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11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 08:10
Le hareng de Bismarck (le poison allemand)

Sources : éditions Plon par Jean-Luc Mélenchon

- Ceci est un pamphlet.

Mon but est de percer le blindage des béatitudes de tant de commentateurs fascinés par l'Allemagne. Je prends la plume pour alerter : un monstre est né sous yeux, l'enfant de la finance dérégulée et d'un pays qui s'est voué à elle, nécrosé par le vieillissement accéléré de sa population. L'un ne serait rien sans l'autre. Cette alliance est en train de remodeler l'Europe à sa main.

 

Dès lors, l'Allemagne est, de nouveau, un danger. Le modèle qu'elle impose est, une fois de plus, un recul pour notre civilisation. Ce poison allemand est l'opium des riches. Changer la donne politique et faire changer l'Allemagne sont devenus une seule et même chose. Il faut le faire avant qu'il ne soit trop tard.

 

- Le livre est disponible ICI

 

 

- Pour en savoir plus sur l'ouvrage

Jean-Luc Mélenchon était ce matin l’invité de J-J. Bourdin sur BFM TV afin de présenter son nouvel ouvrage (dans toutes les bonnes librairies dès demain) : le hareng de Bismarck. A partir de 10’49’’ (!), après les fadaises journalistiques (la famille Le Pen, Hollande...) qui permettent de ne pas laisser l'invité parler de l’essentiel.

 

Dix ans après la victoire du NON au Traité Constitutionnel Européen (TCE), expression majoritaire du peuple souverain bafoué(e) par les gouvernements successifs, ce livre remet les pendules à l’heure sur la situation ordo libérale actuelle, dont le « modèle » allemand (enfin décrypté tel qu’il est) et son gouvernement sont le moteur.

« Ceux qui ne connaissent pas l’Histoire sont condamnés à la revivre » – L’allemand Karl MARX

Vidéo à retrouver ici :

J.L Mélenchon parle de son livre le hareng de Bismarck chez bourdin 06 mai 2015

 

Voici comment Jean-Luc Mélenchon a commencé à présenter cet ouvrage dans une interview au journal Le Point qu'A Gauche publie simultanément.

 

- « En politique, il faut toujours un ennemi. Dans ce livre, vous en désignez un : les Allemands. Pourquoi eux et non plus les États-Unis ?

Jean-Luc Mélenchon : Vous y allez fort ! Non, ce n’est pas mon état d’esprit. Je ne m’en prends pas à un « génome » allemand qui les pousserait à vouloir toujours dominer. Je ne suis pas en manque d’ennemi. Le mien reste la finance et le productivisme. Mais l‘Allemagne est devenue leur avant-garde. Dès lors non seulement l’Europe n’est plus le grand projet social dont nous rêvions. Mais elle ne garantit plus la paix. Car dans ce concert de nations, l’une d’entre elle, l’Allemagne, prend le pas sur les autres et impose un modèle économique, l’ordolibéralisme. Il sert ses intérêts mais conduit inéluctablement à la catastrophe. Mon livre lance l’alerte. L’Europe va sombrer dans les violences dans les nations comme entre elles. Le supplice de la Grèce le prouve.

 

 

- Qu’est-ce que l’ordo-libéralisme que vous dénoncez ?

Les Allemands ont inventé cette vieille théorie. Elle professe que la politique est frivole et l’économie sacrée. On sanctuarise donc des règles économiques considérées des lois de la nature. Donc, on les met hors du champ des décisions politiques. En réalité c’est l’emballage d’un égoïsme de classe bien précis. Mme Merkel gouverne un pays en panne démographique. Les retraités toujours plus nombreux forment le gros de ses électeurs ! La retraite par capitalisation des vieillards allemands exige toujours plus de dividendes. Donc moins de salaires et d’investissements. La finance règne. Elle domine le capitalisme allemand grâce à la dérégulation organisée par le PS allemand : un comble !

 

 

- Dont la règle d’or des déficits ?

Les niveaux des déficits, en effet. Mais aussi la monnaie fétichisée, l’inflation et la dette diabolisés. C’est une vision dogmatique très bornée. Les leaders allemands l’assument sans s’en rendre compte. Ainsi quand l’odieux ministre de l’économie allemande, M. Schaubble, déclare : la France « serait contente que quelqu’un force le Parlement… » il ajoute : « mais c’est difficile, c’est la démocratie ». Cette précision est comme un manifeste de l’ordo-libéralisme : la démocratie est un problème dans la mesure où elle permet au politique de nier le dogme économique sacré. La France, son histoire, sa culture, c’est exactement l’inverse : toutes nos constitutions républicaines se sont mêlées d’économie. Pourquoi devrions-nous renoncer à notre modèle ? A mes yeux il est supérieur au modèle allemand quand il s’agit d’organiser la vie humaine en société ? L’ordo-libéralisme est anti-républicain. Il détruit les liens sociaux et la vie civique.

 

 

- Pierre Moscovici estime que vous commettez un contre-sens et affirme que Schauble plaisantait…

La servilité de Pierre Moscovici fait honte!

 

 

- Pardon mais les Allemands ne nous imposent pas grand-chose. Cela fait neuf ans que nous ne respectons pas la règle des 3% de déficit… Donc, l’ordo-libéralisme, on lui donne tourne le dos allégrement !

Ce que vous dîtes est incroyable : des traités inapplicables doivent-ils être sacralisés ? Les traités sont choses humaines. Il faut discuter de leur contenu par rapport à leur résultat. Nage-t-on dans le bonheur en Europe ? Le chômage et la pauvreté martyrisent des masses humaines considérables. Partout l’extrême-droite monte. L’Allemagne, elle, accumule les excédents commerciaux ? Et qu’en fait-elle ? Elle les place sur les marchés financiers car elle a étouffé en Europe, l’activité économique pour les employer. Ce faisant, l’Allemagne alimente elle-même la bulle financière qui va bientôt produire un nouveau désastre en explosant. Bonjour le modèle !

 

 

- Pensez-vous réellement que François Hollande puisse vendre aux Allemands le modèle français ?

Non. François Hollande a changé de camp. Il roule pour l’ordo-libéralisme. Les Français ne savaient pas qu’en votant Hollande, ils élisaient Merkel. Il a avoué d’ailleurs : « La France veut être le meilleur élève de la classe européenne ». Pour moi la France n’est l’élève de personne et elle peut apprendre beaucoup aux autres ! Tant qu’à faire, sur bien des sujets, mieux vaut qu’elle soit le maitre !

 

 

- A vous lire, les Allemands usurpent une réputation de sérieux. C’est gonflé, quand même…

En France nous adorons par modes successives, des « modèles ». On a eu droit aux « dragons asiatiques », puis, aux « tigres européens » tels l’Irlande ou l’Espagne. Des tigres de papier, en vérité, qui se sont effondrés avec l’explosion de la bulle financière en 2008. Et revoilà donc, le « modèle allemand », efficace, discipliné. Une illusion ! L’économie allemande est délabrée. Avec des équipements en ruine, et douze millions de pauvres, avec de moins en moins d’enfants, les jeunes qui quittent le pays, des vieux qu’ils relèguent, et une espérance de vie en recul, qui veut être allemand ?

 

Mon livre reprend le débat européen. On affichait qu’on ferait l’Europe sans défaire la France. Pour l’instant, on défait la France sans faire l’Europe des êtres humains. L’Allemagne nous domine, nous gronde, nous corrige, nous coupe de nos bases méditerranéennes ! Que reste-t-il ? Juste un grand marché qui nie notre modèle colbertiste qui est notre atout. En France, l’entrepreneur se met à la file du peloton ouvert par l’État. Quand on décide de faire des fusées, c’est l’État qui prend les choses en main. Et aujourd’hui, nous avons 50% du marché mondial… Et je pourrai citer bien d’autres exemples. Il n’y a pas une seule réussite européenne qui ne soit, à l’origine, française. Pas une seule ! L’Allemagne nous plombe !

 

 

- Vous donnez le sentiment que la France n’a plus rien à faire avec l’Allemagne…

Non, je ne dirai pas les choses comme ça. L’Allemagne est là de toute façon. Mais on ne peut accepter sa domination. Mon livre montre ses abus de pouvoir. Et sa manie d’imposer aux autres ce qu’elle croit bon pour elle. La sortie raisonnable, ce n’est pas de s’affronter avec eux mais de les remettre à leur place. Et de porter sans complexe notre propre message universaliste. Le retraité allemand n’est pas seul au monde : il faut aussi prendre en compte le sort des jeunes français et celui de la planète. L’Europe est la première puissance économique du monde. Cela nous impose des responsabilités. Or, l’ordo-libéralisme allemand ne permet pas de les endosser. Aucune ! »

 

Pour en savoir plus :

- Cécile Duflot critique violemment le « nationalisme étroit » de Jean-Luc Mélenchon

- Réponse à la tribune critique de Cécile Duflot sur le Hareng de Bismarck

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8 mai 2015 5 08 /05 /mai /2015 08:05
Heinrich Himmler, le chef de la Gestapo et de la Waffen SS, sur le front russe, en 1942.(1)

Heinrich Himmler, le chef de la Gestapo et de la Waffen SS, sur le front russe, en 1942.(1)

Oui, le RN est « l’héritier de Pétain », le FN a été fondé par des anciens nazis[0] !

Malgré cette histoire, les médias dominants et le camp présidentiel passent leur temps à dédiaboliser le RN issu du FN

 

 

L'idéologie des combattants volontaires des légions nazies contre le «judéo-bolchevisme» a alimenté les idées de l’extrême droite radicale d’après-guerre et lui a donné la capacité de se réorganiser.

 

 

Sources : SlateFR par Nicolas LebourgLebourg | mis à jour le 16/01/2024

En faisant du 8 mai un jour férié, le Président François Mitterrand a voulu souligner comment la victoire contre le nazisme était celle de l’ensemble des Français. Il prolongeait ainsi le récit gaullo-communiste, opposant une France de la Résistance à un gouvernement de Vichy qui n’eût été que trahison de quelques élites. A dire vrai, la défaite de l’Axe fut aussi celle de certains Français.

 

 

- En effet, sur ses 900.000 membres en 1944, la Waffen-SS était composée pour moitié de non-Allemands.

Ce que l’extrême droite radicale nomme «la grande armée européenne» avait attiré son lot de Français, acquis à l’édification du « Nouvel ordre européen » promis par la propagande nazie. Quelles étaient ces unités françaises ? Quels hommes y trouvait-on ?...

 

Avec l'ouverture du front de l’Est le 22 juin 1941, la propagande du IIIe Reich abandonne le nationalisme grand-allemand et affirme prendre la tête d'une croisade pour la sauvegarde de l'Europe. Pour la propagande pro-germanique, l'Alliance des Anglais, des Américains et des Soviétiques implique bientôt de désigner l'unité européenne comme prise entre les mâchoires d'un ennemi unique.

 

Capitalisme et communisme seraient les deux éléments matérialistes désagrégeant les nations et les âmes des peuples au profit de l'instauration d'une ploutocratie juive planétaire. Le discours sur « l’anéantissement » du « judéo-bolchevisme » désigne dorénavant un monstre judéo-américano-soviétique dont «l’impérialisme» agresserait l’Europe.

 

🔴 En France, dès l'ouverture du front oriental, les principaux groupements collaborationnistes lancent ensemble la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme (LVF) qui constitue le 638e régiment de la 7e division de la Wehrmacht (6.000 hommes). Un des cadres de l'Institut des Questions Juives envisage de donner pour symbole à la nouvelle troupe… une croix gammée bleu-blanc-rouge… Le cardinal Baudrillart apporte sa bénédiction à la LVF en considérant que «cette légion constitue une chevalerie nouvelle. Ces légionnaires sont les croisés du XXe siècle». Les volontaires prêtent serment à Hitler le 12 octobre 1941.

 

 

- Les Croisés contre le bolchevisme
Deux des chefs politiques collaborationnistes font le pas de l’engagement: Jacques Doriot et Pierre Clémenti.

  • Le premier est issu du communisme et est le leader du Parti Populaire Français, un parti adepte d’un conservatisme de choc habillé d’un style fasciste.

L’engagement européen mène à une radicalisation de Doriot et du PPF, qui en 1943 n’hésitent plus à se revendiquer « totalitaire » et « européen ». L’engagement de Doriot lui permet d’accroitre son aura auprès des plus ardents collaborationnistes, mais attire force antipathie au PPF. Pour guider le parti durant ses absences, il le confie à Victor Barthélémy (futur secrétaire-général du Front national). Il est abattu en Allemagne en 1945.

  • Le second leader à prendre l’uniforme de la LVF est Pierre Clémenti.

Son Parti Français National-Collectiviste (il s’appelait national-communiste mais l’Occupant lui a demandé de changer de nom) est bien plus modeste et, malgré son nom, relève d’une extrême droite assez classique. Quoique condamné à mort à la Libération, il sera ensuite de tous les coups de l’extrême droite radicale européenne, en particulier au sein d’une Internationale, le Nouveau ordre européen, fondée en 1951 par l’ex-trotskyste, ex-stalinien et ex Waffen-SS René Binet

 

L’anticommunisme est bien le ciment de cet engagement. Il s’agit d’un thème populaire, apte à entraîner le soutien de masses et à susciter des vocations. En 1942, sous l'impulsion des services de propagande allemands, le Comité d'Action Antibolchevique produit une exposition « Le Bolchevisme contre l'Europe », parrainée par les pays européens de l'Axe. Elle reçoit 370.000 visiteurs à Paris, 160.000 à Lille, et encore près de 30.000 à Toulouse où elle se trouve entre le 6 mai et 8 juin 1944.

 

Affiche pour le recrutement des Français.

La LVF dispose de son propre organe de propagande pour mobiliser ses membres : Le Combattant européen. Il est dirigé par Marc Augier, ancien militant de gauche et futur écrivain à succès sous le pseudonyme de Saint Loup. Saint Loup popularisera dans les années 1960-1970 une vision «pop» de la SS, lui inventant une fraction ésotérique prête au coup de force pour imposer une Europe des régions. Mais, dès la guerre, il a le goût de la romance… 

 

Qu’importe que l’action militaire de la LVF soit tout à fait médiocre, Augier excelle à transformer le récit de sa faiblesse combattante en drame épique. Il sait donner une perspective. Membre du « Groupe Collaboration », il a dirigé sa branche des Jeunes de l’Europe Nouvelle. Ses militants diffusent en France, La Jeune Europe, un journal destiné aux jeunes intellectuels, publiant dans ses colonnes toute l’intelligentsia de l’extrême droite européenne, lancé en 12 langues en 1942 afin de représenter la concorde continentale naissant avec la SS européenne. Les militants passent ensuite pour l'essentiel à la Milice ou à la  brigade SS Frankreich.

 

🔴 La Milice est quant à elle fondée en janvier 1943 afin de soutenir l'effort allemand dans le cadre de la répression de la Résistance. Pour la Milice, il n’y a pas de différence entre front de l’Est et guerre civile intérieure : elle ne voit là qu’un seul ennemi. Son chef Joseph Darnand souhaite la transformer en parti unique, et en formation armée unique absorbant la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme qui combat à l'Est. En août, il renforce sa position en jurant fidélité à Hitler et intégrant la Waffen-SS. Avec ses 25.000 miliciens, dont un grand nombre inactifs, il escompte radicaliser le régime de Vichy pour l'entraîner de l'autoritarisme vers le totalitarisme. Il sera exécuté à la Libération.

 

 

- La Waffen-SS française
En 1943, le IIIe Reich accorde aux Français le droit de rejoindre la Waffen-SS au sein de la brigade Frankreich (2.500 hommes). Les brochures promouvant l'engagement alternent l'argumentaire idéologique magnifiant « l'union de la jeunesse européenne contre le nihilisme bolcheviste » et un descriptif sportif (les SS à la plage, à cheval, en motocyclette, etc.) et alimentaire (avec composition des menus... soit un argument de poids en son contexte). 

