante de la globalisation financière, racontée par ses acteurs de manière souvent assez libre.

 

Le lecteur écoutera ainsi avec amusement Pascal Lamy raconter à Rawi Abdelal que « lorsqu’il s’agit de libéraliser, il n’y a plus de droite en France. La gauche devait le faire, parce que ce n’est pas la droite qui l’aurait fait » (p. 62-631). L’actuel directeur général de l’OMC confiera encore à l’auteur que « des politiciens français ont joué un rôle majeur dans la promotion de la libéralisation du capital en Europe, à l’OCDE et au FMI » (p. 13).

 

Comment ne pas constater la contradiction qui existe entre ces déclarations, qui reconnaissent clairement que la mondialisation résulte de choix politiques, avec ce que ce même Pascal Lamy expliquait récemment au journal Le Monde ? «   Les moteurs de la mondialisation sont technologiques  : le porte-conteneurs et Internet. Gageons que la technologie ne reviendra pas en arrière[4] ! » Alors, la mondialisation, choix politique ou conséquence naturelle du progrès de l’histoire et de la technique  ?

 

Rawi Abdelal, on l’aura compris, décortique les choix politiques, notamment étatiques, relatifs à la circulation des capitaux. Comme l’explique un professeur de droit, la « surveillance [de l’État] s’est principalement manifestée sous la forme d’un contrôle plus ou moins strict sur les mouvements de capitaux, allant de la simple observation à des fins statistiques jusqu’à une interdiction de principe tempérée par un système d’autorisations chichement accordées. L’objectif fondamental des États a longtemps été de veiller à la santé de leur monnaie, de lutter contre l’évasion de leurs réserves en devises et, plus généralement, de contrôler leur balance des paiements  »[5].

 

Ce contrôle n’est plus très bien vu aujourd’hui car le « libéralisme ambiant rend suspectes, voire insupportables, les mesures restrictives auxquelles s’attachent encore plusieurs États »[6]. Alors que le contrôle étatique des capitaux était la norme de la plupart des pays de la planète au début des années 1980, elle n’est plus aujourd’hui que celle de certains pays du Sud  ; la liberté des capitaux concerne désormais l’ensemble du monde dit développé. Le livre de Rawi Abdelal raconte ce qui s’est passé entre ces deux époques et comment nous en sommes aujourd’hui arrivés à une situation dans laquelle, comme le dit encore François Hollande, «  il est possible en une fraction de seconde de déplacer des sommes d’argent vertigineuses » d’un pays à un autre et sans contrôle des autorités publiques.

 

Capital Rules – dont le titre peut signifier aussi bien «  les règles du capital  » que «  le capital gouverne  » – permet ainsi de comprendre comment s’est construite la finance globale en rappelant le caractère historique de telle ou telle orthodoxie économique, en opposant deux types de mondialisation (celle de style «  européen  » fondée sur des institutions et des règles et celle de style «  américain  » qui se veut plus spontanée ou ad hoc, pour reprendre les termes de l’auteur), et en insistant sur l’importance de certains hommes politiques, dont des socialistes français. On pourra regretter – même si là n’est pas le véritable objet du livre – que Rawi Abdelal ne prenne pas la mesure de l’ampleur de sa découverte sur l’avenir des gauches de gouvernement en général et du socialisme français en particulier.

 

- Relativité de l’orthodoxie économique

Rawi Abdelal montre en revanche très bien comment chaque époque a tenté de justifier ses choix politiques concernant les mouvements de capitaux en les présentant comme naturels. «   Les métaphores religieuses qui se répandent dans l’étude et les orientations pratiques du système monétaire international – le dogme, l’hérésie, l’orthodoxie – laissent penser, comme c’est souvent le cas avec un vocabulaire aussi radical, qu’elles ne sont pas fondées sur des bases solides » (p. 218).

 

Et en effet, la relativité de ce vocabulaire reli gieux se révèle sur le plan historique  : «   Le contenu de l’orthodoxie financière a été profondément transformé au cours du siècle précédent, et plus d’une fois. […] Pourquoi le contrôle des capitaux était-il hérétique au début du xxe siècle, orthodoxe au milieu, et de nouveau hérétique à la fin  ? » (p. ix). En effet, de manière générale, avant la première guerre mondiale, les taux de change étaient fixes et les capitaux et le commerce libres, tout comme «  les gens traversaient les frontières nationales avec peu de contraintes » (p. 4)  ; Keynes, cité par l’auteur, se félicitait de pouvoir se déplacer librement et échanger or ou monnaie sans contrainte. La guerre a naturellement conduit les gouvernements à suspendre la convertibilité de leur monnaie avec l’or et d’autres monnaies, et la crise des années 1930 a poussé les États à accroître les contrôles sur les mouvements de capitaux.

 

La fin de la seconde guerre mondiale donne naissance au système de Bretton-Woods, période qualifiée par l’auteur de «  libéralisme encastré » («  embedded liberalism ») pendant laquelle le capital était «  gouverné » («  capital ruled »). Le consensus de l’époque était « extraordinaire » (p. 43) en ce que le monde estimait naturel de contrôler les mouvements de capitaux alors même que l’orthodoxie était inverse quelques décennies plus tôt. «  Le capital devait être contrôlé et ce, pour une raison importante  : les gouvernements étaient supposés être autonomes des forces du marché » (p. 44). Les règles de l’époque ont codifié le droit des États de contrôler les mouvements de capitaux, notamment à court terme, dans les textes fondateurs du FMI, de la Communauté européenne et de l’OCDE. Ce sont certains de ces textes qui seront transformés dans les années 1980, sous l’impulsion de socialistes français, pour obliger les États à ouvrir les vannes aux mouvements de capitaux.

 

La période suivante est celle d’une mondialisation « ad hoc » de la finance. Ainsi, «   au cours des années 1960, les gestionnaires, investisseurs et spéculateurs se sont frayé un chemin de manière ingénieuse parmi la pléthore de règlements qui encadraient leurs pratiques » (p. 7). Cette période est celle d’une mondialisation spontanée où «  cette créativité » (ibid.) des marchés eux-mêmes permet d’étendre le domaine de la finance, malgré les contraintes étatiques sur les mouvements de capitaux.

 

La place consacrée à cette période dans Capital Rules est minime. Cela peut étonner car il est souvent admis que les marchés se sont libéralisés d’eux-mêmes, et la logique de cette époque semble correspondre au récit dominant. Cette période de mondialisation «  ad hoc » pourrait ainsi être une preuve du caractère spontané, voire naturel, de l’extension du domaine de la finance. On pourrait presque penser que, si Abdelal avait pleinement étudié cette période et en avait déroulé la logique, ses conclusions auraient été contraires à la découverte dont il nous fait part dès les premiers paragraphes de son livre. Autrement dit, François Hollande pourrait facilement s’appuyer sur l’histoire de cette période pour étayer sa thèse d’une finance sans visage.

