Overblog Tous les blogs Top blogs Politique Tous les blogs Politique
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
21 avril 2015 2 21 /04 /avril /2015 08:06
INDIGNE : Hollande compare le FN d’aujourd’hui au PCF des années 1970 !

- Hollande Un propos indigne ! (parmi d’autres) Communiqué de Jean-Luc Mélenchon

Source :  le blog de Jean-Luc Mélenchon

En insultant le parti communiste des années 70, François Hollande oublie que c'était alors le programme commun qui conduisit à la grande victoire de 1981.

 

Son propos est d'une totale bassesse et indigence, indigne d'un président élu aussi par les communistes.

 

 

- Réactions du PCF

"Quand Hollande compare le FN au ’PCF des années 70’, sa faute est double. À l’égard des militantes et militants communistes. Mais c’est aussi une lâcheté intellectuelle face au FN d’aujourd’hui", a dénoncé sur Twitter Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF, jugeant "navrante" et "pas à la hauteur" cette sortie de M. Hollande.

 

"La comparaison que Hollande vient de faire entre le FN et le PCF des années 70 est indigne et inepte", a de son côté réagi sur ce même réseau social Ian Brossat, adjoint PCF à la mairie de Paris. "En parlant ainsi, Hollande contribue à dédiaboliser encore un peu plus le FN. C’est une faute politique et une faute morale", a-t-il fustigé.

 

 

- Hollande compare Marine Le Pen à "un tract du Parti communiste des années 1970", le PCF voit rouge

Sources :  Le Huffington Post

Le parti communiste voit rouge. Plusieurs responsables du PCF se sont indignés dimanche 19 avril de la comparaison faite par François Hollande entre Marine Le Pen et un "tract" communiste des années 70.

 

"Madame Le Pen parle comme un tract du Parti communiste des années 1970 (...) sauf que le Parti communiste, il ne demandait pas qu'on chasse les étrangers, qu'on fasse la chasse aux pauvres", a déclaré le chef de l’État, lors de l'émission "Le Supplément" sur Canal+.

 

Le numéro un communiste Pierre Laurent a même demandé lundi "des excuses publiques" à François Hollande. "Je suis scandalisé" par cette phrase qui est "lamentable", a déclaré sur France2 le secrétaire national du PCF. "C'est la seule chose que le président de la République a trouvé à répondre à des électeurs qui lui disaient leur désarroi dans un reportage qui dénonçait ses trahisons par rapport à ses promesses de 2012!", a déploré Pierre Laurent.

 

Le secrétaire national y voit "un aveu" de François Hollande qui "a décidé de tourner le dos à ses électeurs plutôt que de répondre à leurs urgences sociales". "Nous, nous n'avons pas renoncé", "le Parti communistes des années 70 comme des années 2000, lui, il continue le combat contre la finance", même si "nous avons changé beaucoup de choses" depuis ce temps.

 

Pour en savoir plus :

- Hollande et "l’odieuse insulte" faite au PCF

- Les InRocKs : Pourquoi la comparaison FN / “PCF des années 70″ n’a aucun sens

- Roger Martelli : « L’amalgame PCF-FN est une infamie »

- Ça ressemblait à quoi un tract du PCF dans les années 70 ?

- On est allé à Bobigny fouiller dans les archives du PCF

INDIGNE : Hollande compare le FN d’aujourd’hui au PCF des années 1970 !
Partager cet article
Repost0
20 avril 2015 1 20 /04 /avril /2015 08:00
25/04/2015, LA ROCHELLE ensemble pour dire : Non au Nucléaire, Oui à la transition énergétique

Pour en savoir plus :

- mon dossier nucléaire

Partager cet article
Repost0
15 avril 2015 3 15 /04 /avril /2015 09:32
Grèce : comment Tsipras a renversé la situation

En agissant avec prudence et détermination, Alexis Tsipras a su contourner la stratégie du

"noeud coulant" des Européens. Désormais, la pression est de nouveau sur Angela Merkel.

 

Source : La Tribune par Romaric Godin le 03/04/2015

Et si, désormais, la pression dans l’affaire grecque s’exerçait surtout sur les... Européens ? A mesure que l’on se rapproche de la date cruciale du 9 avril, où l’Etat grec devra débourser 458 millions d’euros au FMI, on assiste en effet à un remarquable retournement. Progressivement, le gouvernement grec, en ayant su ne pas céder sous la pression de ses créanciers, retrouve une position de force qui est celle, naturelle dans les négociations de ce type, du débiteur face à son créancier et où ce dernier doit accepter les conditions du premier ou risquer de tout perdre.

 

 

- La stratégie européenne

Pourtant, voici encore dix jours, lorsqu’Alexis Tsipras se rend à Berlin pour rencontrer la chancelière, la situation d’Athènes semble désespérée. Et chacun pense que le nouveau premier ministre va céder. Les Européens continuent alors à appliquer leur stratégie du « nœud coulant.[1] » L’idée est simple : le temps joue alors, croit-on à Bruxelles, pour les créanciers. Les dépôts des banques grecques se vident, la situation économique se dégrade, la BCE peut, à tout moment, faire imploser le système bancaire grec en coupant l’accès à la liquidité d’urgence. La pression va être telle sur Alexis Tsipras que ce dernier va être contraint d’accepter les conditions de ses créanciers. Ces conditions, on en a eu confirmation mercredi dernier, sont politiques : c’est l’acceptation de « réformes » du marché du travail et des pensions qui ne sont pas urgentes sur le plan économique, mais qui permettent « d’annuler » politiquement l’essentiel du programme et du message de Syriza. C’était là l’essentiel. Tout à cette stratégie, l’Eurogroupe n’a cessé de rejeter les propositions de réformes présentées par la Grèce, quatre à ce jour. Elles n’étaient pas assez complètes, pas assez précises, pas convaincantes.

 

Cette stratégie européenne se fondait sur une certitude : que la Grèce refuserait de renverser la table en faisant défaut ou en envisageant la sortie de la zone euro. Certitude pas entièrement dénuée de sens puisque, avant l’accord du 20 février, le gouvernement hellénique avait fait de sérieuses concessions pour éviter la « rupture. [2]» Mais en réalité, c’était le point faible du dispositif européen. En face, Alexis Tsipras a donc développé sa propre stratégie qui, semble-t-il aujourd’hui, porte ses fruits.

 

 

- Temporiser pour renforcer sa position

La première partie de cette stratégie est la « temporisation. » Athènes a joué le jeu que les Européens voulaient lui faire jouer. Faire un peu plus de concessions chaque semaine. En février, il a abandonné son idée d’annulation d’une partie de la dette publique. Un peu plus tard, il a refusé de prendre des « mesures unilatérales », puis il a accepté à chaque refus, de venir présenter de nouvelles listes de réformes et même de mettre en place certaines privatisations. Les Européens ont compris ces mouvements comme des reculs et s’en sont félicités. Mais en réalité, ces concessions ne leur étaient pas destinées. Il s’agissait de montrer au peuple grec la volonté de son gouvernement de négocier avec l’Europe, donc son engagement sincère à demeurer dans la zone euro. Tout en ne cédant pas sur l’essentiel, autrement dit, sur ce pourquoi les Grecs (au-delà du seul vote Syriza) avaient voté : la fin de l’austérité et de « l’humiliation » du peuple grec.

 

Avec cette stratégie de temporisation, Alexis Tsipras donnait l’impression aux Européens qu’ils se renforçaient, alors qu’en réalité, ils s’affaiblissaient. Plus le temps passait, plus les Grecs s’exaspéraient de l’attitude européenne, et plus Alexis Tsipras devenait populaire par sa capacité à ne pas céder. Les exigences de la nouvelle troïka ressemblaient de plus en plus à celle de l’ancienne. De plus en plus, les négociations ressemblaient à une nouvelle façon de vouloir « humilier » les Grecs. Et progressivement, le mot « rupture » (rixi, ρήξη) est devenu de plus en plus dans l’air du temps en Grèce. Le 25 mars, jour de la fête nationale, il a été prononcé par le ministre des Finances Yanis Varoufakis, en réponse à un message de soutien envoyé de la foule : « il faudra nous soutenir après la rupture », a-t-il répondu.

 

 

- L’offensive feutrée

Désormais assuré de ses arrières, Alexis Tsipras a pu passer à l’offensive pour placer les Européens en difficulté. Offensive feutrée : le premier ministre sait qu’il a tout à perdre d’une confrontation frontale, où la petite Grèce serait isolée face à ses 27 « partenaires » unis dans la volonté de faire céder le gouvernement. Son but est sans doute toujours de parvenir à un accord sans rupture, aussi dément-il toutes les « fuites » et continue-t-il officiellement de croire à une entente. Il a même continué à faire preuve de bonne volonté, avec la présentation de la nouvelle liste de réformes en 26 points présentée le 1er avril. Mais il sait que pour parvenir à ses fins, il devait rééquilibrer le rapport de force entre la Grèce et ses créanciers. Et pour cela, il a envoyé des messages clairs que, désormais, la rupture devenait possible.

 

 

- Le rapprochement avec Moscou

Ces messages sont de deux types. Le premier, c’est le renforcement des liens avec la Russie. Alexis Tsipras, le 31 mars, a donné le ton de sa très attendue visite à Moscou le 8 avril [ en affirmant [3] que les « sanctions contre la Russie ne mènent nulle part. » C’était un désaveu de la politique orientale de Bruxelles qui avait de quoi inquiéter à la Commission. Le menace à peine dissimulée était qu’Athènes pourrait bien défendre les intérêts russes dans l’UE, particulièrement si l’UE se montrait sévère avec la Grèce... Or, un refus d’aller plus avant dans la confrontation avec la Russie de la Grèce pourrait faire sortir du bois d’autres pays peu enthousiastes à cette idée : Chypre ou la Hongrie, par exemple.

 

 

- Le risque du 9 avril

Le deuxième message est plus direct : c’est celui que la Grèce préparerait désormais la rupture. Jeudi 2 avril, Reuters a publié une information officiellement démentie (évidemment) par Athènes comme quoi, lors de la réunion de travail de l’Eurogroupe (Euro working group) du 1er avril, le représentant grec aurait informé ses « partenaires » que, faute d’un accord, la Grèce ne paierait pas le FMI le 9 avril. Ce vendredi 3 avril, un article du Daily Telegraph [4], signé Ambrose Evans-Pritchard, généralement bien informé, affirme, de sources grecques, que le gouvernement hellénique prépare concrètement la rupture, en envisageant de prendre le contrôle des banques et d’émettre des « lettres de créances » gouvernementales ayant valeur monétaire. Ce serait évidemment une première étape vers une sortie de la zone euro.

 

 

- Le temps ne joue plus pour les Européens

Dès lors, la pression s’exerce aussi sur les Européens. S’ils poursuivent leur stratégie de « nœud coulant », ils risquent gros. Certes, si la Grèce ne paie pas le FMI le 9 avril, elle ne sera pas immédiatement considérée par l’institution de Washington en défaut. Il faut un mois pour que le FMI reconnaisse qu’une « obligation est manquée. [5]» Or, cette déclaration peut provoquer un séisme, car alors le Fonds européen de stabilité financière (FESF) devra légalement réclamer le remboursement des sommes versées à la Grèce. Ce qu’Athènes ne saurait réaliser. Le défaut grec envers ses créanciers européens sera alors effectif. La Grèce n’aura alors sans doute plus accès à la liquidité de la BCE, mais les pays de la zone euro devront accepter des pertes considérables sur les garanties accordées au FESF. Sans compter évidemment que la BCE devra également tirer un trait sur les 6,7 milliards d’euros que la Grèce doit lui rembourser cet été.

 

Subitement donc, la situation des Européens est moins magnifique. Et le temps ne joue plus en leur faveur. Le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem ne peut plus guère dire, comme début mars, que la pression financière sur la Grèce est une bonne chose, car elle favorise les réformes. Désormais, elle pourrait bien mettre en danger les gouvernements de la zone euro. C’est précisément le but que visait Alexis Tsipras qui, sans doute, ne cherche pas réellement la rupture, mais bien plutôt un accord où il puisse imposer « ses » réformes sans passer sous les fourches caudines de la logique de l’ancienne troïka. Un prochain Euro working group est prévu pour le 8 avril, le jour de la visite d’Alexis Tsipras à Moscou et la veille de l’échéance du FMI. Les Européens devront alors désormais soigneusement peser les risques qu’ils acceptent de prendre.

 

 

- La pression revient sur Angela Merkel

Comme à la veille du 20 février, Alexis Tsipras renvoie Angela Merkel à ses responsabilités. Il sait que la chancelière n’est pas prête à prendre le risque d’une sortie de la Grèce et de la zone euro et d’un défaut de ce pays sur ses engagements vis-à-vis du contribuable allemand. Ce serait politiquement très risqué. Elle a, le 20 février, désavoué clairement la stratégie de Wolfgang Schäuble qui minimisait les risques d’un Grexit et exagérait ses avantages. Peut-elle revenir en arrière alors que, dans son camp politique, la grogne contre une nouvelle aide à la Grèce prend de l’ampleur ? Toute la question est là. Alexis Tsipras a, en tout cas, placé la chancelière dans une situation difficile : ou prendre le risque politique d’un défaut grec ou prendre le risque politique d’une aide « sans réformes » à la Grèce. Choix cornélien qui va sans doute occuper la chancelière tout ce week-end de Pâques. Tsipras Cunctator

 

Reste qu’Alexis Tsipras, longtemps sous-estimé par la presse étrangère, a fait preuve d’une intelligence stratégique de premier plan dans cette affaire et qui n’est pas sans rappeler celle de Fabius Cunctator, le général romain qui usa les Carthaginois victorieux d’Hannibal durant la deuxième guerre punique. Le premier ministre grec n’est certes pas assuré de remporter la victoire, mais il a prouvé qu’il était un des rares dirigeants européens à pouvoir tenir tête, sur le plan tactique, à Angela Merkel.

 

Note :

[1] Grèce : derrière les sourires, le noeud coulant se resserre encore

[2] Accord sur la Grèce à l'Eurogroupe sur un financement de quatre mois

[3] Alexis Tsipras calls western sanctions against Russia 'road to nowhere'

[4] Greece draws up drachma plans, prepares to miss IMF payment

[5] Greece threatens default as fresh reform bid falters

 

Pour en savoir plus :

- Mon dossier Grèce

- Tsipras, acteur du grand basculement ?

- Alexis Tsipras à Moscou ou l'échec de la stratégie du "noeud coulant"

Partager cet article
Repost0
7 avril 2015 2 07 /04 /avril /2015 08:05
Martine Billard : "A mes amis qui pensent que les partis n'ont plus de raison d'être"

Source : blog de Martine Billard par Martine Billard le 25/03/2015

De nos jours défendre la nécessité d'avoir des partis politiques est presque suicidaire tant le discours général veut que les partis soient dépassés et représentent des obstacles à la démocratie. Disons-le tout net si quelqu'un était capable de me proposer une autre forme d'organisation efficace et plus démocratique, je dirais oui tout de suite. Mais j'ai longtemps cherché, fréquenté tous les collectifs, appels, revues, réseaux divers pour arriver à la conclusion que certes les partis étaient énervants par de nombreux aspects mais que personne n'avait trouvé comment les remplacer de manière durable.

 

En réalité la méfiance exprimée aujourd'hui dans les enquêtes ne concernent pas que les partis mais l'ensemble des « institutions ». Ainsi selon une étude du Cevipof, 76% des Français ne font pas confiance aux partis politiques juste devant 72% qui ne font pas confiance aux médias, chiffre qui monte d'ailleurs à 84 % pour les proches du Front de Gauche quant aux médias. Il faut dire que vu comment ils nous traitent, ce rejet n'est pas étonnant. Cette rupture des citoyens envers les dirigeants s'exprime notamment par le fait que 44% d'entre eux pensent que les politiques s’intéressent « peu » à leurs préoccupations et un tiers (34%) « pas du tout » alors qu'en1977 la majorité (53%) avait un avis positif. Le décrochage s'est fait en 1983, soit sous Mitterrand lors du tournant de la rigueur.

 

Cette distance s'exerce aussi à l'égard des syndicats puisque 68% des français expriment leur méfiance à leur égard aujourd'hui alors qu'en 2010, au moment de la mobilisation contre la loi sur les retraites de Sarkozy, 55% leur faisaient confiance.

 

Or, à part les libéraux qui en profitent pour conclure qu'il faut supprimer les syndicats, personne d'autre ne développe cette analyse. En fait des expériences ont existé dans les années 80, notamment en Italie avec le développement de ce qui s'appelaient les Cobas (comités de base) par des salariés qui trouvaient que les syndicats ne les défendaient pas assez. Mais ces structures ont fini par coexister avec les syndicats. Dans les années 70 en France des comités de lutte ont aussi existé pour desserrer le contrôle que faisait peser le PCF à l'époque sur la CGT. Mais avec le reflux des luttes, ces structures ont disparu et aujourd'hui tous ceux qui continuent à se battre pour la défense des intérêts des salariés se rendent bien compte que la meilleure manière de le faire c'est de renforcer la syndicalisation.

 

En Amérique Latine, il y a certes eu des révolutions citoyennes sans parti politique important existant au préalable mais dans des conditions de mobilisation de masse et de crise du système politique qui n'ont rien à voir avec la situation actuelle de la France.

 

Alors pourquoi faudrait-il tirer de la défiance par rapport aux partis, la nécessité de les supprimer ? Aujourd'hui une majorité de français qui font de la politique le ferait en dehors des partis ? Mais ce n'est pas nouveau. Dans les années 70 il y avait beaucoup plus de militants hors partis qu'à l'intérieur. Qui a oublié le Secours Rouge par exemple ? Les énormes mobilisations contre le coup d'état au Chili ? Les comités de lutte de tout genre, aux lycées, en fac, dans les quartiers... ATTAC, à ses débuts, a mobilisé beaucoup de militants hors parti (plus de 40 000 adhérents au total), tout comme la formidable mobilisation contre le TCE en 2005 et les CUAL avant qu'ils ne se fracassent sur l'élection présidentielle de 2007. Les moments de lutte intense rassemblent bien au delà des partis. Mais heureusement qu'il y a des partis dans les moments de reflux pour garder des lieux de formation de nouvelles générations et des capacités d'initiatives sans compter l'aptitude à se présenter massivement aux élections.

 

Certains vont dire, oui mais en Espagne, il y a Podemos. Certes mais Podemos est bien un parti et très organisé et avec une direction nationale bien que l'Espagne soit un parti fédéral.

 

La question n'est donc pas à mon avis d'en terminer avec la forme parti. La capacité à répondre aux tâches politiques du moment repose sur la compréhension de la situation et des réponses à y porter ainsi qu'à la volonté de ne pas construire sa petite boutique en pensant qu'on a la vérité révélée.

 

Aujourd'hui concrètement en France, des pas importants ont été fait pour en finir avec l'émiettement politique en créant le Front de Gauche et en cherchant constamment à l'élargir. Avec les municipales une nouvelle période s'est ouverte avec les premiers rassemblements avec EELV. Elle s'est poursuivie lors des départementales donnant de très bons résultats dans de nombreux endroits. Il n'y a aucun cas de recul de ces rassemblements par rapport à des résultats antérieurs. Alors certes nous aimerions aller beaucoup plus vite, surtout que le FN continue sa progression ; ne pas faire deux pas en avant pour parfois en faire un en arrière ensuite. En tous les cas la leçon à tirer de ces départementales c'est qu'il faut continuer et approfondir l'union dans l'indépendance du PS, sur laquelle peut s'appuyer l'engagement citoyen, au jour le jour et pas seulement lors des élections. Cela veut dire aussi aller dans les mêmes dispositions d'esprit pour les régionales. Pas à pas, mais ferme sur la direction, sans jamais se décourager, et en essayant d'aller plus vite mais sans s'impatienter et tout rompre dans les passages difficiles, c'est ainsi que nous reconstruirons de l'espoir et de l'envie de s'impliquer car nous démontrerons que nos partis sont utiles. Et c'est aussi ainsi que nous préparerons les cadres pour dépasser chacun de nos partis dans une nouvelle organisation qui portera les combats démocratiques, sociaux et écologiques.

 

Alors bien évidemment qu'il y a beaucoup à améliorer dans nos fonctionnements, qu'on peut apprendre des méthodes les plus démocratiques de Podemos, qu'il faut être capable d'utiliser les nouvelles possibilités offertes par internet mais sans les idéaliser non plus. Car au final, les outils internet peuvent et doivent aider à la préparation, mais le plus démocratique c'est quand même le débat en face à face, en prenant le temps et en cherchant ensemble la construction d'une réponse commune quitte à la valider ensuite en utilisant le vote par internet.

 

De même, l'action politique à l'échelle d'un pays ne peut pas être que l'addition d'actions locales ou partielles. Le rapport de force ne peut pas se construire que localement. Il arrive un moment où il faut une convergence nationale et il en existe d'autres où l'impulsion va partir nationalement. Tout dépend du sujet et de l'objet de la mobilisation. Il est donc vain d'opposer local et national, direction et base. Tout est dans l'articulation et la façon de faire.

 

 

Il serait donc dangereux de jeter le bébé avec l'eau du bain !
Partager cet article
Repost0
3 avril 2015 5 03 /04 /avril /2015 08:26
Second tour des élections départementales : le Front de gauche s’en sort plutôt bien

Pour le Front de gauche, les résultats du second tour ont confirmé la tendance du premier. Dans un contexte désastreux pour la gauche et malgré un mode de scrutin défavorable, il conserve entre les deux tiers et les trois quarts de sa représentation départementale.

 

Source : Regards.frs entretien par Roger Martelli | 30 mars 2015

Le Front de gauche était présent dans 119 cantons, dont une quinzaine en alliance avec le PS ou avec EE-LV (à Grenoble 1 et 3). Il l’emporte dans 90 cantons, qui s’ajoutent aux trois gagnés dès le premier tour. Il emporte de façon précise 176 sièges de conseillers départementaux. À la veille du scrutin, le Front de gauche avait 234 conseillers généraux, dont 220 membres du PCF. La nouvelle représentation sera donc entre les deux tiers et les trois quarts de la précédente. On sait que le mode de scrutin n’est pas sans effet négatif, dès l’instant où une sensibilité politique se trouve du côté des "petits" (moins de 10%). Par la seule vertu du système électoral, le FdG ne pouvait espérer retrouver le nombre d’élus antérieur.

 

 

- Au-delà des espérances dans les duels et les triangulaires

Le plus satisfaisant est le résultat du face-à-face avec le Front national. Il avait lieu dans près de la moitié des cantons où le FdG était présent au second tour. Dix-neuf de ces cantons donnaient lieu à une triangulaire et 47 à un duel. Le FdG et ses alliés l’emportent dans 44 duels et 15 triangulaires. Au total, le FdG ne perd en face-à-face que dans trois cas : Hirson (Aisne), Harnes (Pas-de-Calais) et La Seyne (Var). Dans 19 cas gagnés, l’affrontement pouvait être jugé très difficile, voire ingagnable avant le second tour. Le résultat est donc allé au-delà des espérances de la veille. Les vieilles terres ouvrières du Nord, du Pas-de-Calais, de Meurthe-et-Moselle ou de la Loire ont bien résisté.

 

Dans 19 cas, les binômes du FdG enregistrent des résultats très satisfaisants, au-dessus des 60 % et même au-dessus des 70 % dans cinq cantons : Gennevilliers (76%), Saint-Junien (Haute-Vienne), les deux cantons de Vitry-sur-Seine et Isle-Manoire en Dordogne. Dans des territoires déstructurés par la crise, le Front de gauche a fait la démonstration qu’il n’y avait pas de fatalité à ce que, de mécontentement en colère puis en ressentiment, les catégories populaires basculent définitivement vers le Front national. Le FN entendait montrer qu’il avait pris la place du PCF en milieu populaire. Il réussit politiquement son coup sur le plan national (22% des suffrages au second tour) ; localement, il n’a pas mis les communistes et le FdG au tapis.

 

On notera aussi que, sur cinq cas de duel à gauche, le Front de gauche l’a emporté trois fois, à Bordères-sur-l’Echez (Hautes-Pyrénées), Saint-Vallier (Haute-Saône) et Montreuil (Seine-Saint-Denis), a été nettement battu dans le Val d’Ariège et de justesse dans les Monts du Livradois (Puy-de-Dôme).

 

 

- La géographie électorale du FdG transformée

Le second tour n’a pas amplifié le décrochage territorial du premier. Le Front de gauche avait des élus départementaux dans 61 départements ; ils sont désormais dans 37 départements, soit 24 de moins, pour l’essentiel perdus dès le premier tour. Le Front de gauche entre même dans le conseil départemental de la Lozère, département classé à droite dont on ignore souvent qu’il fut une terre de vote communiste dense au lendemain de la Libération et dans les années 1950.

 

Mais si la géographie électorale du FdG n’est pas bousculée, elle n’en est pas moins transformée. La petite ceinture parisienne résiste plutôt bien. Le Val-de-Marne conserve sa représentation communiste en l’état (9 binômes élus pour 18 conseillers sortants). Les Hauts-de-Seine confirment leur allant du premier tour et la Seine-Saint-Denis sauve les meubles, dans des conditions difficiles, et malgré la perte du canton du Blanc-Mesnil. La situation est moins favorable dans le Nord et le Pas-de-Calais où, malgré la bonne tenue face au Front national, le FdG perd une part non négligeable de la représentation communiste antérieure. Tandis que l’Aisne, l’Oise et la Somme maintiennent leur quota d’élus, les deux départements nordistes et la Seine-Maritime perdent près de la moitié de leur contingent initial.