 

Les hommes de la Frankreich, de la LVF et des Miliciens sont enfin versés dans la Division Charlemagne de la Waffen-SS en novembre 1944 (moins de 8.000 hommes).

 

Selon François Duprat, cadre mais aussi historien des extrêmes droites, le tout premier Français accepté dans la SS fut Jean-Marie Balestre. Il était avant-guerre membre du service d’ordre de la Ligue Internationale contre l’Antisémitisme, mais dès l’été 1940, proche de Clémenti, on le trouve impliqué dans des violences antisémites en compagnie de son ami Robert Hersant.

  • Dans Devenir, (le journal des SS francophones), Balestre trace les grands traits d’une idéologie qui a plus à voir avec celle de l’extrême droite radicale d’après-guerre qu’avec le nationalisme grand-allemand. Le futur président de la Fédération Internationale du Sport Automobile (de 1978 à 1991) certifie alors que les SS français savent qu’Hitler « les conduira au triomphe total, et ils savent aussi que, grâce à eux, la France y aura participé ».
  • Dans les pages de Devenir, on est très loin de l’état d’esprit des croisés de 1941 – d’où d’ailleurs quelques tensions dans la Charlemagne. Ici, on applaudit à la mort des nations grâce à « l’homme nordique qui renaît aujourd’hui », « enraciné » et défait de « l’orientalisme » chrétien. L’écrivain Lucien Rebatet (qui participe après-guerre à la presse d’extrême droite), y salue les Allemands nazis, les Roumains de la Garde de Fer, les antisémites des Etats-Unis, les nationalistes argentins, tous ceux qui ont « l’esprit européen, l’esprit aryen, l’esprit révolutionnaire ». Et de conclure que les engagés du front de l’Est sont « l’élite de cette Internationale aryenne qui refera demain le monde sans Juifs, sans démocrates, sans trusts. Camarades SS de 18 nations, je vous adresse, le bras tendu, notre salut, le salut aryen. Mort aux juifs ! »

 

 

- Les décombres
La sortie de guerre est particulièrement délicate pour ces hommes. Ils ont franchi le Rubicon et, jusqu’au bout souvent, veulent y croire. Ainsi, le SS Marcel Lhomet écrit-il dans une lettre en date du 30 mars 1944 : « C'est un SS qui t'écris. C'est la formation SS qui parle. Nous sommes un ordre de chevalerie, un ordre de soldats, nos lois sont dures. Notre voie est toute droite, sans compromis, et notre but est la victoire européenne, de la Race. [Hitler est] l'homme qui seul est capable de façonner les destinées de l'Occident et de la France ».

 

La Charlemagne est prise dans les tourments de la fin du conflit.

  • Certains de ses hommes sont à Berlin lors de sa chute.
  • D’autres ont été faits prisonniers par les Russes sur le front de l’Est, tel Jean Castrillo, qui s’y découvre slavophile, s’y convertit à l’orthodoxie, et participera après-guerre aux débuts de la Nouvelle droite et sera un cadre du FN. Il sera alors toujours auprès de Pierre Bousquet[2].

 

Face à la débâcle, Bousquet est lui parvenu à se faire passer pour un Français du Service du Travail Obligatoire auprès de l’armée américaine. Le voici engagé par les Américains pour organiser l’arrestation puis le renvoi vers la France des collaborationnistes... Il compte dans l’extrême droite d’après-guerre. Revenu à Paris, il participe en 1946 à un groupe clandestin d’ex Waffen-SS qui tente de placer ses membres dans les mouvements anticommunistes pour pouvoir les manœuvrer.

 

 

🔴 Lorsqu’en 1972 survient la création du Front National, Bousquet n’est pas enthousiaste. C’est alors Georges Bidault, l’ancien président du Conseil National de la Résistance avec lequel il s’est lié, qui l’invite à y participer, même si lui-même préfère demeurer en retrait. C’est avec Bousquet que Jean-Marie le Pen va déposer les statuts du jeune Front National, dont l’ancien de la Charlemagne est le premier trésorier[34]. Même si lui et Castrillo quittent le FN fin 1980 en considérant que, depuis l’assassinat de Duprat, Israël tiendrait Jean-Marie le Pen, de nombreux membres de la Nouvelle droite et du FN seront à ses obsèques en 1991. 

 

En termes militaires, l’apport des Français à la SS n’a pas eu de grande importance....
Mais, en termes politiques, les anciens SS jouent après-guerre un rôle essentiel  dans la reconstruction des extrêmes droites, y faisant montre de capacités d’élaboration idéologique et organisationnelle.

 

 

* * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

 

 

🔴 Concrètement à titre d'exemple.....

Voici Léon Gaultier[19], chroniqueur à « Radio Vichy », un des fondateurs de la Milice française, il combattit sous l'uniforme allemand de la Waffen-SS avec le grade de Untersturmführer, il commanda une unité française sur le Front de l'Est durant l'été 1944. et fut l'un des co-fondateurs du Front National en 1972.

 

 

Cette photo[1] date de 1943 où il était Waffen SS. Vous savez ceux qui ont participé à l'extermination de juifs, tziganes, homosexuels, handicapés, autistes et j'en passe... Non le FN n'a pas changé, il a juste repeint sa façade...

 

- CONNAISSEZ VOUS LES FONDATEURS DU FN ?

  • Pierre Bousquet, secrétaire général du Parti de l'Unité Française et ancien de la division SS Charlemagne [2] ;
  • Roger Holeindre, ancien résistant, OAS, fait partie du service d'ordre de Jean-Louis Tixier-Vignancour, fondateur du Parti national populaire, participe à la fondation du FN. [3] ;
  • Alain Robert, pour Ordre nouveau et le GUD [4] ;
  • Victor Barthélemy, ancien du Parti communiste français, puis de la LVF, puis secrétaire général du PPF (voir son livre de mémoires " Du communisme au fascisme ") [5] ;
    et comme il faut frapper le fer tant qu'il est chaud, qui sont les politiques suivants ?
  • Jacques Bompard - Membre fondateur du Front national en 1972 - crée OAS Cambronne, un réseau de soutien à l'OAS. Il rejoint par la suite les rangs du mouvement étudiant d'extrême droite Occident dont il intégrera plus tard le secrétariat national puis à Ordre nouveau après la dissolution d'Occident en 1968 [6] ;
  • Jack Marchal - Adhérent du mouvement Occident dès 1966, il rejoint en 1968 le noyau fondateur du Groupe union défense (GUD) et entre à la direction politique d'Ordre nouveau, dont il dirige la presse. Il participera à ce titre à la création du Front national en 1972 avant de rejoindre deux ans après le Parti des forces nouvelles. Il a rejoint le Front national en 1984 [7] ;
  • Jean-François Galvaire - Membre d'Ordre nouveau en 1970, il fut l'un des fondateurs du Parti des forces nouvelles (PFN). Il devient par la suite conseiller régional Poitou-Charentes pour le Front national et président des Amis de National Hebdo [8] ;
  • Pascal Gauchon - ex-rédacteur en chef de Défense de l'Occident, il fut membre d'Ordre nouveau, puis devint secrétaire général du Parti des forces nouvelles, mouvement d'extrême droite, de 1974 à 1981. En mai 1979, il participe, en 4e position, derrière Michel de Saint-Pierre, Jean-Louis Tixier-Vignancour et Jean-Marie Le Pen, à la tentative de liste commune PFN/FN pour les élections européennes [9] ;
  • Martial Bild -organe du Parti des forces nouvelles (PFN), puis adhère deux ans plus tard, en septembre 1980 [10] ;
  • Didier Lecerf - Il fut membre de la direction du Parti des forces nouvelles et l'un des principaux rédacteurs du journal Pour une force nouvelle. Il rejoint, en 1984, le Front national [11] ;
  • Georges-Paul Wagner – Ancien d’Action Française, élu député des Yvelines en 1986, sous les couleurs du Rassemblement national, fondateur avec Roland Hélie et Philippe Colombani, de l'Institut d'histoire et de politique, centre de formation au service du FN [12] ;
  • Georges Theil - condamné en 2001 par la Cour d'appel de Grenoble pour contestation de crimes contre l'Humanité, condamné le 3 janvier 2006 à 6 mois de prison ferme pour des propos tombant sous le coup de la loi Gayssot qui réprime le négationnisme de la Shoah. conseiller régional FN en Rhône-Alpes de 1998 à 2004 [13] ;
  • François Brigneau, ancien milicien, condamné pour collaboration avec les nazis, relaxé, puis à nouveau condamné pour diverses raisons et notamment diffamation [14] ;
  • Dominique Chaboche, ancien de Occident [15] ;
  • André Dufraisse, ancien collaborateur [16] ;
  • François Duprat, journaliste et ancien de Ordre nouveau, diffuseur du négationnisme, assassiné en 1978 [17] ;
  • Roland Gaucher, ancien collaborateur, après-guerre, il est condamné pour intelligence avec l'ennemi [18] :
  • Léon Gaultier, ancien proche collaborateur du Secrétaire général à l'Information du gouvernement du Maréchal [19] ;
  • Pierre Marion, un des fondateurs de la Milice, il a combattu sous l'uniforme allemand de la Waffen- SS sur le Front de l'Est durant l'été 1944 ;
  • Jean-Jacques Susini – Créateur de l’OAS, condamné deux fois par contumace, à la peine de mort par la Cour de sûreté de l'État, pour son appartenance à l'OAS et comme inspirateur de l'attentat manqué contre Charles de Gaulle. Amnistié sur décision du général de Gaulle en 1968, Candidat pour le Front national aux élections législatives de 1997 dans les Bouches-du-Rhône [20] ;
  • Pierre Sergent - participant du putsch d'Alger, chef d'état major de l'OAS-Métropole en 1961, condamné à mort par contumace par deux fois en 1962 et 1964, lors du procès par la Cour de Sureté de l'État des 8 principaux dirigeants de l'OAS, amnistié en 1968. Élu en 1986 député des Pyrénées-Orientales sous l'étiquette du Front national qu'il avait rejoint en octobre 1972 [21] ;
  • Albert Rosset - a déclaré à propos des chambres à gaz (11 octobre 2004, Lyon, conférence de presse du FN, en présence de Bruno Gollnisch) : « Il faut faire la différence entre la mémoire vécue et la mémoire rapportée. Moi, j'ai vu les chambres à gaz, je les ai même utilisées. Elles ont servi à désinfecter des milliers de prisonniers, pouilleux ou atteint du typhus ». Conseiller régional Front National de la région Rhône-Alpes, élu sur le département de l'Ardèche [22] ;
  • Fabrice Robert – Militant de troisième Voie (TV) organisation nationaliste révolutionnaire française, née en 1985 de la fusion du Mouvement nationaliste révolutionnaire avec des dissidents du Parti des forces nouvelles, dissoute en 1992, réactivée en 2010 sous l'impulsion de Serge Ayoub et dissoute de nouveau en 2013. Conseiller municipal du Front national à La Courneuve [23] ;
  • Alain Renault - Secrétaire général d'Ordre nouveau, secrétaire général du Front national (FN) jusqu'en 1980 [24] ;
  • Jean Madiran - décoré de la Francisque, secrétaire de Charles Maurras, collabore à l'hebdomadaire Rivarol et à L’Action Française. Ses écrits expriment sans retenue antisémitisme et antimaçonnisme, “Nous sommes à droite de l’extrême droite.” disait-il, Compagnon de route du Front national [25] ;
  • Guillaume Luyt - Ancien militant royaliste et dirigeant d'Unité radicale, il a succédé à Samuel Maréchal comme chef du Front national de la jeunesse (FNJ) [26] ;
  • Alain de La Tocnaye – OAS , Parti nationaliste français, Mouvement Travail Patrie, condamné à mort le 4 mars 1963. Le 11 mars, sa peine est commuée en prison à perpétuité. Il est gracié et libéré en 1968, Front national, au sein duquel il n'a pas de responsabilité particulière [27] ;
  • Serge Jeanneret - Action française, chef adjoint de cabinet d'Abel Bonnard dans le gouvernement Pierre Laval. En 1986, il adhère au Front national. Il est élu conseiller régional FN d'Île-de-France, puis vice-président du groupe FN [28] ;
  • Gilbert Gilles - intègre la Waffen SS (au sein de la Division Charlemagne, avec le grade de Oberscharführer), a ensuite appartenu à l'OAS, puis adhéra au Front national [29] ;
  • Pierre Descaves -s'engage en 1961 dans l'Organisation armée secrète (OAS), rejoint le Front national en 1984, membre du comité central [30] ;
  • Jean-Pierre Cohen -adhère à 20 ans à l'OAS, Membre du comité central du Front national [31] ;
  • Christian Bouchet -rejoint en 1971 la Nouvelle Action française, cadre dirigeant du mouvement nationaliste-révolutionnaire européen, puis secrétaire-général des mouvements Troisième voie, Nouvelle résistance et Unité radicale, FN depuis 2008 [32] ;
  • Thibaut de La Tocnaye, également militant et membre du front national [33]

 

 


- La proximité du Front national et du nazisme

" Ni de près ni de loin " va répétant Marine Le Pen pour situer son parti par rapport aux mouvements d'extrême droite radicale (nazisme, néo-nazisme, fascisme, etc.). Politproductions montre ici qu'en ce qui concerne tant le passé que le présent et l'avenir, cette antienne est un déni de la part de la Présidente du Front national qui discrédite totalement son entreprise de "dédiabolisation".

 

 

Hommage du RN à Jean-Marie Le Pen, un retour aux sources nazies
Hommage du RN à Jean-Marie Le Pen, un retour aux sources nazies

 

Note :

[0] Oui, le RN est « l’héritier de Pétain », le FN a été fondé par des anciens nazis

[1]  Archive photo du «United States Holocaust Memorial Museum, courtesy of James Blevins»

[2Pierre Bousquet ; [3] Roger Holeindre ; [4] Alain Robert ; [5Victor Barthélemy ; [6Jacques Bompard ; [7Jack Marchal ; [8Jean-François Galvaire ; [9Pascal Gauchon ; [10Martial Bild ; [11Didier Lecerf ; [12Georges-Paul Wagner ; [13Georges Theil[14François Brigneau ; [15Dominique Chaboche ; [16André Dufraisse ; [17François Duprat ; [18Roland Gaucher ; [19Léon Gaultier ; [20Jean-Jacques Susini ; [21Pierre Sergent ; [22Albert Rosset , [23Fabrice Robert ; [24Alain Renault ; [25Jean Madiran : [26Guillaume Luyt ; [27Alain de La Tocnaye ; [28Serge Jeanneret ; [29Gilbert Gilles ; [30Pierre Descaves ; [31Jean-Pierre Cohen ; [32Christian Bouchet ; [33Thibaut de La Tocnaye

[34Proche de Georges Bidault, Pierre Bousquet dépose les statuts du Front national avec son premier président, Jean-Marie Le Pen, à sa fondation en 1972.

 

Pour en savoir plus :

- La collaboration au nazisme en Europe: Pétain et les autres

- La France des fondateurs du FN n’était pas à Londres, mais à Vichy

- Pierre Bousquet, premier trésorier du Front National était un ancien Waffen-SS

- Le Pen et le Vél d’Hiv : « Une tentative de créer du clivage »

- Mais, au fait, qui est l’homme qui déposa les statuts du Front national (FN) il y a 50 ans jour pour jour, le 5 octobre 1972, avec Jean-Marie Le Pen ?

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5 mai 2015 2 05 /05 /mai /2015 08:10
La loi Santé de Marisol Touraine, une étape dans la longue marche des complémentaires

La loi Santé de Marisol Touraine ne tombe pas du ciel. Elle est le fruit d’un long processus de mise à mort d’un système de santé solidaire.