 

C’est d’ailleurs là une des principales critiques qui a été adressée à Capital Rules par des commentateurs, notamment en France. Jérôme Sgard rappelle ainsi que « la globalisation financière est d’abord une affaire d’investisseurs privés et d’arbitrage de marchés »[7] et lui reproche de gonfler l’importance des règles, du politique et des organisations internationales dans la libéralisation financière. Son livre insisterait trop sur les décisions prises en conscience par des acteurs politiques réalisant un dessein, et pas assez sur leur caractère souvent court-termiste et contingent. Il en oublierait en outre jusqu’au rôle essentiel des marchés.

 

Peut-être peut-on reprocher à Abdelal d’avoir voulu, dès le départ, partir en quête de normes figées pour raconter la mondialisation financière. Tout comme il est vrai qu’on ne saurait écrire l’histoire d’un peuple en étudiant uniquement ses codes et ses lois, il paraît impossible d’expliquer la mondialisation en ne s’intéressant qu’au droit international. Son approche serait donc trop institutionnelle et juridique. La loupe utilisée, à force de grossir le trait, donnerait-elle une image faussée du phénomène étudié  ?

 

Si, effectivement, Capital Rules passe peut être trop rapidement sur cette période où les forces du marché auraient elles-mêmes mondialisé la finance, il montre toutefois que, même ici, les marchés n’auraient rien pu faire sans les États. Plusieurs éléments avancés par Abdelal permettent ainsi de relativiser la thèse de la «  créativité » spontanée des marchés. Ainsi, il rappelle que, dans les années 1960, les premiers signes de la mondialisation financière «  ont émergé du fait des acteurs du marché, avec l’accord tacite des États-Unis et du Royaume-Uni » (p. 8). Ces deux pays ont encouragé ce mouvement en relâchant les contrôles sur les mouvements de capitaux.

 

Le second élément avancé par l’auteur a trait aux agences de notation. Elles ont joué un rôle essentiel dans cette mondialisation «  spontanée  ». Rawi Abdelal leur consacre un chapitre important et esquisse une fine analyse de leur rôle dans le système financier et dans la définition de l’orthodoxie économique. Si le contenu de l’orthodoxie défendue par les agences (Standard & Poor’s et Moody’s, deux agences qui forment, selon l’auteur, un «  duopole » ou un «  double monopole ») a pu évoluer avec le temps, le fameux «  triple A  » a toujours été accordé uniquement aux États ouverts au commerce et intégrés au système financier global (p. 178). Et si les critères de notation développés par les agences ont pu prendre autant d’importance, c’est parce que des règles nationales, américaines en premier lieu, y font référence. «  La puissance de S&P et Moody’s provient en partie des informations exprimées par leurs notes, mais aussi de la très grande intégration des notations de crédit dans les réglementations financières nationales » (p. 8). «  Ni publiques, ni privées » (p. 173), ou alors publiques et privées à la fois, les agences de notation exercent un pouvoir qui leur a été délégué par les gouvernements et les marchés. Leurs notations acquièrent ainsi «  force de loi » par la grâce de cette délégation. Autrement dit, même là où la libéralisation financière paraît être spontanée ou «  ad hoc », elle résulte d’une délégation d’autorité par des pouvoirs publics.

 

Ce bref tableau historique aura permis à Rawi Abdelal de déconstruire certaines évidences en rappelant le caractère contingent des idées qui peuvent apparaître successivement orthodoxes ou hétérodoxes en fonction des époques. Et, à cette mondialisation financière spontanée et approuvée par les États-Unis et le Royaume-Uni, il oppose le projet européen, français et socialiste de maîtriser la mondialisation en l’encadrant par des règles, fussent-elles libérales.

 

- Où l’on apprend que les socialistes renoncèrent à discipliner le capital

L’Europe a joué un rôle essentiel dans la codification des règles de libéralisation financière, et son évolution au cours des années 1980 permet de le mesurer. Le traité de Rome de 1957 ne faisait de la liberté des mouvements de capitaux qu’une liberté secondaire par rapport aux autres libertés économiques fondamentales[8]. «  Le capital devait être, selon le langage de l’époque, «  discipliné  » – obligatoirement investi dans le pays pour créer des emplois et des revenus fiscaux, qui permettraient alors de financer l’État-providence » (p. 48).

 

Dans un arrêt de 1981, la Cour de justice des Communautés européennes pouvait ainsi affirmer que «   les mouvements de capitaux présentent des liens étroits avec la politique économique et monétaire des États membres. Au stade actuel, on ne saurait exclure que la liberté complète de tout mouvement de capital puisse compromettre la politique économique de l’un ou de l’autre des États ou provoquer un déséquilibre de sa balance des paiements  » [9].

 

Cette «  situation a changé radicalement en juin 1988 » (p. 57), lorsqu’une directive essentielle est adoptée et libéralise les mouvements de capitaux entre États membres[10]. En 1992, le traité de Maastricht obligera les États membres à libéraliser ces mouvements également dans leurs relations avec les États tiers. Ainsi, en moins de dix ans, le capital a gagné le droit de circuler librement alors même que cela pouvait «  compromettre la politique économique de l’un ou de l’autre des États ». Cette transformation radicale constitue le nœud de Capital Rules. L’auteur s’interroge  : «   Une question essentielle est alors de savoir ce qui a changé en Europe entre le début des années 1980 – lorsqu’une initiative pour réécrire les règles de la finance européenne a échoué alors même que le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas la soutenaient avec enthousiasme – et la fin des années 1980, lorsque les fondements institutionnels de la finance européenne ont été complètement restructurés. […] La réponse est presque trop simple  : la France a changé. La simplicité de cette réponse symbolise l’un des virages les plus importants de l’histoire économique moderne » (p. 57).

 

C’est en recherchant ce qui s’est passé en France à cette période que Rawi Abdelal découvre le rôle essentiel de certains socialistes autoproclamés modernisateurs. « L’histoire de l’intégration financière européenne est aussi nécessairement l’histoire de la manière dont la gauche française s’est convertie au capital » (p. 58).

 

Capital Rules entreprend alors de raconter l’histoire – bien connue de ce côté-ci de l’Atlantique – des premières années Mitterrand et du tournant de la rigueur de mars 1983, que l’auteur décrit comme un «  revirement » («  the Mitterrand U-turn »). Il rappelle ainsi les contraintes économiques extérieures et la fuite des capitaux à la suite de l’élection de François Mitterrand, ainsi que les mesures drastiques de contrôle des changes qui ont suivi, puis l’assouplissement général de ces mêmes contrôles à partir de la fin 1983 à la suite de ce fameux tournant. Ce moment essentiel a pu être décrit dans une note de la très officielle Fondation Jean-Jaurès comme «  le moment du retournement, celui où se concrétise le basculement de l’idéologie à la réalité économique »[11]. La référence à la «  réalité » laisse songeur. Il pourrait s’agir ici de l’autre nom de la «  pensée unique  », expression utilisée avec bonheur, et en français dans le texte, par Rawi Abdelal pour décrire cette année 1983 où les règles de l’orthodoxie économique ont été adoptées par l’ensemble du spectre politique français.