 

La perte du Conseil départemental de l’Allier n’a en soi rien de surprenant, dans un département très disputé, dont la présidence a oscillé entre droite et gauche depuis plusieurs années. Mais le recul dans l’Allier est concomitant avec celui du Puy-de-Dôme (alors que l’implantation territoriale communiste s’y était nettement renforcée depuis vingt ans), du Cher (malgré les belles victoires sur le FN à Vierzon) et surtout de la Corrèze et la Haute-Vienne. Au milieu des années 1980, ces départements encore marqués par la tradition de la ruralité avaient un temps montré une meilleure résistance au déclin du vote communiste que les espaces les plus urbanisés. Le phénomène ne fonctionne plus depuis quelques années et le résultat décevant de ce dimanche de second tour en est l’illustration.

 

 

- Des digues qui se rompent au profit du FN

Un tour ne chasse pas l’autre et la complexité demeure sur les deux dimanches. Le Front de gauche a manifesté une belle tenue face au Front national. Mais, bien trop souvent, les écarts avec le FN ne sont plus ce qu’ils étaient. Pour l’instant, le parti de Marine Le Pen continue d’être rejeté par une part non négligeable de l’électorat, mais il n’a jamais eu des résultats aussi élevés. Ses capacités d’alliance restent limitées et les reports de l’électorat de droite en sa faveur ne suffisent pas à constituer une majorité. Pourtant, les digues ont commencé de se rompre et l’entreprise frontiste de légitimation continue de suivre son cours.

 

De l’autre côté, les reports à gauche semblent avoir fonctionné, sous réserve d’inventaire plus précis. Mais, contrairement à la stratégie d’étouffement du Parti socialiste – le chantage à la "tripartition" – il est de plus en plus évident que la logique ancienne de l’union de la gauche ne fonctionne plus comme autrefois.

 

Pour l’essentiel, le glissement vers sa droite du PS affaiblit la référence au rassemblement, a fortiori quand on explique qu’il doit obligatoirement se faire sous la houlette du parti dominant. Les dynamiques majoritaires à gauche ont donc besoin d’autres ressorts, sous peine de laisser la gauche s’enliser avec le PS et les catégories populaires s’enfoncer un peu plus dans l’abstention et le vote FN.

 

 

- Des points d’appui, mais une prise en tenaille

Pour l’instant, le Front de gauche vit sur l’acquis électoral du PCF, tout au moins dans les élections les plus territorialisées. Que cet ancrage montre des capacités de résistance, au demeurant très variables selon les élections, n’empêche pas le constat global fait depuis 2008. En dehors de l’élection présidentielle, le vote en faveur du Front de gauche reste dans les eaux modestes d’un vote communiste qui n’a pas interrompu son processus d’érosion par le haut. La dynamique électorale des zones de vote les moins denses ne compensent qu’en partie le tassement des anciens "bastions". Pour l’instant, l’ouverture des alliances à la gauche du PS n’a pas été assez large et assez visible pour marquer le paysage électoral.

 

Dans des contextes certes différents, le même niveau de recul en nombre d’élus s’est observé aux municipales de 2014 et aux départementales de 2015. Quand la gauche va très mal, le patrimoine existant n’est pas sans intérêt et constitue un point d’appui. Mais, en l’état, il ne permet pas au FdG d’échapper à la tenaille qui voue la gauche de gauche, soit à s’enfermer dans la posture d’un aiguillon protestataire et minoritaire, soit au contraire à n’être rien d’autre que le porteur d’eau d’une social-démocratie désormais bien éloignée de l’horizon égalitaire.

 

La culture de la critique sociale et de l’alternative ne peut se contenter d’une timide gestion patrimoniale de rentiers. La transformation sociale et le sursaut démocratique ont besoin de dynamiques bien plus créatives et entraînantes. Faute de quoi, le surplace d’un jour est sans cesse à deux doigts d’un recul du lendemain.

 

Pour en savoir plus :

- Mon dossier : Elections départementales

Partager cet article
Repost0
2 avril 2015 4 02 /04 /avril /2015 08:03
Mélenchon, de la Gauche au Peuple (article 3/3)

Nous ne parlerons pas d'actualité. Nous ne parlerons pas de ses piques, bons mots et polémiques. Nous ne parlerons de scrutins ni d'alliances. En un mot comme en mille, tout a déjà été dit, ailleurs et partout, sur ces sujets. Jean-Luc Mélenchon est l'une des voix les plus connues, parce que médiatique, du socialisme critique contemporain : le personnage, comme le projet politique qu'il porte, ne fait naturellement pas l'unanimité dans la grande et cacophonique famille anticapitaliste — trop autoritaire et institutionnel pour les libertaires, trop social-démocrate pour les communistes radicaux, trop républicain pour les trotskystes...

 

L'intéressé a pourtant déclaré un jour : « Nous sommes tous des socialistes, des communistes, des écologistes, des trotskystes et même des libertaires à notre manière ! Nous sommes tout cela et nous sommes passionnément républicains ! Bref, nous sommes de gauche, en général et en particulier. Nous prenons tout et nous répondons de tout. » C'était en 2008. Or, depuis quelques mois, Mélenchon amorce un virage politique que l'on ne peut ignorer : le système, explique-t-il, ne redoute pas la gauche (qu'il peut à sa guise récupérer) mais le peuple. Dépassionner l'homme public pour rendre intelligible le cheminement de cette évolution : telle est l'ambition de cet article en trois parties dont vous trouverez ci-dessous la dernière partie.

 

Partie 3
Source : Revue-Ballast.fr par Alexis Gales - 11 mars 2015 Etudiant et orwellien.
- Être de culture et ordre globalitaire  

Cette stratégie contre-hégémonique prend sens dans une critique globale d’un économisme qui consiste à ne lire la société qu’en fonction des rapports de force dans le monde productif. Dès l’origine, le marxisme porte en lui un axiome intenable : la primauté des conditions de production sur les structures mentales de représentation du réel. Après la linéarité des processus historiques, Mélenchon attaque un autre pilier d’une lecture matérialiste de l’histoire : l’opposition entre infrastructure et superstructure. Le bannissement ad vitam aeternam  des représentations dans l’insignifiance constitutive de la superstructure biaise la compréhension des phénomènes sociaux contemporains.

 

Par conséquent, Mélenchon fustige la mutilation méthodologique qui consiste à réaliser une «  découpe stricte entre infrastructure des rapports réels de production et superstructure intellectuelle, culturelle et artistique » (débat suivant la projection du documentaire Rêver le travail). C’est la vision anthropologique même de l’Homme qui est tronquée puisque l’imbrication être de culture-être social se révèle inopérante dans le catéchisme marxiste. Au contraire, chez Mélenchon, « les êtres humains sont d’abord des êtres de culture, en même temps et même avant que des êtres sociaux » (ibid.). Les conséquences pratiques de ce renversement doivent être prises dans leur intégralité : « On ne penche pas à gauche à la seule lecture de son bulletin de paie » (À la conquête du Chaos). Il aime à rajouter qu’on ne fait pas des révolutions pour « des différentiels d’inflation » mais toujours pour « des idées si abstraites que la dignité ou la liberté ».

 

  • « Chaque consommateur devient un rouage d’une mécanique globale d’asservissement où la marchandise nous enrôle à la fois dans un modèle culturel et dans un modèle social. »

 

Sa démonstration semble limpide : pour qu’une société où un petit nombre se gave sur le dos d’un grand nombre fonctionne, il faut que le très grand nombre soit d’accord ou résiste mollement. C’est donc, pour Mélenchon, par une forme d'envoûtement que le système capitaliste se perpétue. Notre quotidien est régi par une structure implicite : « Chaque être incorpore la logique du système productiviste par ses consommations » (p. 132). Ainsi, une culture individualisante fondée sur la réalisation de soi par la consommation de biens et de services fait littéralement corps en chacun de nous. Chaque consommateur devient un rouage d’une mécanique globale d’asservissement où la marchandise nous enrôle à la fois dans un modèle culturel – consommer pour être – et dans un modèle social – « le moins cher s’opère au prix du sang et des larmes : délocalisation, baisse des salaires, abandon des normes sanitaires et environnementales… » (p. 133). Cet ordre est théorisé par Jean-Luc Mélenchon sous la dénomination globalitaire : il « produit, selon la paraphrase du Manifeste de Parti Communiste que l’on doit à Miquel Amoros, à la fois l’insupportable et les hommes capables de le supporter ».

 

L’ordre est premièrement global. Il est partout. À la fois culturel et économique, il s’appuie sur les secteurs de la production pour contaminer l’école, le service public, la vie familiale ou les relations amicales. De l’ordre de l’ineffable, Mélenchon guette ses apparitions sporadiques jusqu’à l’incorporation et le conditionnement. La spécificité de la globalité moderne, par rapport aux systèmes du passé, réside dans son unicité : il n’existe plus de monde extérieur concurrent. Contre-empire, contre-culture et contre-valeurs ont été happés par un mécanisme holiste produisant un monde sans bord où l’ailleurs se confond avec l’ici. Deuxièmement, il est totalitaire puisqu’« il formate l’intimité de chacun » (p. 131). L’ordre social le plus efficace n’est pas celui imposé de l’extérieur, mais celui qui s’incorpore dans l’être, celui qu’on s’approprie alors qu’il nous est dicté, celui qu’on s’impose à soi-même. L’ordre globalitaire s’immisce dans chaque interstice de l’existence. Le contrôle collectif se réalise par « ses aspects non politiquement visibles » : par le comportement d’autrui culturellement formaté par l’appareil culturel dominant, les médias.

 

Toutefois, Mélenchon reconnaît la responsabilité historique de sa famille politique : le système globalitaire n’a pu prospérer que sur les ruines de ce qu’il appelle la « mémoire-savoir ». Il analyse que la gauche moderne, sombrant dans la « culture de l’instantanéité », a totalement désinvesti la production de cette mémoire collective des conflits sociaux – « l’école du mouvement social » – comme contrepoids à l’information marchande globalisée. En effet, la conséquence directe s’est manifestée dans l’abolition de la pensée critique, actualisée dans les luttes concrètes, qu’a historiquement portée le mouvement ouvrier. De surcroît, faire péricliter la mémoire légitime la stratégie de « disqualification du passé » à l’heure où il apparaît comme un refuge de valeurs morales et de traditions minimales opposables à la modernité globalitaire.

medias
Extrait de l'affiche Les nouveaux chiens de garde
 

L’écosocialisme

Le tableau est quasiment complet. L’ultime étape correspond à la synthèse doctrinale de ses influences philosophiques successives. Deux synthèses majeures jalonnent le parcours intellectuel de Jean-Luc Mélenchon. La première, propre à l’histoire politique française, s’incarne dans la figure de Jean Jaurès et permet d’opérer une synthèse entre socialisme et République, entre marxisme et philosophie des Lumières, entre matérialisme et idéalisme : la République sociale. Cette inspiration jaurésienne se retrouve chez Mélenchon dans nombres de sujets, comme la question des institutions politiques du socialisme ou la recherche d’une imbrication des émancipations politiques, juridiques, économiques et sociales – la dialectique des émancipations du philosophe Henri Penä-Ruiz.

 

  • « Comment allier la figure de l’Homme doué de raison des Lumières, dont l’existence est mue par la maîtrise de la nature, avec la défense de cette dernière ? »

 

La seconde vint se greffer avec l’apparition d’un nouveau paradigme que le vieux mouvement socialiste français a dû intégrer à son corpus initial, au risque de renier quelques-uns de ses fondamentaux. L’écologie – discours savant sur l’interaction des organismes vivants avec leur environnement – entra dans le débat public à force d’alertes de scientifiques et de catastrophes dites naturelles à répétition. Mélenchon reconnaît volontiers sa dette intellectuelle à l’égard des Verts. Comment allier la figure de l’Homme doué de raison des Lumières, dont l’existence est mue par la maîtrise de la nature, avec la défense de cette dernière ? Comment allier le développement illimité des forces productives et la société d’abondance que propose le communisme avec la finitude des ressources terrestres ? Aggiornamento de la pensée ou art de la synthèse conceptuelle, l’écosocialisme soumet une interpénétration des approches matérialistes, du socialisme, du communisme, de la philosophie des Lumières, de l’universalisme, du républicanisme et de la laïcité.

 

 

- Histoire de la nature et histoire de l’Homme  

Vacciné d’emblée contre la réification de la nature par certaines branches du mouvement écologiste grâce à sa formation marxiste, Mélenchon apposa le terme politique après celui d’écologie. Il ne s’agit pas de sauver une Nature essentialisée contre l’Homme, mais bien de sauver l’humanité contre les dégâts que l’activité humaine capitaliste fait subir à son écosystème. Sa posture n’est compréhensible qu’en re-contextualisant l’émergence du phénomène écologique – rapidement lié au nébuleux développement durable – dans une ambiance générale de neutralisation sémantique de l’écologie, notamment portée par Daniel Cohn-Bendit.

 

  • « Critique sociale et critique écologique, loin de s’exclure mutuellement, se combinent. »

 

Dans ce cadre de pensée, l’apport du marxisme permet de réactualiser la critique du capitalisme par le biais de l’écologie. L’analyse marxiste des contradictions inhérentes au capitalisme s’étaient jusque-là bornée aux crises économiques, sanitaires, guerrières ou culturelles, oubliant la crise des crises : celle qui remet en cause l’existence même de l’humanité en tant qu’espèce. Au même titre que le capitalisme concentre, du fait de sa dynamique d’accumulation illimitée, les moyens de production dans les mains d’un groupe toujours plus restreint de possédants et élargit ainsi la base des exploités qui retourneront leurs armes contre lui, sa ponction effrénée sur les ressources épuisables de la planète sonnera le glas de « sa cohérence et sa pérennité » (L’autre gauche, Mélenchon). Jean-Luc Mélenchon se sert de l’arme dialectique pour inclure la nouveauté conceptuelle écologique dans la marche matérialiste de l’Histoire. Et, en effet, la dialectique de la nature fait partie intégrante du travail philosophique du jeune Marx, qu’on s’intéresse à L’idéologie allemande ou aux Manuscrits de 1844 : « L’Histoire des hommes et celle de la nature se conditionnent réciproquement ». Bien que la transcription rétrospective d’une pensée à l’aune de sa contemporanéité représente certainement une limite à ne pas franchir – il ne s’agit évidemment pas d’affirmer que Marx théorisa inconsciemment le réchauffement climatique, le trou dans la couche d’ozone ou les énergies renouvelables –, la méthode matérialiste d’explication du monde part de la nature, c’est-à-dire « du corps non-organique de l’homme » (Marx), puisque la dépendance de l’Homme à la nature « est préalable à la forme historique de société qu’elle peut prendre » (L’autre gauche). De ce constat découle une hiérarchie bouleversée pour le mouvement socialiste : la critique sociale n’est plus exclusive puisque la lutte des classes est tributaire de la perpétuation « des conditions de vie propice à l’espèce humaine », de l’écosystème humain.

marx6

 

Critique sociale et critique écologique, loin de s’exclure mutuellement, se combinent : « La crise sociale doit être réglée d’après les exigences que met en scène la crise écologique » (ibid.). D’où l’apostasie, pour la gauche radicale, quant à la nature productiviste du système. L’aggiornamento écosocialiste réfute désormais explicitement à la fois l’idée social-démocrate, qui consiste à remettre du charbon dans la machine capitaliste dans l’espoir qu’il en résulte des droits sociaux et une plus équitable répartition des richesses et communiste du développement illimité des forces productives.

 

 

- De l’égalité devant la nature à l’égalité entre les Hommes  

Le courant progressiste issu des Lumières porte cette contradiction dès l’origine : comment prouver rationnellement l’abstraction de l’égalité statutaire des individus entre eux ? Au fond, l’humanisme séculier est une croyance, au même titre que la supériorité raciale ou religieuse. Comme le mentionne souvent en galéjant Mélenchon, l’inégalité entre les Hommes sautent aux yeux à quiconque s’y arrête un instant : « Il y a des grands, des petits, des femmes, des hommes, des gros, des jaunes, des noirs, des intelligents, des moins intelligents ». Cette abstraction constitutive de la modernité a toujours fonctionné sous dimension performative : l’égalité formelle se réalisait en la déclarant. L’écologie politique a octroyé au mouvement de la modernité une nouvelle assise heuristique dans sa lutte séculière contre la réaction. En effet, le raisonnement tenu notamment par Jean-Luc Mélenchon se fonde sur l’universalité de la dépendance des êtres humains par rapport à leur écosystème : « Il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine ».

 

  • « L’écosystème humain, s’il est unique, est un bien commun de l’humanité que les intérêts privés ne peuvent accaparer. »

 

La recherche scientifique informe sur l’équilibre métastable de l’environnement terrestre qui nous accueille. L’Homme en tant qu’espèce ne représente qu’un infime moment de l’histoire de la Terre ; des conditions particulières ont rendu possible son développement tant et si bien que le bouleversement stochastique de ces conditions initiales remet en cause la survie de l’espèce. Par conséquent, si l’on réduit, en toutes hypothèses, l’être humain à sa caractéristique première, on trouve sa dépendance vitale à son environnement. L’aporie conceptuelle et logique d’une humanité découplée de son corps inorganique valide donc le pressentiment des philosophes du XVIIIe siècle et des révolutionnaires français : les êtres humains sont semblables. Et l’écologie politique rajoute : du fait de leur dépendance mutuelle à l’unique écosystème rendant leur existence possible. De l’égalité des hommes face à la nature à l’égalité des Hommes entre eux, il n’y a qu’un pas, que Mélenchon franchit au service de la grande idée d’égalité.

 

 

- Du bien commun universel à la République laïque  

Mélenchon, et à travers lui sa famille politique, réactualise l’idée originelle du communisme grâce à l’écologie politique. L’écosystème humain, s’il est unique, est un bien commun de l’humanité que les intérêts privés ne peuvent accaparer. Ce glissement de l’interdépendance des Hommes envers leur capacité de produire leur moyen d’existence à l’interdépendance envers l’écosystème humain justifie la nécessité de socialiser ces biens communs. Par exemple, la bataille pour extraire l’exploitation des réserves aqueuses du giron marchand représente un cas concret de cette communalisation des biens universels.  Ce ne sont donc pas les intérêts privés guidés par la main invisible du marché qui doivent assurer une allocation optimale des ressources naturelles de l’écosystème,  comme le propose la green economy – paradigme suggérant de transformer la nature en un panier de biens échangeables sur un marché auquel s’adjoint un prix. De l’intuition communiste, l’écologie politique comme formulée par l’ex candidat à la présidentielle, aboutit au régime institutionnel précis où il n’est pas question « de dire ce qui est pour moi mais ce qui est bon pour tous » : la République. Puisque l’écosystème nous concerne tous, l’égide sous lequel doit se poser le débat est celui de l’intérêt général humain.

 

  • « La dimension laïque et rationnelle de l’espace public est inextricablement liée à la question écologique. »

 

Parallèlement, il convient de préciser que c’est par le débat argumenté et la démocratie que les citoyens atteindront l’intérêt général. Dans la vision que soumet le Parti de Gauche, l’écologie n’est pas l’apanage d’experts scientifiques opinant sur des bisbilles techniciennes. Au contraire, le mode d’organisation écologique de la production soumise à la règle verte (« telle qu’on ne puisse prendre à la terre ce qu’elle est capable de renouveler en une année »), en tant que décision humaine (donc de son caractère temporaire et modifiable), s’inscrit dans cette recherche constante de l’intérêt général. Toutefois, encore faut-il que l’espace public qui accueille ce débat soit « débarrassé des vérités révélés ». La dimension laïque et rationnelle de l’espace public est inextricablement liée à la question écologique.

Jean-Luc Mélenchon à Aguarico, où il a symboliquement plongé la main dans une mare de pétrole.
 

De la gauche vers le peuple.

Du peuple vers Jean-Luc Mélenchon ?

L’intellectuel Mélenchon a posé un diagnostic du monde qui l’entoure et de la configuration politique qui se dessine en Europe. En réponse, le stratège Mélenchon entame le virage tactique de rigueur. Une fois les influences historiques et intellectuelles démêlées, tout esprit qui porte un intérêt minimal pour le cours des événements ne peut se satisfaire d’un constat froid, d’un simple cheminement de pensée. La question sort souvent de la bouche d’un journaliste feignant son imminente délectation : pourquoi ne profitez-vous pas électoralement de la colère populaire ? Et malgré cela, elle est fondamentale. La balayer d’un revers de main pour ne pas entretenir le défaitisme ne vaut pas mieux que les réponses à l’emporte-pièce des éternels donneurs de leçons. Reformulons notre interrogation dans les termes d’un débat qui permette de donner quelques clés d’analyse plutôt que d’asséner une vérité. Pour quelles raisons le processus historique de la révolution citoyenne qui, dans ses spécificités nationales, s’est concrétisée en Amérique latine et semble dessiner un chemin – sinueux, dirons certain – en Grèce et en Espagne, ne se répercute-t-il pas en France avec le Front de Gauche ?

 

 

- En attendant le désastre social

  • « Pour quelles raisons le processus historique de la révolution citoyenne ne se répercute-t-il pas en France avec le Front de Gauche ? »

 

Le premier élément de réponse consiste à assumer l’explication gramscienne du rôle des tranchées entre crise économique et crise d’hégémonie du système politique. Si l’on compare la situation des bases matérielles en France – niveau de revenu, taux de pauvreté, précarité de l’emploi, taux de chômage etc. – avec celle que connaît les Espagnols ou les Grecs, la différence de degré n’est pas négligeable. Sans se lancer dans un fastidieux exercice comptable, quelques données mettent les idées au clair : 24% de chômage en Espagne, 26% en Grèce, 10% en France ; suivant tous les indicateurs le taux de pauvreté en Grèce et Espagne est supérieur de 10 points à celui de la France. Une des interprétations possibles afin d’expliquer la dynamique pour l’instant non-majoritaire du Front de Gauche réside dans l’amortissement de la crise économique de 2008 par des tranchées redistributrives comme les indemnités chômage, les prestations sociales et le maintien d’une dépense publique relativement élevée. En effet, les cures d’austérité grecques et espagnoles sont d’une autre échelle : hausse de plusieurs points de différentes taxes dont la TVA, baisse nette du salaire des fonctionnaires, privatisations brutales, diminution des allocations chômage, des prestations sociales et des pensions de retraites, flexibilisation du marché du travail, réduction drastique de l’investissement public et des dotations aux collectivités locales, etc.

 

Autrement dit, est survenue dans ces pays une explosion des bases matérielles qui produisaient le consensus incarné par la social-démocratie (centre-gauche) et la démocratie-chrétienne (centre-droit). L’altération des conditions d’existence, doublée du démantèlement de certaines tranchées, a entraîné une crise d’hégémonie politique (ou crise de régime) permettant une ré-articulation des latéralisations politiques. Pablo Iglesias de Podemos donne un exemple du lien entre bouleversement des bases matérielles et bifurcation de la manière de penser des gens. Il explique que l’explosion de la bulle immobilière, suivie des saisies par les banques des biens immobiliers, ont retourné l’hégémonie juridique du droit inaliénable de propriété. S’est imposée progressivement comme supérieure l’idée d’un droit au logement décent pour tous, chose inimaginable, nous dit-il, dans le sens commun d’avant la crise.

 

  • « L’explosion de la bulle immobilière suivie des saisies par les banques des biens immobiliers ont retourné l’hégémonie juridique du droit inaliénable de propriété. »

 

Jean-Luc Mélenchon, qui récuse la politique du pire[1], est conscient du moment charnière où se trouve la classe moyenne française qui « se cramponne à des certitudes de pacotilles que le parti médiatique lui sert à grosse louche », note de blog du 4 février 2015). Il sait que la clef de tout processus révolutionnaire efficace est le basculement de ceux qui voient encore un intérêt à participer activement à la défense de ce système. Ce retournement semble s’être produit en Grèce et Espagne par un profond déclassement social.

Podemos, 2014, par Pau Barrena/Bloomberg

 

- Occuper l’espace délaissé par la social-démocratie

La séquence politique des révolutions citoyennes d’Amérique latine, de l’ascension au pouvoir de Syriza et prochainement de Podemos, présente une similitude majeure : l’investissement par une force politique de l’espace laissée vide par la social-démocratie et la démocratie chrétienne. En effet, s’opère un recentrement idéologique et programmatique de ces deux anciennes familles politiques autour des préceptes néolibéraux. Cela conduit à la marginalisation puis la scission de leurs branches antilibérales : le républicanisme et le socialisme « à gauche » – type Jean-Pierre Chevènement et Jean-Luc Mélenchon en France –, l’autoritarisme et le souverainisme « à droite » – type Philippe de Villiers et Nicolas Dupont-Aignan. Ce que la vulgate médiatique caricature en extrémisme, radicalisme ou populisme, ne correspond en réalité qu’à la traduction contemporaine – penchant écologiste et féministe en plus – de la rhétorique du compromis avec le capitalisme : rôle d’intervention et de redistribution de l’État, pilote de la conjoncture par les instruments budgétaires et monétaires, défense des services publics, souveraineté populaire, justice sociale, redistribution des richesses en faveur du travail, relance par la demande, etc.