 

Sources : le Parti de Gauche Midi-Pyrénées le 25/04/2015 par Christian Lehmann[1]

- La longue marche des complémentaires

« Il faut une génération pour changer un système de santé » avait prédit Henri de Castries, PDG d’AXA®, président du groupe Bilderberg et ami de trente ans de Manuel Valls.

 

A la fin de la Seconde guerre mondiale, le Conseil National de la Résistance a créé un système de protection sociale solidaire, et nationalisé les grandes sociétés d’assurances privées, au motif que la souffrance ne devait pas être source de profit pour « les grandes féodalités ».

 

Cette Sécurité Sociale a rapidement agacé le patronat de l’époque. Dès 1948, la Chambre de Commerce de Paris s’en indignait : « La Sécurité sociale est devenue pour l’économie une charge considérable. Les salariés ont profité de traitements dont ils n’avaient peut-être pas un besoin certain, la moindre maladie a été le prétexte de repos. L’absentéisme s’est développé. »

 

En 2000, Claude Bébéar, alors PDG d’AXA®, crée l’Institut Montaigne, un thilk-tank d'économistes "indépendants"… financé par des banquiers et des assureurs (Areva®, Axa®, Allianz®, BNP Paribas®, Bolloré®, Bouygues®, Dassault®, Pfizer® ), qui dans les média est chargé de distiller le venin : le système de santé, déficitaire, doit être réformé de toute urgence. La preuve : le "trou de la Sécu" conséquence de l'irresponsabilité des malades et de la malhonnêteté des médecins. Jamais aucun de ces experts ne pointe qu’en 25 ans, 10% de la richesse nationale est passée des salariés aux dividendes financiers des actionnaires, entraînant une baisse cumulative des cotisations. La protection sociale des Français est donc constamment pointée comme coûteuse, irresponsable, un frein à la compétitivité et aux profits.

 

En 2004, Jacques Chirac, ami intime de Claude Bébéar, nomme à la tête de l’Assurance-Maladie Frederic Van Roekeghem, un ancien directeur du groupe AXA®. Proconsul nommé par l’Elysée, l’assureur Van Roekeghem peut enfin passer outre les avis des centrales syndicales et des syndicats médicaux, qui toutefois ne dénoncent pas la manipulation, trop heureux de garder leurs postes et leurs jetons de présence.

 

Dans le même temps, les assureurs entrent au Conseil de la Sécurité Sociale au sein de l’UNOCAM. Nommant et virant les directeurs de caisses locales comme il l’entend, Van Roekeghem s’entoure de sbires qui transforment la Sécu en intégrant les pires techniques de management : utilisation d’un langage commercial orwellien « C’est en changeant tous un peu qu’on peut tout changer », non-remplacement des agents retraités, transfert non rémunéré de la saisie informatique des feuilles de soins aux soignants, primes d’intéressement des médecins conseils, manipulation programmée des chiffres d'arrêts de travail " injustifiéés ", pouvoir disciplinaire discrétionnaire des directeurs de caisses sur les soignants, harcèlement des médecins. A force d’endoctrinement et de primes, les médecins-contrôleurs de la Caisse intégrent ce paradigme : utiliser les pires méthodes de management du privé "sauverait la Sécu ".

 

Début 2005, un petit arrangement entre amis permet à Xavier Bertrand, accessoirement ancien assureur chez AXA® lui aussi, de signer une convention avec les syndicats médicaux les plus proches du pouvoir en détruisant le système du médecin référent. Ouvrant la voie à la pénalisation des assurés, aux franchises sur les soins, le système du médecin traitant consiste en un magnifique tour de passe-passe, surchargeant les généralistes de travail administratif sans leur octroyer les moyens de payer un secrétariat, désespérant leur relève et hâtant leur disparition sur l’ensemble du territoire.

 

Dans le même temps, à l’hôpital, se met en place la tarification à l’activité. Les directeurs d’hôpitaux, eux aussi nommés par le pouvoir politique, inculquent au personnel soignant la culture du résultat. Rapidement, les vieux, les sans-grade, les malades atteints de pathologies complexes et nécessitant, outre des explorations médicales, du « temps soignant », sont refoulés de l’hôpital, pour des raisons d’équilibre budgétaire.

 

En 2006, à sa prise de fonction, Guillaume Sarkozy déclare être « fier de prendre la direction de Médéric®, un acteur historique majeur de la protection sociale. Mon ambition est que Médéric® relève les défis des réformes à venir qui transformeront profondément l’intervention des acteurs complémentaires, notamment dans le domaine de la santé, pour jouer un rôle de premier plan dans l’amélioration des services de protection sociale. »

 

 

- Stigmatisation des patients, dénigrement des soignants

En 2007, son frère Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir et, au prétexte de la réduction des déficits, se lance dans la " responsabilisation " des patients en instaurant des franchises sur les soins. Philippe Seguin, président de la Cour des Comptes, propose une alternative : plutôt que de ponctionner 800 millions d’euros par an dans la poche des cancéreux et des diabétiques, la simple taxation des stock-options ramènerait 4 milliards par an dans les caisses de l’Etat. La proposition est évidemment passée à la trappe.

 

La même année, Denis Kessler, ex-directeur général d'AXA® et ex-vice-président du MEDEF le félicite de ses réformes : « Il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple… Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

 

Dans ce climat de désespérance générale des soignants, de colère des malades, le pouvoir s'attache les services d'associations de patients "représentatives " comme le CISS® en les finançant à 75%. Pour s’assurer la fidélité de leurs représentants, on leur fait miroiter un avenir radieux, où grâce à l’éducation thérapeutique, on pourra enfin se passer de médecins.

 

Confrontés en 2009 à une campagne vaccinale contre la grippe aussi calamiteuse sur le plan scientifique que financier, ces « représentants » se taisent courageusement, concentrant leur tir sur les médecins de ville, accusés de vouloir vacciner leurs patients par appât du gain. Ils évitent ainsi à Roselyne Bachelot-Narquin et à Nicolas Sarkozy d’avouer clairement qu’il ne leur est pas venu un instant à l’idée de baser un plan pandémique sur une espèce dont ils organisent la disparition.

 

En faisant une fois de plus preuve de leur indépendance d’esprit vis-à-vis des pouvoirs et des pseudo-experts, les médecins de ville renforcent la conviction des politiques : il n’y a rien à attendre d’un corps de métier aussi disparate, individualiste, rétif à toute directive administrative infondée : le magistère de la santé doit être retiré au corps médical. Béats d’admiration devant les vaccinodromes Bachelot, certains idiots utiles comme Jean-Luc Mélenchono et François Chérèque accompagnent la manœuvre, incapables de saisir que ce n’est pas aux pieds du peuple, mais aux pieds des assureurs que le politique compte déposer ce magistère.

 

En 2009, Frédéric Van Roekeghem innove en proposant aux généralistes une rémunération à la performance. Certains des items scientifiques en sont très discutables, voire contraires à l’intérêt des patients, le calcul de la rémunération en est opaque. Le but est de déterminer, au sein des soignants, les plus compliants. Ceux qui passent sous les fourches caudines de la CNAM pour quelques deniers pourront demain, pour une somme modique, être agréés par les réseaux des assureurs privés.

 

En 2010, de déremboursement en franchise, la « Sécu » ne rembourse bientôt plus que 50% des soins ambulatoires, en maintenant la pression sur les professionnels de santé les moins bien rémunérés, infirmiers, généralistes et spécialistes de secteur 1, pour les pousser à la disparition. Sous couvert d’améliorer la gestion, se créent alors des Agences Régionales de Santé, sous la houlette de Nicolas Sarkozy. Une flopée de pontes « de gauche » habitués des hauts salaires, dont Claude Evin, qui a vigoureusement soutenu la réforme des hôpitaux, s’y précipite pour accepter des postes, cautionnant la manœuvre. Au menu : restrictions financières, coupes claires et autoritarisme d’une administration pléthorique jamais satisfaite.

 

En 2010 toujours, la légalisation de la « télémédecine » fait les unes de la presse. Experts du ministère et charlatans 3.0 exaltent conjointement une industrialisation du soin qui réaliserait le rêve d’une médecine sans médecin, gérée à distance depuis un centre d’appel vers des objets connectés.

 

De retour aux affaires, Xavier Bertrand relance le chantier du Dossier Médical Personnel, vantant aux Français les mérites d’un outil qui, in fine, permettra aux assureurs, une fois les généralistes éliminés, de disposer des données médicales personnelles des patients pour mieux affiner leurs offres tarifaires, calculer leur marge, et proposer aux patients.... des surcomplémentaires.

 

 

- Alzheimer, c’est maintenant

En 2012, c’est l’alternance. « La changement, c’est maintenant ». Après avoir vitupéré contre les franchises pendant cinq ans, les socialistes sont brutalement frappés d'Alzheimer. Eux qui dans l’opposition avaient vilipendé la gestion comptable à la hussarde de Van Roekeghem et le retrait de l’hypertension artérielle sévère de la liste des affections prises en charge en longue durée, le confortent dans sa position. Pas à un reniement près, l'inénarable députè Catherine Lemorton explique que l'ancien assureur privé est.... un immense serviteru de l'Etat.

 

Au Congrès de la Mutualité cette année-là, Marisol Touraine vient plier le genou devant le véritable Ministre de la Santé, Etienne Caniard. Elle lui accorde le report de publication des frais de gestion des complémentaires, "dont nous connaissons les difficultés qu'elles créaient pour vous" . Le pauvre homme est probablement comme le député Thévenoud l’une des premières victimes de la phobie administrative, et Marisol Touraine ne veut pas l’accabler en le contraignant à révéler aux cotisants quel pourcentage de leur argent est réellement consacré au remboursement des soins, et quel pourcentage va au marketing, aux publicités calamiteuses de Chevalier et Laspalès, ou au sponsoring de rallyes automobiles. Sous les vivats des dirigeants de complémentaires, François Hollande annonce la mise en place de l’Accord National Inter-régimes (ANI). « Une mutuelle pour tous », lance fièrement l’ennemi de la finance. L’Association Diversité et Proximité Mutualiste ( ADPM) regroupant de petites mutuelles, dénonce sans être entendue les manoeuvres en cours de financiarisation du secteur au profit des grands groupes. Et très peu comprennent que cette prétendue avancée signe un recul supplémentaire de la solidarité : dans un pays où la Sécurité Sociale rembourserait chacun correctement, personne ne devrait se voir contraint de cotiser à une complémentaire…

 

Dans le même temps, tandis que Cahuzac et Morelle donnent des leçons de morale à la Terre entière, en flagrant conflit d’intérêt, des députés socialistes ex-administrateurs de mutuelles douteuses, de la MNEF à la LMDE, passent en force à l’Assemblée Nationale la loi sur les réseaux de soins, histoire de renforcer le pouvoir des assureurs sur les professionnels de santé.

 

Dans le même temps, les laboratoires de biologie médicale font l’expérience de la main-mise des ARS sur leur survie. Accablés par la loi Bachelot de démarches-qualité et d’évaluations onéreuses, ne pouvant faire face à l’avalanche de textes et de contraintes administratives, nombre de biologes sont contraints de vendre leur laboratoire à de grands groupes. Comme par hasard, le dossier est géré au gouvernement sous la houlette de Jérôme Cahuzac, alors ministre délégué au budget, et par certains de ses proches.

 

 

- Diminuer le « coût » de la protection sociale et servir la finance

Et nous voici en 2015. Accélérant le mouvement, le gouvernement de reniement de François Hollande cherche à déréglementer le secteur de la santé, et à livrer les professionnels aux financiers et aux assureurs, appâtés par l’odeur du gain, tout en cherchant désespérément une mesure emblématique de gauche pour servir de caution sociale de sa politique antisociale : ce sera le tiers-payant généralisé.

 

Dans le même temps, au prétexte de la loi sur l’accessibilité aux personnes handicapées, le gouvernement met en péril la survie de nombre de cabinets médicaux isolés. Les moyens diffèrent, mais la technique est identique à celle qui a été utilisée avec succès pour les laboratoires de biologie médicale. Empiler les contraintes ingérables au tarif actuel de la consultation, forcer au regroupement dans des structures qui demain seront bradées aux complémentaires et aux financiers. Quand 50.000 médecins refusent telle ou telle directive imbécile, il est plus simple pour les ARS d’ordonner aux directeurs de 3000 maisons de santé de suivre les protocoles décidés en haut lieu.

 

Dans ce contexte, le tiers-payant généralisé qu'agite Marisol Touraine comme preuve de son engagement socialiste est un leurre. Et cela lui évite de parler de la véritable menace sur l’accès aux soins des français : la totale déconnexion entre le tarif de remboursement et la valeur économique de l’acte, qui dissuade les jeunes de s’installer en ville et accélère la désertification médicale.

 

Avec le TPG, il ne s’agit pas de diminuer le coût final pour les malades, mais de rendre l’assureur maître d’œuvre de la procédure médicale, selon l’adage qui veut que celui qui paie décide, surtout s’il a tout moyen de faire pression sur le professionnel. Lorsqu’elle répète en boucle dans les média que le tiers-payant généralisé ne coûtera rien à l’Etat, Marisol Touraine n’a pas tort, dans la mesure où la Sécurité Sociale est totalement incapable de gérer informatiquement 600 mutuelles complémentaires. Frédéric Van Roekeghem, qui a quitté son poste de fossoyeur après dix ans de bons et loyaux services pour retourner pantoufler dans le privé, a tellement dégraissé la Sécu que ses services ne sont même plus capables de comptabiliser correctement le nombre de patients ayant choisi tel ou tel médecin traitant. Comment son successeur, Nicolas Revel pourrait-il gérer correctement le règlement des soins aux professionnels ? De son côté, Etienne Caniard fait le tour des médias, annonçant comme un camelot de téléachat qu'il a dans ses cartons une solution informatique simple et fiable pour assurer le paiement aux professionnels, alors qu’encore aujourd’hui la majorité des complémentaires est incapable d’assurer correctement le règlement de la part mutualiste aux assurés bénéficiant du tiers-payant. Mais Marisol Touraine s’en moque. Ce qui lui importe, c’est l’effet d’annonce. C’est de marteler une fois de plus, comme Cahuzac, Morelle et Thévenoud avant elle, qu’elle est de gauche, et donc du côté des petits, des démunis, des pauvres et des sans grade, avant de monter en voiture pour aller dîner au Siècle.

 

Comble du cynisme, ces disciples autoproclamés de Jaurès n’hésitent pas à proposer de conditionner le tiers-payant que nombre de professionnels de santé appliquent aujourd’hui spontanément à leurs patients en difficulté… à l'autorisation directe de prélèvement de ces franchises (autrefois dénoncées par les socialistes comme injustes et inefficaces) sur le compte bancaire des cancéreux et des diabétiques.

 

Ultime retournement de veste d’un gouvernement aux abois et signe de l’amateurisme qui a accompagné tout au long le projet de loi Santé, Marisol Touraine lâche dans la dernière ligne sous la pression insistante des médecins les mutuassureurs en chargeant la seule Assurance-Maladie de gérer le tiers-payant, provoquant la colére dépitée d'Etienne Caniard. Le président de la Mutualité, qui n’a pas ménagé ses efforts de lobbyiste, voit s’éloigner avec ce flux unique l’accès direct des assureurs aux données des patients. Même son de cloche chez Cegedim, éditeur de logiciels pour l’industrie pharmaceutique dont le PDG… mis en examen dans l’affaire de la MNEF, fustige un dispositif « techniquement et juridiquement » intenable… qui protège encore un temps les données des patients… jusqu’au prochain décret ou amendement passé en douce.