 

La conversion des socialistes au capital peut être décrite comme un mouvement en trois temps. Le premier est celui où le gouvernement socialiste se retrouve confronté aux marchés internationaux. À l’arrivée de Mitterrand au pouvoir, «  un choix semblait toujours être possible » (p. 58), le politique paraissait avoir une marge de manœuvre sur l’économie de manière à favoriser la redistribution des richesses. Mais ce projet échoua rapidement, raconte Abdelal, «  en partie parce que les marchés financiers ne faisaient pas confiance au nouveau gouvernement français  » (p. 58). Le livre ne s’attarde pas ici sur l’importance du rapport entre marchés et gouvernement, même s’il développera dans un autre chapitre une analyse de ce rôle nouveau des marchés, qui accordent ou non leur confiance aux politiques publiques. Les premières années Mitterrand pourraient pourtant être considérées comme un exemple typique de ce poids nouveau des marchés dans les choix politiques.

 

À cette nouvelle contrainte, le gouvernement a répondu en renforçant les contrôles sur les mouvements de capitaux, lesquels sont apparus à certains ministres et hauts fonctionnaires comme des règles inefficaces et nuisibles, surtout aux classes moyennes. Le deuxième temps est donc celui du débat sur la nature de la politique à adopter dans ces circonstances. Ce débat s’est déroulé entre les membres du gouvernement et quelques experts, à l’exclusion du Parti socialiste, de ses militants, et bien évidemment du peuple. On rappellera rapidement que le ministre des Finances Jacques Delors et le Premier Ministre Pierre Mauroy défendaient la rigueur et le maintien de la France dans le système monétaire européen, tandis que d’autres préconisaient « l’autre politique » (p. 59, en français dans le texte) visant à défendre l’autonomie de la France par rapport aux marchés et à l’Europe. Le tournant interviendra lorsque le ministre du Budget Laurent Fabius et le secrétaire général de l’Élysée Pierre Bérégovoy accepteront la rigueur et convaincront le président.

 

Le troisième temps est donc celui de la rigueur et du relâchement des contrôles des mouvements de capitaux. Au-delà des débats de personnes au sein du gouvernement, les motivations des socialistes acteurs de ce tournant permettent de mettre en lumière une inflexion radicale du sens de la politique à gauche.

 

En effet, si l’on en croit l’auteur, l’une des raisons déterminantes ayant poussé le gouvernement à prendre ce tournant est le constat selon lequel les contrôles des capitaux nuisaient surtout aux classes moyennes, tandis que les riches arrivaient sans difficulté à les contourner. Le « carnet de change » était alors impopulaire et limitait les devises auxquelles avaient droit les Français lors de leurs déplacements à l’étranger. Il serait intéressant de savoir quelle proportion des «  classes moyennes  » pouvait, en 1983, prendre ses vacances à l’étranger et était réellement sous la contrainte du carnet de change. Quoi qu’il en soit, en se basant sur des entretiens avec des acteurs de cette période, Abdelal considère qu’il y a là un fondement du tournant pris par les socialistes. En outre, une autre motivation du tournant est l’objectif d’utiliser des «  politiques libérales ostensibles comme des outils à objectif social » (p. 29).

 

L’auteur y insiste à de nombreuses reprises  : l’idée, avec la libéralisation du secteur bancaire français était, comme pour l’assouplissement du contrôle des changes, « d’apporter les bénéfices du capital aux classes moyennes » (p. 62). Enfin, la volonté de «  moderniser  » la France est apparue à certains responsables socialistes comme un moyen de gagner une crédibilité politique personnelle en mettant en avant leur compétence et leur réalisme. Que le terme de modernisation soit associé à la libéralisation financière signe un changement d’époque, une transformation du vocabulaire, un tournant.

 

Le récit officiel de l’abdication de la gauche devant les forces du marché doit donc être réécrit. «   L’année 1983 n’a pas été l’année de la capitulation de la gauche française devant la finance, mais celle de son ralliement à celle-ci », écrit Aquilino Morelle dans une tribune de presse[12]. Bien plus, les idées et pratiques nées en France à cette période – à savoir que la mondialisation peut et doit être maîtrisée par des règles, fussent-elles libérales – constituent un véritable schème explicatif cohérent. «   La seule convergence décisive des visions libérales était à Paris. C’est le ’ consensus de Paris’, et non celui de Washington, qui est avant tout responsable de l’organisation financière mondiale telle que nous la connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire centrée sur les économies développées de l’UE et de l’OCDE, et dont les codes libéraux constituent le socle institutionnel de la mobilité des capitaux  »[13].

 

À partir de ce tournant et de la cristallisation de ce qu’on n’appelait pas encore le «  consensus de Paris  », les architectes français de la rigueur s’emploieront à écrire des règles libérales dans les textes fondateurs de certaines organisations internationales, Europe en tête. C’est Jacques Delors, devenu président de la Commission européenne en 1985, et son directeur de cabinet Pascal Lamy, qui prépareront la directive de 1988 sur la libéralisation des mouvements de capitaux. Le traité de Maastricht permettra, trois ans plus tard, d’inscrire ces règles dans les textes fondamentaux de l’Union européenne. À partir de ce moment, il n’est plus possible aux États membres de limiter les mouvements de capitaux entre eux ou avec des États tiers.

 

Rapidement, le «  consensus de Paris  » s’étend au-delà des frontières de l’Europe. De hauts fonctionnaires français du Trésor, artisans de la rigueur lorsque la gauche était au pouvoir, se retrouvent à des postes clés au sein de l’OCDE (Henri Chavranski) ou au FMI (Michel Camdessus) et tentent de faire interdire par leurs organisations respectives les contrôles sur les mouvements de capitaux de leurs membres. La tentative réussit à l’OCDE, qui réunit des pays dits développés, mais pas au FMI, où elle ne résiste pas aux crises financières de la fin du xxe siècle dans plusieurs pays émergents. Dans les années 1990, en effet, sous la direction de Michel Camdessus, le FMI avait tenté d’étendre son mandat à la sphère du contrôle des mouvements de capitaux. Mais le Fonds ne réussira pas à codifier une telle règle. Entre-temps, en septembre 1998, la Malaisie, par exemple, est parvenue à surmonter la crise en réinstaurant un contrôle des capitaux. Il devenait dès lors impossible de cristalliser une telle règle au niveau du FMI. Il n’en reste pas moins que la liberté de la finance est aujourd’hui la règle dans l’Union européenne et dans l’OCDE.

 

- De quoi le «  consensus de Paris  » est-il le nom  ?