 

 

- La spécificité française : le Front National

  • « La vague bleu marine ne se construit évidemment plus sur la vieille garde royaliste, nazie, pro-Algérie française ou le discours reaganien de son père. »

 

Dans chacune des configurations nationales évoquées plus haut, ce no man’s land politique n’a fait l’objet que d’une relative concurrence de l’extrême gauche révolutionnaire et de groupes nationalistes. Si elle n’épuise pas la complexité des phénomènes en jeu, une approche de l’histoire politique de ces pays permet de comprendre l’absence d’une force contre-hégémonique concurrente, populiste de droite, sur le même espace vide qu’est le Front National en France. Les pays d’Amérique latine, l’Espagne et la Grèce partagent un trait historique commun : une phase de transition récente (moins de quarante ans) de régimes dictatoriaux à des démocraties formelles. Si la droite autoritaire et nationaliste a été dissoute et réduite au statut de groupuscules en Amérique latine, elle est inaudible dans l’Europe du Sud. D’abord, en Espagne, les franquistes sont incorporés dans le Parti Populaire et ne peuvent donc jouer la carte anti-système. Puis, en Grèce, la formation néo-nazie Aube Dorée ne porte aucune réflexion stratégique sur un hypothétique devenir majoritaire en se réfugiant derrière des symboles très clivants ; pour reprendre le débat sur les signifiants flottants, on peut difficilement faire signifiant plus fermé que la rhétorique et l’iconographie nazies... Ainsi, Syriza et Podemos n’ont pas de concurrents populistes sérieux contre qui batailler pour la constitution hégémonique du sujet politique « peuple » - l’unique ennemi à affronter est la caste.

 

À l’inverse, Jean-Luc Mélenchon et le Front de Gauche doivent manœuvrer avec un adversaire populiste de droite. L’implantation dans le paysage politique français du Front National depuis les années 1970 est une donnée majeure : ce n’est pas un mais deux discours qui tentent d’occuper ce même espace. En effet, il s’agit de nommer et d’analyser avec précision celui qu’on désire combattre. Il est sans doute essentiel de rappeler publiquement et à intervalles réguliers que, selon la formule consacrée, si la façade a changé l’arrière-boutique reste la même : les déclarations de candidats FN aux départementales sont là pour qu'on ne l'oublie pas. Néanmoins, tout stratège politique doit analyser avec rigueur et précision le changement de paradigme impulsé par Marine Le Pen depuis 2011. La vague bleu marine ne se construit évidemment plus sur la vieille garde royaliste, nazie, pro-Algérie française ou le discours reaganien de son père. C’est bien la mouvance souverainiste menée par l’ancien chevènementiste Florian Philippot – toujours prompt à faire l’éloge du Parti communiste de Georges Marchais – qui influence le discours de Marine Le Pen.

 

  • « La tactique proposée par Jean-Luc Mélenchon lors de la campagne présidentielle fut celle du Front contre Front. »

 

Jean-Luc Mélenchon ne s’y trompe pas : « Elle répète des pans entiers de mes discours ». Le journal Fakir, dans un très bon article intitulé « Quand Marine Le Pen cause comme nous » (n°63), démontre la reprise un à un des thèmes historiques de la gauche par le parti frontiste : la critique de l’Union Européenne, la souveraineté du peuple, les multinationales qui ne payent pas d’impôt, les évadés fiscaux, le système financier prédateur, la pauvreté, le chômage, un État planificateur, la laïcité, etc.

 

 

- Front contre Front : peuple contre peuple

Marine Le Pen ne se contente pas de reprendre à son compte les analyses et les propositions classiquement connotées « à gauche ». Elle n'ignore rien du rôle des identités collectives en politique et s’en sert pour constituer, elle aussi, son peuple comme potentialité contre-hégémonique. En plus de l’opposition verticale entre le haut et le bas se superpose une opposition horizontale entre nous – le peuple français – et eux – les immigrés, les étrangers, les assistés. Par conséquent, le Front National embrasse à la fois des problématiques sociales et des problématiques culturelles qui mettent en jeu le rapport à l'autre et les modes de vie. Loin d’être la bête irréfléchie que d'aucuns croient, le Front National version Philippot est une machine gramscienne à investir le sens commun et les signifiants flottants. La mise en avant de la notion d’insécurité, qui va de la précarité de l’emploi jusqu’aux questions identitaires, en passant par les conditions de vie quotidiennes, exprime bien la mue populiste de l’extrême droite traditionnelle. Insécurité sociale, culturelle et physique se combinent dans un même discours unitaire, qui prend appui, ou le prétend, sur les expériences et ressentis individuels et collectifs.

 

  • « Au peuple identitaire du Front National, Mélenchon répond par l’inclusion dans son peuple républicain des vagues d’immigration récente. »

 

La tactique proposée par Jean-Luc Mélenchon lors de la campagne présidentielle fut celle du Front contre Front. Prenant acte de l’inefficacité des postures morales – danger du fascisme, les heures les plus sombres de notre histoire, valeurs républicaines, etc. –, l’ancien candidat à l’investiture choisit de décortiquer le programme économique du Font National pour mettre en évidence ses incohérences. Après avoir donné la contradiction dans l’émission phare de la campagne « Des paroles et des actes », sur France 2, avec Marine Le Pen, il va l’affronter sur ses terres aux législatives d’Hénin-Beaumont. Front contre Front mais aussi peuple contre peuple. Au peuple identitaire du Front National, Mélenchon répond lors de son discours sur les plages du Prado à Marseille à Marseille par l’inclusion dans son peuple républicain des vagues d’immigration récente, notamment « arabes et berbères du Maghreb », cibles privilégiées de la communauté nationale exclusive de ses rivaux.

 

- Assumer la radicalité populiste

Pour l’instant, le Front National s'avance en tête. Depuis la campagne pour les élections européennes, la stratégie offensive menée par le Front de Gauche contre Marine Le Pen, pour la conquête de cette espace politique vide décrit précédemment, semble se chercher. Jean-Luc Mélenchon présente deux explications majeures : l’une exogène et l’autre endogène à son camp. La première pointe celle des médias dominants qui, selon lui, jouent la carte Marine Le Pen. D’une part, « le parti médiatique » multiplie les publi-reportages la mettant en scène et centralise ses thématiques de prédilection. D’autre part, les producteurs principaux de contenus idéologiques structurent un air du temps identitaire par la mise en agenda permanente, et encore plus depuis les attentats de début janvier, de faits divers où se répètent à l’infini les signifiants antisémitisme, islam, islamisme, musulmans, juifs, religions, banlieues, délinquance, etc. Ainsi, le discours du Front de Gauche, où prédominent les référents économiques et sociaux, s’ancrerait plus difficilement dans un sens commun bombardé de conflits culturels (là où celui de Marine Le Pen s’y calque idéalement).

 

  • « Une partie du Front de Gauche se voit encore comme force d’appoint du Parti Socialiste aux élections (ce qui ne fait que redorer le blason supposément anti-système du Front National). »

 

La seconde endosse une responsabilité certaine qu’il renvoie à ses camarades communistes. « Le Front de Gauche s’est rendu illisible » par des accords aux municipales avec le Parti Socialiste. Sans nier la puissance d’injonction du message médiatique, intéressons-nous à ce domaine maîtrisable par Jean-Luc Mélenchon et ses alliés : la stratégie politique. Dans la configuration actuelle, assumer la radicalité populiste parait être la seule voie de crête empruntable. Assumer la radicalité populiste signifie construire un « autre populisme ». Cela implique de s’emparer et d’arroser les racines contemporaines de l’opposition peuple-oligarchie pour que fleurisse une nouvelle hégémonie sur la représentation du peuple. Pour le dire sans ambages : il n’est plus possible de délaisser au Front National le monopole du discours radical – même s’il n’est que d’apparence – d’un point de vue socialiste, ou pour le dire autrement, d’un point de vue anticapitaliste.

mel9

 

Assumer la radicalité populiste suppose de comprendre les conditions d’émergence d’une situation populiste qui donnent sa matérialité à ce discours. Comme l'estime Mélenchon, elle se définit par l’ère de la souveraineté limitée, de l’illégitimité du grand nombre au profit de règles automatiques de bonne gouvernance, de la démocratie conditionnée aux arrangements d’experts. Ainsi, des revendications et thématiques longtemps éteintes redeviennent clivantes si et seulement si elles se présentent sous l’angle de la souveraineté. Dans cette configuration, refuser certains sujets car faisant écho à des marqueurs historiques du Front National – pour ne pas faire son jeu – revient à oublier qu’ils renvoient, avant toute chose, à la situation populiste dont les données se définissent de plus en plus par en haut. Quelle expression a, par exemple, marqué le sens commun pour décrire ce que Jean Louis Michéa nomme l’alternance unique du PS et de l’UMP ? L’UMPS. Pablo Iglesias de Podemos – qu’on peut difficilement taxer de fasciste – ne louvoie pas lorsqu’il est question de qualifier les politiques menées par les deux partis de gouvernements espagnols en alternance depuis 1982 : « La différence je ne la vois pas, c’est pepsi cola et coca cola ». Encore une fois, la question à se poser porte sur la radicalité de l’analyse dans la situation populiste et sa traduction dans les actes. Jean-Luc Mélenchon en est bien conscient – il n’hésite pas à dire qu’« Hollande, à maints égards, c’est pire que Sarkozy » –, mais une partie du Front de Gauche se voit encore comme force d’appoint du Parti Socialiste aux élections (ce qui ne fait que redorer le blason supposément anti-système du Front National).

 

De même, tout ce qui apparaît comme ayant été exclu de la délibération publique par ceux d’en haut, donc en dehors du champ de la souveraineté populaire – de la monnaie unique au protectionnisme en passant par les politiques migratoires –, détient une forte potentialité de clivage en situation populiste. Toute ambition hégémonique du sens commun qui n’assume pas la conflictualité sur des sujets déjà investis par le concurrent lui laisse le champ libre. Il s’agit à chaque fois de les réarticuler d’un point de vue social et économique, là où le Front National leur donne une signification identitaire et nationaliste. Ne pas laisser le champ libre sans rien céder sur le fond. Telle est la singularité de la ligne de crête populiste par rapport aux lacets de la gauche : plus sinueuse car débarrassée de la volonté d’incarner le Vrai et le Bien dans l’Histoire, plus dangereuse puisqu’à vocation majoritaire, mais menant aussi de façon plus directe jusqu'aux sommets car elle s’adresse et construit le sujet politique de notre ère : le peuple.

 

Note :

[1] Cette position de Karl Marx entre protectionnisme et libre-échange résume assez correctement ce qu’est faire la politique du pire : « Mais en  général, de nos jours, le système protecteur est conservateur, tandis que le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l'extrême l'antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C'est seulement dans ce sens révolutionnaire, Messieurs, que je vote en faveur du libre-échange. »

 

Pour revenir à la partie 1 cliquez ICI

Pour revenir à la partie 2 cliquez ICI

Partager cet article
Repost0
1 avril 2015 3 01 /04 /avril /2015 08:00
Mélenchon, de la Gauche au Peuple (article 2/3)

Nous ne parlerons pas d'actualité. Nous ne parlerons pas de ses piques, bons mots et polémiques. Nous ne parlerons de scrutins ni d'alliances. En un mot comme en mille, tout a déjà été dit, ailleurs et partout, sur ces sujets. Jean-Luc Mélenchon est l'une des voix les plus connues, parce que médiatique, du socialisme critique contemporain : le personnage, comme le projet politique qu'il porte, ne fait naturellement pas l'unanimité dans la grande et cacophonique famille anticapitaliste — trop autoritaire et institutionnel pour les libertaires, trop social-démocrate pour les communistes radicaux, trop républicain pour les trotskystes...

 

L'intéressé a pourtant déclaré un jour : « Nous sommes tous des socialistes, des communistes, des écologistes, des trotskystes et même des libertaires à notre manière ! Nous sommes tout cela et nous sommes passionnément républicains ! Bref, nous sommes de gauche, en général et en particulier. Nous prenons tout et nous répondons de tout. » C'était en 2008. Or, depuis quelques mois, Mélenchon amorce un virage politique que l'on ne peut ignorer : le système, explique-t-il, ne redoute pas la gauche (qu'il peut à sa guise récupérer) mais le peuple. Dépassionner l'homme public pour rendre intelligible le cheminement de cette évolution : telle est l'ambition de cet article en trois parties dont vous trouverez le second texte ci-dessous.

 

Partie 2

 

Source : Revue-Ballast.fr par Alexis Gales - 11 mars 2015 Etudiant et orwellien.

panloi
Pablo Iglesias, de Podemos (DR)
 

- L’ère du vol des mots et des signifiants flottants

Fin lecteur de George Orwell, l’eurodéputé témoigne des conséquences de « l’ère du vol des mots » (p. 26). Déjà lors de la campagne européenne de mai 2014, Mélenchon fustigeait «  les mots [qui] ne veulent plus rien dire. Ou bien s’ils veulent dire quelque chose, c’est le contraire de ce qui est dit » afin de proposer une sortie par le haut : « voilà comment il faudra les réinventer ». En effet, les mots sont des sédimentations historiques de sens et des puissants marqueurs symboliques. C’est évidemment le cas du mot gauche, dont l’écho dans le sens commun a été vidé de sa signification historique – être du côté des travailleurs. Mélenchon prend au sérieux l’expérience latino-américaine où ses camarades s’interdisaient de se revendiquer de la gauche puisque dans la tête des gens « gauche et droite c’est tout pareil » – puis rajoute : « Comment le démentir ? » (p. 27).

 

  • « Un signifiant trop ouvert – gauche ou progrès – ne permet pas d’assumer un antagonisme et, à l’inverse, un signifiant trop fermé et fortement clivant – marxiste – n’est séducteur que pour une minorité d’initiés. »

 

 

Si l’on se penche sur les influences latino-américaines de l’analyse mélenchonienne, il est indispensable de se référer au politiste argentin Ernest Laclau auteur de La raison populiste (2005). À rebours d’une conception procédurale de la démocratie, elle est pour Laclau un processus de construction/redéfinition constante des identités collectives. Ces identités se structurent autour de signifiants flottants qui sont l’arène des constructions hégémoniques concurrentes et de batailles pour imposer son ordre symbolique. Lors de période de crise d’hégémonie des superstructures, le champ des signifiants classiques se dissout. Ainsi, les forces politiques qui émergent doivent investir ces signifiants vidés de leur substance antérieure de manière stratégique. Un signifiant trop ouvert – par exemple gauche ou progrès – ne permet pas d’assumer un antagonisme et, à l’inverse, un signifiant trop fermé et fortement clivant – par exemple marxiste – n’est séducteur que pour une minorité d’initiés.

 

Jean-Luc Mélenchon, qui a rencontré et débattu avec Ernesto Laclau en Argentine, tente de mettre en pratique ces recommandations afin de reconfigurer le sens commun. Pour le tribun amoureux des mots et des concepts, il est aisé d’assumer la force performative du langage – quand dire crée du sens. Démocratie, patrie, système ou républicain, participent de ces catégories sujettes à disputes, tout comme le signifiant flottant par excellence : peuple.

 

 

- Constituer un nouveau bloc historique

L’étendard à porter sera donc celui du peuple, délaissant celui de gauche aux vautours de la rue de Solferino d’un côté et aux distributeurs de brevets révolutionnaires de l’autre. S’envolent progressivement les gens de gauche ou l’électorat de gauche pour laisser place au grand nombre, aux gens du commun et, en définitive, au peuple. Mélenchon assume une forme de populisme tout en critiquant la vacuité de ce concept qui, selon lui, en dit plus sur la haine de classe de ceux qui le prononce que d’une hypothétique essentialisation du peuple de leur contradicteur. Néanmoins, on retrouve bien une caractéristique populiste dans l’opposition verticale entre le haut – l’oligarchie – et le bas – le peuple – avec des intérêts en contradiction radicale.

 

  • « Mélenchon assume une forme de populisme tout en critiquant la vacuité de ce concept qui, selon lui, en dit plus sur la haine de classe de ceux qui le prononce. »

 

Cette rhétorique accompagne autant qu’elle construit ce qu’Ernesto Laclau nomme « la dichotomisation de l’espace social en deux camp antagonistes » (La raison populiste) lors d’une crise d’hégémonie du système politique. Loin de faire du peuple une essence et encore moins un élément de la structure sociale – qui reviendrait à définir des critères rigides de revenu, d’habitat, de diplôme etc. d’appartenance au peuple -, il est chez Mélenchon une « catégorie politique » ou, autrement dit, une potentialité contre-hégémonique. Cette dernière permet d’édifier un nouveau bloc historique, pour reprendre l’expression d’Antonio Gramsci, comme forces sociales convergentes autant sur des revendications matérielles que sur une vision du monde. Ainsi, si l’ennemi de l’oligarchie a le visage du capitalisme financier (dirigeants de fonds de pension, banquiers, patrons du CAC40, traders, etc.), alors l’artisan, le commerçant et même le petit patron peuvent participer à une « convergence des productifs » aux côtés des ouvriers et salariés sur le mot d’ordre d’une dé-financiarisation de l’économie.

 

 

- L’hégémonie culturelle : identifier, décrédibiliser, retourner

Comment constituer ce nouveau bloc historique comme potentialité contre-hégémonique ? L’action politique, pour Jean-Luc Mélenchon, s’appréhende en premier lieu par ses aspects culturels et a pour mission une « reconstruction de soi » qu’il nomme indistinctement « racine politique » ou « construction culturelle active » (intervention au symposium organisé par le Secrétariat de la Nation argentin, octobre 2012). Ainsi, il s’agit d’abord de dévoiler les vecteurs de l’hégémonie culturelle dominante au grand jour pour, ensuite, souffler sur les braises d’une conception du monde supérieure à celle des dominants. Mélenchon commence par identifier le cerbère à trois têtes gardien de l’ordre moderne – divertissement, publicité, médias politiques – afin de décrédibiliser ses représentants canoniques. Pour « rendre explicites les injonctions implicites de l’ordre […], les rendre visibles aux yeux de la conscience individuelle », le succès réside dans la conflictualisation des sujets dans l’arène politique, seule capable de « passer d’une hégémonie culturelle à une autre » (ibid.). C’est la stratégie qui consiste à taper dans la vitrine médiatique et ses experts cathodiques pour vacciner les consciences du schème de pensée qu’elle véhicule : il n’y a pas d’alternative.

sarkozyhollande
Nicolas Sarkozy et François Hollande le 8 mai 2012 (© Reuters)

 

Deux armes sont susceptibles de fendre « la deuxième peau du système » en la démystifiant. D’abord, l’eurodéputé tourne en ridicule, par l’humour et la raillerie, la force de l’évidence que recouvrent les discours dominants. « Moquez-vous d’eux ! », enjoint-il à ses concitoyens afin d’écorner la légitimité des importants qui façonnent l’air du temps – des caciques du PS et de l’UMP (40'30 - 47), aux journalistes et autres experts médiatiques. Puis, une fois l’effet démystificateur de la blague atteint, l’auditoire est dans les dispositions idéales pour la contre-argumentation seule capable de re-polariser le champ politique dans son sens : c’est la fonction contre-hégémonique de la radicalité concrète. Mélenchon s’inscrit dans la filiation jaurésienne qui, en son temps, abjurait ses contemporains à ne pas boire ses paroles car « envers une idée audacieuse […] vous avez le droit d’être exigeants […] de lui demander de faire ses preuves, […] par quelle série de formes juridiques et économiques elle assurera le passage de l’ordre existant à l’ordre nouveau » (discours du Pré-Saint-Gervais, 1913). Pourfendeur des « y’a qu’à, faut qu’on » médiatiques, l’explication de ses thèses occupe la majeure partie de son travail politique. Peu aidé par sa formation sur la poésie au XVIe siècle, Mélenchon se plie – non sans la récuser – aux exigences techniciennes de la grammaire médiatique où les spécificités de la politique fiscale libératoire s’enchainent avec les règlements de contrôle de l’activité numérique. Il s’évertue à déconstruire les argumentaires dominants au fil de ses interventions publiques. Cela implique d’accepter le débat quant à la traduction législative de la révolutionne citoyenne – et ne pas le renvoyer à la mission d’une classe élue par l’histoire.

 

  • « Exalter les affects ne ferait que réveiller la bête immonde du fascisme. Jean-Luc Mélenchon se targue d’avoir rompu avec une tradition rationaliste de son camp. »

 

Plus difficile, cette stratégie consiste également à conflictualiser les représentations qui passent par des canaux infrapolitiques, c’est-à-dire le divertissement et la publicité. Sa critique de l’histoire de la Révolution française véhiculée par le jeu vidéo Assasin's Creed en est un bon exemple. Néanmoins, parler à la raison ne suffit pas pour retourner l’hégémonie. Puisque l’ordre globalitaire (cf. seconde partie de l'article) investit jusqu’à l’intimité de chacun en constituant des subjectivités – des rapports à soi et au monde – ainsi que des comportements propices à l’accumulation capitaliste, la tentative contre-hégémonique doit se situer sur le même terrain. Toutefois, la gauche est prise de panique dès qu’il est question de passions politiques car traumatisées par les expériences totalitaires du XXe siècle. Exalter les affects ne ferait que réveiller la bête immonde du fascisme. Jean-Luc Mélenchon se targue d’avoir rompu avec une tradition rationaliste de son camp : « Je parle à ton cœur ».

 

L’idée est de glorifier les valeurs anticapitalistes – « les gisements culturels précapitalistes » de Cornlius Castoriadis – qui s’entremêlent et font un compromis quotidien avec l’ordre marchand de l’intérêt rationnel. A la logique de la concurrence et du profit, l’ancien candidat à la présidentielle loue les vertus de la solidarité et du désintéressement. Sont de retour sur la place publique les termes d’honneur, de morale, de dignité et même d’amour. Sans idéaliser les pratiques populaires, Mélenchon s’éloigne des considérations d’une certaine gauche abhorrant le travail manuel au profit du loisir intellectuel et discréditant les activités culturelles dites non légitimes. Qu’il soit question « de l’amour du travail bien fait » ou « des petits bonheurs simples de la vie », le tribun évoque à chaque meeting la simplicité du quotidien en opposition à l’opulence des puissants. Par exemple, sa défense du repos dominical s’inscrit explicitement dans cette bataille « valeurs contre valeurs ».

 

 

- S’emparer de la culture du pays

  • « Ces monuments de l’imaginaire collectif populaire incarnent autre chose qu’une simple identité particulière : ils représentent la capacité d’un peuple à décider de son destin. »

 

Raison, intériorité et… histoire politique commune. Là où la culture dominante discrédite le passé pour valoriser un présent de jouissance immédiate, l’identification à un récit collectif fait bégayer les rouages de l’hégémonie culturelle ; là où elle uniformise sur le mode de la marchandise globalisée, le référent national l’attaque de front. Les révolutions citoyennes d’Amérique latine ont chacune porté, en confrontation à leurs élites mondialisées issues du monde anglo-saxon, une identité nationale puisée dans leur histoire politique et culturelle. C’est la figure de Boliva au Venezuela, celles de San Martin et Juan Domingo Perôn en Argentine ou de la culture indigène représentée par Tûpac Amaru en Bolivie. Ces monuments de l’imaginaire collectif populaire incarnent autre chose qu’une simple identité particulière : ils représentent la capacité d’un peuple à décider de son destin contre les règles automatiques d’une technocratie ; autrement dit, la souveraineté.

jaures2
Jean Jaurès au Pré-Saint-Gervais, le 25 mai 1913. (© Maurice-Louis Branger / Roger-Viollet)

 

Jean-Luc Mélenchon décèle une configuration semblable en Europe. Devant la pauvreté du récit collectif porté par les tenants de l’Union Européenne – la sempiternelle « Europe de la paix » –, qui cache son agencement technocratique, la constitution contre-hégémonique du peuple doit prendre appui sur une identité nationale. De qui sommes-nous les héritiers ? Fille de la Grande révolution de 1789, l’identité française se confond avec son identité républicaine : « La Nation est une construction et non une essence » (Discours à l'agora de l'Humanité sur les discours de Jaurès en Amérique latine septembre 2010). En effet, en connaisseur de l’histoire révolutionnaire française, Mélenchon s’emploie à retisser le fil de la conception émancipatrice de la Nation. Il exhume la figure de Maximilien Robespierre afin de lier Révolution bourgeoise et revendications démocratiques et sociales du mouvement socialiste. Ainsi, l’identité française sublimée – « la patrie républicaine » – se confond avec la citoyenneté et les droits politiques qui en découlent : elle est la souveraineté même du peuple. Puisque les Français n'ont pas la même couleur de peau, la même religion, les mêmes coutumes et que même la langue n'est pas le plus petit dénominateur commun, la Nation française ne peut être fondée sur une approche ethnique, religieuse ou culturelle. Seul le consentement au pacte politique la définit.

 

  • « De qui sommes-nous les héritiers ? »

 

La rhétorique mélenchonienne propose une identité collective à se réapproprier qui mixe histoire républicaine et histoire socialiste. Pendant la campagne de 2012, le tribun dispense des leçons à la fois d’histoire des symboles du mouvement ouvrier (L’Internationale, le drapeau rouge, le poing fermé, la Commune de Paris) et de l’imaginaire républicain (récit des épopées de 1789, citations de Victor Hugo, la résistance au nazisme). Par conséquent, c’est la personne emblématique de Jean Jaurès qui incarne le mieux cette synthèse. On retrouve chez Mélenchon, et encore plus chez Pablo Iglesias – qui s’appuie lui sur l’imaginaire républicain espagnol contre la monarchie –, la valorisation sémantique de la « patrie » comme propriété de ceux qui n’en ont pas. Elle est celle qui éduque, qui soigne, qui protège et doit donc être arrachée à la caste passagère qui l’accapare pour son intérêt ou celui des puissances financières.