 

Car derrière ce recul momentané, la menace est toujours présente, et de plus en plus clairement exprimée par les parlementaires « socialistes ». Olivier Véran, rapporteur de la Loi Santé, plaide en termes sibyllins pour une « redéfinition du panier de soins », tandis que Pascal Terrasse, député PS de l’Ardèche et spécialiste des affaires sociales, se prononce de manière plus franche pour le transfert de la médecine de ville, « les petits soins » aux assureurs, quand la Sécurité Sociale se concentrerait sur les pathologies lourdes : " Oui, il faut aller vers ce transfert, et y aller à fond... " Quand aux données de santé, que convoitent les assureurs… « il faut avancer sur l’open data, je le demande au gouvernement ». Pour que les choses soient parfaitement limpides, il assume de manière décomplexée, comme Denis Kessler à droite, l’abandon du pacte fondateur du Conseil National de la Résistance : « Le monde avance, le monde change. Et la Sécurité sociale de 1946 n’était sûrement pas ce que certains prétendent ».

 

Ce qui se joue ici, c’est une certaine façon d’exercer la médecine. C’est la destruction d’une médecine de l’individu, au profit d’une industrie de santé adossée aux appétits des actionnaires. Il y a deux ans, l’énoncer clairement aurait soulevé l’incompréhension. Mais après deux ans de règne de François Hollande, de reniement en reniement, il est évident que l’homme qui se proclamait ennemi de la finance est en fait son meilleur ami, et que pour passer sous les fourches caudines de la Commission Européenne, il est prêt à brader la santé et le système de protection social français en les livrant aux assureurs et aux financiers pour bien montrer sa capacité de « réformes » antisociales. Financiarisation du secteur santé, perte d’indépendance des professionnels… Hollande, Valls, Macron, Touraine, Moscovici, Cahuzac… Si la finance n’a pas de visage, elle a un gouvernement.

Christian Lehmann

 

La loi Santé de Marisol Touraine, une étape dans la longue marche des complémentaires

PS : Je suis médecin généraliste depuis plus de trente ans. Trente années pendant lesquelles j’ai vu naître, grandir, vieillir, mourir, un grand nombre de patients. J’ai été le médecin généraliste de chacun d’entre eux, considéré comme un individu, et non pas une ligne de bilan comptable. Comme j’ai refusé hier d’être le larbin de l’industrie pharmaceutique, je refuserai demain d’être le larbin d’un assureur, fût-il caché sous le mot-valise « mutualiste ».

 

Note :

[1] Christian Lehmann médecin généraliste, écrivain, initiateur de la pétition contre les franchises sur les soins

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4 mai 2015 1 04 /05 /mai /2015 08:02
Argent caché en Suisse et famille Le Pen : mains sales et têtes folles

Sources : Le blog politique d'Alexis Corbière

- Où je commence par la fin, contre les Le Pen, c'est Mélenchon et Delapierre qui ont raison

L’aviez-vous oublié ? Pas nous. A distance de bien de bavardages lassants, depuis 2008, dans la lutte quotidienne contre le FN, il est assez fréquent que le PG et ses responsables soient en première ligne et premières cibles des attaques de l’extrême droite. Certes, on abdique pas l’honneur d’être une cible faisait dire heRostand au grand Cyrano. Mais, les ignorants et les « salauds », généralement tranquillement assis dans leurs fauteuils de notables politiques ou médiatiques, qui jugent parfois pertinent de tirer un signe égal entre le FN et nous (après une lecture assoupie des programmes) devraient le noter dans un coin de leur caboche. C’est nous que le FN frappe pas eux. Bien sûr, la justice nous donne souvent raison, mais un peu de solidarité élémentaire, quand nous sommes attaqués ne feraient pas de mal. Je pense en premier lieu à ceux qui bêlent qu’il faut d’urgence « s’unir contre l’extrême droite », formule qui dans leur esprit signifie uniquement qu’il faut appeler à voter pour eux (si possible dès le premier tour) et taire toute critique devant leur politique catastrophique. Vous les avez reconnu. A bon entendeur, salut !

 

Une fois ce rappel fait, je saisis l’actualité au vol. Elle me comble. Jugez-en. Quoi ! Le Président d’Honneur aurait un compte en Suisse nous dit Médiapart ? Merci de l’enquête fouillée que nous attendions tous, mais fondamentalement bonjour le scoop ! En novembre 2013, Jean-Marie Le Pen avait porté plainte contre Jean-Luc Mélenchon après publication d’un billet sur son blog portant pour titre « Le FN ami de la finance ». Manifestement, il n’avait pas apprécié de lire toute une série de vérités à commencer par le fait que, comme l’écrit Jean-Luc :« Loin d'affronter l'oligarchie financière, la famille Le Pen en applique les méthodes. C'est un proche conseiller de Marine Le Pen qui a ouvert le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac. Et Jean-Marie Le Pen a été condamné pour fraude fiscale. Ces pratiques sont aussi cohérentes avec les orientations du programme du FN en faveur de la finance. »Furieux, le vieux chef de l’extrême droite avait voulu étouffer qu’on lui rappela ses amours helvétiques pour dissimuler l’argent qu’il doit légitimement à la collectivité. Marine Le Pen s’était montré solidaire de son paternel dans cette attaque pour amener Jean-Luc Mélenchon devant un tribunal.

 

Pire même, prenant exemple, en février 2014, Marine Le Pen elle même, attaquait en justice mon camarade François Delapierre car, dans un article du Parisien, il avait fait le lien évident entre l’entourage de cette dernière et les proches amis de M. Jérome Cahuzac qui avaient aidé l’ex Ministre du Budget, spécialiste du cheveux (coupé en quatre ou non), pour, lui aussi, planquer son argent chez les helvètes.

 

Depuis fin 2013 et début 2014, ces deux plaintes courent toujours contre mes camarades. Raquel Garrido, notre avocate, elle même d'ailleurs attaquée en justice par Marine Le Pen (ce qui est, déontologiquement, assez inédit) préparait une défense de façon méticuleuse.

Mais désormais, si procès il y a, on va bien rire.

 

 

- Au bal des faux culs, les Le Pen ne seront pas à l'orchestre

marine-et-jean-marie-le-pen-2_m.jpgLe journal Médiapart a donc annoncé que le cellule de renseignements financiers Tracfin, a fait un signalement à la justice à propos d’un compte en banque en Suisse détenu par Jean-Marie Le Pen et caché chez HSBC puis à la Compagnie bancaire helvétique (CBH). Depuis l’argent serait partie vers des paradis fiscaux notamment aux Bahamas. Une enquête est donc ouverte. Tant mieux. Il est tout de même regrettable que tout ceci se déclenche après une longue séance électorale durant laquelle il eut été utile que toutes les faces sombres du FN soient connues. Les faits sont graves, s'ils sont avérés le fondateur du FN serait un délinquant financier.

 

Mais qui cela étonnent-ils vraiment ?

 

Au Front National on est officiellement gêné et beaucoup font mine d’être surpris avec une hypocrisie confondante. En coulisse, nul doute que cela n'étonne pas grand monde et cette révélation du Médiapart peut même être une des clefs d'explication de ce pour quoi Marine Le Pen cherche à prendre toutes ses distances, médiatiquement parlant, avec son père. Peut être savait-elle que cette nouvelle affaire allait sortir ? Et peut-être ceci, explique-t-il cela ?

 

Parlons franc, au FN, seuls des « crétins » , pour reprendre un mot cher à la députée FN Marion Maréchal, peuvent sérieusement s’étonner de ce compte en Suisse (ou ailleurs désormais). Cet argent dissimulé n’est qu’une des conséquences troubles dans lesquelles le fondateur du FN a fait fortune. Résumons l'affaire. Dans les années 70, l’héritier des ciments Lambert, militant d’extrême droite, intellectuellement totalement dégénéré et physiquement très malade a, peu de temps avant sa mort, cédé sa fortune à Jean-Marie Le Pen qui lui avait fait miroiter mille promesses totalement folles. Toutefois, l’argent de l’héritier Lambert devait servir à « la cause ». Jean-Marie Le Pen mélangea cette dernière avec ses intérêts personnels et mis dans sa poche personnelle. Ainsi, il assura le confort de sa famille. Ses trois filles vécurent dans le confort du Château de Montretout avec personnels de maison et majordome pour Monsieur. La prétendue fille du peuple est donc une « gosse de riche » dont le papa a acquis sa fortune dans des conditions opaques.

 

C’est donc de façon totalement parasitaire que ces gens là ont acquis une petite fortune.

 

 

- Déjà, dans un ouvrage rédigé en 1988, la première épouse de Le Pen racontait...

236868-jpg_177885.jpgVous voulez davantage de précisions ? Pas de problème. Dans un ouvrage rédigé en 1988 et non publié, mais dont certains chapitres furent publié par le site Backchich, la première femme de Jean-Marie Le Pen raconte les choses ainsi, avec forces détails :

« Il serait inconcevable d’écrire sur Jean-Marie Le Pen sans évoquer l’affaire Lambert. (…) Je l’affirme, et l’affirmerai jusqu’à la fin de mes jours, Jean- Marie n’a strictement rien fait pour hériter des Lambert, mère et fils. J’ajouterais qu’il s’est montré envers eux d’une telle désinvolture qu’à l’heure ultime l’héritage aurait très bien pu passer entre d’autres mains… (…)

 

[Après la mort d’Hubert Lambert, héritier sans enfants des Ciments Lambert, ami du couple Le Pen] Du jour au lendemain, des amis de la veille se retournèrent contre nous. Il y avait Jean Féraudy, il y avait les frères Sidos, dont il convient de dire qu’ils possédaient des testaments de la main d’Hubert Lambert, mais dépourvus de valeur légale, comme ce fut démontré au cours de nombreux procès, tous gagnés par Jean-Marie.

 

Évidemment, lorsqu’ils apprirent que Jean-Marie Le Pen héritait, ses coreligionnaires se persuadèrent qu’il s’agissait d’un "héritage politique". Chacun traduisait à sa manière et faisait des comptes intéressés. Ceux du Front National étaient dans le ravissement. Ils se voyaient déjà nantis, certains que le parti allait désormais rouler sur l’or.

 

Jean-Marie précisa dans les meilleurs délais que ce n’était pas un testament politique, mais un testament en faveur de sa famille. Ce fut un beau tollé. Sa cote de popularité tomba en flèche. Jean-Marie alla jusqu’à déclarer publiquement, ce qui écartait encore mieux le caractère hypothétique d’une donation en faveur du Front National : "Le choix des Lambert s’est arrêté définitivement sur nous grâce à la personnalité de Pierrette. Si les Lambert n’avaient pas reconnu en elle des qualités essentielles, si elle n’était pas ce qu’elle est, nous n’aurions peut-être pas hérité". (…)

 

Par la suite, avec sa malice habituelle, il "noya le poisson" en démontrant que le fisc lui avait tout pris, ou presque. Il oublie délibérément le plus important. L’autre "source d’eau claire", dont apparemment personne ne cherche à savoir si elle est "potable" ou pas. Je veux parler de la Suisse.

 

Il faut être un rude casse-cou pour narguer le fisc comme le fait Jean-Marie, reprochant à l’administration de l’avoir dépouillé à outrance sur ce fameux héritage Lambert en France, alors que l’essentiel de cet héritage se trouve en Suisse.

 

Il y est pour la bonne raison que les Lambert, eux aussi souhaitaient échapper au fisc (ils ne sont pas les seuls) et éviter ainsi, par le jeu des « Fondations », d’être assujetti à l’impôt.

 

Jean-Marie en bénéficiera totalement, ou presque. Il y avait certes les Philippe Lambert, mais un arrangement fut conclu, très heureux pour les deux parties…

 

Habile comme toujours, Jean-Marie fit tant et si bien qu’il ne laissa apparaître, aux yeux des jaloux et du fisc crédule, que la partie immergée de l’iceberg Lambert. Quand nous fûmes « envoyés en possession » à Saint-Cloud, nous devions découvrir des documents laissant apparaître qu’un trésor gisait en Suisse.

 

Encore fallait-il le récupérer. Depuis une vingtaine d’années, Jean-Marie usait et abusait des services gracieux d’un brillant avocat, Maître André Guibert, qui réussit l’étonnante performance de gagner trente-trois procès dans l’année contre Philippe Lambert, qui se jugeait injustement dépouillé par le testament. Maître Guibert l’accompagna, nanti du testament l’instituant légataire universel, pour faire valoir ses droits chez MM. Broccard, père et fils, gestionnaires d’une fiduciaire, Grand-Palace à Fribourg, lesquels leur révélèrent l’existence de la « Fondation Saint-Julien ».

 

Le principe des « fondations » est qu’il libère les héritiers de tous droits successoraux. Pour ce faire, il est nécessaire d’avoir recours à un notaire.

 

Jean-Marie choisit le plus averti, le plus célèbre de Genève : Maître Zyclounov, qui le remit entre les mains de Pierre Jaccoud (…), homme affable et sympathique. De surcroît fort efficace, il sut régler toutes les péripéties sans encombre et à notre avantage. Le capital de la « Fondation Saint-Julien » était composé de titres et de valeurs, d’actions, qui furent vendues dans d’excellentes conditions par des spécialistes au niveau de quatre milliards de centimes (1977) [environ 20 millions d’euros, ndlr], et le dépôt fut effectué à l’Union des Banques Suisses (…) »

 

 

- Collard, l'avocat du diable qui veut être dédiabolisé

96972447.jpgAussi, 25 ans plus tard, l’hypocrisie est totale. Après les révélations de Médiapart, feignant la surprise, Marine Le Pen affirme « attendre des explications ». Florian Philippot évoque une « affaire personnelle », comme si au FN, ce qui touche la famille Le Pen et son argent, ne concernait pas l’ensemble de l’organisation. Gilbert Collard, député FN et expert en « langue de con » qu’il pratique avec assiduité depuis longtemps affirme sur I Télé « Moi, a priori, par ma formation, tant qu'un juge ne m’a pas dit que l’infraction existe, je n’ai pas de raison d’y croire ».

 

C’est donc là que se noue une des dimensions politiques les plus grotesques du nouveau drame familial qui secoue les Le Pen, père, mère, fille, petite fille, gendre et avocat de la famille... Le film « Festen » passerait presque pour une gentille bluette. Car, chez les Le Pen et compagnie, comme pour la famille « tuyau de poêle », tout les histoires s’emboitent l’une dans l’autres. Plus ridicule encore, certains acteurs paraissent et réapparaissent parfois à des postes différents lors des différents épisodes qui se suivent. Les trahisons se succèdent, les vestes se retournent, et les adversaires d’hier se rallient avec opportunisme. Car on l'a vu, la première a évoqué l’existence d’un compte en Suisse détenu par Jean-Marie Le Pen est la propre mère de Marine Le Pen, Mme Pierrette Le Pen, à l’occasion en 1987 de son fracassant divorce avec Jean-Marie Le Pen. Plus croustillant, qui avait conseillé à Mme Pierrette Le Pen de faire cette révélation à la presse ? Réponse : Me Gilbert Collard, à l’époque avocat de Mme Le Pen mère contre Le Pen père. Et c’est à cette occasion, selon qu'ils en disent eux mêmes publiquement, que Marine Le Pen et Gilbert Collard se lièrent d’amitié et devinrent complices, ce qui en dit long sur le fait que la fille ne faisait en réalité pas reproche à sa mère (et son avocat) sur les « révélations publiques » de l’existence de ce compte en Suisse.

 

 

- Où l'INA ne sert pas uniquement à payer des notes de taxi...

En 2015, Marine Le Pen prétend demander des explications à son père. Serait-elle amnésique ? Ou nous prend elle pour des "crétins" ? Le mieux est qu’elle les demande à sa mère ou à Gilbert Collard. Mais, elle connaît déjà les réponses.

 

L’extrait qui suit, puisé dans les archives de l’INA, et datant de 1987 est éclairant.