Des socialistes français, c’est entendu, ont formulé le consensus de Paris sur la mondialisation financière. Mais même si Rawi Abdelal qualifie ce fait de «  paradoxe français », il paraît ne pas en prendre toute la mesure politique. Il semble au contraire s’amuser de sa découverte, comme si elle n’avait d’autre intérêt que cosmétique, et la prend parfois à la légère – elle ne serait qu’un moyen de pimenter son récit. Des Français, des socialistes, à l’origine du capitalisme financier contemporain, dites-vous  ? Voilà qui a de quoi faire sourire les rédactions outre-Atlantique. Et le Wall Street Journal ne s’y est pas trompé qui salue ce livre tout en s’amusant du rôle de cette «  bande de socialistes français » dans l’histoire[14].

 

En France, on l’a vu, Capital Rules n’a fait naître aucun débat politique, bien qu’il ait fait l’objet de quelques recensions assez techniques[15]. Les critiques se sont focalisées sur le rôle minime accordé aux marchés par l’auteur, et son insistance sur des hommes et des institutions. Pour Jérôme Sgard, «  Abdelal en fait un peu trop avec nos Quatre Socialistes » (Delors, Lamy, Camdessus, Chavranski), qui ont propagé la bonne parole libérale dans les institutions internationales. Il est vrai qu’il insiste beaucoup sur le poids des hommes, lesquels ne sont pourtant que de hauts fonctionnaires au milieu d’organisations aux intérêts multiples. Néanmoins, au-delà de ces quatre personnes, le tournant de 1983 a été décidé, on l’a vu, par un gouvernement socialiste  ; et ce tournant a permis à l’Europe de prendre elle aussi le virage de la libéralisation financière. La question n’est donc pas de savoir quel est le rôle individuel de tel ou tel, mais plutôt de voir une gauche de gouvernement prendre dans son ensemble une direction tout autre que celle pour laquelle elle a été élue.

 

C’est en cela, sur le plan politique, que ce livre pose, en France, des questions difficiles. Car il ne s’agit pas de faire une critique interne de Capital Rules, du point de vue de l’expert en économie ou du spécialiste des institutions internationales. Il faut au contraire voir ce qu’il peut nous dire et nous apprendre de politique. Que penser de ce ralliement des socialistes  ? Signe-t-il la fin de la possibilité même de construire un projet émancipateur à gauche  ?

 

Dans son remarquable ouvrage sur la décennie 1980, François Cusset a souligné cette grande victoire paradoxale de la gauche. «   Les milieux économiques eux-mêmes se félicitent d’une crise qui pousse le nouveau pouvoir à des réformes allant dans le sens de leurs intérêts  : rigueur salariale, allégement de la fiscalité, modernisation des marchés financiers, flexibilité accrue de l’emploi. La gauche est plus libérale, plus efficacement libérale que la droite, se réjouissent-ils, et elle seule pouvait venir à bout en trois petites années d’un anticapitalisme français qu’on croyait indéracinable.  » Que faire, désormais, de cette gauche de gouvernement  ? Peut-on croire que la rigueur n’était qu’une «  parenthèse »[16], comme l’a expliqué à l’époque, en 1983, le premier secrétaire du PS[17] ?

 

Lionel Jospin dirigeait alors un parti «   pensé avant tout comme une organisation de mobilisation de l’électorat, au détriment des autres fonctions dévolues à un parti politique, comme notamment la fonction doctrinale »[18]. Il a en effet été démontré que le parti avait été marginalisé dans les choix faits par le gouvernement de François Mitterrand[19]. L’appareil militant n’avait pas son mot à dire, pas plus que le peuple, à qui était imposé le virage.

 

C’est ici que le livre de Rawi Abdelal soulève une autre interrogation. Si ce sont bien des «  choix politiques  » qui ont permis l’expansion de la finance, la nature de cette «  politique  » est pour le moins réductrice. Le terme ne vise ici que des choix faits au niveau d’experts gouvernementaux, hauts fonctionnaires ou ministres, qui ont débattu entre eux des options à prendre. Le peuple est réduit aux seules «  classe moyennes  » au profit desquelles auraient été opérés le tournant de la rigueur et la libéralisation financière et bancaire. Ainsi, au-delà du seul ralliement au capital, l’année 1983 signerait-elle aussi l’abandon par la gauche des classes populaires  ?

 

Comment lire, également, la fine analyse par l’auteur de la notion de crédibilité  ? Nous vivons, explique-t-il, à «  l’ère de la crédibilité ». C’est-à-dire que «   le succès d’une politique dépend fondamentalement et nécessairement de la manière dont les marchés financiers réagissent. […] Lorsque les marchés ne croient pas qu’une politique va améliorer les performances économiques d’un pays, alors cette politique ne peut pas réussir » (p. 163). Doit-on en déduire que les jeux sont faits, que la politique n’existe plus  ? «  En France, écrit encore François Cusset, comme dans le reste du monde occidental, les années 1980 sont l’aboutissement d’un processus biséculaire d’autolimitation économique de la politique, sinon même le résultat d’une très vieille tentative, bien sûr impossible, pour abolir la politique  »[20]. Il est vrai qu’une fois que les règles du capitalisme mondialisé sont inscrites dans des traités internationaux, lesquels nécessitent l’accord de plusieurs dizaines de pays pour être modifiés, il paraît impossible de revenir dessus et de choisir une autre politique. En codifiant ces règles au cours des années 1980, le politique s’est lui-même interdit, pour l’avenir, de faire d’autres choix.

 

Le livre de Rawi Abdelal, s’il ne se prononce pas sur l’avenir du politique, a le mérite de mettre au jour cette histoire. Et il paraît étonnant qu’il ait été ignoré en France, alors même que ce pays est le premier concerné. Pourrait-on en conseiller la lecture au candidat socialiste  ? Cela lui permettrait peut-être de formuler avec plus de mesure et, serait-on tenté de dire, avec plus de réalisme, ses diatribes contre la finance. Connaître et assumer le passé de son propre parti lui permettrait peut-être de le dépasser, et de ne pas tromper l’attente de ces électeurs éblouis par les charmes d’un candidat normal, proche des gens, et dont les attaques contre la finance paraissent si convaincantes.

Note :

[1] À propos du livre de : Rawi Abdelal, Capital Rules : The Construction of Global Finance, Cambridge, Harvard University Press, 2007, 304 p., 15,15 £.

[2] F. Hollande

[3] Rawi Abdelal, «  Le consensus de Paris  : la France et les règles de la finance mondiale  », trad. R. Bouyssou, Critique internationale, 2005/3, n° 28, p. 96. (Cet article recoupe en partie certains chapitres de l’ouvrage commenté. Nous avons choisi d’utiliser la traduction de Rachel Bouyssou lorsque cela était possible.)
[
4] Pascal Lamy, «  La démondialisation est un concept réactionnaire  », entretien paru dans Le Monde, 1er juillet 2011

|5] Claude J. Berr, «  Circulation des capitaux – Paiements internationaux et investissements  », Répertoire commercial Dalloz, octobre 2009, p. 2.
[
6] Ibid.