 

 

Pour aller à la partie 3 cliquez ICI

Pour revenir à la partie 1 cliquez ICI

Partager cet article
Repost0
31 mars 2015 2 31 /03 /mars /2015 08:00
Mélenchon, de la Gauche au Peuple (article 1/3)

Nous ne parlerons pas d'actualité. Nous ne parlerons pas de ses piques, bons mots et polémiques. Nous ne parlerons de scrutins ni d'alliances. En un mot comme en mille, tout a déjà été dit, ailleurs et partout, sur ces sujets. Jean-Luc Mélenchon est l'une des voix les plus connues, parce que médiatique, du socialisme critique contemporain : le personnage, comme le projet politique qu'il porte, ne fait naturellement pas l'unanimité dans la grande et cacophonique famille anticapitaliste — trop autoritaire et institutionnel pour les libertaires, trop social-démocrate pour les communistes radicaux, trop républicain pour les trotskystes...

 

L'intéressé a pourtant déclaré un jour : « Nous sommes tous des socialistes, des communistes, des écologistes, des trotskystes et même des libertaires à notre manière ! Nous sommes tout cela et nous sommes passionnément républicains ! Bref, nous sommes de gauche, en général et en particulier. Nous prenons tout et nous répondons de tout. » C'était en 2008. Or, depuis quelques mois, Mélenchon amorce un virage politique que l'on ne peut ignorer : le système, explique-t-il, ne redoute pas la gauche (qu'il peut à sa guise récupérer) mais le peuple. Dépassionner l'homme public pour rendre intelligible le cheminement de cette évolution : telle est l'ambition de cet article en trois parties dont vous trouverez le premier texte ci-dessous.

 

Partie 1

 

Source : Revue-Ballast.fr par Alexis Gales - 11 mars 2015 Etudiant et orwellien.

Si notre attention se limite à ses bons mots travaillés au millimètre ou à ses commentateurs médiatiques, la partition jouée par Jean-Luc Mélenchon semble demeurer intacte. Incarner la colère populaire par le parler « dru et cru », taper sur les représentants du système de Merkel aux locataires de la rue de Solférino en passant par la Commission européenne, retourner les procès médiatiques en populisme ou germanophobie contre leurs auteurs, travailler à une opposition de gauche au gouvernement en vue des élections intermédiaires… sa stratégie politique suit la ligne tracée depuis mai 2012. Néanmoins, la mélodie de fond s’est bouleversée ces derniers mois. Si l’on tend cette fois-ci l’oreille en deçà des radars du spectacle, le ciment historique sur lequel Mélenchon s’est construit vacille. Aux références à la gauche – même la « vraie » ou la « radicale » – se substituent celles au peuple. Le parti politique n’encadre plus au profit d’initiatives citoyennes, le clivage gauche-droite s’éteint sous l’opposition peuple-oligarchie, à ses anciens livres En quête de gauche et l’Autre gauche leur succèdent Qu’ils s’en aillent tous et L’ère du peuple. Bref, le député européen aurait posé l’étendard « gauche », lui préférant celui de « peuple ». Au-delà du simple signifiant, ce passage de la gauche vers le peuple est le fruit d’une importante réflexion autant intellectuelle que stratégique.

 

  • « La mélodie de fond s’est bouleversée ces derniers mois. Si l’on tend cette fois-ci l’oreille en deçà des radars du spectacle, le ciment historique sur lequel Mélenchon s’est construit vacille. »

 

En effet, Jean-Luc Mélenchon se plaît à être qualifié d’intellectuel. Héritier d’une longue tradition, ce qu’on nomme le mouvement socialiste a toujours eu à sa tête des théoriciens de la pratique. Les hommes et les femmes capables d’analyser avec précision et méthode les contradictions de leur époque afin d’en tirer une stratégie révolutionnaire ont historiquement tenu le haut du pavé : Jean Jaurès, Rosa Luxembourg ou Antonio Gramsci, pour citer les plus éminents représentants. C’est ce travail de fond que soumet aujourd’hui le fondateur du Parti de Gauche lorsqu’il entend démontrer que l’ère du peuple frappe à la porte de l’Histoire, enterrant implicitement l’ère de la gauche dans un passé révolu. Du constat de trois grandes bifurcations en jeu – anthropologique, climatique et géopolitique – émerge un nouvel acteur de l’Histoire, le peuple urbain, et son nouveau terrain d’expression, l’espace public, ainsi qu’une stratégie de prise de pouvoir, la révolution citoyenne, adossée à la doctrine émancipatrice de notre temps : l’éco-socialisme.

 

Pour saisir ce nouveau chemin de crête, il est nécessaire de revenir à ses soubassements philosophiques originaires et ses référents intellectuels. Le moins que l’on puisse dire, c’est que notre licencié de philosophie n’en est pas avare. Dépassionner le personnage pour rendre intelligible le cheminement de sa pensée : voilà notre idée directrice.

 

 

L’outil matérialiste : les trois bifurcations

Toute doctrine politique s’appuie sur un diagnostic du monde qui l’entoure. Néanmoins, la méthode utilisée afin d’élaborer ce constat n’est pas neutre. Elle implique de trancher, même implicitement, des questions fondamentales comme la nature de l’Homme ou d’adopter une certaine philosophie de l’Histoire. Ainsi, dans le tableau que Jean-Luc Mélenchon nous propose des sociétés humaines à l’aube du XXIe siècle apparaît à grands traits l’outil matérialiste d’explication du monde. Le jeune Mélenchon doit à la lecture de L’idéologie allemande son adhésion au matérialisme historique, évoqué comme une « révélation » : le référent premier doit être l’activité pratique de l’Homme, c’est-à-dire le mode de production par l’Homme de ses moyens d’existence. L’approche d’un matérialiste sur les évènements se caractérise par une méthode – le matérialisme dialectique – résumée en trois principes : la primauté de la matière concrète du réel, le réel comme processus, les processus comme parties intégrantes d’une totalité.

Place de la Bastille (DR)
 

- Anthropologie, climat et géopolitique

Le point de départ de son étude à vocation scientifique des sociétés humaines est une loi qui guide leur marche : celle du nombre et de la reproduction biologique. De la croissance exponentielle de l’humanité – il a fallu deux cent mille ans pour atteindre le premier milliard et seulement onze pour passer de six à sept milliards ! – dépend tout le reste de l’organisation sociale. C’est « la condition humaine elle-même » (L’ère du peuple, p. 34) qui se retrouve bouleversée puisque les besoins humains entrainent l’invention de nouvelles techniques ainsi que l’expansion de l’humanité sur le globe entier et dans les mers. On retrouve ici l’idée d’un certain déterminisme causal : « L’histoire humaine est d’abord celle du nombre des individus qui la composent » (ibid.). Fidèle à la tradition marxiste, Mélenchon refuse de définir une nature de l’Homme au profit d’une production de soi par le rapport socialisé au monde. Quel degré de proximité y a-t-il entre les premiers groupes humains vivant de la cueillette et l’homme contemporain, hybridé avec la machine et achetant son repas au supermarché ? Peut-on parler de la même humanité entre une femme enceinte dès l’âge de la puberté et s’éteignant avant d’atteindre la trentaine et celle d’aujourd’hui choisissant d’enfanter grâce à la contraception – « une aptitude biologique n’est plus un destin social » – et vivant jusqu’à quatre-vingt-cinq ans ?

 

  • « Fidèle à la tradition marxiste, Mélenchon refuse de définir une nature de l’Homme au profit d’une production de soi par le rapport socialisé au monde. »

 

La bifurcation anthropologique de l’humanité remodèle jusqu’à son rapport au temps. Ce dernier, « propriété de l’univers social » et défini comme « le rythme auquel se font les choses » (p. 93), n’est pas immuable à travers les époques. Entre la société paysanne contrainte par la temporalité de l’agriculture et les cycles saisonniers au « temps zéro » des flux financiers internationaux se trouve un abysse que l’humanité a sauté en moins de deux siècles. L’accroissement du nombre lui-même, multiplicateur des liens et catalyseur des bouleversements de l’histoire humaine, induit quasi-mécaniquement l’invention de techniques et le mode de production et d’échange. Le capitalisme financiarisé façonne donc le rapport humain au temps – celui de la vie, des objets, des savoirs etc. – en imposant la temporalité dominante des possédants. Mélenchon semble calquer la découpe analytique matérialiste entre une infrastructure des rapports de production déterminant intégralement une superstructure idéel – ici le rapport individuel et collectif au temps.

 

La conséquence directe du nombre croissant des êtres humains est le danger de leur activité sur l’écosystème. La course aux matières premières et le modèle productiviste afin de répondre aux besoins humains entraînent l’émission massive de gaz carbonique qui réchauffe l’atmosphère. Cela conduit à une réaction en chaîne : température plus élevée, fonte des glaces, élévation du niveau de la mer et libération de gaz à effet de serre, accélération de l’évaporation donc des pluies, bouleversement de la biodiversité, extinction d’espèces etc. Une ère nouvelle a pris place : l’anthropocène, celle des hommes. La bifurcation climatique, encore plus que la bifurcation anthropologique, s’explique par les lois de la science (la climatologie en tête). En effet, Jean-Luc Mélenchon est un des rares hommes politiques à entretenir un dialogue constant avec les sciences « dures ». Il utilise nombre de métaphores scientifiques afin de rendre compte du monde social (comme les processus stochastiques issus de la physique des systèmes dynamiques ou le principe d'incertitude venu de la physique quantique).

 

  • « Le capitalisme financiarisé façonne donc le rapport humain au temps – celui de la vie, des objets, des savoirs etc. – en imposant la temporalité dominante des possédants. »

 

La troisième bifurcation, géopolitique, suit le même schéma. Partant d’une analyse matérialiste en termes de rapports de force monétaires et de structure de l’économie américaine, Mélenchon en conclut l’attitude, par intérêt, belliqueuse des États-Unis d’Amérique et de son bras armé, l’OTAN. Le gouvernement nord-américain a imprimé une masse gigantesque de dollars sans aucune contrepartie matérielle dont il assure la valeur par sa présence militaire aux quatre coins du globe. De même, le volant d’entrainement de l’économie américaine est inféodé au complexe militaro-industriel. Ces deux éléments matériels poussent à une production et une présence militaire toujours plus importantes. Ainsi, il détricote le « voile tissé des fils les plus immatériels [de l’idéalisme] » (Marx) propre à la rhétorique d’un « choc des civilisations », théorisé par Samuel Huntington au milieu des années 1990, d’hypothétiques valeurs de Démocratie et de Droits de l’homme à défendre les armes à la main le long des pipelines de pétrole. Mélenchon prédit donc une bifurcation géopolitique de l’ordre mondial lorsque les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), et leur monnaie d’échange récemment institué pour concurrencer le dollar, devanceront les États-Unis en termes de puissance économique. Il assume le primat du changement sur l’essence, des processus sur les choses. Cette vision processuelle du réel, où l’accent est mis sur le caractère mouvant et transitoire de toutes choses, est indissociable des analyses mélenchoniennes.

 

Enfin, et de manière évidemment liée, la méthode matérialiste ne pense pas les processus comme indépendants entre eux. Ces trois bifurcations ne sont pas irréductibles les unes aux autres, mais au contraire, communiquent si étroitement qu’elles n’en font qu’une. Facteurs démographiques, économiques, techniques, écologiques, militaires et géopolitiques se mêlent constamment dans ses explications. De fait, la totalité ou la globalité de la dialectique s’incarne dans la capacité à éclairer les connexions du mouvement d’ensemble. Face à un mouvement général d’extériorisation et de juxtaposition des thématiques contemporaines, Jean-Luc Mélenchon s’évertue à collecter les pièces du puzzle et à pointer les manifestations, à première vue insignifiantes, du capitalisme en tant que système.

brics
Cinquième sommet des BRICS, 2013 (DR)
 

Le nouvel acteur de l’Histoire : le peuple

Face au constat dominé par l’émergence du grand nombre sur la scène de l’histoire, qui porte le drapeau de la révolte ? Le matérialisme historique dont s’est revendiqué le mouvement socialiste jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle ne jure que par la classe ouvrière comme protagoniste de l’Histoire de l’humanité. Un ensemble homogène dont l’appartenance exclusive se trouve rabattu sur sa position dans le processus de production. Bien que cotisant à l’outil matérialiste d’explication du monde, Jean-Luc Mélenchon s’est distancié, depuis son premier ouvrage À la conquête du chaos, en 1991, d’une lecture dogmatique et anhistorique du marxisme. Il s’agit de distinguer chez Mélenchon, à l’instar des travaux de Louis Althusser, entre une philosophie marxiste comme méthode dont il se réclame et une théorie scientifique de l’histoire qu’il nuance abondamment. C’est dans le contexte de cette remise en question globale de lois déterministes de l’histoire des sociétés humaines qu’il faut comprendre le recours au peuple supplantant la classe ouvrière.

 

 

- Relativiser la marche matérialiste de l’Histoire

  • « Le déterminisme historique marxiste postule la succession de formes d’organisations sociales liées positivement entre elles puisque chaque étape postérieure rapproche l’Homme du stade ultime. »

 

L’apostasie tombe comme un couperet dès son tout premier ouvrage : « Le socialisme n’est-il qu’un mythe prophétique comme un autre ? » Cette question existentielle se comprend dans le contexte terrible du débat politique des années 1990. Le mur de Berlin emmène dans sa chute la fin de l’Histoire et des grandes idéologies. S’attaquer en 1991 au matérialisme historique tout en méprisant l’avènement concomitant de la science économique néoclassique (dite rationnelle) apparaît comme un jeu d’équilibriste. Jean-Luc Mélenchon, conscient de l’incapacité d’une loi matérialiste à expliquer l’intégralité des évènements de son temps, entreprend « d’en finir avec les conceptions théologiques de la politique : son rôle n’est pas de se présenter comme la science globale de l’activité humaine ou comme la religion des jours meilleurs ». Libéralisme et déterminisme historique se confondent dans cet énoncé. Face à une élite politique social-démocrate qui s’immisce avec enthousiasme dans ce nouveau rabattage des cartes – « les nouveaux parvenus du socialisme gestionnaire et leur réalisme de pacotille » – et l’extrême gauche – « les récitants du catéchisme marxiste du passé » –, celui qui a été le plus jeune sénateur français ouvre la voie à une nouvelle théorie apte à comprendre le « mouvement réel des sociétés humaines » par l’interaction des composants isolés du système. Si, comme le dit George Orwel, « il est nécessaire, pour défendre le socialisme, de commencer à l’attaquer », l’assaut proposé par Mélenchon cible un de ses piliers canoniques : la théorie des stades de développement.

 

Le déterminisme historique marxiste postule la succession de formes d’organisations sociales liées positivement entre elles puisque chaque étape postérieure rapproche l’Homme du stade ultime où sa condition sociale coïncidera avec l’idée qu’il se fait de lui-même. L’histoire des sociétés humaines s’expliquerait donc avant tout par des raisons économiques et techniques : elle serait régie par un « mystérieux programme transcendant […] qui a pour noyau dur le développement continuel de l’invention technique et scientifique […] non seulement automatique mais également d’une neutralité philosophique absolue » (Orwell Educateur, Jean-Claude Michéa). Mélenchon engage son apostasie. Les faits culturels, les structures mentales ou l’imaginaire collectif sont susceptibles d’empêcher, de ralentir ou à l’inverse, de favoriser, d’accélérer le dépassement des ordres sociaux économiques, les avancées technologiques ou le mode de production. Quelle stupeur traversa le courant marxiste lorsque des ethnologues conclurent que l’invention de l’agriculture ne fut en rien une solution pragmatique pour pallier à la précarité de la cueillette mais la conséquence fortuite d’un banal culte consistant à enterrer des graines. La présence ou l’absence de conditions politiques et culturelles nuancent le déterminisme technique des stades évolutifs. En effet, la critique de la linéarité des processus historiques fit l’objet d’un examen précis par Jean-Luc Mélenchon qu’il condensa dans son premier ouvrage À la conquête du chaos. L’incertitude serait donc une « propriété indépassable de l’univers social ».

 

 

- De la classe ouvrière au peuple urbain

  • « Les bouleversements du monde salarié en un émiettement des catégories socioprofessionnelles ont flouté les repères traditionnels.»

 

Quel acteur désigne alors Jean-Luc Mélenchon pour hériter du témoin révolutionnaire ? La catégorie marxiste de classe ouvrière avait l’avantage de définir une frontière nette entre travailleurs – Gramsci y incluait la paysannerie – et capitalistes : détenteurs de leur seule force de travail contre détenteurs du capital. Néanmoins, les bouleversements du monde salarié en un émiettement des catégories socioprofessionnelles – ouvriers d’industrie, ouvriers agricoles, employés de service, fonctionnaires, cadres d’entreprise, chômeurs etc. – ont flouté les repères traditionnels. Ainsi, se comprend l’usage récurrent du concept de peuple au détriment de celui de classe. Même si cette référence s’articule partiellement autour de la notion de peuple-classe – ensemble des dominés dans les rapports de production –, il reste la dominante du laïkos – le peuple dans son indivisibilité. C’est toute la mythologie du fardeau de la classe ouvrière quant à son rôle révolutionnaire qui s’écroule. Mélenchon ne croit pas que « la classe ouvrière ait à s’emparer par elle-même du pouvoir d’ensemble de la société et que c’est de son mouvement mécanique que va résulter le bien commun » (Discours à la loge du Grand Orient, janvier 2012).

mel5
Par Lewis Hine, 1931

Pour Mélenchon, le successeur de l’homo laborans sera l’homo urbanus, celui de la classe ouvrière le peuple urbain. Encore une fois, la clé de lecture est le fait populationnel urbain qui tend à s’universaliser et implique des « liens forts d’interdépendance, […] une vaste machinerie sociale concentrée en milieu urbain » (p. 110). De ce phénomène émerge la figure première et indépendante de la condition sociale érigée par la modernité politique occidentale : l’individu. Il s’empresse de le rappeler dès qu’il en a l’occasion. Sa matrice originelle, celle à partir de laquelle il a construit sa vie de militant politique, est la doctrine qui « a libéré l’individu » du « vieux monde », décrit comme un « fatras de privilèges et de puissants ». La philosophie des Lumières « habite émotionnellement » (7 mars 2012, émission La fabrique de l'Histoire) le natif de Tanger depuis son plus jeune âge.

 

  • « Chaque individu est capable de s’arracher des institutions (famille, Église, communauté villageoise) ou médiations (patriarche, curé, préjugés) qui lui barrent la route de l’autonomie intellectuelle. »

 

Un des grands principes philosophiques dont il se fait l’héritier est le statut de la raison. L’idée d’une transcendance antérieure à la volonté humaine à laquelle il devrait se soumettre intégralement est battue en brèche par les philosophes du XVIIe et XVIIIe siècle : l’Homme est capable d’autonomie, il peut s’instituer sa propre loi. La première des autonomies étant, évidemment, celle de penser par soi-même. Ce primat de la raison individuelle sur les déterminants extérieurs ou antérieures à la condition humaine fonde l’approche politique de Jean-Luc Mélenchon, d’où son constant appel aux capacités réflexives de chacun. Chaque individu est capable de s’arracher des institutions (famille, Église, communauté villageoise) ou médiations (patriarche, curé, préjugés) qui lui barrent la route de l’autonomie intellectuelle. La ville permet plus en amont l’épanouissement de cette individualité enténébrée dans les anciennes structures sociales.

 

 

- De l’usine à l’espace public

À chaque sujet révolutionnaire de l’Histoire correspond un lieu physique à sublimer par l’action du nombre. Dans l’analyse marxiste traditionnelle, le prolétariat ouvrier doit s’emparer de son terrain de prédilection où se produit la richesse : l’usine. Ce lieu qui cristallise les contradictions du système permet une double prise de pouvoir. La première est une prise de pouvoir sur soi, sur sa subjectivité au contact d’une condition sociale partagée par ses semblables – c’est le passage chez Marx d’une classe en soi (avec des intérêts communs) à une classe pour soi (consciente de ses intérêts communs). La seconde est une prise de pouvoir matérielle sur le lieu lui-même, de possession collective par la dépossession privée. « L’entreprise n’est plus le lieu central où s’exprime une conscience politique globale » (p. 123) assène Jean-Luc Mélenchon. Désindustrialisation, délocalisations, criminalisation de l’action syndicale, menaces de licenciement et éclatement des grandes industries en entités de petites tailles ont eu raison de la figure emblématique de l’usine. La partition révolutionnaire du peuple urbain se joue donc sur une autre scène : l’espace public, et son incarnation contemporaine, la ville.

 

  • « Le nouvel âge des révolutions se caractérise donc par le déferlement du peuple en ville et l’occupation des places poussés par des revendications communes de conditions dignes d’existence. »

 

La ville moderne symbolise plus que jamais les rapports de domination capitalistes entre des centres villes embourgeoisés, des ghettos riches, des grands ensembles où se concentrent la misère et une relégation périurbaine qui reflète des nouvelles formes de relégations sociales. Si, pour Mélenchon le matérialiste, « à toute condition sociale finit par correspondre une conscience collective » (p. 115), alors émerge une condition urbaine autour d’enjeux collectifs comme les transports, la santé, l’éducation, l’emploi ou l’habitat. Le nouvel âge des révolutions se caractérise donc par le déferlement du peuple en ville et l’occupation des places poussés par des revendications communes de conditions dignes d’existence. De la Puerta del Sol à la place Tahrir en passant par les révolutions latino-américaines, le schéma suit la dilution de la classe ouvrière homogène dans un peuple urbain hétérogène. De plus, le nouvel âge des réseaux – celui des réseaux sociaux sur la toile –  dédouble et amplifie l’espace public formant « une cité sans fin » (p. 109). Mélenchon critique l’opposition simpliste entre matérialité du face-à-face et virtualité du réseau social. Le rôle joué par ces derniers en Égypte, Tunisie, Espagne ou Turquie comme catalyseur des forces matérielles ne peut être négligé. Ainsi, la mise en réseau numérique, tout comme la mise en réseau physique (transports, électricité, eau) participe à la formation d’une conscience collective urbaine.

 

Laissons l’eurodéputé conclure : « Le peuple est le sujet de l’histoire contemporaine. Le peuple c’est la multitude urbaine prenant conscience d’elle-même à travers ses revendications communes » (p. 119).

 

 

La révolution citoyenne : la leçon latino-américaine

Si la figure révolutionnaire ainsi que son terrain d’épanouissement se sont modifiés, alors il en va de même pour la stratégie d’action à suivre. La révolution qu’appelle de ses vœux Jean-Luc Mélenchon est et ne peut être que doublement citoyenne. Citoyenne d’abord car portée, comme nous venons de le voir, par l’individu-citoyen au-delà de sa simple place dans le processus de production. Citoyenne ensuite car englobant des objectifs universels au-delà de la simple socialisation des moyens de productions comme la défense de l’écosystème. Plus que de répéter la définition canonique qu’en donne Mélenchon – révolution du régime de la propriété, des normes juridiques et de l’ordre institutionnel –, tentons de voir l’inspiration historique que furent les révolutions citoyennes d’Amérique latine ainsi que ses influences intellectuelles dans la tradition marxiste.

chavezmel
Mélenchon et Chavez (DR)
 

- Le laboratoire latino-américain

  • « L’Amérique du Sud représente le traumatisme du coup d’État contre Salvador Allende et les récits "des nôtres" – les militants socialistes et communistes – retrouvés dans les fosses communes. »

« Non, l’Histoire n’est pas finie ! », tel est le message plein d’espoir que tire Jean-Luc Mélenchon des mouvements populaires latino-américains, qui se traduisirent par les victoires électorales entre 1999 et 2006 d’Hugo Chavez au Venezuela, Lula au Brésil, Néstor Kirchner en Argentine, Tabaré Vazquez en Uruguay, Evo Morales en Bolivie et Rafael Correa en Équateur. Celui que les médias aiment caricaturer en « petit Chávez » assume son tropisme sud-américain. Pour sa génération de militants politiques, l’Amérique du Sud représente le traumatisme du coup d’État contre Salvador Allende et les récits « des nôtres » – les militants socialistes et communistes – retrouvés dans les fosses communes. Suite à la chute des dictatures et la transition à des démocraties formelles, les pays latino-américains furent le théâtre d’une nouvelle rationalité politique : celle des politiques néolibérales résumées dans le consensus de Washington. Néanmoins, dès 1990 la contre-offensive des mouvements progressistes s’organise dans le Foro de Sao Paulo, lieu de réflexions inédit puisqu’il rassemble au-delà des Internationales Communistes et Socialistes. C’est en allant analyser le moment politique latino-américain que Mélenchon a affiné sa stratégie de révolution citoyenne.