- Ils ont toutes les tares de la Ve République... en pire

Pour conclure et compléter le tableau, faut-il rappeler que c'est l'avocat M. Philippe Péninque, amie de Marine Le Pen, qui a ouvert le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac qui avait fait scandale ? Ce même Péninque, ancien du GUD, aida longtemps les services financiers du FN aux côtés de l'actuelle présidente. Là encore, cette présence de proche des le Pen dans ces différents scandales financiers qui éclabousse la Ve République est éclairante. A l'extrême droite, on déteste toujours l'oeuvre de Jean-Paul Sartre, mais on connait les Mains sales... et pour nous c'est La Nausée.

 

Cumul des mandats, double discours, népotisme, opacité, fraudes fiscales… la famille Le Pen et les autres têtes folles qui composent leur entourage au FN accumulent depuis des décennies toutes les tares de la Ve République finissante.

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28 avril 2015 2 28 /04 /avril /2015 08:09
Portugal : la Révolution des Oeillets du 25 avril 1974

Sources : le Parti de Gauche Midi-Pyrénées le 25 mars 2015 par Ugo Palheta

1 - Il y a 40 ans : grandeurs et limites de la Révolution portugaise

Le 25 avril, le Portugal fête le quarantième anniversaire de la «  Révolution des œillets  ». Dernier exemple d’un soulèvement populaire et radical dans le monde occidental, elle fit tomber la plus vieille dictature d’Europe et s’approfondit jusqu’à menacer le pouvoir de la bourgeoisie.

 

Alors que l’offensive capitaliste s’accélère dans toute l’Europe, et en particulier dans les pays d’Europe du sud, c’est là un spectre bien encombrant pour la classe dirigeante portugaise et pour la troïka (Commission européenne, BCE et FMI), qui ne craignent rien tant qu’une irruption des classes populaires sur la scène politique et sociale.

 

D’avril 1974 à novembre 1975, la classe ouvrière portugaise va ainsi chercher à briser l’appareil d’Etat hérité du régime salazariste et à inventer les voies d’un socialisme démocratique, dans des conditions d’arriération économique et de répression politique léguées par une dictature qui se sera maintenue plus de quarante ans. S’enracinant en partie sur le terrain des contradictions propres au colonialisme portugais, la révolution s’ouvre le 25 avril 1974 par une révolte de capitaines organisés dans le cadre du Mouvement des forces armées (MFA), avant de se radicaliser par bonds – à travers l’auto-organisation croissante dans les entreprises et les quartiers, parmi les soldats et les paysans – en réponse aux tentatives successives de la classe dominante d’en arrêter le cours.

 

Il faudra toute la détermination contre-révolutionnaire de la bourgeoisie, s’appuyant sur les fractions conservatrices de l’armée et le pouvoir idéologique de l’Eglise, pour faire refluer la combativité populaire et la montée d’une large conscience anticapitaliste. La responsabilité en revient également aux deux grands partis de la gauche portugaise, à des titres différents  : là où le Parti socialiste (PSP) assumera pleinement la tâche de gérer loyalement les intérêts de la bourgeoisie et de maintenir les structures de l’Etat capitaliste, le Parti communiste (PCP) consacrera une grande partie de son énergie à détourner le prolétariat de toute action politique autonome et à limiter les objectifs de lutte, cherchant à saper l’audience croissante des groupes d’extrême gauche (maoïstes et trotskystes).

 

 

- Une révolution qui vient de loin

Une révolution n’est jamais un éclair dans un ciel serein  ; elle s’annonce à travers de multiples indices avant-coureurs qui, le plus souvent, ne deviennent lisibles en tant que tels qu’après-coup, une fois le soulèvement populaire amorcé.

 

Cette difficulté à interpréter les modifications silencieuses du rapport de forces et les soubresauts de la colère populaire explique pourquoi les organisations authentiquement révolutionnaires sont rarement à l’initiative durant les premiers moments d’une révolution et peuvent éprouver les plus grandes peines à conquérir une influence au sein des mouvements de masse, en particulier lorsqu’ils sont confrontés à des partis mieux structurés, disposant de moyens financiers supérieurs, d’un accès régulier aux grands médias et d’une audience acquise de longue date.

 

La Révolution portugaise prend racine dans la crise du régime salazariste. Dictature fasciste s’appuyant sur une idéologie réactionnaire dont s’inspirera le régime de Vichy, l’Estado novo présente des traits originaux par rapports aux fascismes mussolinien et hitlérien, qui permettent d’en expliquer à la fois la longévité et la faiblesse au moment de sa crise du début des années 1970.

 

Si le régime fondé en 1933 par Salazar [1] se maintient aussi longtemps, c’est qu’il est parvenu à unir les différentes fractions de la classe dominante portugaise autour d’un projet politique fondé sur la répression de toute opposition syndicale et politique [2], assurant la surexploitation du prolétariat et la défense de la grande propriété foncière, mais aussi sur le maintien d’une domination coloniale particulièrement brutale.

 

Néanmoins, contrairement aux dictatures mussolinienne et hitlérienne, l’avènement et l’installation de cette dictature n’est pas le produit d’une radicalisation politique de la petite bourgeoisie ou d’une fraction de la bourgeoisie, s’exprimant dans des partis fascistes de masse combattant les organisations de la classe ouvrière. Ce n’est qu’une fois l’appareil d’Etat mis en place par Salazar que celui-ci jugera opportun de développer un parti unique – l’Union nationale, devenue plus tard l’Action nationale populaire – qui n’eut jamais la vigueur et l’autonomie du Parti nazi (NSDAP) en Allemagne.

 

Non seulement le régime ne parvient pas réellement à susciter une adhésion de masse à sa politique, mais la bourgeoisie demeure incapable de se structurer de manière autonome dans le champ politique. Cela explique en partie l’hébétement de cette dernière dans la période postérieure au 25 avril 1974, incapable de trouver une solution capitaliste à la crise politique ouverte par la révolte des capitaines.

 

Mais ce sont essentiellement les guerres coloniales, engagées en 1961, qui vont bousculer les équilibres internes à l’Estado novo, en se nouant à la crise du régime ouverte par la candidature à l’élection présidentielle du général Humberto Delgado en 1958. Celui-ci parvient à unifier sur son nom l’opposition antifasciste, restructurée et revivifiée après la Deuxième Guerre mondiale, mais l’élection se solde par une fraude électorale massive et par l’assassinat, en 1965, de Delgado.

 

Le régime se présente alors à tous sous son jour véritable  : une dictature violente, réprimant par le meurtre, l’emprisonnement ou l’exil toute velléité d’opposition ou d’autonomie. Rapportées à la taille du pays, les guerres en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau vont coûter en vies humaines et en argent le double de ce que représenta la guerre du Vietnam pour les Etats-Unis [3], traduisant la violence inouïe d’un régime s’accrochant à ses possessions coloniales.

 

 

- La dictature et ses contradictions

Non seulement l’armée portugaise commence à subir des défaites face aux mouvements de libération nationale, poussant l’Estado novo à accroître fortement ses dépenses militaires (et limitant de facto les investissements publics dans la métropole). Mais ces guerres finissent par susciter une importante lassitude dans l’armée, du côté des soldats et des officiers composant la hiérarchie intermédiaire, mais aussi dans la population. S’ajoutant à la misère et à la répression, le refus d’aller combattre pour défendre les colonies sera à l’origine d’un énorme mouvement d’émigration  : au début des années 1970, près d’un quart du peuple portugais se trouve à l’étranger.

 

A partir de septembre 1973, des capitaines s’organisent pour formuler des revendications d’abord strictement professionnelles et corporatistes, mais qui vont rapidement s’élargir jusqu’à poser la question du maintien de la dictature fasciste. Le MFA naîtra ainsi des échecs de la guerre coloniale et de la frustration sociale de ces «  cadres moyens  » de l’armée, mais aussi de la pression que commencent à exercer les luttes ouvrières, paysannes et étudiantes au Portugal.

 

Alors dirigé par Marcelo Caetano [4], le régime se caractérise au début des années 1970 par un haut niveau de déséquilibres économiques et de tensions sociales. Devenu dépendant des capitaux étrangers en raison des guerres coloniales et de son intégration en 1960 à l’AELE [5] (qui précède un accord de libre-échange avec la CEE signé en 1973), le Portugal occupe une position dominée dans la division internationale du travail, et ne peut faire valoir comme «  avantage comparatif  » aux 
capitaux impérialistes qu’une répression violente de la classe ouvrière, permettant d’abaisser artificiellement les salaires.

 

Se développe une industrie d’exportation, qui coexiste avec le maintien d’une agriculture largement archaïque, reposant – notamment dans l’Alentejo – sur d’immenses domaines possédés par des latifundistes faisant régner l’ordre dans les campagnes. Le Portugal connaît un développement industriel réel  : le secteur secondaire occupe, en 1969, 35,5 % de la population active, contre 26,5 % en 1950). De même, la part des travailleurs salariés – incluant ouvriers, employés, techniciens, etc. – passe de 53,6 % à 74,7 % de la population active, atteignant 82,3 % à Porto et 86,5 % à Lisbonne.

 

La modernisation capitaliste de l’économie portugaise favorise ainsi l’émergence d’une classe ouvrière urbanisée et qui, au fil de ses luttes, prend conscience de sa force et s’organise (l’Intersyndicale regroupe en 1970 deux millions de 
travailleurs). Les années 1968-1969 sont le théâtre de mouvements revendicatifs de grande ampleur dans les principales concentrations ouvrières  : transports urbains, TAP (compagnie aérienne), Lisnave (chantiers navals), métallurgie, automobile, conserverie, etc. On voit également éclater des luttes dans la jeunesse mais aussi parmi les paysans de l’Alentejo, qui dès 1962 étaient parvenus à conquérir la journée de 8 heures grâce à la mobilisation de 300 000 ouvriers agricoles.

 

 

- 25 avril 1974  : action militaire et irruption populaire

C’est dans ce contexte que le MFA est créé clandestinement en mars 1974, dans une indépendance relative à l’égard de la haute hiérarchie militaire. Composée pour l’essentiel d’officiers subalternes et traversée par l’ensemble des courants de l’opposition antifasciste (des démocrates libéraux à l’extrême gauche en passant par la social-démocratie ou le PCP), c’est cette organisation qui va préparer puis exécuter avec succès l’initiative militaire du 25 avril.

 

A 0h25, la célèbre chanson «  Grandôla, Vila Morena  » – interdite par le régime – est diffusée sur «  Radio Renaissance  » pour annoncer le lancement de l’action. Vers 3 heures du matin, les locaux des principales radios sont occupés, qui permettront de diffuser une série de communiqués dans les heures qui suivent, de même que les aéroports de Lisbonne et Porto. Les quartiers généraux des régions militaires des deux grandes villes, mais aussi les ministères, les bureaux de la police (PSP) et la banque du Portugal, sont assiégés par les troupes dirigées par le MFA.

 

Un ultimatum est adressé à Caetano qui, réfugié dans la caserne du Carmo au centre de Lisbonne, n’accepte de se démettre qu’à 16h30, exigeant de remettre la direction du pays à un officier supérieur, qui ne faisait pas partie du MFA, afin que le pouvoir «  ne tombe pas dans la rue  »  : Antonio de Spinola, un général démis de ses fonctions deux mois auparavant en raison de son opposition (très mesurée) à la politique du régime dans les colonies.

 

Néanmoins, on ne saurait réduire le 
25 avril ni à un simple putsch, dans lequel certains virent la main de la CIA ou du groupe Bilderberg, ni même à une succession d’opérations militaires bien menées. C’est que la population portugaise descend spontanément dans la rue dès l’aube pour soutenir l’action du MFA (allant jusqu’à offrir des œillets aux militaires), fêter la fin de la dictature et veiller à ce que cette victoire ne lui soit pas volée, contredisant les communiqués du MFA qui l’invitaient à «  garder son calme et à rentrer chez elle  ».

 

Un capitaine du MFA, Maia de Santarem, a d’ailleurs déclaré après-coup  : «  Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait faire quelque chose, parce que si nous ne le faisions pas, ce serait la population qui le ferait. Nous avions le sentiment que nous étions en train de marcher vers un abîme et que cet abîme aboutirait à une guerre civile où le peuple prendrait les armes  ». Même si cela ne reflète sans doute pas la gamme très variée des opinions au sein du MFA, il paraît clair que celui-ci n’avait ni prévu l’ampleur des manifestations de rue ni souhaité une telle irruption populaire.

 

Les militaires insurgés n’ont pas pu faire sans le peuple portugais, qui a d’emblée manifesté un grand esprit d’initiative en cherchant à mettre à bas l’appareil répressif du régime, aussi détesté qu’imposant [6]. Ainsi s’est affirmé un «  25 avril d’en bas  » [7]  : les manifestants à Lisbonne se réunissent devant la caserne de la GNR (Garde nationale républicaine) où s’était réfugié Caetano, assiègent le quartier général de la PIDE (qui tire sur la foule) et les locaux du parti unique, envahissent et mettent à sac l’immeuble de la censure, encerclent la prison de Caxias jusqu’à obtenir la libération de l’ensemble des prisonniers politiques (y compris de ceux que Spinola voulait maintenir enfermés en raison des attentats qu’ils avaient commis).

 

Presque partout dans le pays on assiste aux mêmes scènes de liesse, traduisant l’euphorie de voir enfin la dictature tomber, mais aussi la vigilance populaire contre une transition qui se contenterait de troquer un personnel dirigeant pour un autre en maintenant intacts les instruments de répression et de censure. Le peuple lisboète ne parviendra toutefois pas à éviter que Caetano s’enfuie tranquillement, escorté par les militaires du MFA, et laisse le pouvoir au général Spinola.

 

 

- Luttes de classe dans la révolution portugaise

Spinola est alors le dirigeant sur lequel compte la bourgeoisie portugaise, sa trajectoire personnelle rassurant tous ceux qui n’aspirent qu’à un polissage du régime et à une meilleure intégration du capital portugais au marché mondial, en somme une révolution sans révolution. Engagé volontaire aux côtés des franquistes durant la guerre civile espagnole (1936-39) puis avec les troupes nazies sur le front Est au moment de la bataille de Stalingrad, loyal serviteur de l’Estado novo dans ses guerres coloniales (ce qui lui assure le soutien des sommets de la hiérarchie militaire), proche des milieux financiers portugais pour avoir fréquenté les salons de la riche famille capitaliste Champalimaud, Spinola apparaît alors à la classe dominante comme la seule solution pour maintenir le calme dans le pays.

 

Et c’est effectivement à limiter la combativité populaire, qui se déploie dans les jours suivant le 25 avril (en particulier lors de la manifestation du 1er mai qui réunit entre 300 000 et 500 000 personnes), que va s’employer le «  général au monocle  ». Non seulement Spinola va échouer, mais ses tentatives d’accroître son pouvoir pour empêcher la décolonisation et réprimer les grèves qui se multiplient aux mois de mai-juin 1974, vont aboutir à des mouvements de masse d’ampleur croissante. Le 16 mai 1974, le 28 septembre de la même année et le 11 mars 1975, les classes dominantes subissent des défaites retentissantes qui finissent par contraindre Spinola à s’enfuir en Espagne, où il fonde une organisation d’extrême droite se donnant pour objectif d’imposer un régime autoritaire.

 

Le 11 mars, la tentative de putsch est repoussée par la population qui forme des piquets devant les casernes, par les soldats et l’aile gauche du MFA qui s’organisent pour repousser les attaques des putschistes et par les travailleurs qui se mettent en grève partout dans le pays, à l’appel de l’Intersyndicale (qui organise par ailleurs des manifestations très suivies dans la soirée). Cette victoire populaire constitue un tournant dans la révolution  : non seulement l’échec du spinolisme laisse la bourgeoisie sans solution politique ni perspective stratégique (au moins provisoirement), mais les travailleurs portugais prennent confiance et se politisent.