[7] Jérôme Sgard, «  Lectures  », Critique internationale, n° 42, janvier-mars 2009, p. 171-172.

[8] Les textes fondateurs du droit de l’Union européenne (souvent dénommé «  droit communautaire  »), et en premier lieu le traité de Rome, établissent quatre libertés économiques fondamentales pour permettre la réalisation du marché intérieur  : la libre circulation des produits, des personnes et des capitaux, ainsi que la libre prestation de services. Elles ne doivent évidemment pas être confondues avec les «  libertés fondamentales  » du sens commun et des juristes de droit public (libertés d’expression, de manifestation, etc.).

|9] CJCE, Casati, 11 novembre 1981, C-203/80, §9, p. 2614, cité par Rawi Abdelal p. 55.

[10] Directive 88/361/CEE du Conseil du 24 juin 1988 pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité.
[11] Floriane Galeazzi et Vincent Duchaussoy, «  1983  : le “tournant” en question  », Note n° 90, Fondation Jean-Jaurès, 2 mai 2011, p. 10.
[12] Aquilino Morelle, «  La démondialisation inquiète les partisans d’un libéralisme aux abois  », Le Monde, 8 septembre 2011.
[
13] Rawi Abdelal, «  Le consensus de…  », art. cit, p. 90.

[14] Matthew Rees, «  Why Money Can Now Make Its Way Around the World  », The Wall Street Journal, 14 février 2007.
[
15] Jérôme Sgard, art. cit. Voir aussi Nicolas Véron, «  Le “French paradox”  de la libéralisation financière  », La Vie des Idées, septembre 2007.
[16] Cité par Thierry Barboni, «  Ressorts du discours socialiste lors du « virage de la rigueur »  », Nouvelles Fondations, 2006, n° 2.
|
17
] François Cusset, La Décennie. Le grand cauchemar des années 1980, Paris, La Découverte, 2006, p. 93.
[
18] Ibid., p. 62.
[
19] Ibid.
[
20] Ibid, p. 214.

[21] Raphaël Kempf est juriste, titulaire du certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Il est l’auteur de L’OMC face au changement climatique. Étude de droit international (Pedone, 2009)

 

Pour en savoir plus :

- Le sacro-saint ratio de 3% du PIB.... une invention franco-socialiste

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5 août 2016 5 05 /08 /août /2016 08:31
La tourmente grecque : « Chronique d’un coup d’Etat »

Un gros plan à la fois humain et financier sur les causes et les conséquences de la crise grecque. Une enquête précise et claire sur les mécanismes de l’austérité et de la dette publique, sur la capitulation du gouvernement Syriza vis à vis des institutions européennes. La Grèce est un laboratoire en Europe. Un film pour débattre sur les perspectives politiques et les alternatives démocratiques en France et en Europe. Un documentaire lanceur d’alerte.

 

Sources : CADTM (Comité pour l'Abollition des DetTes illègitiMes)  par Philippe Menut[1]

Après  six mois de négociations, malgré le « non » massif des Grecs au référendum, le gouvernement Syriza a cédé aux injonctions des « institutions » de la zone euro, tout en renonçant à toute annulation ou allègement de sa dette. Comment l’expliquer ? En quoi une alternative était-elle possible ?

 

Par une enquête précise et claire, le documentaire ouvre le débat sur les perspectives politiques et sur les alternatives démocratiques en Grèce et en Europe.

 

« Je n’ai pas fait un film pour dire ce que je savais ; ce que j’explique, je l’ai compris en tournant le documentaire » (Philippe Menut).

 

La première version du film, actualisé à deux occasions, avait été projetée et débattue plus de 120 fois en France.


Les programmations ont été soutenues notamment par Attac, le CADTM, Les Amis du Monde diplomatique, le CAC (collectif pour un audit citoyen de la dette publique), Assemblées citoyennes, Solidarité France Grèce pour la santé, La Ligue des Droits de l’Homme, ACRIMED, Osez Le Féminisme, la CGT, SUD-Solidaires, Parti de Gauche, Ensemble-FdG, PCF,  NPA, EE-les Verts, Nouvelle Donne (liste ouverte).


Le film a également été programmé à Athènes, Madrid, Liège, Namur, Montréal et Berlin.

 

  • Programmation : rendez-vous dans onglet « contacts » pour organiser une projection-débat dans votre ville, avec votre salle de cinéma, votre association, votre syndicat, votre organisation politique ou autre.
  • Distributeur : « Les films du mouvement ». Le film est proposé sur supports DCP, Blu-ray ou DVD.
  • Si vous êtes programmateur-trice et que vous souhaitez recevoir un lien privé de visionnage du film, demandez-le à lesfilmsdumouvement@gmail.com .

Note :

[1] Philippe Menut : Après 30 ans de carrière en tant que journaliste grand reporter à France 2 Paris et France 3 Montpellier, Philippe Menut se lance en toute liberté et indépendance dans le tournage du film La tourmente grecque avec l’appui de nombreux amis grecs.

 

Pour en savoir plus :

- La dette grecque, une tragédie européenne

- Grèce : la responsabilité du FMI mise au jour, mais tout continue comme avant

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8 juillet 2016 5 08 /07 /juillet /2016 08:34
« Le néolibéralisme a-t-il été surestimé ? » se demande le FMI.

Un texte intitulé « Neoliberalism : oversold ? » vient d’être publié dans le numéro de juin de la revue du Fonds Monétaire International. Il critique, avec de la modération mais sans ambiguïté, la vigueur et la généralisation des politiques néolibérales - qualifiées comme telles - au niveau mondial, l’instabilité qu’elles provoquent, les inégalités qu’elles génèrent.

 

Source :  Le Grand Soir le 6 mai 2016[1]

Ce n’est pas la première fois que des doutes s’expriment depuis le cœur même du réacteur. Et cela n’empêche pas le réacteur de continuer à tourner à fond, emporté par son propre élan.

 

En 2013 par exemple, dans un rapport sur la Grèce (IMF Country report n° 13/156) le Fonds avait esquissé un mea culpa sur les politiques d’austérité appliquées à la Grèce. Il avouait avoir sous estimé les effets récessifs de la rigueur sur l’activité économique hellène. Il convenait qu’il aurait mieux valu envisager dès 2010 un défaut partiel sur la dette, qui sera finalement autorisé que deux ans plus tard.

 

De la même façon, la Commission européenne publiait la même année un rapport mettant en cause l'austérité et indiquant par exemple que « les effets négatifs des restrictions budgétaires et des hausses d’impôts sur l’emploi et le niveau de vie sont de plus en plus visibles dans certains États membres ».

 

Toutes ces belles paroles de part et d’autre n’ont pas empêché que les mêmes politiques de se poursuive, notamment en Europe et spécialement en Grèce.