 

 

- De l’astre mort social-démocrate à la révolution citoyenne

Le point de départ de la réflexion est un double constat posé aussi bien par les participants au forum que par Jean-Luc Mélenchon : la chute du bloc soviétique et l’astre mort qu’est devenue la social-démocratie. Si pour l’ancien sénateur socialiste la rupture avec l’Union Soviétique était consommée dès son engagement de jeunesse trotskyste, sa réflexion s’est nourrie des turpitudes dont se sont rendues coupables les partis sociaux-démocrates latino-américains. La multiplication de coalitions gouvernementales avec les partis de centre-droit, l’éviction des partis communistes, l’alignement politique sur les recommandations du Fonds Monétaire International, le dépérissement de toute assise populaire, l’embourgeoisement des dirigeants et militants, l’absence totale de renouvellement doctrinal... fusionnent dans le verdict de Mélenchon : un astre mort. Cela s’incarne de manière emblématique dans le Pacte de Punto Fijo (du nom de la ville vénézuélienne) qui acte une alternance politique organisée entre les deux grands partis de centre-droit et de centre-gauche.

 

  • « Le fondateur du Parti de Gauche détecte le point commun des révoltes populaires en Amérique latine : des décisions politiques qui frappent de plein fouet les conditions de vie du peuple urbain. »

 

Jean-Luc Mélenchon transpose rapidement ce constat au Vieux Continent. Dans son ouvrage En quête de Jean-Luc Mélenchon transpose rapidement ce constat au Vieux Continent. Dans son ouvrage En quête de gauche publié en 2007, il établit un tour d’horizon des partis sociaux-démocrates européens. Il analyse avec précision la bifurcation idéologique de la « troisième voie » chère à Tony Blair ; théorie fondée sur une opposition rhétorique de réformateurs dans un monde qui bouge face à des conservatismes sociaux ou idéologiques ainsi que sur le dépassement du clivage gauche-droite autour d’un consensus partagé – le fameux « cercle de la raison » d’Alain MincOutre le « désastre social » qu’implique le ralliement de la social-démocratie à l’adaptation aux contraintes, la succession d’alternances politiques dans ce cadre conduit à des « marées d’abstention ». Mélenchon décèle le même phénomène dans l’Amérique latine des années 1990 et l’Europe d’aujourd’hui. Face à une élite nationale qui verrouille le pouvoir en s’en dépossédant au profit d’une oligarchie supranationale – le FMI pour l’Amérique latine, l’Union Européenne pour l’Europe –, le peuple entame sa grève civique. « L’abstention prend alors l’apparence d’une autodissolution du peuple » (p. 129) alors qu’elle demeure éminemment politique : un rejet d’institutions ne permettant plus d’exercer la souveraineté, rejet qui s’exprime dans le langage d’une dénonciation plus vaste « du système ». Puis, dans cette séquence, un déclencheur fortuit catalyse cette politisation sous les radars officiels. Le fondateur du Parti de Gauche détecte le point commun des révoltes populaires en Amérique latine : des décisions politiques qui frappent de plein fouet les conditions de vie du peuple urbain. En effet, la hausse du prix des transports en commun au Venezuela aboutit au « Caracazo » en 1989, celle de l’eau suite à sa privatisation en Bolivie entraîne « la guerre de l’eau de Cochabamba » en 2000 et en Argentine la réduction drastique de la monnaie en circulation se traduit par les « cacerolazos » et « piqueteros » ; ce processus global étant guidé par le mot d’ordre argentin « que se vayan todos » (qu’ils s’en aillent tous).

 

Ces révoltes populaires ont trouvé en Amérique latine leur incarnation institutionnelle par des mouvements politiques – que Mélenchon appelait jusqu’à récemment « l’Autre gauche » – à travers le processus constituant : la conjonction des deux moments façonnent la révolution citoyenne. Il s’agit donc de se pencher sur la stratégie à adopter dans cette configuration politique. Celle tracée par Mélenchon fait la synthèse de deux traditions révolutionnaires du début du XXe siècle : à la rencontre de Rosa Luxemburg et d’Antonio Gramsci.

rosalux2
Rosa Luxemburg, 1912 (DR)
 

- Au croisement de l’étincelle incendiaire…

  • « La révolution citoyenne a l’ambition de faire la synthèse entre un programme politique révolutionnaire et sa légitimation institutionnelle par les élections au suffrage universel. »

 

Mélenchon cultive, à l’instar de Rosa Luxemburg, le volontarisme et l’infatigable pensum accélérant le processus historique. Si l’action autonome des travailleurs – désormais, donc, du peuple – doit prévaloir lors du moment révolutionnaire, l’avant-garde éclairée a néanmoins un rôle éminent dans sa période préparatoire : « devancer le cours des choses, de chercher à le précipiter » (Rosa Luxemburg) ou « d’éclairer le chemin » (Jean-Luc Mélenchon). D’où le travail consciencieux de théorisation, d’explication des événements et de polémique politique qui s’actualise avec les moyens de diffusion propre à chaque époque (tracts, réunions publiques, livres, vidéos internet…). Alors que Luxemburg excellait dans la rédaction de courtes brochures explicatives, Jean-Luc Mélenchon met un point d’honneur à restituer le moment politique dans de copieux billets hebdomadaires sur son blog.

 

En outre, le député européen fait sien l’héritage spartakiste relatif à la direction politique qui ambitionne de dégager à la fois une « tactique et des objectifs » (Luxemburg), « les taches et la méthode » (Mélenchon) : tous deux réunis dans ce fameux concept de révolution citoyenne. Empruntée aux mouvements d’émancipation de la tutelle du Fonds Monétaire International en Amérique latine, la révolution citoyenne a l’ambition de faire la synthèse entre un programme politique révolutionnaire et sa légitimation institutionnelle par les élections au suffrage universel. Puisqu’il ne s’agit pas « d’être les porteurs d’eau de la révolution » (débat avec Besancenot organisé par le magazine Regards, avril 2011), les partis ont pour vocation de proposer une méthode – ici « l’implication populaire dans les affaires publiques » – et des objectifs – la bifurcation de l’appareil productif, la refondation des institutions, l’extension de la citoyenneté dans l’entreprise, le partage des richesses… Mélenchon est conscient qu’un changement par le haut ne tiendrait pas une semaine contre la farouche résistance des puissants.

 

  • « Le peuple doit donc se constituer lui-même en écrivant les nouvelles règles du jeu politique. »

 

De là naît une tension sur la forme d’organisation à adopter. Initialement inspiré par les expériences de Die Linke (Allemagne) et Syriza (Grèce), le Front de Gauche se structure comme un cartel de partis ouvert aux formations en rupture avec la social-démocratie. Néanmoins, ces derniers temps Jean-Luc Mélenchon appelle à  un « dépassement du Front de gauche », c’est-à-dire à un dépassement des coalitions partidaires. C’est ici une référence au modèle de Podemos en Espagne comme institutionnalisation de révoltes sociales – celle des Indignés. Ainsi, il semble renier une forme de caporalisme propre aux anciennes formations politiques. Mélenchon préfigure cela par le lancement d’un Mouvement pour la 6e République (M6R), où l’horizontalité et la démocratie interne prend le pas sur la discipline de partis à travers des plateformes internet. L’horizon stratégique à atteindre serait donc un label commun (du Nouveau Parti Anticapitaliste aux socialistes dissidents, en passant par les écologistes) légitimé par des Assemblées citoyennes locales balayant « la tambouille politicienne » des accords de partis.

 

L’implication populaire dans le processus révolutionnaire, slogan agréable dans un colloque d’agrégés en révolution, contient une dimension concrète qu’il résuma par une formule : face à la probable sédition des possédants, « nous comptons sur les employés des banques qui tiennent les livres de comptes bancaires ». La prise de conscience et l’usage du pouvoir citoyen dans chaque sphère de l’activité humaine – il appelle également les milliers de précaires des médias à « virer les généraux, les colonels » pour « faire de la place aux caporaux, sergents ou lieutenants » – renferment la clé méthodique de sa révolution citoyenne. Plus fondamental encore, Mélenchon reprend l’idée luxemburgiste d’une constitution de soi dans la pratique politique. En opposition à Lénine, la militante allemande oppose la dimension féconde des « erreurs commises par un mouvement ouvrier vraiment révolutionnaire » à « l’infaillibilité du meilleur comité central ». Dans une configuration politique contemporaine, le peuple doit donc se constituer lui-même en écrivant les nouvelles règles du jeu politique. « La multitude devient le peuple quand elle fait acte de souveraineté » (p. 126) : tel est le rôle du processus constituant.

sixrep
(© AFP)
 

Il se défend du caractère révolutionnaire et concret d’une Assemblée constituante. Faire acte de souveraineté, exposer des avis contradictoires, décider collectivement, réguler les sociétés humaines, tout ceci entre en contradiction directe avec l’ordre financier « qui n’accepte aucune régulation extérieure à lui » (p. 128). À ce système qui nécessite l’apathie et la dissolution du peuple, la réponse radicale ne peut être que celle du nombre et de sa constante anthropologique – Mélenchon fait référence aux travaux de l’ethnologue Maurice Godelier : poser des règles sur l’espace de vie en commun. Témoin des expériences latino-américaines où les séquences historiques ont enchaîné révoltes populaires-victoires électorales-Assemblée constituante, Mélenchon entend donc placer la VIe République au cœur du débat politique.

 

 

- … et de la guerre de position

  • « Partir du sens commun pour constituer un nouveau bloc historique et comprendre les ressorts de l’hégémonie culturelle pour la retourner. »

 

Néanmoins, la révolution citoyenne qu’appelle de ses vœux Jean-Luc Mélenchon est, avant toute chose, une bataille culturelle et renvoie à la pratique révolutionnaire théorisée par Antonio Gramsci. Démontrant le passage des sociétés fluides (autonomie de la société civile par rapport à l’État) à des sociétés densifiées dans la seconde moitié du XIXe siècle au sein des grands pays industrialisés européens, l’intellectuel italien critique la stratégie de guerre de mouvement. Les grands appareils idéologiques de domination – administrations étatiques, Église, parlementarisme, corporations… – formeraient désormais des tranchées qui amortissent les crises du capitalisme : les crises économiques n’impliquent pas inéluctablement des « crises d’hégémonie » du système politique.

 

La guerre de position, celle qui consiste à prendre le pouvoir dans les consciences, doit donc se substituer à la préséance de la conquête du pouvoir politique – désormais simple aboutissement d’un processus bien plus long. Cela implique de partir du sens commun pour constituer un nouveau bloc historique ainsi que de comprendre les ressorts de l’hégémonie culturelle pour la retourner.

 

 

- Partir du sens commun

Une vidéo a récemment circulé sur les réseaux sociaux dans laquelle Pablo Iglesias, leader de Podemos, évoque la difficulté des mouvements politiques révolutionnaires à établir une identification entre leur analyse et le sens commun – « ce que sent la majorité ». Il se moque de ce que Mélenchon nomme « les récitants du catéchisme marxiste du passé » qui prétendent convaincre à grands coups de prolétaires, grand capital, classe ouvrière et autres figures canoniques du panthéon révolutionnaire. Ce travail de mise en discours ainsi que de traduction contemporaine « du bruit et de la fureur de notre temps » correspond avec l’idée que se fait Mélenchon de la fonction tribunicienne. Il s’agit d’incarner – par une expression, un mot d’ordre, une saillie publique, une proposition, une analyse – un sentiment commun jusqu’à lors quasi ineffable. Le tribun subsume le chaos des faits et des émotions, donne du sens à une indignation confuse et tente de sublimer en action collective un sens commun plutôt réactif qu’actif, négatif que positif.

 

  • « Partis de gouvernement, médias audio-visuel, élites culturelles, communicants, patrons du CAC40, technocrates bruxellois et banquiers : l’oligarchie, la caste, le système. »

 

La première tâche consiste à nommer l’ennemi : qui est notre adversaire ? Mélenchon raconte sa rédaction d’une liste de termes lors de la campagne pour le « Non » au référendum de 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen : les puissants, les importants, les parfumés. Peu de capitalistes, social-traîtres ou bourgeois dans sa rhétorique puisqu’ils expriment avec inexactitude la configuration politique ressentie par le grand nombre. « Cette alliance des superstructures » – partis de gouvernement, médias audio-visuel, élites culturelles, communicants, patrons du CAC40, technocrates bruxellois et banquiers – porte un nom : l’oligarchie, la caste, le système. Jean-Luc Mélenchon rend ainsi compte de ce petit monde homogène qui vit en cercle fermé jusqu’à l’endogamie la plus clanique, cumule le pouvoir économique, politique, symbolique (celui de dire la norme) et partage une peur commune : celle du peuple.

 

« Le système n’a pas peur de la gauche, il a peur du peuple » assène depuis quelques mois le fondateur du Parti de Gauche. Après avoir nommé l’ennemi, il s’agit désormais de désigner son propre camp. Durant le début du mandat de François Hollande, la tentation était forte chez les militantes et dirigeants à la gauche du Parti Socialiste de tomber dans les travers de la gauche adjectivale ou adverbiale : la vraie gauche, la gauche de la gauche, la gauche radicale, l’autre gauche, une politique réellement ou vraiment à gauche. Mélenchon y prit sa part. Devant l’échec de cette ligne politique, il se rend à l’évidence : la concurrence des gauches ne mène à rien, il faut désormais fédérer le peuple.

 

 

Pour aller à la partie 2 cliquez ICI

Partager cet article
Repost0
30 mars 2015 1 30 /03 /mars /2015 08:02
Au PS, la laïcité se forge à l’école privée

Source : Le blog de François Cocq par François Cocq, Secrétaire national à la politique territoriale et à l’éducation du parti de Gauche

- « Il faut développer les enseignements scolaires privés sous contrat ».

Telle est la sinistre proposition qui figure dans le rapport sur la « cohésion républicaine » présenté le 1er février par les responsables du Parti Socialiste devant les secrétaires de sections réunis à Paris. Et Laurent Dutheil, secrétaire national du PS à la laïcité et aux institutions d’enfoncer le clou dans un communiqué daté du 26 février en appelant au «développement de l’enseignement privé confessionnel musulman ». Désormais, pour le PS, la laïcité se résume donc à l’égalité de traitement des religions, sans se soucier du principe d’organisation sociale qui doit régir la place de ces dernières. Jaurès reviens, ils sont devenus fous !

 

La formulation officielle de ce qui constitue une rupture majeure et manifeste avec l’histoire de la pensée socialiste mérite qu’on s’y arrête. En réponse aux assassinats politiques des 7, 8 et 9 janvier, le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis avait appelé à une convention qui se tenait à Paris le 1er février devant l’ensemble des secrétaires de section. Dans ce cadre, trois rapports étaient présentés : l’un sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme, le deuxième sur la coordination européenne en matière de lutte contre le terrorisme, et le troisième, cheveu sur la soupe, sur la préservation de la cohésion républicaine.

 

  • C’est donc dans ce dernier (à lire ICI) que figure la proposition qui nous intéresse (le reste méritera aussi qu’on y revienne tant les reniements et trahisons républicaines volent au PS en escadrille).

 

Présenté par Laurent Dutheil, le rapport sur la “cohésion républicaine” rassemble tout le spectre de ce que le PS compte comme chapelles. Voyez plutôt les signataires : Alain Bergounioux, Florence Augier, Ericka Bareigts, Jean-Louis Bianco, Colombe Brossel, Sylviane Bulteau, Luc Carvounas, Marie Colou, Kamel Chibli, Karine Gloanec-Maurin, Elsa di Méo, Samia Ghali, Estelle Grelier, François Kalfon, Marc Mancel, Emmanuel Maurel, Sandrine Mazetier, Claude Roiron, Isabelle This-Saint-Jean, Yannick Trigance. Des valssistes qui rédigent l’épitaphe du PS, aux prétendus gardiens de l’héritage socialiste au sein du parti,, ils sont tous là ! Celles et ceux qui considèrent que le Parti Socialiste est divers et que, dans ses instances, des courants structurés représentent plus d’intérêt et de perspectives que d’autres en seront pour leurs frais. Pauvres militant-e-s sincères salis par les vilénies de leurs chefs…

 

 

- Sur le fond maintenant.

On se souvient des propositions scandaleuses formulées mi-janvier par Jean-Louis Bianco sous couvert de l’Observatoire de la laïcité qu’il préside et qui avaient poussé plusieurs de ses membres à se désolidariser de ces annonces. Parmi celles-ci, outre “le recrutement d’aumôniers musulmans dans les prisons”, on retrouvait déjà “le soutien à la creation d’établissements privés de théologie musulmane et de formation à l’islamologie” et “la prise en compte de toutes les pratiques convictionnelles et confessionnelles présentes sur le territoire de la république”. Comme une synthèse, Jean-Louis Bianco est de ceux qui avec le rapport sur la “cohésion républicaine” affichent aujourd’hui leur volonté de voir se développer l’enseignement privé confessionnel.

 

Il faut à ce stade s’arrêter sur la formulation initiale du rapport. La proposition de “déveloper les établissements scolaires privés sous contrat” a beau s’insérer dans la partie du document intitulée “Se pose enfin la question de l’islam français”, elle n’en est pas moins rédigée sous la forme d’une proposition générale qui englobe les enseignements privés sans même évoquer leur caractère confessionnel et/ou marchand. C’est bien l’enseignement scolaire privé sous contrat en tant que tel qui est promu par les rédacteurs comme une alternative, ou pour le moins un complément utile et nécessaire, à l’école publique ! On sait dans l’histoire du mouvement ouvrier que c’est par l’écrit que l’on entérine des modifications dans le champ des idées. Le propos est ici trop grave et trop décisif pour croire qu’il ne s’agirait que d’une maladresse rédactionnelle.

 

 

- Avant même que de s’aventurer dans le champ du religieux, le PS marque donc une rupture profonde avec le principe général de laïcité et sa déclinaison pour l’Ecole de la République.

Ainsi Jaurès, en 1910 dans sa célèbre intervention « Pour la laïque » à la chambre des députés, affirmait « qu’il pouvait être du droit de l’Etat d’organiser un service public national de l’enseignement » en précisant immédiatement : « J’entends un service national où seraient appelés tous les enfants de France ». « Tous » les enfants de France…Reprenant Proudhon, Jaurès explicitait en quoi l’éducation, dans sa visée universaliste et émancipatrice, doit garantir à l’enfant un cadre qui soit tout à la fois commun à toutes et tous, mais aussi préservé des velléités restrictives qui peuvent s’opérer au nom du dogme, qu’il soit religieux ou marchand : « L’enfant a le droit d’être éclairé par tous les rayons qui viennent de tous les côtés de l’horizon, et la fonction de l’Etat, c’est d’empêcher l’interception d’une partie de ces rayons ». Voilà qui lui permettait de conclure : « Je ne crois pas qu’il y ait d’objection de doctrine, d’objection de principe à ce que l’enseignement national pour tous soit organisé ». Là où Jaurès étayait sur le fond la question du monopole de l’éducation, le PS de 2015 de l’après Charlie se dresse face à lui pour promouvoir l’enseignement privé face à l’Ecole publique de la République et provoquer ainsi l’éclipse de l’humanisme universel…

 

  • La formulation complémentaire apportée par le secrétaire national du PS Laurent Dutheil dans son communiqué du 26 février (à lire ICI) n’y change rien.

 

Au contraire, elle approfondit la redéfinition de la laïcité à la sauce PS. Celui-ci prône en effet «le développement de l’enseignement privé confessionnel musulman ». L’enseignement privé dont il est question est cette fois précisé : il s’agit bien de l’enseignement confessionnel musulman. Est-ce à dire que le PS se fait le chantre de celui-ci ? Non bien sûr. Mais ce que recouvre cette proposition, c’est le passage d’une laïcité où l’Etat ne reconnait ni ne salarie aucun culte comme le veut la loi de 1905 à une pseudo-laïcité où les religions doivent bénéficier d’une égalité de traitement. Les religions sortent ainsi du seul champ spirituel et sont de fait reconnues comme des acteurs temporels à même de prendre en charge ce que certains appellent des « droits-créances » pour l’Etat comme le droit à l’éducation (pour ma part, et vous m’excuserez cette digression sur laquelle je reviendrai, un droit créance n’est rien de plus que la résultante des droits naturels de liberté et d’égalité et c’est pourquoi je considère cette réintroduction politique du religieux comme une atteinte au principe même du droit naturel si vaillamment défendu par Maximilien Robespierre).

 

 

- Concrètement, le PS promeut un financement public étendu pour les établissements scolaires privés et notamment ceux à caractère confessionnel.

Là où l’argent public devrait aller à la seule école publique, celle de toutes et tous, le PS propose de rajouter à la manne de 9 milliards d’euros annuels distribués à l’enseignement privé, il est vrai à 90% confessionnel et catholique, le nécessaire pour développer l’enseignement privé musulman. C’est l’égalité des chances des religions en somme !

 

Mais c’est justement sur ce terrain que Jaurès devrait revenir jouer la mauvaise conscience des ex-socialistes du PS. Jaurès n’était pas qu’un penseur. Il partait du réel et des rapports de force pour construire un cheminement politique. C’est pourquoi après avoir montré le point d’arrivée dans son discours « Pour la laïque », il concluait celui-ci en donnant le manuel pour engranger des victoires immédiates comme autant de points d’appui. Pour Jaurès, « la question scolaire rejoint la question sociale » et il engage le gouvernement à se donner les moyens d’accueillir tous les enfants dans des conditions de réussite : « Comment aurions-nous le droit de recruter, même par la loi, des écoliers nouveaux si nous laissons des classes de 60, 70 élèves ? Comment le pourrions-nous si nous n’avons pas le courage de pousser jusqu’à 14 ans la scolarité (NDA : lire aujourd’hui 18 ans) »?  Que préconisent pourtant les vaillants solfériniens d’aujourd’hui sinon distribuer au privé l’argent que n’a pas l’école publique ?

 

 

- Comme souvent en pareil cas, PS et gouvernement sont les deux jambes d’un même fantôme qui marche à reculons.

Le PS n’avait pas sitôt digéré son renoncement en la matière que Bernard Cazeneuve, sous couvert de la ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem, reprenait la balle au bond : « L’enseignement privé confessionnel musulman doit pouvoir se développer dans le respect des principes républicains. (…) Ces établissements peuvent conclure des contrats d’association. » Où quand les renoncements socialistes forgent les ruptures d’Etat…

 

Le Parti socialiste démantèle chaque jour un peu plus les cadres qui définissent l’ideal d’un humanisme universel et émancipateur. Nul adhérent du Parti socialiste ne doit aujourd’hui ignorer la trahison de notre histoire commune sauf à adhérer à la nouvelle pensée en restant dans ce corps sans vie. Jaurès terminait quant à lui à la chambre par cette sentence : “Laïcité de l’enseignement, progrès social, ce sont deux formules indivisibles. Nous n’oublierons ni l’une ni l’autre, et, en républicains socialistes, nous lutterons pour toutes les deux”. Indubitablement, le PS ne peut prétendre aujourd’hui ni à la filiation républicaine, ni à la filiation socialiste.

 

- A lire du même auteur :

Quand les banques sont invitées à venir endoctriner à l’école !

- Tous les textes de cet auteur relatifs à l'école : ICI

 

Partager cet article
Repost0
28 mars 2015 6 28 /03 /mars /2015 10:10
Quand l'austérité tue !

Sources : éditions autrement par David Stuckler & Sanjay BasuPréface des Économistes atterrés[1]

Pour répondre à la crise, de nombreux pays ont fait Le choix de l'austérité. S'appuyant sur l'analyse de statistiques internationales de santé publique, David Stuckler et Sanjay Basu examinent les conséquences de ces décisions politiques pour les populations. À force de coupes sombres dans les aides sociales et la prévention, les maladies prolifèrent, les suicides augmentent, la consommation de drogues et d'alcool progresse et l'espérance de vie diminue.


En Grèce, le taux d'infection par le VIH et le nombre de suicides ont explosé. À l'inverse, dans les pays nordiques, les mesures de soutien aux plus vulnérables ont des effets positifs, humainement et économiquement.


Refusant le discours dominant, les auteurs explorent les vices du système et prouvent par les chiffres que l'austérité a un coût humain : elle rend malade et tue.

 

 

- Le livre est disponible ICI

 

Note :

[1] Traduit de l'anglais (américain) par Samuel Sfez

Partager cet article
Repost0
27 mars 2015 5 27 /03 /mars /2015 09:00
La vie politique française ne se résume pas à deux libéraux (1 de droite, 1 de gauche) et une facho

Depuis dimanche soir, montage à l’appui des photos de Valls, Sarkozy, Le Pen côte à côte, on nous vend le tripartisme. La vie politique française se résumerait donc à deux libéraux (un de « gauche », un de droite) et une « facho ».

Incontestablement la droite a gagné cette élection en étant unie. Incontestablement le FN a consolidé son implantation. Mais l’image d’une gauche rassemblée derrière Manuel Valls est évidemment une arnaque. Il n’y a pas un bloc « de gauche » derrière le PS.

 

Sources : Le Parti de Gauche par Eric Coquerel

- L’arnaque aux étiquettes

Cette manipulation n’a rien de spontanée. Elle a même été préparée de longue date. Face à un nouveau mode de scrutin, le Ministère de l’intérieur avait la latitude de classer de différentes manières un binôme lorsqu’il était composé de candidats de deux partis différents. En choisissant arbitrairement de les étiqueter « Divers Gauche », quels qu’ils soient, voire même « Union de la Gauche » dans certains cas, il a pris une décision politique. D’autant que le FdG et EELV s’étaient adressés officiellement à lui pour demander qu’il en soit autrement pour nos binômes communs. Refus.