 

D’avril 1974 à novembre 1975, les travailleurs portugais vont ainsi renouer avec les traditions combatives d’un mouvement ouvrier qui, sous la Première République (de 1910 à 1926), avait organisé pas moins de 158 grèves générales (près de 10 par an  !), avant d’être brutalement réprimé après le coup d’Etat militaire de 1926. Même si la montée d’une conscience anticapitaliste demeure très inégale d’un secteur d’activité à l’autre et d’une région à l’autre, l’auto-organisation progresse indéniablement.

 

Dès le mois de mai 1974 sont organisées des occupations de maisons ou d’appartements vides par des familles pauvres, avant que des commissions d’habitants (moradores) se développent dans les villes. A la campagne, en particulier dans l’Alentejo, les ouvriers agricoles s’organisent pour arracher une véritable réforme agraire. Sur les lieux de travail, grèves et occupations s’accompagnent de la formation de commissions de travailleurs. Enfin, on voit émerger en août 1975 les comités SUV («  Soldats unis vaincront  »), qui cherchent à favoriser l’auto-organisation et la politisation des soldats.

 

Ces initiatives demeurent minoritaires et ne sont pas structurées nationalement, si bien qu’on ne saurait parler d’une situation de «  double pouvoir  » sans prendre ses désirs pour la réalité. Auraient-elles pu constituer un embryon de pouvoir populaire  ? Sans doute, si du moins elles n’avaient été affaiblies par le sectarisme de certains mouvements maoïstes, et par l’hostilité des organisations réformistes, en particulier le PCP qui bénéficiait de loin de l’implantation la plus solide dans le monde du travail et dans les syndicats, n’acceptant de participer aux commissions de travailleurs que par crainte de perdre du terrain face à une extrême gauche dont l’audience était croissante.

 

Reste que les commissions de travailleurs, d’habitants et de soldats non seulement traduisent la radicalisation des mouvements de masse, en réponse aux velléités contre-révolutionnaires des classes dominantes, mais rappellent que la confrontation avec la bourgeoisie et son Etat ne peut s’engager favorablement que si la classe des exploités et des opprimés parvient à se doter, au cours même de la crise révolutionnaire, d’instruments démocratiques de lutte capables de se muer en organes d’un pouvoir alternatif à l’Etat capitaliste, du local au national.

 

 

- Les classes dominantes reprennent la main

L’hypothèque Spinola étant levé par la victoire du 11 mars, c’est en grande partie au sein du MFA – dont le prestige acquis le 25 avril reste très important tout au long de l’année 1975 – que vont se nouer les contradictions sociales et politiques ayant émergé du processus révolutionnaire, et que va se poser la question du pouvoir. En effet, le MFA prétend à la direction du processus et s’institutionnalise en mars à travers la création du Conseil de la révolution, et opère un tournant à gauche.

 

Sous la pression des travailleurs, le Conseil des ministres décide en effet une réforme agraire (qui reste très partielle mais va s’accompagner d’une multiplication des occupations de terres) et décrète, de mars à août, une série de nationalisations dans des secteurs clés de l’économie portugaise (banques, assurances, électricité, transports, sidérurgie, compagnies pétrolières, tabacs, cimenteries, etc.), sans que soient toutefois posées les questions décisives, du point de vue révolutionnaire, de l’indemnisation des anciens propriétaires et du contrôle des travailleurs sur la gestion des entreprises nationalisées.

 

Il serait trop long de revenir ici sur les mois qui séparent ce tournant à gauche dans la révolution et le putsch des 25 et 26 novembre 1975, mené par les fractions de droite et d’extrême-droite de la hiérarchie militaire et du MFA, en liaison avec le PSP, les partis bourgeois ainsi que le président Costa Gomes. L’initiative intervient après une accélération des luttes ouvrières, qui commencent à échapper au contrôle des appareils réformistes.

 

En particulier, le 12 novembre, une manifestation d’ouvriers du bâtiment encercle l’Assemblée nationale, séquestre les députés durant 36 heures jusqu’à ce que ces derniers accèdent à leurs revendications. Le 16 novembre, une manifestation appelée par les commissions et soutenue par le FUR (Front d’unité des révolutionnaires) et le PCP, réunit 100 000 personnes à Lisbonne. La bourgeoisie comprend que seul un coup de force pourrait lui permettre de modifier le rapport de forces en sa faveur, évitant préventivement une éventuelle insurrection populaire.

 

Sans les atermoiements de la gauche du MFA, qui bénéficiait pourtant d’une large supériorité militaire, et sans le refus du PCP de lancer une contre-offensive ouvrière, le putsch n’aurait sans doute pas abouti ou aurait conduit à une situation de confrontation militaire et politique. Dès le 25 novembre, l’état de siège est décrété et la publication de la presse interdite, les putschistes occupent quelques points stratégiques mais ne parviennent pas à prendre la caserne de la police militaire (dominée par l’extrême gauche).

 

Plutôt que d’accepter le combat et de lancer leurs forces dans l’action, les leaders de la gauche du MFA se rendent au palais présidentiel pour négocier leur propre reddition. La révolution portugaise ne se relèvera pas d’un tel coup d’arrêt  : la bourgeoisie reprend confiance dans ses propres forces, s’appuyant sur le PSP pour assurer la normalisation et en finir avec les embryons de pouvoir populaire qui avaient émergé dans les mois précédents.

 

 

- «  Les œillets sont coupés  » [8]

En dernier ressort, c’est sans doute à la fois dans les avancées et les limites des formes d’auto-organisation qu’il faut chercher les raisons du succès de la reprise en main par les classes dominantes. Les commissions de base (et les partis d’extrême gauche) étaient trop faibles pour faire ce que le PCP ne voulait pas faire, à savoir résister à une offensive visant à rétablir l’autorité pleine et entière de l’Etat, mais trop développées pour ne pas effrayer la bourgeoisie, les partis de la gauche réformiste (PSP et PCP) et la gauche du MFA, cette dernière restant attachée à la hiérarchie militaire et s’opposant frontalement à tout mouvement d’organisation des soldats.

 

Rien ne le montre mieux que les propos de Mario Soares, principal dirigeant du PSP, qu’il vaut la peine de citer longuement pour mesurer la peur, le mépris et la violente hostilité que manifestent les chefs réformistes à l’égard des travailleurs lorsque ces derniers cherchent à s’organiser eux-mêmes, en se passant des professionnels de la politique  :

 

«  En ville, […] on s’arrêtait de produire pour un oui ou pour un non, une assemblée, une discussion ou une ‘‘manif’’… A la campagne – dans l’Alentejo essentiellement – on confondait réforme agraire et anarchie, on occupait partout des terres qui ne devaient pas l’être […]. Il était temps de remettre de l’ordre, avant que d’autres ne s’en chargent sous la férule d’un Pinochet providentiel. […] A quoi rimait donc cette pagaille monstre, cette indiscipline, cette subversion généralisée  ? Que venaient faire dans le Portugal de 1975 ces soviets de soldats et de marins sortis tout droit des garnisons de Petrograd et de Cronstadt […]  ? Où nous menait cette anarchie  ? Comment ne pas voir, ne pas comprendre la rage de la plupart des officiers devant des bidasses débraillés qui saluent poing levé  ?  »[Mario Soares, Portugal  : quelle révolution  ? Entretiens avec Dominique Pouchin, Paris, Calmann-Lévy, 1976, pages 183-185.]].

 

La régression qui suivra les journées décisives de novembre 1975 sera aussi rapide que profonde. Non seulement les acquis de la révolution sont remis en cause, mais la droite revient au pouvoir dès 1979 en la personne de Sa Carneiro, qui s’était distingué avant la révolution par son appartenance au parti unique, ce qui lui valut d’être élu député sous Caetano.

 

Pire, le général Spinola est réhabilité dès 1978, élevé au titre de maréchal et nommé président de la commission chargée d’organiser la commémoration officielle du 10e anniversaire d’une révolution populaire dont il n’a jamais voulu. A l’opposé, celui qui avait dirigé l’action militaire du 25 avril 1974 et fut ensuite la grande figure de la gauche du MFA, Otelo de Carvalho, est condamné en 1987 à 15 ans de prison pour sa participation supposée à une organisation clandestine armée (les Forces populaires du 25 avril).

 

Les destins croisés de ces deux personnages marquants de la Révolution portugaise suffisent à mettre en pleine lumière la réaction thermidorienne qui succède au putsch du 26 novembre 1975, une réaction dont l’ampleur est à la mesure d’une révolution qui effraya la classe dominante portugaise et ébranla l’Europe durant un an et demi.

 

Notes

[1] D’abord ministre des Finances en 1929, suite au coup d’Etat militaire de 1926, Salazar devient président du Conseil à partir de 1932, poste qu’il occupera jusqu’en 1968.

[2] Alors que la CGT portugaise –dirigée à l’époque par les anarchistes – revendiquait 120 000 membres au début du 20e siècle, elle ne comptait plus que 15 000 adhérents en 1940. Dans le champ politique, le PSP – créé en 1875 – fut réduit à néant  ; quant au PCP, il ne comptait plus que 29 adhérents en 1929 selon Alvaro Cunhal, secrétaire général de 1961 à 1992.

[3] Francisco Louça, «  Il y a dix ans, le 25 avril 1974, la chute de la dictature  », Inprecor, avril 1984, n° 172, page 17.

[4] Celui-ci avait succédé en 1968 à Salazar, gravement malade, au poste de Premier ministre.

[5] Zone de libre-échange composée de la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège, le Danemark, l’Autriche et la Suisse.

[6] La police politique (PIDE) était composée de 22 000 agents et de 200 000 informateurs, ce qui représentait environ un Portugais sur quarante.

[7] Sur ce point, voir le livre très riche – mais dont l’orientation politique est contestable – de Gérard Filoche (alors militant de la LCR), Printemps portugais, Paris, Actéon, 1984.

[8] On reprend ici le titre du bel ouvrage de Charles Reeve (de son vrai nom Jorge Valadas), militant libertaire portugais  : Les œillets sont coupés. Chroniques portugaises, Paris, Editions Paris-Méditerranée, 1999.

* * Paru dans la Revue L’Anticapitaliste n°53 (avril 2014). http://npa2009.org/

 

Portugal : «Otelo», le stratège de la Révolution des Œillets qui a fait tomber la dictature salazariste, est mort

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2 - Portugal De la révolution (1974) à la désillusion

Tôt, le 25 avril 1974, au Portugal[9] , des capitaines en rupture avec le système de Salazar[10] se révoltent et prennent le pouvoir. La voix calme d’un mystérieux « Commandement du Mouvement des Forces armées » transmise par les radios de Lisbonne, Renascenta et Radio Clube[11] donnant le signal de la révolte aux capitaines mutins, exhorte les gens à rester chez eux et à garder leur calme.

 

C’est compter sans les sentiments de la population. Ne tenant aucun compte de ces conseils, répétés à intervalles réguliers, ils envahissent les rues et les places en se mêlant aux militaires. Le Premier ministre Marcelo Caetano se réfugie dans la principale caserne de gendarmerie de Lisbonne où un jeune capitaine de cavalerie, Salgueiro Maia, accepte sa reddition.

 

Caetano, qui avait succédé en 1968 au dictateur Antonio Salazar, victime d’une attaque cérébrale (1899-1970), demande à remettre le pouvoir au général Antonio Spinola « pour qu’il ne tombe pas dans la rue ». Puis le successeur du dictateur, est mis dans un avion avec un aller simple pour le Brésil. Seule la PIDE, la redoutable police politique qui a entretenu la terreur durant cinquante ans de salazarisme, oppose une résistance qui fera six morts. Elle est réduite durant la nuit. Toute la journée, une foule énorme s’est massée au centre-ville, près du marché aux fleurs, pour appuyer les rebelles de l’armée. Ce 25 avril 1974, c’est la saison des oeillets.

 

Le lendemain, Spinola, le « général au monocle », annonce la formation d’une Junte de salut national sous sa présidence, et lit la proclamation du Mouvement des Forces armée (MFA) qui propose de rendre le pouvoir aux civils après des élections libres et de mener la politique des « trois D » : démocratiser, décoloniser et développer.

 

Pour le Portugal, la page est tournée presque sans effusion de sang. Indissociablement liées, la démocratisation et la décolonisation allaient être accomplies avec le concours des partis politiques :

  • le Parti communiste, seul doté de fortes assises dans le pays, dirigé dans la clandestinité par Alvaro Cunhal ;
  • le Parti socialiste, créé en Allemagne en 1973 par Mario Soares[12] ;
  • ainsi que les nouveau-nés : Parti social démocrate (PSD, libéral) et le Centre démocratique social (CDS,droite). Rentrés d’exil, Soares et Cunhal vont célébrer ensemble, dans une ambiance fraternelle, la première fête du 1er mai non interdite.

 

Le sort de la révolution se noue durant l’année 1975. D’un côté, le général Spinola cherche à gagner du temps dans les colonies africaines. Modernisant un vieux mythe salazariste, il verrait bien le maintien de " l’empire portugais " sous forme d’une fédération. De l’autre, Mario Soares commence à parler du " socialisme du possible ". Entendez la mise en place d’un Portugal au capitalisme rénové, tourné vers l’Europe.

 

Les communistes appuyés sur les mouvements populaires dans la région de Setubal, dans l’Alentejo et au sein de l’armée, veulent consolider les conquêtes démocratiques par des conquêtes économiques et sociales. Enfin, au sein d’une armée délivrée de sa hiérarchie salazariste, les surenchères de gauche, pour ne pas dire gauchistes, font florès. Les affrontements les plus durs portent notamment sur la mise en place ou non d’un syndicat unique. Les socialistes s’affrontent durement sur cette question avec certains secteurs du MFA (Mouvement des Forces armées : mouvement des militaires fidèles au 25 avril). Maria de Lourdes Pintasilgo (elle fut premier ministre durant quelques mois a l’époque où le général Eanes était président de la République) juge durement cette époque .

 

La tentative de coup de force du général Spinola, le 25 novembre 1975, marque la fin de la première époque. Les formations de droite, organisées ou non, sont battues comme en témoigne la grande vague de nationalisations des banques et, dans la foulée, des terres et de l’essentiel des grandes entreprises portugaises. S’ouvre une ère de provocations en tout genres. Elles vont conduire à la chute des gouvernements nettement marqués à gauche du général Gonçalves, à la division et à l’extinction du MFA, et enfin à la mise en place d’un système politique et économique oscillant entre une droite réputée modérée et un socialisme menant une politique libérale bien tempérée. A la fin des années soixante-dix, l’économie portugaise est restructurée pour la préparer à l’adhésion à l’Europe de 1986. Dans le même temps, des révisions successives de la Constitution la vident de toutes ses conquêtes sociales (nationalisations, réforme agraire, contrôle des banques, droit d’interventions des salariés dans la gestion, etc.)...

 

Notes :

[9] ; Portugal : officiellement République portugaise (en portugais, Répública portuguesa), pays du sud-ouest de l’Europe situé sur la façade atlantique de la péninsule Ibérique, bordé, au nord et à l’est, par l’Espagne et, au sud et à l’ouest, par l’océan Atlantique, où se trouvent les archipels portugais des Açores et de Madère. La superficie totale du pays est de 92 072 km2. Sa capitale est Lisbonne.

[10] ; António de Oliveira Salazar, (1889-1970), homme d’État portugais qui, de 1932 à 1968, régna en dictateur sur le Portugal étudia le droit et devint en 1918 professeur d’économie politique à l’université de Coimbra. En 1926, il se vit proposer le poste de ministre des Finances par la junte militaire qui venait de s’emparer du pouvoir sous la conduite du général Carmona, mais il le refusa, faute d’obtenir les pouvoirs spéciaux qu’il exigeait. Il l’accepta en 1928, après qu’on lui eut partiellement donné satisfaction. En un an, il équilibra le budget national et, peu de temps après, régla la dette étrangère. Nommé président du Conseil en 1932, il fonda le « Nouvel État » (Estado Novo), imposant une dictature dotée d’un parti unique et s’appuyant sur l’armée et l’autorité morale de l’Église. Fort également de l’appui des grands propriétaires terriens, des banquiers et des industriels, il résista à toute évolution sociale et politique et s’attacha à réprimer les mouvements nationalistes dans les possessions portugaises d’Afrique. Il soutint le général Francisco Franco pendant la Guerre civile espagnole et, pendant la Seconde Guerre mondiale, il défendit la neutralité du Portugal. Victime d’une hémorragie cérébrale en 1968, il dut abandonner le pouvoir à son ancien collaborateur Marcello Caetano. Son régime ne lui survécut pas longtemps ; en avril 1974, un groupe d’officiers, las de lutter contre les mouvements indépendantistes outre-mer, balayait l’Estado Novo.