 

Ceci dit, comme il n’y pas de mal à se faire du bien et parce que ce n’est peut-être pas uniquement la simple « tempête dans un verre d’eau » que le journal Le Monde adorerait pouvoir y voir, voici le texte intégral du FMI.

 

Le néolibéralisme a-t-il été surestimé ?

 

Au lieu de relancer l’activité, certaines politiques néolibérales ont accru les inégalités, compromettant en retour la croissance durable de l’économie.

 

En 1982 Milton Friedman saluait le « miracle économique » chilien. Près d’une décennie plus tôt, le Chili avait été soumis aux politiques qui, depuis, se sont imposées partout dans le monde. L’agenda néolibéral - expression davantage utilisée par les critiques que par les tenants de cette politique - repose sur deux éléments principaux. Le premier est l’accroissement de la libre concurrence, obtenu grâce à la déréglementation et à l’ouverture des marchés, y compris financiers, à la concurrence étrangère. Le second est la réduction du rôle de l’État, via les privatisations et les limites imposées aux gouvernements en matière de déficits budgétaires et d’endettement.

 

On assiste partout dans le monde, depuis les années 1980, à la généralisation du néolibéralisme. Elle est notamment visible dans la façon dont les différents pays ont introduit la concurrence dans divers domaines de l’activité économique pour favoriser la croissance.

 

Comme on le voit dans la planche de gauche du graphique ci-dessous, la poussée néolibérale au Chili a commencé une dizaine d’années avant 1982, avec des changements de politiques le rapprochant des États-Unis. D’autres pays ont également mis en œuvre des politiques néolibérales (voir le graphique 1, planche de droite).

 

Il y a certes eu des éléments positifs dans l’explosion néolibérale. L’expansion du commerce mondial a sorti des millions de personnes d’une pauvreté abjecte. L’investissement direct étranger a souvent été un moyen de transfert de technologie et de savoir-faire pour les économies en développement. La privatisation des entreprises publiques a, dans de nombreux cas, permis de fournir des services plus efficaces et de réduire le fardeau fiscal des gouvernements.

 

Cependant, d’autres aspects du néolibéralisme n’ont pas fonctionné. Notre évaluation de celui-ci se limite aux effets générés par deux mesures : la suppression des restrictions à la circulation des capitaux à travers les frontières d’un pays (la fameuse libéralisation du capital), et l’assainissement budgétaire parfois appelé « austérité », expression utilisée pour désigner les politiques de réduction des déficits budgétaires et des niveaux d’endettement. Une évaluation de ces politiques spécifiques (plutôt que de l’intégralité vaste processus néolibéral) aboutit à trois conclusions inquiétantes :

  • les avantages en termes de croissance semblent assez difficiles à établir lorsqu’on considère un grand nombre de pays,
  • les coûts en termes d’accroissement des inégalités sont exorbitants. Ces coûts incarnent le dilemme croissance / équité de l’agenda néolibéral,
  • la hausse des inégalités hypothèque à son tour le niveau et la durabilité de la croissance. Même si la croissance est le seul ou le principal objectif du néolibéralisme, les partisans de celui-ci devraient malgré tout prêter attention aux effets distributifs.

 

 

- Ouverture et fermeture ?

Comme l’a noté Maurice Obstfeld (1998), « la théorie économique ne laisse aucun doute sur les avantages potentiels » de la libéralisation du capital, parfois appelée « ouverture financière ». Celle-ci peut permettre au marché international des capitaux de canaliser l’épargne mondiale de façon à rendre plus efficiente son utilisation à l’échelle internationale. Les économies en développement disposant de peu de capital peuvent emprunter pour financer leurs investissements, ce qui favorise leur croissance économique sans exiger de fortes hausses de l’épargne dans leur propre économie. Mais Obstfeld a également souligné le « risque véritable » de l’ouverture aux flux financiers étrangers. Il a admis que « cette dualité des avantages et des risques était incontournable dans le monde réel ».

 

Il se trouve que c’est le cas. Le lien entre ouverture financière et croissance économique est complexe. Certaines entrées de capitaux, tels que les investissements directs étrangers (IDE) - qui peuvent inclure un transfert de technologie ou de capital humain - semblent stimuler la croissance à long terme. Mais l’impact des autres flux - comme les investissements de portefeuille, les services bancaires risqués ou spéculatifs sur la dette - ne semble ni stimuler la croissance, ni permettre au pays de mieux partager les risques avec ses partenaires commerciaux (Dell’Ariccia et autres, 2008 ; Ostry, Prati et Spilimbergo, 2009). Cela suggère que la balance entre avantages et risques des flux de capitaux dépend du type de flux considéré, ainsi que de la nature des politiques menées.

 

Si la croissance et ses bénéfices sont incertains, les coûts en termes d’instabilité économique et la fréquence des crises semblent quant à eux plus évidents. Depuis 1980, il y a eu environ 150 épisodes de volatilité pour les flux de capitaux dans plus de cinquante économies émergentes. Comme indiqué dans la colonne de gauche du tableau ci-dessous, ces épisodes se sont terminés par des crises financières dans 20% des cas, dont beaucoup associées à de forts épisodes récessifs (Ghosh, Ostry et Qureshi, 2016).

 

L’alternance régulière de ces cycles d’expansion et de récession accrédite l’affirmation de Dani Rodrik, économiste de Harvard. Pour lui, tout cela « est à peine considéré comme un petit défaut dans les flux de capitaux internationaux alors que c’est en réalité le fond de l’affaire ». Bien que plusieurs causes se conjuguent, l’ouverture sans cesse croissante aux mouvements de capitaux est un vrai facteur d’instabilité. En plus d’augmenter les risques d’un accident, l’ouverture financière modifie la redistribution des revenus et accroît sensiblement les inégalités. En outre, les effets de l’ouverture sur les inégalités sont beaucoup plus élevés quand un accident survient (graphique 2 ci-dessous, colonne de droite).

 

L’évidence du coût élevé l’ouverture des marchés de capitaux par rapport au bénéfice, notamment en ce qui concerne les flux à court terme, a conduit l’ancien Directeur général adjoint du FMI, Stanley Fischer, maintenant vice-président de la Réserve fédérale des États-Unis, à s’interroger récemment : « quelle est l’utilité des flux de capitaux internationaux à court terme ? ». Chez les décideurs d’aujourd’hui, on sent monter la volonté de contrôle afin de limiter les flux à court terme qui sont jugés susceptibles d’entraîner - ou au moins de participer à - une crise financière. Alors que le contrôle des capitaux n’est pas le seul outil disponible - les taux de change et les politiques financières peuvent aussi aider - il est parfois la seule option lorsque la source d’un boom du crédit non durable est l’emprunt direct à l’étranger ( Ostry et al, 2012).