 

L’objectif poursuivi ? Il s’agissait de réduire dimanche soir l’échec du PS et d’effacer du tableau toute trace d’alternative à gauche. Si on en croit le Ministère, le FdG atteindrait ainsi 6,09 % et EELV 2% contre un PS « et ses alliés » (dixit) à 21,85 % (nul n’a noté par ailleurs que les binômes exclusivement socialistes n’atteignent que 13,70 % des suffrages exprimés, la catégorie Union de la Gauche étant additionné sans discussion au résultat du PS). Les DVG, souvent enrôlés derechef sous le drapeau de la majorité gouvernementale, sont eux estimés à 6,81 %.

 

 

- Les vrais résultats du Front de Gauche

La réalité est toute autre puisqu’au moins 30 % des candidats FdG, ceux partis en commun avec EELV, sont camouflés dans « DVG ». En réalité, 9,4% des électeurs ont voté pour une liste soutenue par le FdG (11,9% si on les rapporte aux seuls cantons dans lesquels ils étaient présents, comme le montre l’étude électorale de Roger Martelli à lire ici ). Soit le meilleur score du FdG en dehors de la Présidentielle, meilleur que les 8,9 % obtenus aux cantonales de 2011 dans la moitié des cantons français, et beaucoup mieux que les 6,33 % des Européennes. Ajoutons, pour être précis, qu’une partie de nos candidats ont même été classés en « Union de La Gauche » dont le résultat, on l’a vu, est rentré directement dans l’escarcelle socialiste ! La conséquence de tout cela ? Non seulement cela cache notre rebond mais cela augmente d’autant le score du PS et de ses alliés.

 

 

- En réalité, le PS a connu une nouvelle sanction alors que le FdG, lui, progresse sensiblement

Première raison : à l’inverse des Municipales, il s’est engagé sur une stratégie nationale d’autonomie claire vis à vis du PS. Il a du coup évité, en prime, les divisions qui ont pollué les élections européennes. L’électorat ne vient pas au secours d’un canard boiteux. Cette fois, il a jugé du coup utile de se déplacer davantage d’autant que les choix étaient clairs (la dispersion de listes étant très limitée, les électeurs ont souvent eu le choix à gauche entre deux listes : celle de la majorité gouvernementale face à celle de l’opposition de gauche). Plusieurs candidatures ont profité de cette « prime à la clarté » comme celle de Claude Chaidron et Dolorès Esteban, pourtant seulement soutenue par le PG et Ensemble, qui se retrouve face au FN au 2ème tour à Amiens 1 après avoir éliminé celle défendue par le PS.

 

Cela ne règle pas toutes les questions, c’est notamment insuffisant pour parler d’alternative, mais dans un contexte général de ressac et de victoire de la droite, il s’agit d’un point d’appui sur lequel on peut espérer rebâtir. Après l’échec des Européennes c’est une satisfaction dont nul ne se plaindra.

 

 

- Le rassemblement avec EELV cela marche

D’autant, et c’est le deuxième élément de satisfaction, que le rassemblement avec EELV, et parfois Nouvelle Donne, dans 448 circonscriptions a marqué des points. Il enregistre une moyenne de 13,6 % . Un résultat d’autant plus intéressant qu’obtenu sans aucune visibilité ni identifiant national. Cela a évidemment affaibli son impact dans une élection où les critères nationaux ont pris le pas sur tout autre. Pour preuve, ce résultat augmente dès lors qu’il y a eu une cohérence de liste sur tout un département - 17,67 % en Ariège, 16,72 % en Lozère, 16 % en Haute-Vienne par exemple – et plus encore sur une ville : 19,25 % à Lille, 19,6 % à Poitiers, 15,83 % à Toulouse, 29 % à Grenoble. Cela confirme l’efficacité encore plus grande de cette association politique dans les centres urbains.

 

 

- La prime aux démarches citoyennes et aux dynamiques militantes

Les rassemblements élargis prouvent donc leur utilité électorale. Mais ils entrainent d’autant plus d’adhésion qu’ils correspondent à de nouvelles pratiques militantes et à une volonté de déclencher et entretenir une véritable implication citoyenne dépassant les seuls cadres partisans. Quelles qu’en soient, à ce stade, les modalités opérantes. Cela fonctionne par exemple quand le FdG s’est engagé dans un tel processus depuis longtemps. A l’exemple de la Creuse (point de départ de « Limousin Terre de Gauche ») avec une moyenne de 14,94 % dont une pointe à 28,8 %, ou des Alpes-de-Haute-Provence, où dans quatre circonscriptions les résultats culminent à 22, 28, 25 et 26 % ! On l’a vu plus haut, cela a de nouveau fonctionné parfaitement à Grenoble, où l’articulation entre unité des partis et démarche citoyenne, exemplaire aux Municipales, permet d’être au 2ème tour dans 3 des 4 cantons de la ville. Dans la Drôme, le même type de démarche a permis, par une alliance du FdG dans son ensemble et d’EELV, de qualifier ses binômes au 2ème tour à Dieulefit et dans le pays Diois. C’est un processus comparable qui explique les succès de Poitiers ou Lille, où pourtant le rassemblement FdG / EELV n’était pas écrit à l’avance ou encore à Clichy-la-Garenne avec plus de 15% des voix. Même bonus évident là où des démarches de type « majorité citoyenne » se sont appuyées sur des assemblées citoyennes souveraines : à Toulouse, Alternative Citoyenne obtient 15,87 de moyenne (malgré des listes concurrentes du PCF), dans le Jura les résultats s’étalent entre 10 et plus de 20 % dans plusieurs circonscriptions pourtant difficiles pour la gauche ou encore l’Aveyron avec 15,22 % sur 19 cantons dont celui de Rodez - Onet qui voit notre CG sortant, M. Jean-Louis Roussel, au 2ème tour avec 23,86 %.

 

Il se sera donc passé quelque chose finalement à ces élections du côté de l’autre gauche. On espérait quelques bonnes surprises, les listes que nous soutenions ont fait mieux, démontrant une disponibilité de l’électorat dès lors qu’elles se révèlent crédibles et utiles. Le résultat est meilleur en cas de rassemblement plus large et encore plus satisfaisant lorsque ces candidatures s’appuient sur une dynamique citoyenne et militante. C’est cette démarche, complémentaire, qu’il faudra entretenir à l’avenir, ce qui évidemment doit interpeller non seulement les partis du FdG mais aussi nos potentiels partenaires dont au premier plan EELV mais aussi Nouvelle Donne ou le NPA. Il faudra faire preuve d’audace si, pour déjouer un contexte global pour le moment mauvais, on veut ramener une partie des abstentionnistes dans l’action politique. Car, pour finir, si malgré tous les pronostics, la participation a été meilleure que prévue (en hausse de 5 points par rapport aux Européennes et Cantonales 2011), elle reste le phénomène politique premier notamment dans les départements et quartiers populaires (un tiers de participation dans le 93). Or rien ne sera possible sans le retour, là aussi, du peuple aux affaires.

 

 

- Le deuxième tour

  • Les élections ne sont bien sûr pas terminées. Leur physionomie prendra tout son sens dimanche prochain. D’ici là, il nous faut se mobiliser autour de nos candidats pour faire élire le maximum de conseillers départementaux de résistance. Ils seront utiles. Comme sera évidemment précieux de conserver les départements gérés par le FdG tel le 94, dont les habitants auront plus que jamais besoin d’un bouclier social contre la politique d’austérité du gouvernement.

 

  • Pour le reste, le PG a décidé de ne pas donner de consignes de vote. La droite est menaçante, mais la seule responsabilité est du côté de l’Elysée et de Matignon. Plus que jamais, pour l’avenir, la situation réclame une grande lisibilité. Dans ce cas, le traditionnel désistement républicain n’a guère de sens quand des candidats « de gauche » soutiennent un gouvernement qui fait une politique de droite. Ce sera donc aux candidats du PS de convaincre nos électeurs de l’utilité de voter pour eux contre la droite. Il n’est pas sûr que laisser à Manuel Valls le soin de mener la campagne leur facilitera le travail. Toutefois, en adversaire le plus résolu du FN et des valeurs d’extrême-droite, nous appelons à faire barrage contre ce parti. Un appel qui ne concerne pas les duels avec l’UMP qui banalise le FN à force de tirer un trait d’égalité entre lui et le FdG et de recycler une partie de ses valeurs.

 

  • Au-delà de cette prise de position nationale, nous laissons aussi le soin aux véritables collectifs (assemblées citoyennes ou autres) qui se sont constitués autour des candidatures d’affiner leur position pour le 2èmetour. Vouloir l’implication citoyenne c’est aussi laisser aux citoyens et/ou militants qui se sont impliqués dans la campagne, leur souveraineté collective sur ce type décision.

 

Pour en savoir plus :

- Mon dossier : Elections départementales

Partager cet article
Repost0
26 mars 2015 4 26 /03 /mars /2015 09:07
Et si la gauche radicale représentait la revanche des intellectuels?

Les universitaires sont en nombre parmi les

responsables de Syriza et Podemos, avec

une place et un rôle différents de ceux que leur

réserve la social-démocratie.

 

Sources : Slate.FR par Fabien Escalona

Au sein de la gauche radicale, qui concurrence sérieusement ou a déjà carrément devancé la social-démocratie en Europe du Sud, les universitaires sont nombreux. Dans l’organigramme du parti ou au gouvernement, leur présence, mais aussi leur parcours et leur vision du monde, détonnent par rapport à ce que l’on peut observer au sein du centre-gauche européen. Plus qu’à une revanche des intellectuels, c’est à l’ascension ou au retour d’un certain type de détenteurs de savoirs que nous assistons.

 

On sait que Podemos, dont l’ascension dans les enquêtes d’opinion est suivie de près par les observateurs de la vie politique européenne, compte parmi ses fondateurs et ses dirigeants un petit groupe d’enseignants issus de la faculté de sciences politiques la Complutense, à Madrid. Parmi eux, on compte notamment le leader du parti, Pablo Iglesias, mais aussi l’ancien secrétaire au programme, Juan Carlos Monedero, et le secrétaire politique et directeur de la campagne des européennes, Íñigo Errejón.

 

Du côté de Syriza, plusieurs responsables gouvernementaux ont étudié leur champ de compétence d’un point de vue académique. C’est le cas de Yannis Varoufakis, le désormais célèbre ministre des Finances, formé dans une université britannique comme plusieurs de ses collègues et camarades, ou d’Aristides Baltas, ministre de l’Education et de la Culture, mais aussi professeur de philosophie des sciences et président de l’Institut Nicos Poulantzas.

 

 

- Radicaux et pédagogues

Ces exemples renseignent sur une première caractéristique qui distingue Podemos et Syriza dans le paysage de la gauche européenne. Les intellectuels occupent en effet des positions de premier plan dans leurs instances internes, voire au gouvernement dans le cas de la Grèce. Mais il faut ajouter deux autres éléments pour comprendre l’importance et la singularité de leur rôle dans ces deux formations de gauche radicale :

 

1) la radicalité de leur vision du monde et de leurs solutions;

2) leur effort pédagogique pour les transmettre et les rendre «appropriables» par les citoyens.

 

D’une part, ils sont donc porteurs de conceptions et de discours hétérodoxes. Se qualifiant volontiers de «marxiste fantasque», Varoufakis est par exemple l’auteur d’un livre, Le Minotaure global, dans lequel il explique la crise mondiale par la façon dont les Etats-Unis ont maintenu leur domination après les années 1970, en recyclant les excédents mondiaux mais au prix d’une montée insoutenable des inégalités et de la financiarisation. Sur son blog, il défend une sortie de la crise européenne élaborée avec l’économiste James Galbraith, qu’il oppose à toutes les solutions fédérales plus ou moins «austéritaires» qui ont été proposées jusqu’à présent. Quant aux dirigeants de Podemos, Gaël Brustier a déjà évoqué sur Slate leur univers de références, toutes puisées dans le champ de la pensée critique: Gramsci, Harvey, Laclau et Mouffe, etc.

 

D’autre part, ces intellectuels jouent un rôle pédagogique auprès de leurs membres et des citoyens. Les économistes de Syriza (parmi lesquels on compte aussi le désormais député Costas Lapavitsas) s’efforcent ainsi de remonter aux sources de la crise économique pour mieux réfléchir aux scénarios alternatifs. Les politistes de Podemos, de leur côté, ont utilisé le Web comme canal alternatif d’information et d’instruction, notamment avec l’émission La Tuerka. Ces derniers ont pour ambition, à travers leur vocabulaire et leur «cadrage» des problèmes, de communiquer une vision du monde «homogène et autonome» aux citoyens dépossédés sur les plans matériel et démocratique. Ce faisant, ils se conforment à la mission attribuée par Gramsci aux "intellectuels organiques" des classes sociales en lutte pour l’hégémonie.

 

Le dernier trait qu’il nous semble important de pointer, relevant de la relation externe de Syriza et Podemos aux intellectuels, concerne leur capacité d’attraction. Sans être spécialement radicaux, de nombreux économistes contestataires du «consensus de Bruxelles» (austérité et compétitivité) leur ont exprimé leur soutien. On a par exemple vu Thomas Piketty se rapprocher des responsables de Podemos. Surtout, dix-huit économistes américains et européens entraînés par Joseph Stiglitz se sont exprimés, dans le Financial Times, en faveur des revendications de Syriza. Depuis les débuts de la crise, aucun gouvernement de centre-gauche n’a su provoquer un tel engouement.

 

D’une certaine façon, ce rôle privilégié des universitaires critiques correspond à la sociologie de la nouvelle gauche radicale, dont une des composantes de la base sociale est constituée par des actifs instruits et politisés, mais incertains quant à leur avenir. Si le soutien à Syriza s’est diversifié et nationalisé, la jeunesse étudiante, urbaine et pas toujours insérée, appartient bien à son noyau électoral d’origine. L’ascension de Podemos, par ailleurs, est clairement nourrie par un transfert sur ce parti des intentions de vote des plus jeunes et des plus diplômés des électeurs du PSOE, le parti socialiste espagnol.

 

 

- Les partis de centre-gauche ont abandonné leur vocation éducative

Syriza et Podemos ne sont certes pas représentatifs de toute la gauche radicale. Pour autant, on ne peut s’empêcher de relever le contraste entre leur relation aux milieux intellectuels et celle entretenue par les partis sociaux-démocrates.

 

Dès leur naissance, les mouvements sociaux-démocrates ont été influencés, aidés voire dirigés par des individus issus des milieux enseignants, journalistiques ou des professions libérales. On pense au rôle joué par Jaurès puis Blum en France, Lassalle et Liebknecht en Allemagne, Branting et Danielsson en Suède, la Société fabienne au Royaume-Uni… Cette alliance fut logique dans la mesure où elle répondait à un impensé du schéma marxiste vulgarisé par la IIe internationale: la classe ouvrière ne pouvait en effet pas être une classe révolutionnaire au même titre que la bourgeoisie, dans la mesure où sa position subalterne se déclinait dans ses rapports politiques et socio-économiques.

 

Plusieurs de ces intellectuels dirigeants ou compagnons de route furent amenés à discuter et adapter les thèses de Marx, mais restèrent marqués par son legs théorique, comme en témoigne leur quête d’une articulation entre réformisme au sein de la société existante et transformation radicale de cette dernière. Ce fut notamment le cas d’Ernst Wigforss, un responsable de la social-démocratie suédoise sans formation universitaire, mais qui joua un rôle important de trait d’union entre les élites de son parti et l’innovante Ecole de Stockholm, dont les économistes proposaient une sortie de crise étrangère au paradigme libéral alors en vigueur.

 

Du Keynes avant l'heure, pourrait-on dire en caricaturant un peu, mais en soulignant que cette originalité suédoise ne faisait que préfigurer la rencontre entre social-démocratie et nouveaux économistes hétérodoxes, seulement esquissée dans les années 1930 mais à la source d’une véritable domination intellectuelle dans le second après-guerre. Dans le même temps, l’exercice du pouvoir d’Etat conduisit à de multiples liens avec des experts et des administrateurs,  dont la formation et la socialisation ne les portaient pas à une remise en cause de l’ordre existant, mais plutôt à la maximisation de ses performances selon une logique d’ingénierie sociale.

 

L’ambiguïté a donc marqué la période des Trente Glorieuses. D’un côté, la social-démocratie a présidé à une alliance nécessaire entre des milieux populaires et la fraction de la classe dominante détenant un pouvoir «organisationnel-culturel»[1]. D’un autre côté, sa capacité critique s’est émoussée et elle s’est peu à peu enfermée dans une logique étatiste qui l’a désarmée face à l’échec du keynésianisme.

 

Depuis, les partis du centre-gauche européen ont largement abandonné leur fonction éducative et s’appuient sur une technocratie et des économistes qui n’ont plus rien d’hétérodoxes. Au tournant des années 1970-80, la social-démocratie suédoise s’est par exemple coupée des économistes du syndicat LO, qui émettaient des propositions dans le sens d’une socialisation progressive de l’économie. Les profils d’experts valorisés en son sein ressemblent et entretiennent des liens avec ceux qui ont peuplé les élites néo-travaillistes en Grande-Bretagne, sous l’impulsion de Tony Blair: économistes raisonnant dans le cadre du paradigme néolibéral, professionnels des relations publiques et adeptes du new management

 

S’il n’est pas besoin de revenir sur le poids du conformisme de l’ENA en France, on peut souligner l’écart entre la considération apportée par l’exécutif socialiste aux économistes Philippe Aghion et Jean Tirole, défavorables à tout espacede respiration académique laissé à leurs collègues hétérodoxes, et son mépris pour les "notes secrétes" de Montbourg, corédigées par les paisibles néokeynésiens de l’OFCE. Quant à Matteo Renzi, le Président du conseil italien, présenté un temps comme un résistant à l’austérité, il s’est choisi comme ministre de l’Economie un ancien expert de la très orthodoxe OCDE, Pier Carlo Padoan, dont les propos et annonces s’inscrivent parfaitement dans le paradigme néolibéral.

 

 

- Triple mutation depuis les années 1980

Cette évolution depuis les années 1980 s’inscrit dans une triple mutation.

  • Premièrement, celle des rapports entre le pouvoir marchand et le pouvoir organisationnel-culturel au sein de la classe dirigeante, avec la subordination du second au premier et la conformation des partis de centre-gauche à ce nouveau régime d’hégémonie.
  • Deuxièmement, les évolutions de la discipline économique elle-même, de plus en plus internationalisée mais homogénéisée selon les standards néoclassiques forgés et diffusés dans des réseaux transatlantiques.
  • Troisièmement, la mutation de l’ordre politique européen lui-même: pour la chercheuse Stéphanie Mudge, les « bases sociales de l'austérité » sont à rechercher non seulement dans l’état de la science économique, mais dans sa mise au service d’une gouvernance européenne complexe mêlant banquiers privés et centraux, ministres des Finances, représentants d’institutions financières internationales et de l’exécutif européen.

 

Pour de multiples raisons, les partis du centre-gauche européen sont restés englués dans cette combinatoire depuis les débuts de la crise, comme en témoigne leur difficulté à faire émerger ou à capter des idées nouvelles, comme celles des planistes ou des keynésiens pendant les années 1930. Les rares formules qui circulent dans les think-tanks sociaux-démocrates («société décente», «pré-distribution») ne sont pas traduites en propositions ou voient leur potentiel critique désarmé.

 

Podemos et Syriza s’inscrivent à contre-courant de ces tendances. D’abord, parce que ces formations tentent de (rés)susciter des figures intellectuelles devenues rares à gauche, disposant d’un savoir qu’elles ne réservent pas aux arènes décisionnelles nationales ou européennes, mais qu’elles cherchent à transmettre à leurs sympathisants. Ensuite, parce que ce savoir est mobilisé dans un but de transformation démocratique de l’ordre social.

 

L’actualité immédiate des négociations entre le gouvernement grec et l’Union Européenne illustre comment cette ambition s’affronte aux cadrages mainstream de la crise («un débiteur doit régler ses dettes, point barre»), mais aussi à toute une architecture institutionnelle protégeant des réponses orthodoxes. 

 

Note :

[1] Je reprends ce terme au philosophe Jacques Bidet, qui analyse la structure sociale moderne comme divisée entre une classe dominante détenant des privilèges liés soit à la propriété économique (le pôle marchand) soit à des titres de compétence et de savoir (le pôle organisationnel), et une classe fondamentale dépourvue de ces privilèges.

Partager cet article
Repost0
24 mars 2015 2 24 /03 /mars /2015 09:05
Départementales : Front de gauche, la vérité des chiffres

La soirée électorale a vu culminer les approximations des commentateurs comme des sondeurs. Jamais fourchette d’estimations "sortie des urnes" n’a été aussi grande. Et le premier ministre en a rajouté une louche avec ses mirifiques 26% de suffrages socialistes[1].

 

Sources : Regards.fr par Roger Martelli le 23 mars 2015

Il faut dire qu’Emmanuel Valls avait cette fois un prétexte commode : l’institution de binômes complexifie à l’extrême les modes de calcul. Il suffisait ainsi au chef du gouvernement – qui connaît bien l’Intérieur et ses méthodes… – d’ajouter aux scores du PS, non seulement ceux de ses alliés du moment, mais aussi ceux des "divers gauche", quand bien même ils se présentaient sans l’onction du Parti socialiste.

 

Pour tenter d’y voir plus clair, j’ai utilisé le fichier détaillé des résultats par binômes établi par le PCF [2]. J’ai par ailleurs constitué un fichier compilant les données de 2008 et de 2011 dans environ 1.400 cantons, pour l’essentiel hors agglomération urbaine dont le découpage autorise le regroupement simple des communes. Pour les zones urbaines profondément restructurées, il faudra donc attendre des analyses plus fines.

 

 

- 1. Les grandes lignes sont à peu près établies.

Le tableau ci-après rappelle les résultats de 2008 et 2011.

 

 

En 2015, ce qui est à peu près assuré est le total par grandes familles politiques : la gauche engrange 36,7% des suffrages, la droite "classique" obtient 37,5% et le Front National passe de 4,8% en 2008 et 15.1% en 2011 à 26% en 2015. En tête dans plus de 300 cantons, il consolide son implantation nationale, ce que risque de confirmer le second tour de dimanche prochain. Quant à la gauche, son recul est sévère par rapport à 2008 (48,2%) et 2011 (49,5%).

 

Le Parti socialiste est loin de ses résultats antérieurs (26,7 et 24,9%). Les binômes où l’on retrouve ses candidats recueillent 21,1% des suffrages exprimés. Là-dessus, 0,6% sont obtenus en couple avec le PCF et 1,2 % en couple avec les Verts. Pour ces derniers, les estimations sont souvent fantaisistes. Des listes vertes autonomes ne recueillent certes que 2% du total national. Mais ce chiffre doit être doublement relativisé : par le fait que les Verts n’étaient présents que dans un quart des cantons ; par le fait qu’ils se trouvent plus dans des binômes avec le Front de gauche (1,6%) et avec le PS (1,2%) qu’en autonomie.

 

 

- 2. Les résultats du Front de gauche témoignent d’une plutôt bonne résistance dans un scrutin calamiteux pour la gauche.

 

 

Le PCF en 2008 et le Front de gauche en 2011 recueillent entre 8,8 et 8,9% des suffrages exprimés sur la France métropolitaine et 9,4% sur les cantons où ils sont présents (environ 3.600 au total pour 2008 et 2011). En 2015, les binômes où figure au moins une composante du Front de gauche recueillent 9,4% des suffrages exprimés sur le total des cantons métropolitains et 11,9 % sur les seuls cantons où il présentait des candidats (1.540 cantons). Si on laisse de côté les 0,6% obtenus par une alliance PC-PS, le FDG retrouve son niveau global des scrutins précédents, alors que la gauche s’effondre. Le phénomène est encore accentué si l’on se fixe sur les seuls cantons où il était présent d’une manière ou d’une autre : on se rapproche alors du résultat de la présidentielle de 2012.

 

L’ouverture des alliances vers d’autres composantes de la gauche dite "radicale" et surtout l’esquisse d’un rapprochement local avec Europe-Écologie-Les Verts ont montré leur utilité dans un contexte périlleux. Mais le résultat confirme aussi que le Front de gauche n’a pas su apparaitre comme une alternative attractive au socialisme recentré. La fonction de "coup de pied dans la fourmilière" a été assurée par le FN. Et les composantes du FDG n’ont pas su imposer une image suffisamment claire, dynamique et crédible pour rompre la morosité qui accompagne depuis longtemps le recul du mouvement ouvrier et le démantèlement de "l’État-providence".

 

 

- 3. Le résultat global du FDG ne doit pas cacher d’importantes disparités dans l’évolution de quelques années.

Si l’on prend en compte les 1.400 cantons où la comparaison est possible avec 2008 et 2011, on constante des progrès dans 900 cantons environ (dont 400 sont en hausse de plus de 5%) et des reculs dans 500 autres (dont 80 connaissent des reculs de 5 à 10%).

 

Or le phénomène se rapproche de celui que l’on avait observé dans des élections antérieures, et notamment les législatives de 2012 et les municipales de 2014. Dans des élections où la représentation communiste est forte (les deux tiers des candidatures en 2015 et une présence dans plus de 80% des binômes), les zones de densité ancienne forte continuent de s’effriter alors que des zones de faible implantation initiale enregistrent des poussées souvent sensibles.

 

Sur 180 cantons où le Front de gauche dépassait les 20% en 2008 et 2011, 135 sont en recul, dont 40 perdent la moitié du pourcentage antérieur. Les vieux "bastions" reculent encore, tandis que les territoires où le communisme s’était plus ou moins marginalisé connaissent un phénomène de renationalisation du vote. À sa manière, le vote FDG se "moyennise"…

 

 

- 4. Bien sûr, ce constat permet de comprendre l’extrême incertitude qui entoure le nombre de conseillers départementaux.