[11] ; Communiqué du 25 avril 1974 à 04h26 le Présentateur Joaquim Furtado a fait la lecture de la première notification officielle du MFA, aux micros de la radio clube portugais :

"Aqui posto de comando do Movimento das Forças Armadas.As Forças Armadas portuguesas apelam para todos os habitantes da cidade de Lisboa no sentido de recolherem a suas casas, nas quais se devem conservar com a máxima calma. Esperamos sinceramente que a gravidade da hora que vivemos não seja tristemente assinalada por qualquer acidente pessoal, para o que apelamos para o bom senso dos comandos das forças militarizadas no sentido de serem evitados quaisquer confrontos com as Forças Armadas. Tal confronto, além de desnecessário, só poderia conduzir a sérios prejuízos individuais que enlutariam e criariam divisões entre os portugueses, o que há que evitar a todo o custo.Não obstante a expressa preocupação de não fazer correr a mínima gota de sangue de qualquer português, apelamos para o espírito cívico e profissional da classe médica, esperando a sua acorrência aos hospitais, a fim de prestar eventual colaboração, que se deseja, sinceramente, desnecessária."

Résumé bref : le commandant du mouvement des forces armées appèle la population a resté chez elle pour éviter toute confrontation avec les forces armées car cela pourrait créer des divisions entre les Portugais et faire couler le sang inutilement. De plus l’armée demande aux médecins si ils veulent apporter leur contribution aux Hôpitaux.

Chanson de José Afonso qui fut le signal du début de la révolution

Grândola, vila morena Terra da fraternidade, O povo é quem mais ordena Dentro de ti, ó cidade

[12] ; Mario Soares, (1924- ), chef d’État portugais, dirigeant du Parti socialiste portugais (PSP), Premier ministre (1976-1978, 1983-1985), et président de la République depuis 1986. Il naquit à Lisbonne et fit ses études à l’université de Lisbonne et à la faculté de droit de la Sorbonne, à Paris. Au sein du parti communiste, puis du parti socialiste dont il devint le secrétaire général en 1973, il fut l’un des principaux dirigeants de l’opposition démocratique face aux régimes d’António de Oliveira Salazar puis de Marcello Caetano. Emprisonné 12 fois, banni en 1968, il vécut en France en exil. En 1974, il revint au Portugal après le soulèvement d’avril et fut ministre du gouvernement provisoire, s’opposant à la confiscation du pouvoir par les communistes. Il accéda en 1976 au poste de Premier ministre à la suite de la victoire du parti socialiste, poste qu’il conserva jusqu’en 1978. Les élections de 1983 le ramenèrent au pouvoir ; il put alors s’engager en faveur de l’adhésion de son pays à la Communauté économique européenne. Il fut élu président de la République en 1986 et réélu en 1991.

 

Pour en savoir plus :

- Il y a 40 ans, "la révolution des Oeillets"

- La « révolution des œillets » – Il y a 40 ans au Portugal

- Portugal 1974 : Première révolution du 21ème siècle

- Portugal : la Revolution des Oeillets du 25 avril 1974

- 25 novembre 1975 : retour sur le jour qui stoppa le processus révolutionnaire portugais

Otelo Saraiva de Carvalho le stratège de la Révolution des Œillets qui a fait tomber la dictature salazariste, est mort

Portugal : la Révolution des Oeillets du 25 avril 1974
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23 avril 2015 4 23 /04 /avril /2015 08:09
Il faut en finir avec le PS

Sources : Reporterre le quotidien de l'écologie le 30/04/2015 par Hervé Kempf

Jusqu’à quand va-t-on parler de « la gauche » à propos du PS ? Jusqu’à quand cette immense tromperie va-t-elle se poursuivre ? Jusqu’à quand va-t-on confondre les électeurs « de gauche » avec le parti vers lequel ils portent leurs voix - de moins en moins, certes - parce qu’évidemment, on ne peut pas voter pour le Front national et pas davantage pour l’UMP ?

 

Il est temps, alors qu’une fois de plus, le gouvernement présidé par M. Hollande vient de prendre une déculottée électorale et d’ouvrir grandes les portes du pays au binôme Front National-UMP, de mettre un terme au hold-up opéré par les fidèles domestiques du néo-libéralisme sur « le peuple de gauche » - et sur les écologistes. De dire que le PS est devenu l’obstacle au renouveau de la politique, à une transformation écologique de la France et de l’Europe, à un avenir qui ne serait pas celui des matraques et de la chasse aux immigrés.

 

Est-il besoin de rappeler la politique constamment favorable aux grandes entreprises et aux banques menée par les gouvernements de MM. Ayrault et Valls sous la houlette de François Hollande ? La soumission sans broncher aux diktats d’une Commission présidée maintenant par l’ex-premier ministre du premier paradis fiscal du monde ? Une politique agricole soumise aux intérêts du président d’une multinationale agro-alimentaire, Avril-Sofiproteol ? L’acceptation sans hésiter du traité de libre-échange transatlantique, dit TAFTA ? Un assaut continu contre toutes les normes et règles environnementales ? L’obstination à imposer des grands projets inutiles, à Notre Dame des Landes, à Roybon, à Sivens ? L’usage délibérément violent d’une police contre les mouvements sociaux, et l’homicide d’un jeune militant écologiste ?

 

Le gouvernement n’est pas de gauche. Le PS n’est pas de gauche. Ce parti est devenu le supplétif du néo-libéralisme. Il est nuisible. Il a passé son temps historique. Il est temps d’en finir avec le PS.

 

 

- La grande convulsion de l’époque

Notre époque est entré en convulsion. Elle vit la sortie d’une révolution industrielle qui aura duré trois siècles, qui aura bouleversé le monde, mais dont les apports incontestables à l’humanité s’appuient sur un saccage écologique qui menace la possibilité d’une paix durable. Il s’agit de transformer notre relation à la nature, de combler l’inégalité insupportable qui divise l’humanité, d’apprendre la modération matérielle indispensable pour que neuf milliards d’humains co-existent en bonne entente.

 

Cette grande transformation forme le fond des choix politiques que nous avons à opérer. Elle est difficile. Et au fond, deux voies seulement s’offrent à nous : la voie écologique, et la voie du refus de la mutation. Il est clair que le PS a choisi cette deuxième voie. Et que l’espoir est du côté de l’écologie.

 

Malgré leur faiblesse politique, les écologistes représentent l’avenir. Ils doivent faire les bons choix. Qui passent aujourd’hui, en France, sur le plan politique, par la rupture avec le PS.

 

Il faut en finir avec le PS
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22 avril 2015 3 22 /04 /avril /2015 08:22
Crédit photo photosdegauche.fr (COSKUN Alparslan)

Crédit photo photosdegauche.fr (COSKUN Alparslan)

Sources :  le Parti de Gauche par Eric Coquerel SN à la coordination politique du Parti de Gauche

- Les manifestations syndicales du 9 avril ont été un succès.

Tant en nombre qu’en combativité. Est-ce le signe d’un réveil social ? Il est trop tôt pour le dire, il faudra notamment attendre les prochains rendez-vous que se fixe l’intersyndicale dont celui du 1er mai. Mais une brise printanière souffle incontestablement. Elle renvoie aux succès numériques de plusieurs meetings récents : celui du 19 janvier en solidarité avec Syriza à Japy (Paris 11) ou ceux soutenant les listes de rassemblement de la gauche d’opposition pendant la campagne des départementales. Elle fait également écho aux résultats encourageants, en tous cas meilleurs que prévus, de cette même gauche d’opposition aux départementales. C’est au moins le signe que les forces de résistance existent toujours dans le pays et qu’elles constituent un socle sur lequel on peut espérer bâtir. En soi la nouvelle est déjà bonne à prendre, ne serait-ce que pour le moral militant.

 

 

- Cette France qui résiste perturbe déjà le tripartisme que l’on veut nous imposer en vue de 2017.

Jean-Christophe Cambadélis l’a bien compris. Il dit refuser un PS minoritaire dans une gauche « Mélenchonisée ». Il va même jusqu’à recopier dans sa motion de congrès nos mots et nos concepts: « nouvelle alliance populaire », « écosocialisme », « implication citoyenne », « chantiers de la citoyenneté active », « dépassement du PS » comme nous parlons de « dépassement du FdG »… Le hasard n’y est évidemment pour rien. Ce « marquage à la culotte » de Cambadélis consiste à enrober d’un vocabulaire de gauche une politique purement sociale-libérale. Guy Mollet savait y faire en son temps. Le premier secrétaire a un objectif : justement conserver au PS sa centralité et à son candidat à la présidentielle les bénéfices du vote utile au 1er tour. Toute l’astuce consiste à faire mine de recomposer largement la gauche sans toucher à la centralité de son parti et à son paradigme social-libéral. Et au passage, minoriser un peu plus son aile gauche maintenant qu’il a enrôlé Martine Aubry dans la motion majoritaire.

 

 

- Mais comme on ne peut dénier à Jean-Christophe Cambadélis un certain flair politique, même s’il est désormais dévoué à l’économie de marché, cela renvoie à une réalité :

un spectre hante bien la vie politique française, celui d’une recomposition en cours. L’année 2015 pourrait même voir son accélération. Du côté du PS et de l’exécutif on en comprend l’objectif : au nom du vote utile contre la droite et l’extrême droite, c’est toujours d’occuper l’espace politique « à gauche ». Mais une gauche qui aurait plus à voir avec un parti « démocrate » à l’américaine qu’une union de la gauche classique, même si le vocabulaire utilisé donne le change. Et ça tombe bien, puisque la mue de l’UMP en parti « républicain » complète le tableau d’ensemble. La droite, en effet, tourne manifestement le regard de l’autre côté de l’Atlantique pour ce qui est du modèle. Il y a quelques années, on aurait parlé d’accélération vers le bipartisme. Libéraux de droite et de gauche en rêvent toujours. Et le FN ? On n’a peut-être pas assez prêté attention à la « charte d’engagement politique » proposée par Marine Le Pen en vue d’éventuels accords pour le 3ème tour des départementales. Est-il imaginable qu’un FN, en position de force, réédite les mêmes propositions vis à vis de la droite pour des majorités régionales ? Avec cette fois plus de succès, tant la perspective de diriger les grandes régions va être autrement plus tentante que pour un simple département ? La discorde entre Marine Le Pen et son père, qui a permis aux médias de nous survendre encore la dédiabolisation du FN, prendrait alors tout son sens.

 

 

- Une chose est sure : ce que craint Cambadélis n’est pas une feinte. Il sait que « notre » gauche n’est pas effacée du paysage et des recompositions en cours.

C’est essentiel. C’est même la leçon principale de ce printemps. Mais il y a des conditions : qu’elle soit audacieuse et qu’elle ne prépare pas la suite, dont les régionales, en restant sur le même braquet. Les élections départementales ont montré qu’elle, et notamment le FdG, était toujours là. Et même en meilleure santé dès lors qu’elle était justement en passe de concrétiser une « nouvelle alliance populaire », même partielle, notamment avec EELV. Les mobilisations du 9 ont montré qu’il y a du répondant populaire contre l’austérité. Dans ce cadre, le FdG a un rôle essentiel à jouer s’il est capable de mettre en place les outils de son propre dépassement, qui ne signifie pas pour autant son effacement ni celui des partis qui le composent. Soit - l’autonomie vis à vis des forces gouvernementales étant le préalable - de travailler à un rassemblement le plus large possible de la gauche d’opposition, à doter le rassemblement citoyen à faire émerger d’une lisibilité nationale lors des régionales et la volonté, justement, de l’adosser à une véritable démarche citoyenne qui passe par des assemblées représentatives de tous ceux et toutes celles voulant s’y engager au plan national comme régional et départemental. C’est ce que propose le PG à ses partenaires, c’est à quoi, sans attendre, nous voulons contribuer partout sur le territoire dans les semaines à venir.

 

 

- On ne pourra conclure sans évoquer la gravité du projet de loi sur le renseignement que s’apprête à adopter l’Assemblée nationale.

Il semble, en élargissant les prérogatives de renseignements aux gardiens de prison ou en imposant des « boites noires » aux opérateurs télécoms, aux hébergeurs et aux grandes plateformes internet, qu’une majorité de députés PS, alliés à l’UMP, veuillent durcir encore cet « autoritaire act » à la française. Cette évolution de ceux, les mêmes, qui ont adopté la Loi Macron en première lecture, confirme que dans une société austéritaire, les libéraux se doublent vite de liberticides. Sur ce terrain aussi la résistance est toujours plus de mise.

 

Eric Coquerel
SN à la coordination
politique du Parti de Gauche

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21 avril 2015 2 21 /04 /avril /2015 08:06
INDIGNE : Hollande compare le FN d’aujourd’hui au PCF des années 1970 !

- Hollande Un propos indigne ! (parmi d’autres) Communiqué de Jean-Luc Mélenchon

Source :  le blog de Jean-Luc Mélenchon

En insultant le parti communiste des années 70, François Hollande oublie que c'était alors le programme commun qui conduisit à la grande victoire de 1981.

 

Son propos est d'une totale bassesse et indigence, indigne d'un président élu aussi par les communistes.

 

 

- Réactions du PCF

"Quand Hollande compare le FN au ’PCF des années 70’, sa faute est double. À l’égard des militantes et militants communistes. Mais c’est aussi une lâcheté intellectuelle face au FN d’aujourd’hui", a dénoncé sur Twitter Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF, jugeant "navrante" et "pas à la hauteur" cette sortie de M. Hollande.

 

"La comparaison que Hollande vient de faire entre le FN et le PCF des années 70 est indigne et inepte", a de son côté réagi sur ce même réseau social Ian Brossat, adjoint PCF à la mairie de Paris. "En parlant ainsi, Hollande contribue à dédiaboliser encore un peu plus le FN. C’est une faute politique et une faute morale", a-t-il fustigé.

 

 

- Hollande compare Marine Le Pen à "un tract du Parti communiste des années 1970", le PCF voit rouge

Sources :  Le Huffington Post

Le parti communiste voit rouge. Plusieurs responsables du PCF se sont indignés dimanche 19 avril de la comparaison faite par François Hollande entre Marine Le Pen et un "tract" communiste des années 70.

 

"Madame Le Pen parle comme un tract du Parti communiste des années 1970 (...) sauf que le Parti communiste, il ne demandait pas qu'on chasse les étrangers, qu'on fasse la chasse aux pauvres", a déclaré le chef de l’État, lors de l'émission "Le Supplément" sur Canal+.

 

Le numéro un communiste Pierre Laurent a même demandé lundi "des excuses publiques" à François Hollande. "Je suis scandalisé" par cette phrase qui est "lamentable", a déclaré sur France2 le secrétaire national du PCF. "C'est la seule chose que le président de la République a trouvé à répondre à des électeurs qui lui disaient leur désarroi dans un reportage qui dénonçait ses trahisons par rapport à ses promesses de 2012!", a déploré Pierre Laurent.

 

Le secrétaire national y voit "un aveu" de François Hollande qui "a décidé de tourner le dos à ses électeurs plutôt que de répondre à leurs urgences sociales". "Nous, nous n'avons pas renoncé", "le Parti communistes des années 70 comme des années 2000, lui, il continue le combat contre la finance", même si "nous avons changé beaucoup de choses" depuis ce temps.