 

 

- La taille de l’État

Réduire la taille de l’État est un autre objectif de l’agenda néolibéral. La privatisation de certaines missions gouvernementales est un moyen d’atteindre cet objectif. L’autre est de limiter les dépenses du gouvernement via la réduction des déficits budgétaires, et en limitant la capacité des gouvernements à s’endetter. L’histoire économique de ces dernières décennies offre de nombreux exemples de telles restrictions, comme la limite d’une dette à 60% du PIB imposée aux pays voulant rejoindre la zone euro (et qui est l’un des critères de Maastricht).

 

La théorie économique donne peu d’indications sur le niveau optimal de la dette publique. Certaines théories justifient des niveaux plus élevés de dette (puisque la fiscalité créée de la distorsion) et d’autres privilégient des niveaux inférieurs et même négatifs (puisque les chocs défavorables appellent l’épargne de précaution). Dans certaines de ses préconisations de politique budgétaire, le FMI se préoccupe surtout de la vitesse à laquelle les gouvernements réduisent leurs déficits et leurs niveaux d’endettement suite à l’accumulation de dette dans les économies avancées induites par la crise financière mondiale. Un désendettement trop lent perturbe les marchés. Trop rapide, il peut faire dérailler la reprise. Mais le FMI a également plaidé pour des remboursements partiels à moyen terme dans nombre de pays avancés et émergents, principalement pour éviter de nouveaux chocs.

 

Existe-t-il de bonnes raisons, pour des pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou aux États-Unis, de vouloir réduire leur dette publique ? Deux arguments plaident pour le remboursement de la dette dans les pays ayant une large assiette fiscale, et où le risque réel de crise financière est faible. Le premier argument est que, bien que les grandes récessions comme la Grande Dépression des années 1930 ou la crise financière mondiale de la dernière décennie soient rares, il est utile, quand ils se produisent, d’avoir mis à profit les périodes plus fastes pour rembourser la dette. Le deuxième argument repose sur l’idée que l’endettement élevé est mauvais pour la croissance et que par conséquent, il est essentiel de diminuer la dette pour favoriser cette dernière.

 

Il est vrai que de nombreux pays (comme ceux d’Europe du Sud) doivent pratiquer la consolidation budgétaire, notamment parce que les marchés ne leur permettront pas de continuer à emprunter sans cela. Pour autant la nécessité de « l’austérité » dans certains pays ne signifie pas qu’elle soit nécessaire pour tous. Ainsi, la circonspection vis-à-vis d’une politique unique est totalement justifiée. Les marchés imputent généralement de très faibles probabilités de crise de la dette aux pays qui ont une forte réputation de responsabilité financière (Mendoza et Ostry, 2007). Une telle réputation leur donne la latitude de décider de ne pas augmenter les impôts ou de pas réduire les dépenses productives lorsque le niveau de la dette est élevé (Ostry et autres, 2010 ; Ghosh et autres, 2013). Et pour les pays ayant un bon bilan, le bénéfice d’une réduction de la dette pour prévenir une future crise financière se révèle exceptionnellement faible, même si leur niveaux d’endettement est levé. Par exemple, passer d’un taux d’endettement de 120% du PIB à 100% du PIB en quelques années ne procure qu’une faible réduction du risque de crise pour les pays (Baldacci et autres, 2011).

 

Mais même si le bénéfice est faible, cela pourrait toutefois être utile si le coût était également faible. Il se trouve, cependant, que le coût pourrait être important - beaucoup plus que lebénéfice. La raison en est que, pour arriver à un niveau d’endettement plus faible, les impôts doivent être augmentés temporairement ou les dépenses publiques réduites, et parfois les deux à la fois. Les coût des hausses d’impôts ou des coupes dans les dépenses nécessaires au désendettement peuvent être beaucoup plus grand que la diminution du risque de crise permis par la réduction de la dette (Ostry, Ghosh et Espinoza, 2015). Cela ne signifie pas qu’on considère une dette élevée sans insidence. Elle a bien sûr des inconvénients. Mais le point essentiel réside dans l’idée que le coût d’une dette plus élevée (la soi-disant fardeau de la dette) est celui qui a déjà été engagé et ne peut de toute façon plus plus être récupéré.

 

Confrontés au choix soit de vivre avec une dette élevée - en laissant la dette se réduire grâce à la croissance - soit d’utiliser les excédents budgétaires pour réduire la dette, les États ayant une économie importante et une assiette fiscale largent feraient mieux d’accepter de vivre avec leur dette. Car les politiques d’austérité ont des coûts sociaux importants, détériorent l’emploi et aggravent le chômage.

 

L’idée que la consolidation budgétaire puisse générer de la croissance (c’est à dire augmenter la production et le volume d’emplois), en augmentant la confiance du secteur privé et de l’investissement, a notamment été défendue par l’économiste de Harvard Alberto Alesina dans le monde universitaire, et par l’ancien président de la Banque centrale européenne Jean-Claude Trichet dans l’arène politique. Toutefois, en pratique, les épisodes de consolidation budgétaire ont davantage été suivis par des périodes de faible que de forte croissance. En moyenne, une réduction de la dette de 1 % du PIB augmente le taux de chômage à long terme de 0,6 % et de 1,5 % les inégalités de revenus mesurées par le coefficient de Gini (Ball et autres, 2013).

 

En somme, les avantages des politiques néolibérales semblent avoir étéquelque peu exagérés. Dans le cas de l’ouverture financière,certains flux de capitaux, tels l’investissement direct étranger, semblent apporter les avantages attendus. Mais pour d’autres, en particulier les flux de capitaux à court terme, les bienfaits sur la croissance sont difficiles à obtenir, alors que les risques en termes de volatilité et de risque de crise accru sont très présents. Dans le cas de l’assainissement budgétaire, les coûts à court terme dûs à la baisse de la production, du bien-être et à la hausse du chômage ont été minimisés. Et l’on a sous-estimé la possibilité de garder des ratios d’endettement élevés si l’assiette fiscale le permet, car cet endettement se réduira de lui-même avec la croissance.

 

 

- Un effet défavorable

En outre, comme l’ouverture internationale et l’austérité sont associées à une inégalité croissante des revenus, cela induit une rétroaction négative. L’augmentation des inégalités engendrées par l’ouverture financière et l’austérité pourrait freiner cette croissance que le néolibéralisme prétend pourtant justement vouloir stimuler. Or il y existe maintenant des preuves solides que l’inégalité peut diminuer à la fois le niveau et la solidité de la croissance, et ce de manière significative (Ostry, Berg et Tsangarides, 2014).

 

La preuve des dommages économiques créés par l’inégalité suggère que les décideurs politiques devraient être plus ouverts à la redistribution qu’ils ne le sont. Bien sûr, en dehors de la redistribution, les politiques conduites pourraient être conçues pour atténuer certains effets néfastes en amont, grâce par exemple à l’augmentation des dépenses en matière d’éducation et de formation qui augmentent l’égalité des chances par avance certains impacts (on appelle cela des politiques de prédistribution). L’assainissement budgétaire quant à lui, lorsqu’il est nécessaire, pourrait être conçu pour minimiser l’impact négatif sur les revenus les plus faibles. A l’inverse, dans certains cas, les effets inégalitaires indésirables devront être corrigés après leur apparition en utilisant les impôts et les dépenses publiques pour redistribuer la richesse. Par chance, la crainte que de telles politiques puissent nuire elles-mêmes à la croissance est sans fondement (Ostry, 2014).