D’ores et déjà, une quarantaine de cantons ont été perdus dès le premier tour et beaucoup de ceux qui restent en lice sont dans une situation défavorable. En fait, dimanche prochain tout dépendra de trois facteurs entremêlés : la qualité des reports à gauche ; la capacité à remobiliser l’électorat récent (celui de 2012) dans une élection peu stimulante ; l’ampleur enfin des transferts de voix entre l’électorat de la droite "parlementaire" et celui du Front national.


Notes

[1] Dans sa débandade le PS c'est empressé de s'attribuer des résultats qui ne sont pas les siens... La réalité est qu'il est derrière le FN, même avec les Radicaux de Gauche et une partie des Verts...

[2] La recension des résultats a été coordonnée par Yann Le Pollotec, que nous remercions pour nous avoir permis d’accéder à ces données.

 

Pour en savoir plus :

- Mon dossier : Elections départementales

- Sondages : “l’Intérieur a truqué les chiffres” selon Laurent (PCF)

- Elections départementales : Réaction du Parti de Gauche

- Parti de Gauche : La leçon cachée de l’élection

- Parti de Gauche : Entre crise politique et résistance

- Départementales : la gauche radicale n'a pas à rougir mais...

- Ce que s’abstenir veut dire

- Quel rassemblement pour faire renaître l’espoir ?

Partager cet article
Repost0
18 mars 2015 3 18 /03 /mars /2015 15:34
La gauche radicale en Europe, ou l’émergence d’une famille de partis

Parmi les familles de la gauche européenne contemporaine, celle de la gauche radicale est encore peu européanisée et regroupe des traditions et des cultures politiques diverses. Pour l’Observatoire de la vie politique, Fabien Escalona et Mathieu Vieira analysent son émergence et ses composantes internes.

 

Sources : La Fondation Jean Jaures par Fabien Escalonia - Mathier Viera

- La gauche radicale en Europe, ou l’émergence d’une famille de partis

Parmi les familles de la gauche européenne contemporaine, celle de la gauche radicale est encore peu européanisée et regroupe des traditions et des cultures politiques diverses. Pour l’Observatoire de la vie politique, Fabien Escalona et Mathieu Vieira analysent son émergence et ses composantes internes.

 

 

- De l’effondrement du communisme occidental à la naissance d’une nouvelle famille politique

La première série de facteurs structurels expliquant le déclin des PC occidentaux concerne les mutations liées à l’avènement d’une société post-industrielle à partir de la fin des années 1970. La crise du communisme occidental peut d’autre part être attribuée à des facteurs idéologiques et organisationnels propres à la famille communiste. Sur ces décombres, une nouvelle famille de gauche radicale émerge depuis la fin des années 1990. En privilégiant une approche rokkanienne, nous soutenons que la famille de gauche radicale est issue d’une nouvelle « phase critique » ouverte par ce que nous appelons la « Révolution globale ». Nous expliquons que cette révolution historique a transformé l’ancienne division socialistes/communistes, qui affectait le second versant du clivage de classe entre possédants et travailleurs.

 

 

- La nature de la famille de gauche radicale

Parler d’une famille de gauche radicale exige d’identifier le conflit qui la fonde, puis de mettre en évidence la façon dont elle le médiatise dans la compétition partisane. La gauche radicale a remplacé la famille communiste dans son opposition aux sociaux-démocrates, dont elle dénonce toujours la soumission à l’État capitaliste, mais sur la base de lignes d’opposition différentes de celles du communisme. La diversité des programmes et des principes adoptés au sein de la famille de gauche radicale n’empêche pas d’identifier un horizon normatif commun : la recherche d’une alliance de tous les subalternes du capitalisme global dominé par la finance, et la promotion d’une modernité alternative, dans un sens démocratique, égalitaire et écologiste. Les valeurs « post-matérialistes » ont pris un essor considérable au sein des engagements de la gauche radicale. La base sociale de la famille de gauche radicale inclut plutôt un électorat déjà politisé à gauche et qui hésite rarement avec la droite ou l’extrême droite. Elle est composée de couches populaires souvent « encadrées » par des syndicats ou des associations, et de professions intermédiaires et intellectuelles détenant un niveau élevé d’instruction mais peu de patrimoine. En termes d’organisation, on remarque  la taille modeste de tous les partis existants, la renonciation au modèle du parti d’avant-garde et la volonté de créer des liens avec les mouvements sociaux tout en respectant leur autonomie.

 

 

- Une typologie de la famille de gauche radicale

Notre typologie de la famille de gauche radicale se décline en quatre branches : les communistes orthodoxes, la gauche de la social-démocratie, les partis rouges-verts et l’extrême gauche révolutionnaire. Notre classification repose sur deux axes principaux, à savoir le rapport à l’identité communiste et la place dans l’espace politique. Ces branches ou composantes de la famille de gauche radicale reflètent des traditions et des choix stratégiques différents, qui dépendent des histoires nationales et des dynamiques des systèmes partisans. Ce sont des catégories utiles à l’analyse mais qui ne peuvent évidemment intégrer la complexité de toutes les configurations nationales de la gauche radicale. Pour cette raison, mais aussi parce que nous faisons l’hypothèse d’une acculturation progressive des différentes traditions non orthodoxes de la famille anticapitaliste, elles ne doivent pas être vues comme des ensembles figés.

 

- Le document est téléchargeable  ICI

- La synthése du document est téléchargeable ICI

 

 

- L’entretien avec Philippe Marlière

Philippe Marlière : professeur de science politique à l’University College de Londres, co-auteur de La gauche radicale en Europe (Ed. du Croquant, 2013)

Télécharger ICI l’entretien avec Philippe Marlière

Partager cet article
Repost0
16 mars 2015 1 16 /03 /mars /2015 09:00
 Comprendre le scrutin des départementales en 5 minutes

Les 22 et 29 mars, les Français sont appelés aux urnes pour les élections départementales. Cette année, le mode de scrutin a grandement changé, dans l'optique d'assurer la parité et de simplifier le découpage des cantons. Le Monde vous aide à y voir plus clair et vous explique à quoi ressembleront les bulletins de vote.

Pour en savoir plus :

- Mon dossier : Elections départementales

 

Partager cet article
Repost0
12 mars 2015 4 12 /03 /mars /2015 09:00
Ukraine/Russie : l’UE n’a décidément rien compris

Sources : Jean Luc Mélenchon député pour changer d'Europe publié le 20 février 2015

L’Union européenne vient de mettre en œuvre un huitième volet de sanctions engagées contre la Russie depuis mars dernier. Ainsi, l'Europe, dans le sillage des demandes nord-américaines, est engagée en Ukraine dans une stratégie d'engrenage absurde face à la Russie. Depuis le putch masqué dans le prétexte des manifestations anti oligarchiques sur la place Maïdan puis l'adhésion de la Crimée à la Fédération de Russie, tout un arsenal de sanctions contre-productives ont déjà été déployé. 

 

Cela a commencé par des sanctions diplomatiques visant de nombreuses personnalités de Crimée, russes et ukrainienne. Ces sanctions comprennent l'arrêt de la délivrance de visas et le gel des avoirs des personnes visées. Elles sont appliquées indifféremment à des personnalités politiques comme des députés de la Douma, des ministres en exercice, ou le maire de Sebastopol, des hauts fonctionnaires comme le procureur de Crimée, le directeur du FSB. Mais il y a aussi des hommes d'affaires, des actionnaires de la banque Rossyia ou ceux des compagnies gazières et pétrolières. Et même à un chanteur, Yossif Kobzon, extrêmement populaire en Russie et en Ukraine. Son crime est d'être venu à Donetsk pour donner un concert au moment où la ville était bombardée par les forces « anti-terroristes » de Kiev, c’est-à-dire le gouvernement de coalition avec les néo-nazis ukrainiens.

 

Les sanctions sont rapidement passées au plan de l’économie. Ce fut l'arrêt en juillet 2014 des programmes menés en Russie par la Banque européenne d'investissement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Puis la mise en place d'une restriction de l'accès russe aux marchés européens, les citoyens européens et les entreprises ne pourront plus acheter ni vendre de nouvelles actions financières si elles proviennent d'une banque russe dont l'Etat est l'actionnaire majoritaire. De nombreuses sociétés sont ainsi peu à peu interdites d'accès aux marchés de capitaux européens, principalement les compagnies énergétiques : dont les principaux producteurs et transporteurs de pétrole russes – Rosneft, Transneft et Gazprom Neft.

 

A cela s'ajoutent des sanctions militaires avec la mise en place d'un embargo sur l'import et l'export des armes et du matériel en provenance et à destination de la Russie. L'exportation des biens et des technologies à usage militaire est elle aussi interdite, de même que les biens à double usage civil et militaire. La France a aussi par la suite interrompue de façon inacceptable la livraison à la Russie des Mistrals dont le premier des porte-hélicoptères devait être livré à la marine russe en novembre 2014 dans le cadre d'un contrat signé en 2011.

 

Les sanctions de l'UE contre la Russie ne sont que des provocations dérisoires. Elles font suite en général à des demandes des USA qui se gardent bien d’en décider d’aussi féroces pour leur propre économie. Naturellement leurs effets diplomatiques sont nuls. Jean-Claude Juncker reconnaissait lui-même au début du mois de février avant les nouvelles sanctions que « après les accords signés à Minsk, le temps n'est pas aujourd'hui aux sanctions ». Elles sont surtout absurdes économiquement.

 

  • Le ministre espagnol des Affaires étrangères José Manuel Garcia-Margallo a rappelé à ses collègues au seuil d’une réunion des chefs de diplomatie des pays membres de l'UE à Bruxelles que les mesures punitives contre la Russie avaient déjà coûté 21 milliards d'euros à l'UE. Et que de nouvelles mesures pourraient avoir de « lourdes conséquences pour tous ». L'Espagne a en effet « essuyé des pertes dans l'agriculture et le tourisme » du fait de ces sanctions. Elle pâtit aussi à l’inverse de l'embargo mit en place par la Russie en réaction en aout 2014.
  • Même en France, les effets négatifs de ces sanctions se font sentir : Les Atelières, société coopérative des ex-ouvrières de Lejaby vient d'être placée en liquidation suite à l'importante chute dans les ventes russes et ukrainiennes qui représentaient 30% du chiffre d'affaire l'année précédente.

 

Comme on pouvait le prévoir les aventures ukrainiennes et les sanctions contre les Russes ont aggravé la récession en Europe et en France. A mes yeux, compte tenu de la stupidité de la politique suivie dont les résultats locaux sont tellement à l’inverse des objectifs annoncés, je me demande si le but des Etats-unis est vraiment l’affaiblissement de la Russie ou celui de l’Union européenne. Si c’est l’Union c’est réussi et c’est tant pis puisque les gouvernements sont assez serviles pour s’y plier de plein gré. Si c’est la Russie c’est raté et c’est tant mieux, car personne de sensé ne peut souhaiter voir les « autorités » d’extrême droite de Kiev l’emporter.

 

Pour en savoir plus :

- Ukraine: où en est-on ?

- Chars et soldats US pour les pays baltes

- Ukraine: l'armée américaine déploie des instructeurs, Moscou en colère

- Face à la Russie, Jean-Claude Juncker veut une armée européenne

- Jean-Luc Mélenchon, l’homme à abattre

- Le problème du nazisme en Ukraine

 

Partager cet article
Repost0
10 mars 2015 2 10 /03 /mars /2015 09:00
Florilège de propos nauséabonds distillés sur les réseaux sociaux par les candidats FN.

Florilège de propos nauséabonds distillés sur les réseaux sociaux par les candidats FN.

Sources : PCF

L'image lisse que le Front national et Marine Le Pen tentent de se construire ne cesse de se fissurer dans la campagne des départementales. Les déclarations nauséabondes, racistes, et appelant à la violence se multiplient sur les blogs et les comptes des réseaux sociaux de candidats du Front national. La véritable nature du FN réapparait. Ainsi, Fabien Rouquette et Michèle Boisset, candidats dans le canton de Narbonne 2 appellent les « Socialistes, Communistes et musulmans » à faire « Un geste pour la planète : suicidez-vous ! ». « Hihi, un beau rêve » s'autorise même à commenter la candidate FN *. D'autres candidats dans le canton voisin appellent à des « battues contre les arabes »… Ce n'est plus supportable.

 

La banalisation et l'ultra-médiatisation du Front national libèrent totalement une parole répugnante, ordurière et violente. Chacun est aujourd’hui devant ses responsabilités et doit regarder la réalité en face : le Front national n'est pas « anti-système », il est « pro-haine ». Marine Le Pen répond que ses candidats ne « sont pas des professionnels de la politique ». Il faut probablement entendre par là qu'ils n'ont pas sa technique pour cacher la véritable nature raciste de son parti.

 

La foire à la haine des musulmans, des juifs ou des hommes et femmes engagés à gauche doit cesser. Nous appelons les hommes et femmes de ce pays à se mobiliser contre les ennemis de la République.

 

- Télécharger : La "liste de la honte" des candidats FN aux départementales"

 

- Si le téléchargement n'a pas commencé : Cliquez ici

 

Pour en savoir plus :

- Mon dossier : Elections départementales

- Le Front national vide son sac d’ordures

Partager cet article
Repost0
9 mars 2015 1 09 /03 /mars /2015 09:00
Poutine a-t-il tué le cacique eltsinien Boris Nemtsov ?

Ainsi à propos du déchaînement de la propagande anti-russe à partir du meurtre de monsieur Boris Nemtsov, place rouge à Moscou, la veille d’une manifestation d’une fraction de l’opposition plus que discutable. Monsieur Nemtsov, cacique de l’ère Eltsine, a néanmoins été repeint en extrême « ami de la liberté », notamment par le journal « Le Monde », enjolivant une fois de plus une biographie dont je vous laisse juge en lisant celle que je vous propose. Naturellement il s’agit d’une provocation de plus dans le contexte déjà si dangereux de cette zone. J’y viens parce que les USA viennent de débarquer en Ukraine 600 hommes de la 173ème brigade aéroporté des États-Unis. Le double langage des États-Unis est insupportable.

Le secrétaire d’État américain, John Kerry, s’est d’abord déclaré « plein d’espoir » à propos de la situation en Ukraine, en recevant le chef de la diplomatie russe, Sergei Lavrov. Un jour plus tard c’est le débarquement de la troupe régulière des USA venue s’ajouter aux mercenaires et autres aventuriers déjà payés par les États-Unis en Ukraine.  C’est si consternant qu’on peut se demander si, dans cette affaire, les services et agences nord-américains ne sont pas devenus autonomes et ne mènent pas leurs affaires sans se soucier du commandement politique. Exactement comme ce que l’on voit en Amérique latine où les diverses fractions nord-américaines se disputent le terrain entre partisans des coups d’État et partisans des élections sous tension. La partie se joue à l’échelle du monde pour l’Empire dont le leadership est menacé.

La guerre en Ukraine serait une catastrophe pour toute l’humanité.

 

Source : Le blog de jean Luc Mélenchon par Jean Luc Mélenchon modifié le 15 mars 2015

Le malheureux a été assassiné Place Rouge devant le Kremlin, la veille de la manifestation à laquelle il avait appelé en compagnie d’une autre grande figure de l’opposition, le raciste et antisémite Alexey Navalny. Des flots d’encens sont aussitôt montés vers le ciel, votivement offerts par tous les médias « éthiques et indépendants ». Le premier d’entre eux, « Le Monde », a pieusement recopié, sans nuance ni recul, la notice de l’ambassade des États-Unis. Il a donc repeint Nemtsov aux couleurs du martyr de la démocratie, de l’Occident et ainsi de suite. Qualité à laquelle n’accédera jamais le blogueur saoudien qui reçoit chaque semaine sa ration des mille coups de fouets qu’il doit endurer sans bénéficier de l’indignation mondialement bruyante d’Obama, de François Hollande, et les autres. Ni, bien sûr, « Le Monde », ni l’ignoble Plantu, titulaire du prix de 10 000 euros « pour la liberté de la presse » que lui ont attribué les riant fouetteurs du Qatar. Sans vergogne, « Le Monde » écrit : « Boris Nemtsov, qui avait 55 ans, n’était pas un héritier du soviétisme. C’était un authentique démocrate, un homme qui croyait en l’universalité des valeurs de liberté et de pluralisme ». Quel besoin d’en rajouter à ce point ? Ne suffit-il que cet homme ait été assassiné pour déplorer sa mort ? Non, bien sûr ! L’apologie de Nemtsov, illustrissime inconnu avant son meurtre, fonctionne comme un piège à naïf pour créer une ambiance de « Sadamisation » contre Poutine. « A-t-on encore le droit de s’opposer en Russie » me demande une journaliste qui ne connait rien ni à cette affaire ni à aucune autre concernant la Russie contemporaine. On devine le sous-entendu. Ce Nemtsov aurait été assassiné par Poutine. Sans le début d’une preuve, l’accusation est instillée. Ces gens-là n’ont aucune subtilité. Et leurs enquêtes sont rondement menées depuis le bar de la rédaction.

 

 

- Voyons : un opposant est assassiné, Place Rouge.

Il combattait Poutine, Poutine habite le Kremlin sur la place rouge ! « Bon sang ! Mais c’est bien sûr ! Poutine l’a tué ! » Hurrah ! Quelle perspicacité ! On ne la fait pas à un journaliste libre d’être d’accord avec l’ambassade des USA ! Que Poutine veuille rendre célèbre un inconnu à la personnalité plus que trouble, qu’il le tue devant sa porte, la veille de la manifestation d’opposants à laquelle celui-ci appelait, ne leur parait pas d’une insigne stupidité. Ni contradictoire avec l’intelligence machiavélique qu’ils prêtent à Poutine le reste du temps. Non. Pourtant, après ce mort et sa malheureuse famille, la première victime politique de cet assassinat est Vladimir Poutine. Car il a été aussitôt traîné dans la boue par toute la presse « libre, éthique et indépendante » du monde entier, dénonciatrice ardente sur ordre des armes de destruction massive de Saddam Hussein, de l’Iran et de tous les autres articles de propagande pré-machée des USA.

 

 

- Voyons donc la biographie de cet émouvant « authentique démocrate ».

Commençons par ses fréquentations les plus récentes dans le cadre de son amour pour les valeurs sans rapport avec « le soviétisme » ! Il appelait à une manifestation le 1er mars contre le gouvernement russe, ce qui est bien son droit. La manifestation a eu lieu et a été traitée moins durement que la manifestation à Sivens le jour ou Remi Fraisse s’y trouvait. Pour convoquer cette manifestation, l’ami de la liberté a joint sa signature à celle d’un autre ami du « Monde », le raciste Alexey Navalny, leader libéral-xénophobe ultra violent. Navalny a créé en 2006, avec des néonazis russes, le mouvement nationaliste des « Marches Russes ». Il est l’inventeur des slogans qui ont entraîné de nombreuses violences contre des immigrés : « la Russie aux Russes », « Arrêtons de nourrir le Caucase ! », « nettoyer la Russie ». Dans une vidéo en marge de ces marches, il qualifiait de « cafards » les habitants du Caucase : « si l'on peut tuer les cafards avec une chaussure, quand il s'agit d'êtres humains, je recommande d'utiliser une arme à feu ». Voilà pour l’ami de « l’authentique démocrate ». Et aussi pour les organisateurs de la manifestation encensée par « le Monde ». Risible dans la fabrication d’une information de convenance, le journal a aussi voulu faire croire qu’elle était organisée en réplique au meurtre. En fait, elle se préparait depuis des semaines sur les thèmes racistes habituels de ces personnages nauséabonds.  

 

 

- Voyons à présent le cas de Boris Nemtsov, « l’ami des libertés », « sans rapport avec le soviétisme » ?

En effet, il s’agit d’un voyou politique ordinaire de la période la plus sombre du toujours titubant Boris Eltsine. Ce Nemtsov est le principal artisan des privatisations de la période 1991-1993 qui furent en fait un véritable pillage. L’homme « sans rapport avec le soviétisme » était alors nommé par Eltsine, gouverneur de Nijni-Novgorod. Il se rendit odieux à grande échelle comme ministre de l'énergie d'Eltsine. Ce sont les privatisations décidées et organisées par lui, Nemtsov, qui ont créé l'oligarchie kleptocratique russe, fléau dont ce pays met un temps fou à se débarrasser. En effet, chaque oligarque, généreux donateur, est défendu bec et ongle par la propagande des agences de l’OTAN comme des « amis de la liberté », de « l’économie de marché » et autre habillages rhétoriques de la caste dans le monde entier. D’ailleurs, l’entourage de « l’authentique démocrate» Nemtsov, a fourni un riche contingent de condamnés pour diverses malversations dans les privatisations organisé par l’homme qui « n’avait rien à voir avec le soviétisme ».

 

 

- Libéral fanatique ?

Ce grand esprit avait été félicité à l'époque par Margaret Thatcher lors d'une visite en Russie. Vice-premier ministre chargé de l'économie en 1997-1998, sa gestion servile à l’égard des injonctions du FMI provoqua le crash russe. Ce fut la plus terrible humiliation de la nation russe depuis l’annexion de l’ancien glacis de l’est dans l’OTAN. Voilà le bilan de monsieur Nemtsov. Cela ne justifie pas qu’on l’assassine. Mais cela devrait nous épargner d’être invités à l’admirer comme le propose grotesquement « le Monde ». Si nous avions une presse indépendante des États-Unis et du conformisme de la dictamolle libérale, personne ne s’aviserait de nous le proposer.

 

 

- Qui a bien pu tuer Nemtsov ?

Naturellement nous n’en savons rien. Si l’on exclut le crime passionnel, et que l’on reste à la politique, on peut diriger l’enquête et les soupçons du côté où il avait le plus d’ennemis. A qui profite le crime ? Certainement pas à Vladimir Poutine : cet assassinat arrive pour lui au plus mauvais moment sur le plan international et au plus mauvais endroit : devant chez lui, au Kremlin. Boris Nemtsov n'était pas une menace pour Poutine compte tenu de sa marginalisation intérieure. En Russie, les amis de l’Ukraine actuelle qui manifestent avec le drapeau de l’ennemi sont très mal vus. Surtout que pour Nemtsov, son soutien à l'Ukraine ultra-nationaliste a commencé en 2004, quand il était déjà conseiller économique du président Ioutchenko, ami d’hier du journal « Le Monde » et ennemi d’aujourd’hui, héros de la dite « révolution » orange. Il est certain que la popularité de Boris Nemtsov n'a pas grandi en Russie du fait son opposition au vote des citoyens de Crimée pour le rattachement à leur patrie russe. Il préférait une Crimée enchainée à l’Ukraine dont les habitants étaient interdits de parler leur langue par ordre des hurluberlus violents de Kiev. L’homme qui n’avait « rien à voir avec le soviétisme » était pourtant dans cette circonstance le défenseur d’une décision personnelle de Nikita Kroutchev, alors tout puissant secrétaire général du Parti Communiste de l’Union soviétique, qui décida, un soir de beuverie dit-on, de rattacher la Crimée à l’Ukraine pour afficher la force de l’attachement de l’Ukraine à la Russie. Un peu comme si un président français décidait de rattacher l’Alsace et la Lorraine à l’Allemagne pour montrer la force du couple franco-allemand ! Car la Crimée est russe depuis toujours, comme l’Alsace et la Lorraine sont françaises, comme l’ont prouvé les millions de morts français tués pour la libérer de l’occupation allemande. Notons, quoiqu’on en pense, qu’un Russe qui se prononce pour Kiev et pour l’intervention de « l’Occident » en Ukraine est un courageux minoritaire parmi les Russes qui vivent mal la présence de nazis au gouvernement de Kiev, l’interdiction de parler russe dans les terres russophones et s’émeuvent des quatre mille civils russophones tués dans le Donbass et du crime sadique contre les quarante syndicalistes brulés vifs ! Sachant cela, je pense que même le plus anti-Poutine et ennemi des Russes peut alors voir sous un autre œil la situation.

 

 

- Boris Nemtsov était un opposant extrêmement confortable pour Poutine

En effet, il était caricaturalement acquis aux ennemis de la Russie. Il était donc sans aucun danger politique et parfaitement inconnu de « l’opinion occidentale » avant sa mort. Je n’en dirais pas autant des milieux de l’extrême droite Russe. Celle-ci est aspirée dans une surenchère permanente et des compétitions mortelles depuis que des « amis de l’Europe » comme l’antisémite Alexey Navalny en rajoutent sans cesse dans l’hystérie xénophobe et ultra nationaliste. Dès lors « l’authentique démocrate», multi pensionné des officines et succursales de la bien-pensance européenne et nord-américaine, ami public du gouvernement ultra anti-russe de Kiev, en pointe dans le rôle de tireur dans le dos de son pays, pourrait avoir été pour eux une cible pleine de sens. Pour ceux-là d’ailleurs, la politique de Poutine est trop équilibrée. Eux sont partisans de la confrontation directe avec l’Ukraine et les USA. C’est eux que le parti américain d’Ukraine veut encourager en les poussant à bout. Le débarquement des troupes américaines fonctionne dans ce sens. Car soyons clairs : si l’armée russe entrait en Ukraine à la suite des provocateurs nord-américaine, les forces qui tenteraient de s’y opposer seraient balayées en moins d’une semaine, parachutistes américains ou pas. 600 Américains ne sont pas davantage invincibles que des milliers d’entre eux. Ce qu’ont montré toutes les guerres perdues par les armadas nord-américaines, à Cuba, au Vietnam, en Somalie, en Afghanistan, en Irak. Les USA savent organiser des complots, des assassinats politiques, acheter des journalistes et des agents d’influence dans tous les pays. Mais militairement, ils ne peuvent vaincre que dans l’ile de la Grenade des gens désarmés, à Panama le chef des trafiquants de drogue, et d’une façon générale des gens incapables de se défendre.

 

 

- Il est important de se souvenir que la Russie est une très grande puissance militaire
... dont le peuple en arme, que n’intimideront pas les bandes de pauvres diables chicanos de l’armée des USA. En tous cas ces 600 parachutistes-là ne peuvent compenser le caractère pitoyable des bandes armées ukrainiennes qui viennent d’être défaites dans l’est du pays en dépit de la sauvagerie de leurs actions. Tout repose donc à présent sur le sang froid de Vladimir Poutine et des dirigeants russes. Pas de guerre ! La patience, l’écroulement de l’économie ukrainienne, la désagrégation de ce pays qui a tant de mal à en être un, tout vient à point a qui sait attendre. La guerre est le pire qui puisse arriver à tout le monde en Europe et dans le monde. La guerre au milieu de sept centrales nucléaires dont la deuxième du monde, devant le sarcophage de Tchernobyl, la guerre serait un désastre dont l’Europe ne se relèverait pas avant des décennies. Les USA doivent rentrer chez eux et laisser les habitants de ce continent régler leurs problèmes. 

 

- Lire aussi :

- Pour ou contre la guerre avec la Russie ?

"J’aurais bien d’autres sujets à traiter que celui de la préparation de la guerre contre la Russie. Mais une polémique d’une incroyable hargne a été déclenchée contre moi (je rappelle que c’est moi qui suis censé être agressif) sur ce thème." Jean Luc Jean-Luc Mélenchon

 

 

Pour en savoir plus

- mon dossier Europe centrale

- « Le cas du xénophobe Alexeï Navalni »

- « Situation en Ukraine »

- « Guerre totale » !?

- « Intervention contre la guerre à la Russie »

- Pourquoi l’Occident hait-il Poutine ? La raison secrète

- Jean-Luc Mélenchon, l’homme à abattre

Partager cet article
Repost0
6 mars 2015 5 06 /03 /mars /2015 09:00
Wikipedia. cc

Wikipedia. cc

L’expérience prouve que les mouvements de gauche peuvent arriver au gouvernement, mais ils ne détiennent pas pour autant le pouvoir. La démocratie, c’est-à-dire l’exercice du pouvoir par le peuple et pour le peuple, requiert bien davantage. Le problème se pose aujourd’hui en Grèce avec Syriza, se posera en Espagne avec Podemos (si ce parti remporte les élections générales de fin 2015) comme il s’est posé, hier, au Venezuela avec l’élection à la présidence de Hugo Chávez en décembre 1998, en Bolivie avec celle d’Evo Morales en 2005, en Équateur avec celle de Rafael Correa en décembre 2006 ou encore, quelques décennies, plus tôt avec Salvador Allende en 1970 au Chili |1|.

 

Source : CADTM par Eric Toussaint[1] le 11/02/2015

La question se pose en fait pour n’importe quel mouvement de gauche qui arrive au gouvernement dans une société capitaliste. Quand une coalition électorale ou un parti de gauche arrive au gouvernement, il ne détient pas le pouvoir réel : le pouvoir économique (qui passe par la possession et le contrôle des groupes financiers et industriels, des grands médias privés, du grand commerce, etc.) demeure aux mains de la classe capitaliste, le 1% le plus riche, et encore !, c’est moins de 1% de la population. De plus, cette classe capitaliste contrôle l’État, l’appareil judiciaire, les ministères de l’Économie et des Finances, la banque centrale... En Grèce et en Espagne comme en Équateur, en Bolivie, au Venezuela ou au Chili[3], un gouvernement déterminé à procéder à de véritables changements structurels doit entrer en conflit avec le pouvoir économique pour affaiblir puis mettre fin au contrôle de la classe capitaliste sur les grands moyens de production, de service, de communication et sur l’appareil d’État.

 

Essayons une comparaison historique. Après 1789, quand, grâce à la Révolution, la bourgeoisie a pris le pouvoir politique en France, elle détenait déjà le pouvoir économique. Avant de conquérir le pouvoir politique, les capitalistes français étaient les créanciers du Roi de France et les propriétaires des principaux leviers du pouvoir économique (la banque, le commerce, les manufactures et une partie des terres). Après la conquête du pouvoir politique, ils ont expulsé de l’État les représentants des anciennes classes dominantes (noblesse et clergé), les ont soumis ou ont fusionné avec eux. L’État est devenu une machine bien huilée au service de l’accumulation du capital et des profits.

 

À la différence de la classe capitaliste, le peuple n’est pas en mesure de prendre le pouvoir économique s’il n’accède pas au gouvernement. La répétition par le peuple de l’ascension progressive vers le pouvoir qu’ont réalisée les bourgeois dans le cadre de la société féodale ou de la petite production marchande est impossible. Le peuple n’accumule pas des richesses matérielles à grande échelle, il ne dirige pas les entreprises industrielles, les banques, le grand commerce et les autres services. C’est à partir du pouvoir politique (i.e. du gouvernement) que le peuple peut entreprendre les transformations au niveau de la structure économique et commencer la construction d’un nouveau type d’État basé sur l’autogestion. En dirigeant un gouvernement, la gauche a accès à des leviers institutionnels, politiques et financiers afin d’initier de profonds changements en faveur de la majorité de la population. L’auto-organisation du peuple, son auto-activité dans la sphère publique et sur les lieux de travail sont des conditions sine qua non à l’ensemble du processus.

 

Il est fondamental de mettre en place une relation interactive entre un gouvernement de gauche et le peuple

 

Pour réaliser de réels changements structurels, il est fondamental de mettre en place une relation interactive entre un gouvernement de gauche et le peuple. Ce dernier doit renforcer son niveau d’auto-organisation et construire d’en bas des structures de contrôle et de pouvoir populaire. Cette relation interactive, dialectique, peut devenir conflictuelle si le gouvernement hésite à prendre les mesures que réclame la « base ». Le soutien du peuple au changement promis et la pression qu’il peut exercer sont vitaux pour convaincre un gouvernement de gauche d’approfondir le processus des changements structurels qui implique une redistribution radicale de la richesse en faveur de celles et ceux qui la produisent. C’est également vital pour assurer la défense de ce gouvernement face aux créanciers, face aux tenants de l’ancien régime, face aux propriétaires des grands moyens de production, face à des gouvernements étrangers. Pour réaliser des changements structurels, il s’agit de mettre fin à la propriété capitaliste dans des secteurs clés comme la finance et l’énergie, en les transférant vers le secteur public (des services publics sous contrôle citoyen) ainsi qu’en soutenant ou en renforçant d’autres formes de propriété à fonction sociale : la petite propriété privée (notamment dans l’agriculture, la petite industrie, le commerce et les services), la propriété coopérative et la propriété collective basée sur l’association libre[4].

 

Dans deux des trois pays sud-américains mentionnés plus haut (au Venezuela en 2002-2003[5] et en Bolivie entre 2006 et 2008[6]), le gouvernement a été en conflit ouvert avec la classe capitaliste[7] mais les changements structurels décisifs sur le plan économique n’ont pas (encore) été réalisés. Ces sociétés restent clairement des sociétés capitalistes[8]. Des avancées réelles en faveur du peuple sont évidentes : adoption dans les trois pays de nouvelles Constitutions à l’issue de processus constituants profondément démocratiques (élection au suffrage universel d’une assemblée constituante ; élaboration d’une nouvelle Constitution adoptée par l’assemblée constituante suite à un large débat national ; référendum d’approbation de la nouvelle Constitution) ; large reprise du contrôle public sur les ressources naturelles[9] ; augmentation du recouvrement des impôts sur les plus riches (c’est particulièrement le cas en Équateur) et les grandes sociétés privées nationales ou étrangères ; améliorations significatives des services publics ou des missions de services publics ; réduction des inégalités sociales ; renforcement des droits des peuples originaires ; récupération de la dignité nationale face aux grandes puissances, en particulier les États-Unis.

 

Nous ne pouvons comprendre la politique de ces pays que si nous prenons en compte les très importantes mobilisations populaires qui jalonnent leur histoire. En Équateur, quatre présidents de droite ont dû fuir le pouvoir entre 1997 et 2005 grâce à de grandes mobilisations. En Bolivie, d’ importantes batailles contre la privatisation de l’eau se sont déroulées en avril 2000 et à la fin de l’année 2004. Les mobilisations autour de la privatisation du gaz en octobre 2003 ont fait tomber et s’enfuir (vers les États-Unis) le président Gonzalo Sanchez de Lozada. Le Venezuela a connu dès 1989 d’importantes luttes qui inauguraient les grands combats contre le Fonds monétaire international qui secouèrent la planète au cours des années 1990 et au début des années 2000. Mais il y a eu encore plus spectaculaire avec les énormes mobilisations populaires du 12 avril 2002, manifestations spontanées de rejet du coup d’État contre Hugo Chavez. Ces mobilisations ont eu directement pour effet le retour d’Hugo Chavez au palais présidentiel Miraflores dès le 13 avril 2002.

 

Les changements politiques démocratiques dans ces trois pays sont systématiquement passés sous silence dans la presse des pays les plus industrialisés. Au contraire, une campagne de dénigrement est systématiquement orchestrée afin de présenter les chefs d’État de ces trois pays comme des dirigeants populistes autoritaires.

 

Les expériences de ces trois pays andins, en terme d’adoption de nouvelles Constitutions, sont très riches. Elles devraient inspirer les peuples et les forces politiques des autres pays. Il suffit de comparer la situation en Europe avec l’absence de procédure démocratique en matière d’adoption du Traité constitutionnel en 2005 ou du TSCG en 2014. Bien sûr, les expériences en cours au Venezuela, en Bolivie et en Équateur sont aussi traversées par des contradictions et des limites importantes qu’il faut analyser[10].

 

Les grandes mobilisations populaires sont un facteur décisif dans l’existence et la survie des gouvernements de gauche. On pourrait bien sûr parler également des grandes mobilisations populaires de 1936 en France qui conduisirent Léon Blum – qui se serait bien contenté de « gérer honnêtement » la maison de la bourgeoisie – à mettre en œuvre de vraies mesures de gauche, sans oublier les mobilisations en Espagne à la même période ou celles qui ont secoué une grande partie de l’Europe à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.

 

 

- Retour à Syriza et à Podemos

Si des gouvernements, dirigés actuellement par Syriza et demain par Podemos, veulent réellement rompre avec les politiques d’austérité et de privatisation en cours dans toute l’Europe, ils entreront immédiatement en conflit avec de puissantes forces conservatrices tant au niveau national qu’au niveau de l’Union européenne. Rien qu’en affirmant que leur gouvernement souhaite appliquer des mesures voulues par la population qui rejette massivement l’austérité, Syriza aujourd’hui, Podemos demain, rencontrent une opposition très dure des instances européennes, de la majorité des gouvernements dans l’Union européenne, ainsi que des dirigeants et des grands actionnaires des principales entreprises privées, sans oublier le FMI.

 

Même en auto-limitant leur programme de changement, ils rencontreront une forte opposition car en face les classes possédantes et les instances européennes (intimement liées et solidaires) veulent pousser plus loin la plus formidable attaque concertée à l’échelle européenne contre les droits économiques et sociaux du peuple, sans oublier la volonté de limiter fortement l’exercice des droits démocratiques[11].

 

Il est illusoire de penser que l’on peut convaincre les autorités européennes et le patronat des grandes entreprises (financières et industrielles principalement) d’abandonner le cours néolibéral renforcé depuis 2010. Soulignons que François Hollande et Matteo Renzi, qui proposent timidement de desserrer un peu l’étau de l’austérité, cherchent en même temps à appliquer le modèle allemand dans leurs pays respectifs : une précarisation plus avancée des droits de négociation collective et de protection des conquêtes des salariés[12]. Ce ne sont pas des alliés pour Syriza aujourd’hui ou Podemos demain.

 

Il faut prendre un autre élément en considération quand on compare la situation du gouvernement de gauche en Grèce aujourd’hui (ou d’autres demain) à celle dans laquelle se sont trouvés Hugo Chavez (à partir de 2004), Evo Morales ou Rafael Correa. À partir de 2004, l’augmentation importante du prix des matières premières (pétrole, gaz, minerais...) que ces pays exportent, a permis d’augmenter fortement les recettes fiscales qui ont été utilisées pour mettre en œuvre de vastes programmes sociaux et de grands projets d’investissements publics. Les gouvernements de ces trois pays andins ont appliqué un projet qu’on peut caractériser de néokeynésien développementiste[13] : fort investissement public, augmentation de la consommation populaire, augmentation des bas salaires, nationalisations (dans le cas du Venezuela et de la Bolivie) compensées par de généreuses indemnisations des propriétaires nationaux ou des maisons mères étrangères.

 

La partie la plus pauvre du peuple a connu une amélioration considérable des conditions de vie l’infrastructure de ces pays a été améliorée et les profits des capitalistes locaux n’ont pas été affectés (dans le secteur financier les bénéfices privés ont même augmenté). On voit bien qu’un gouvernement de gauche dans un pays périphérique de l’Union européenne ne pourra pas disposer de la même marge de manœuvre que les gouvernements des trois pays andins mentionnés. Les pays européens de la Périphérie sont écrasés par un fardeau de dette insupportable. Les autorités européennes entendent exercer toute la pression dont elles sont capables, comme le montre la réaction de la Banque centrale européenne face à la Grèce début février 2015.

 

Les gouvernements de gauche devront désobéir aux créanciers, aux autorités européennes et au FMI pour être fidèles à leurs promesses électorales

 

La conclusion qui s’impose, c’est qu’il n’y aura pas de voie facile pour mettre en œuvre un programme économique et social qui rompt avec l’austérité et les privatisations. Les gouvernements de gauche devront désobéir aux créanciers, aux autorités européennes et au FMI (les uns et les autres se confondent largement) pour être fidèles à leurs promesses électorales. Ils ont une légitimité et un appui tout à fait considérable aussi bien dans leur pays qu’à l’échelle internationale tant l’austérité et les diktats de l’Europe sont rejetés. Le refus de payer une partie substantielle de la dette constituera un élément clé dans la stratégie du gouvernement[14], de même que la décision de ne pas poursuivre les privatisations et de rétablir pleinement les droits sociaux qui ont été affectés par les politiques d’austérité. Cette combinaison est vitale car, du côté des créanciers, on entend déjà s’élever les voix de ceux et celles qui proposent de réduire le poids de la dette de la Grèce en échange de la poursuite de politiques de réformes (entendez de contre-réformes, de privatisations, de précarisation des contrats de travail et des droits sociaux...).

 

On voit difficilement comment un gouvernement de gauche peut éviter de socialiser le secteur bancaire (c’est-à-dire exproprier les actionnaires privés et transformer les banques en service public sous contrôle citoyen), prendre des mesures strictes de contrôle des mouvements de capitaux, prélever un impôt de crise sur le patrimoine du 1 % le plus riche, refuser des prêts de la Troïka qui sont conditionnés par la poursuite de l’austérité et des privatisations, refuser de rembourser une dette largement illégitime, illégale, insoutenable du point de vue de l’exercice des droits humains, voire odieuse. Un des nombreux instruments à disposition d’un gouvernement de gauche pour favoriser la participation et le soutien populaire tout en renforçant sa position face aux créanciers illégitimes, c’est l’audit de la dette avec une participation citoyenne active afin d’identifier la partie de la dette qu’il faut refuser de payer et qu’il faut répudier. À partir de là, tout deviendra enfin possible.

 

Notes

[1] Pour l’expérience chilienne : Franck Gaudichaud, Chili 1970-1973 : Mille jours qui ébranlèrent le monde, Presses universitaires de Rennes, 2013.

[2] Docteur en Sciences politiques de l’Université de Liège et de Paris VIII, également historien de formation, Éric Toussaint est porte-parole du CADTM International. Il se bat depuis de nombreuses années pour l’annulation de la dette des pays du Sud et des dettes publiques illégitimes au Nord. Il a été membre de la Commission d’audit intégral de la dette de l’Équateur (CAIC) mise en place en 2007 par le président Rafael Correa. Cette même année, il a également conseillé le ministre des Finances et le président de l’Équateur en ce qui concerne la création de la Banque du Sud. En 2008, il a conseillé le ministre du Développement économique et de la planification de la république bolivarienne du Venezuela.

[3] Cuba a connu un processus différent du Venezuela, de l’Équateur, de la Bolivie ou du Chili, car la gauche a accédé au gouvernement suite à une lutte armée de plusieurs années soutenue par un énorme soulèvement populaire dans sa phase finale (fin 1958-premiers jours de 1959). Voir entre autres : Fernando Martinez interviewé par Eric Toussaint, « Du XIXe au XXIe siècle : une mise en perspective historique de la Révolution cubaine », publié le 24 décembre 2014, http://www.europe-solidaire.org/spi...

[4] Dans les trois pays andins cités, principalement l’Équateur et la Bolivie, il est également fondamental de soutenir les formes de propriétés traditionnelles des peuples originaires (qui contiennent généralement un haut degré de propriété collective).

[5] Au Venezuela, les batailles les plus agressives livrées par la droite ont commencé après trois ans de gouvernement Chávez, c’est-à-dire début 2002. Cela a pris la forme d’affrontements majeurs comme le coup d’État d’avril 2002, la grève patronale de décembre 2002-janvier 2003, l’occupation de la place Altamira à Caracas par des généraux séditieux et des dirigeants de l’opposition politique. Elles ont commencé à fortement baisser d’intensité après août 2004 grâce à la victoire du non au référendum révocatoire du président Chávez. Depuis lors, la droite cherche des occasions pour reprendre l’initiative mais sa capacité de mobilisation a été fortement réduite. Depuis 2013, un secteur important de la classe capitaliste participe activement à la déstabilisation du gouvernement via la création d’une situation de pénurie de nombreux produits de premières nécessités dont les médicaments et via le développement du marché de devise parallèle (au marché noir, le dollar s’échange à près de 10 fois sa valeur officielle).

[6] En Bolivie, la droite a livré de véritables batailles en 2007 et en 2008 après moins de deux ans de gouvernement Morales. Elle a utilisé la violence à plusieurs reprises et choisi une stratégie de batailles frontales en 2008. La victoire d’Evo Morales au référendum révocatoire d’août 2008 avec 67,43 % des voix n’a pas entraîné une réduction de la violence de la droite. Au contraire, cette violence est allée crescendo pendant plusieurs semaines après son échec au référendum, notamment parce qu’elle se sentait capable de réunir une majorité dans plusieurs provinces-clés de l’Est du pays. La réaction très forte du gouvernement et la mobilisation populaire face au massacre de partisans d’Evo Morales dans la province de Pando (combinée à la condamnation internationale notamment de la part de l’UNASUR qui s’est réunie de manière extraordinaire en septembre 2008 pour apporter son soutien au gouvernement d’Evo Morales) ont fini par provoquer un armistice (provisoire). Après un an de boycott, la droite s’est engagée à accepter l’organisation du référendum sur la nouvelle Constitution. Cela a débouché sur une nouvelle victoire pour Evo Morales fin janvier 2009 : la nouvelle Constitution a été approuvée par 62 % des votants. En octobre 2014, Evo Morales a été réélu avec 61% des voix.

[7] En Équateur il n’y a pas eu de période de choc entre le gouvernement et la classe capitaliste dans son ensemble, même si on a connu des tensions vives notamment en 2008 notamment dans le principal port du pays, Guayaquil.

[8] J’ai analysé les processus en cours dans ces trois pays dans l’étude : « Venezuela, Équateur et Bolivie : la roue de l’histoire en marche », publié le 2 novembre 2009, http://cadtm.org/Venezuela-Equateur.... La version imprimée est parue dans la revue Inprecor en 2009. Voir également : Eric Toussaint, Banque du Sud et nouvelle crise internationale, Éditions Syllepse, Liège-Paris, 2008, 207 p., à commander sur www.cadtm.org) qui contient une analyse de l’évolution au Venezuela, en Bolivie et en Équateur jusqu’au début 2008. Voir aussi l’ouvrage collectif intitulé « Le Volcan latino-américain. Gauches, mouvements sociaux et néolibéralisme en Amérique latine », publié sous la direction de Franck Gaudichaud par Textuel à Paris en avril 2008, 448 p.

[9] La Bolivie a nationalisé le pétrole et la production de gaz en 2006. Evo Morales a envoyé l’armée pour contrôler les champs pétroliers, mais les multinationales restent actives car ce sont elles qui extraient le pétrole et le gaz. L’État est bien propriétaire des richesses naturelles, mais ce sont les grandes multinationales qui exploitent le pétrole et le gaz.

[10] Voir la position du CADTM concernant la relation du gouvernement équatorien avec la CONAIE et d’autres mouvements sociaux du pays : http://cadtm.org/Lettre-du-CADTM-Ay... , publié le 27 décembre 2014. Depuis cette date, le gouvernement équatorien a fait machine arrière et la CONAIE n’a pas été délogée.

[11] Voir http://cadtm.org/Union-europeenne-c..., publié le 16 décembre 2014.

[12] Voir http://cadtm.org/Le-modele-allemand... , publié le 7 janvier 2015.

[13] Le qualificatif « développementiste » constitue une traduction du terme espagnol « desarrollista » qui caractérise des politiques qui ont été menées dans la période 1940-1970 par une série de pays d’Amérique latine. Ces politiques consistaient à ce que l’État apporte un important soutien au développement économique (dessarrollo economico) tout en le guidant. Voir en espagnol la définition donné par l’économiste argentin, Claudio Katz : http://katz.lahaine.org/?p=232

[14] Alors que les gouvernements du Venezuela, de Bolivie et d’équateur pouvaient continuer à rembourser la dette tout en menant des politiques anti austéritaires car le poids de la dette était soutenable du point de vue budgétaire. L’Équateur qui a suspendu unilatéralement le remboursement d’une partie de sa dette après avoir réalisé un audit de celle-ci a réussi à imposer une défaite à ses créanciers alors qu’il aurait pu financièrement continuer à rembourser la dette dans son entièreté. C’est par un souci de refuser de rembourser des dettes illégitimes, d’épargner des recettes fiscales destinées au remboursement de la dette et de les utiliser au bénéfice du peuple que le gouvernement équatorien a pris la décision légitime de refuser de continuer à rembourser une partie de la dette. Le Venezuela qui a suivi une autre politique est aujourd’hui confronté à de graves problèmes de refinancement de sa dette.

 

Pour en savoir plus :

- Mon dossier Grèce

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Bibliothèque INSOUMISE.
  • : Pour S'INFORMER, COMPRENDRE, INFORMER, MOBILISER, AGIR ENSEMBLE et GAGNER par une révolution citoyenne dans les urnes.
  • Contact

Rédacteur

  • Pour une Révolution citoyenne par les urnes
  • Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT  de 1978 à 2022.
  • Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT de 1978 à 2022.

La France insoumise

-Pour une MAJORITÉ POPULAIRE, renforcer la France insoumise pour GAGNER !

🔴  La France insoumise et ses 71 députés sont au service des Françaises et des Français face à l'inflation et l'accaparement des richesses par l'oligarchie.

✅ La dissolution, nous y sommes prêts ! 
Avec la #Nupes, la France Insoumise propose l’alternative 


📌 Pourquoi La France insoumise, ses origines ? La France insoumise : comment ? La France insoumise : pour quoi faire ?

Autant de questions dont vous trouverez les réponses... ✍️ en cliquant ci-dessous 👇

 

Qu’est-ce que La France insoumise ? - Nouvelle brochure

 

-N'attendez pas la consigne !

✅ Pour rejoindre la France insoumise et AGIR ENSEMBLE pour GAGNER : cliquez ci-dessous 👇

 

La France insoumise

 

- La chaîne télé de Jean Luc Melenchon : cliquez ci-dessous 👇

 

- Le blog de Jean Luc Melenchon : cliquez ci-dessous 👇

Jean-Luc Mélenchon le blog

 

Recherche

La France insoumise à l'Assemblée Nationale

 Pour accéder au site : cliquez ci-dessous 👇

Sur les réseaux sociaux  :

Facebook  - Twitter

Le JOURNAL L'INSOUMISSION

✍️ cliquez ci-dessous 👇

L'Insoumission

 

✅ S'inscrire à la Newsletter 👇

 

 

Le site du Parti de Gauche

 Pour accéder au site : cliquez ci-dessous 👇

 

Manifeste pour l'Ecosocialisme

 Pour accéder au site : cliquez ci-dessous 👇

 

Mouvement pour la 6e République

 Pour accéder au site : cliquez ci-dessous 👇

 

Des outils pour combattre le FN et l'idéologie d'extrême droite française

🔴  Observatoire de l’extrême droite de l'Insoumission

 Pour accéder au site (cliquez ci-dessous) 👇

Observatoire de l’extrême droite l'insoumission

 

 Pour accéder au site (cliquez ci-dessous) 👇


🔴  et aussi : Observatoire national pour « mettre sous surveillance » l’extrême droite

 Pour accéder au site (cliquez ci-dessous) 👇