 

 

- Trouver l’équilibre

Ce qui précède suggère la nécessité de nuancer les bienfaits du néolibéralisme. Le FMI, qui supervise le système monétaire international, a été à l’avant-garde de ce réexamen. Par exemple, l’ancien chef économiste Olivier Blanchard, a déclaré dès 2010 : « un assainissement et une consolidation budgétaire crédibles à moyen terme sont nécessaires dans de nombreuses économies avancées, mais pas leur étranglement actuel ». Trois ans plus tard, la directrice générale du FMI Christine Lagarde, a déclaré que le Congrès américain avait eu raison de relever le plafond de la dette du pays « parce qu’il ne faut pas contracter l’économie en réduisant les dépenses brutalement alors que l’économie se redresse ». En 2015 enfin, le FMI a indiqué que les pays de la zone euro « disposant de marges de manœuvre budgétaires devrait les utiliser pour soutenir l’investissement ».

 

L’avis du FMI a également changé sur la libéralisation des capitaux – on est passé d’une hostilité initiale aux contrôles à une meilleure acceptation des contrôles pour faire face à la volatilité des flux de capitaux . Le FMI reconnaît que la libéralisation complète des flux de capitaux n’est pas toujours un objectif final approprié, et que la poursuite de la libéralisation n’est bénéfique et peu risquée que si les pays ont atteint certains seuils de développement financier et institutionnel.

 

L’expérience pionnière du Chili avec le néolibéralisme a reçu des éloges du prix Nobel Milton Friedman, mais de nombreux économistes soutiennent aujourd’hui la vision plus nuancée exprimée par le professeur Joseph Stiglitz ( lui-même un prix Nobel ), selon laquelle le Chili « est un exemple de succès des marchés combinés avec une réglementation appropriée  » (2002). Stiglitz a noté que, dans les premières années de sa marche vers le néolibéralisme, le Chili avait imposé « des contrôles sur les entrées de capitaux , afin de en pas être innondé », comme cela s’est produit une décennie et demie plus tard dans le premier pays de la crise asiatique, la Thaïlande. L’expérience chilienne et d’autres donnent à penser qu’aucun ordre du jour rigide ne fournit de bons résultats en tout temps et en tous lieux. Les décideurs politiques et les institutions qui les conseillent comme le FMI, doivent être guidés non par l’idéologie, mais par les preuves tangibles de ce qui fonctionne réellement.

 

Note :

[1] La traduction a été réalisée par Monique Plaza et Loïc Steffan. http://l-arene-nue.blogspot.fr/2016/06/le-neoliberalisme-t-il-ete-sure...

 

Note :

- Une idéologie à la source de nos problèmes : le néolibéralisme

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7 juillet 2016 4 07 /07 /juillet /2016 08:06
Qu’est-ce que la financiarisation de l’économie ?

Marge de crédit, régime de retraite à cotisation déterminée, hypothèque inversée, régime volontaire d’épargne retraite, titre adossé à des actifs… autant d’innovations financières qui témoignent de la financiarisation de l’économie ; en d’autres mots que l’économie est de plus en plus centrée autour de la finance. Un phénomène qui est composé d’une panoplie de mécanismes parfois très complexes, mais dont l’influence sur l’économie telle qu’elle nous apparaît au quotidien est devenue préoccupante.

 

Sources : IRIS par Julia Posca de l'IRIS[1] 7 février 2013

- Transformation du capitalisme

La financiarisation est un processus qui s’inscrit dans l’histoire du capitalisme et qui touche au mode de régulation de l’économie (quelles sont les institutions qui structurent les rapports économiques ?) et à la logique d’accumulation (comment le capital se reproduit-il ?).

 

 

- Le développement du capitalisme dans sa phase industrielle...

Il reposait sur l’expansion de la production. Le capital (l’argent qui est réinvesti) devait être alloué en partie à des investissements productifs, c’est-à-dire qui permettent d’augmenter la capacité de production (par exemple, l’achat de machines plus performantes ou la construction de nouvelles usines).

 

 

- La logique financière est tout autre.

Le capital n’a plus à passer par le détour de la production pour fructifier ; sa simple circulation engendre une création de capital neuf. L’investissement à court terme devient la norme et c’est la spéculation qui fait augmenter la valeur d’un actif.

 

Posséder un actif financier, c’est posséder le droit sur un revenu futur, obtenu par une fluctuation de la valeur de cet actif que génère la spéculation. Le risque rattaché à ce type d’actif est donc beaucoup plus élevé qu’avec les investissements productifs, puisque la valeur d’un actif dépend de la confiance que les acteurs lui portent et sa variation est alimentée par des rumeurs qui sont par définition très volatiles.

 

 

- Croissance du secteur financier

La croissance des marchés financiers est le résultat de décisions de nature politique. D’abord, les taux de change ont été libéralisés avec la décision de Richard Nixon de suspendre en 1971 la convertibilité du dollar en or. Plutôt que d’être fixée en fonction de la valeur du dollar américain (taux de change fixe), les devises sont désormais déterminées par l’offre et la demande de chaque devise sur les marchés (taux de change flottant).

 

Puis dans les années 1980 s’est amorcé un mouvement de libéralisation des taux d’intérêt. Les États sont passés d’un mode de financement de leurs déficits par la planche à billet (l’émission de monnaie) à un financement sur les marchés financiers (par l’émission d’obligations). Depuis, les taux d’intérêt en vigueur pour une économie sont déterminés par l’offre et la demande de titres obligataires.

 

Comme le taux de change correspond au prix d’une devise et le taux d’intérêt est le prix qu’il en coûte pour emprunter, on peut dire que dans ce système libéralisé, le prix des actifs devient instable et est alors soumis à la spéculation.

 

Or, pour contrecarrer cette incertitude, les institutions financières ont créé de nouveaux produits financiers destinés à couvrir le risque lié à la variation de la valeur des actifs, ou encore pour transformer des dettes en actifs (titrisation). Cette innovation financière, jumelée à la globalisation des marchés financiers, a eu pour effet d’augmenter la spéculation et donc de créer encore plus d’instabilité.

 

Cette hypertrophie de la finance a des conséquences directes sur l’économie dite réelle, car lorsque les bulles financières, qui résultent de la spéculation entourant certaines catégories d’actifs, explosent, cela peut entre autres paralyser le marché du crédit et donc freiner le déroulement normal de l’économie. Par exemple, la crise mondiale de 2008 prend son origine dans l’éclatement de la bulle des hypothèques à risque et l’effondrement des produits financiers dérivés de ces prêts hypothécaires.