 

Pour en savoir plus :

- Hollande et "l’odieuse insulte" faite au PCF

- Les InRocKs : Pourquoi la comparaison FN / “PCF des années 70″ n’a aucun sens

- Roger Martelli : « L’amalgame PCF-FN est une infamie »

- Ça ressemblait à quoi un tract du PCF dans les années 70 ?

- On est allé à Bobigny fouiller dans les archives du PCF

INDIGNE : Hollande compare le FN d’aujourd’hui au PCF des années 1970 !
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20 avril 2015 1 20 /04 /avril /2015 08:00
25/04/2015, LA ROCHELLE ensemble pour dire : Non au Nucléaire, Oui à la transition énergétique

Pour en savoir plus :

- mon dossier nucléaire

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15 avril 2015 3 15 /04 /avril /2015 09:32
Grèce : comment Tsipras a renversé la situation

En agissant avec prudence et détermination, Alexis Tsipras a su contourner la stratégie du

"noeud coulant" des Européens. Désormais, la pression est de nouveau sur Angela Merkel.

 

Source : La Tribune par Romaric Godin le 03/04/2015

Et si, désormais, la pression dans l’affaire grecque s’exerçait surtout sur les... Européens ? A mesure que l’on se rapproche de la date cruciale du 9 avril, où l’Etat grec devra débourser 458 millions d’euros au FMI, on assiste en effet à un remarquable retournement. Progressivement, le gouvernement grec, en ayant su ne pas céder sous la pression de ses créanciers, retrouve une position de force qui est celle, naturelle dans les négociations de ce type, du débiteur face à son créancier et où ce dernier doit accepter les conditions du premier ou risquer de tout perdre.

 

 

- La stratégie européenne

Pourtant, voici encore dix jours, lorsqu’Alexis Tsipras se rend à Berlin pour rencontrer la chancelière, la situation d’Athènes semble désespérée. Et chacun pense que le nouveau premier ministre va céder. Les Européens continuent alors à appliquer leur stratégie du « nœud coulant.[1] » L’idée est simple : le temps joue alors, croit-on à Bruxelles, pour les créanciers. Les dépôts des banques grecques se vident, la situation économique se dégrade, la BCE peut, à tout moment, faire imploser le système bancaire grec en coupant l’accès à la liquidité d’urgence. La pression va être telle sur Alexis Tsipras que ce dernier va être contraint d’accepter les conditions de ses créanciers. Ces conditions, on en a eu confirmation mercredi dernier, sont politiques : c’est l’acceptation de « réformes » du marché du travail et des pensions qui ne sont pas urgentes sur le plan économique, mais qui permettent « d’annuler » politiquement l’essentiel du programme et du message de Syriza. C’était là l’essentiel. Tout à cette stratégie, l’Eurogroupe n’a cessé de rejeter les propositions de réformes présentées par la Grèce, quatre à ce jour. Elles n’étaient pas assez complètes, pas assez précises, pas convaincantes.

 

Cette stratégie européenne se fondait sur une certitude : que la Grèce refuserait de renverser la table en faisant défaut ou en envisageant la sortie de la zone euro. Certitude pas entièrement dénuée de sens puisque, avant l’accord du 20 février, le gouvernement hellénique avait fait de sérieuses concessions pour éviter la « rupture. [2]» Mais en réalité, c’était le point faible du dispositif européen. En face, Alexis Tsipras a donc développé sa propre stratégie qui, semble-t-il aujourd’hui, porte ses fruits.

 

 

- Temporiser pour renforcer sa position

La première partie de cette stratégie est la « temporisation. » Athènes a joué le jeu que les Européens voulaient lui faire jouer. Faire un peu plus de concessions chaque semaine. En février, il a abandonné son idée d’annulation d’une partie de la dette publique. Un peu plus tard, il a refusé de prendre des « mesures unilatérales », puis il a accepté à chaque refus, de venir présenter de nouvelles listes de réformes et même de mettre en place certaines privatisations. Les Européens ont compris ces mouvements comme des reculs et s’en sont félicités. Mais en réalité, ces concessions ne leur étaient pas destinées. Il s’agissait de montrer au peuple grec la volonté de son gouvernement de négocier avec l’Europe, donc son engagement sincère à demeurer dans la zone euro. Tout en ne cédant pas sur l’essentiel, autrement dit, sur ce pourquoi les Grecs (au-delà du seul vote Syriza) avaient voté : la fin de l’austérité et de « l’humiliation » du peuple grec.

 

Avec cette stratégie de temporisation, Alexis Tsipras donnait l’impression aux Européens qu’ils se renforçaient, alors qu’en réalité, ils s’affaiblissaient. Plus le temps passait, plus les Grecs s’exaspéraient de l’attitude européenne, et plus Alexis Tsipras devenait populaire par sa capacité à ne pas céder. Les exigences de la nouvelle troïka ressemblaient de plus en plus à celle de l’ancienne. De plus en plus, les négociations ressemblaient à une nouvelle façon de vouloir « humilier » les Grecs. Et progressivement, le mot « rupture » (rixi, ρήξη) est devenu de plus en plus dans l’air du temps en Grèce. Le 25 mars, jour de la fête nationale, il a été prononcé par le ministre des Finances Yanis Varoufakis, en réponse à un message de soutien envoyé de la foule : « il faudra nous soutenir après la rupture », a-t-il répondu.

 

 

- L’offensive feutrée

Désormais assuré de ses arrières, Alexis Tsipras a pu passer à l’offensive pour placer les Européens en difficulté. Offensive feutrée : le premier ministre sait qu’il a tout à perdre d’une confrontation frontale, où la petite Grèce serait isolée face à ses 27 « partenaires » unis dans la volonté de faire céder le gouvernement. Son but est sans doute toujours de parvenir à un accord sans rupture, aussi dément-il toutes les « fuites » et continue-t-il officiellement de croire à une entente. Il a même continué à faire preuve de bonne volonté, avec la présentation de la nouvelle liste de réformes en 26 points présentée le 1er avril. Mais il sait que pour parvenir à ses fins, il devait rééquilibrer le rapport de force entre la Grèce et ses créanciers. Et pour cela, il a envoyé des messages clairs que, désormais, la rupture devenait possible.

 

 

- Le rapprochement avec Moscou

Ces messages sont de deux types. Le premier, c’est le renforcement des liens avec la Russie. Alexis Tsipras, le 31 mars, a donné le ton de sa très attendue visite à Moscou le 8 avril [ en affirmant [3] que les « sanctions contre la Russie ne mènent nulle part. » C’était un désaveu de la politique orientale de Bruxelles qui avait de quoi inquiéter à la Commission. Le menace à peine dissimulée était qu’Athènes pourrait bien défendre les intérêts russes dans l’UE, particulièrement si l’UE se montrait sévère avec la Grèce... Or, un refus d’aller plus avant dans la confrontation avec la Russie de la Grèce pourrait faire sortir du bois d’autres pays peu enthousiastes à cette idée : Chypre ou la Hongrie, par exemple.

 

 

- Le risque du 9 avril

Le deuxième message est plus direct : c’est celui que la Grèce préparerait désormais la rupture. Jeudi 2 avril, Reuters a publié une information officiellement démentie (évidemment) par Athènes comme quoi, lors de la réunion de travail de l’Eurogroupe (Euro working group) du 1er avril, le représentant grec aurait informé ses « partenaires » que, faute d’un accord, la Grèce ne paierait pas le FMI le 9 avril. Ce vendredi 3 avril, un article du Daily Telegraph [4], signé Ambrose Evans-Pritchard, généralement bien informé, affirme, de sources grecques, que le gouvernement hellénique prépare concrètement la rupture, en envisageant de prendre le contrôle des banques et d’émettre des « lettres de créances » gouvernementales ayant valeur monétaire. Ce serait évidemment une première étape vers une sortie de la zone euro.

 

 

- Le temps ne joue plus pour les Européens

Dès lors, la pression s’exerce aussi sur les Européens. S’ils poursuivent leur stratégie de « nœud coulant », ils risquent gros. Certes, si la Grèce ne paie pas le FMI le 9 avril, elle ne sera pas immédiatement considérée par l’institution de Washington en défaut. Il faut un mois pour que le FMI reconnaisse qu’une « obligation est manquée. [5]» Or, cette déclaration peut provoquer un séisme, car alors le Fonds européen de stabilité financière (FESF) devra légalement réclamer le remboursement des sommes versées à la Grèce. Ce qu’Athènes ne saurait réaliser. Le défaut grec envers ses créanciers européens sera alors effectif. La Grèce n’aura alors sans doute plus accès à la liquidité de la BCE, mais les pays de la zone euro devront accepter des pertes considérables sur les garanties accordées au FESF. Sans compter évidemment que la BCE devra également tirer un trait sur les 6,7 milliards d’euros que la Grèce doit lui rembourser cet été.

 

Subitement donc, la situation des Européens est moins magnifique. Et le temps ne joue plus en leur faveur. Le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem ne peut plus guère dire, comme début mars, que la pression financière sur la Grèce est une bonne chose, car elle favorise les réformes. Désormais, elle pourrait bien mettre en danger les gouvernements de la zone euro. C’est précisément le but que visait Alexis Tsipras qui, sans doute, ne cherche pas réellement la rupture, mais bien plutôt un accord où il puisse imposer « ses » réformes sans passer sous les fourches caudines de la logique de l’ancienne troïka. Un prochain Euro working group est prévu pour le 8 avril, le jour de la visite d’Alexis Tsipras à Moscou et la veille de l’échéance du FMI. Les Européens devront alors désormais soigneusement peser les risques qu’ils acceptent de prendre.

 

 

- La pression revient sur Angela Merkel

Comme à la veille du 20 février, Alexis Tsipras renvoie Angela Merkel à ses responsabilités. Il sait que la chancelière n’est pas prête à prendre le risque d’une sortie de la Grèce et de la zone euro et d’un défaut de ce pays sur ses engagements vis-à-vis du contribuable allemand. Ce serait politiquement très risqué. Elle a, le 20 février, désavoué clairement la stratégie de Wolfgang Schäuble qui minimisait les risques d’un Grexit et exagérait ses avantages. Peut-elle revenir en arrière alors que, dans son camp politique, la grogne contre une nouvelle aide à la Grèce prend de l’ampleur ? Toute la question est là. Alexis Tsipras a, en tout cas, placé la chancelière dans une situation difficile : ou prendre le risque politique d’un défaut grec ou prendre le risque politique d’une aide « sans réformes » à la Grèce. Choix cornélien qui va sans doute occuper la chancelière tout ce week-end de Pâques. Tsipras Cunctator

 

Reste qu’Alexis Tsipras, longtemps sous-estimé par la presse étrangère, a fait preuve d’une intelligence stratégique de premier plan dans cette affaire et qui n’est pas sans rappeler celle de Fabius Cunctator, le général romain qui usa les Carthaginois victorieux d’Hannibal durant la deuxième guerre punique. Le premier ministre grec n’est certes pas assuré de remporter la victoire, mais il a prouvé qu’il était un des rares dirigeants européens à pouvoir tenir tête, sur le plan tactique, à Angela Merkel.

 

Note :

[1] Grèce : derrière les sourires, le noeud coulant se resserre encore

[2] Accord sur la Grèce à l'Eurogroupe sur un financement de quatre mois

[3] Alexis Tsipras calls western sanctions against Russia 'road to nowhere'

[4] Greece draws up drachma plans, prepares to miss IMF payment

[5] Greece threatens default as fresh reform bid falters

 

Pour en savoir plus :

- Mon dossier Grèce

- Tsipras, acteur du grand basculement ?

- Alexis Tsipras à Moscou ou l'échec de la stratégie du "noeud coulant"

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7 avril 2015 2 07 /04 /avril /2015 08:05
Martine Billard : "A mes amis qui pensent que les partis n'ont plus de raison d'être"

Source : blog de Martine Billard par Martine Billard le 25/03/2015

De nos jours défendre la nécessité d'avoir des partis politiques est presque suicidaire tant le discours général veut que les partis soient dépassés et représentent des obstacles à la démocratie. Disons-le tout net si quelqu'un était capable de me proposer une autre forme d'organisation efficace et plus démocratique, je dirais oui tout de suite. Mais j'ai longtemps cherché, fréquenté tous les collectifs, appels, revues, réseaux divers pour arriver à la conclusion que certes les partis étaient énervants par de nombreux aspects mais que personne n'avait trouvé comment les remplacer de manière durable.

 

En réalité la méfiance exprimée aujourd'hui dans les enquêtes ne concernent pas que les partis mais l'ensemble des « institutions ». Ainsi selon une étude du Cevipof, 76% des Français ne font pas confiance aux partis politiques juste devant 72% qui ne font pas confiance aux médias, chiffre qui monte d'ailleurs à 84 % pour les proches du Front de Gauche quant aux médias. Il faut dire que vu comment ils nous traitent, ce rejet n'est pas étonnant. Cette rupture des citoyens envers les dirigeants s'exprime notamment par le fait que 44% d'entre eux pensent que les politiques s’intéressent « peu » à leurs préoccupations et un tiers (34%) « pas du tout » alors qu'en1977 la majorité (53%) avait un avis positif. Le décrochage s'est fait en 1983, soit sous Mitterrand lors du tournant de la rigueur.

 

Cette distance s'exerce aussi à l'égard des syndicats puisque 68% des français expriment leur méfiance à leur égard aujourd'hui alors qu'en 2010, au moment de la mobilisation contre la loi sur les retraites de Sarkozy, 55% leur faisaient confiance.

 

Or, à part les libéraux qui en profitent pour conclure qu'il faut supprimer les syndicats, personne d'autre ne développe cette analyse. En fait des expériences ont existé dans les années 80, notamment en Italie avec le développement de ce qui s'appelaient les Cobas (comités de base) par des salariés qui trouvaient que les syndicats ne les défendaient pas assez. Mais ces structures ont fini par coexister avec les syndicats. Dans les années 70 en France des comités de lutte ont aussi existé pour desserrer le contrôle que faisait peser le PCF à l'époque sur la CGT. Mais avec le reflux des luttes, ces structures ont disparu et aujourd'hui tous ceux qui continuent à se battre pour la défense des intérêts des salariés se rendent bien compte que la meilleure manière de le faire c'est de renforcer la syndicalisation.

 

En Amérique Latine, il y a certes eu des révolutions citoyennes sans parti politique important existant au préalable mais dans des conditions de mobilisation de masse et de crise du système politique qui n'ont rien à voir avec la situation actuelle de la France.

 

Alors pourquoi faudrait-il tirer de la défiance par rapport aux partis, la nécessité de les supprimer ? Aujourd'hui une majorité de français qui font de la politique le ferait en dehors des partis ? Mais ce n'est pas nouveau. Dans les années 70 il y avait beaucoup plus de militants hors partis qu'à l'intérieur. Qui a oublié le Secours Rouge par exemple ? Les énormes mobilisations contre le coup d'état au Chili ? Les comités de lutte de tout genre, aux lycées, en fac, dans les quartiers... ATTAC, à ses débuts, a mobilisé beaucoup de militants hors parti (plus de 40 000 adhérents au total), tout comme la formidable mobilisation contre le TCE en 2005 et les CUAL avant qu'ils ne se fracassent sur l'élection présidentielle de 2007. Les moments de lutte intense rassemblent bien au delà des partis. Mais heureusement qu'il y a des partis dans les moments de reflux pour garder des lieux de formation de nouvelles générations et des capacités d'initiatives sans compter l'aptitude à se présenter massivement aux élections.

 

Certains vont dire, oui mais en Espagne, il y a Podemos. Certes mais Podemos est bien un parti et très organisé et avec une direction nationale bien que l'Espagne soit un parti fédéral.

 

La question n'est donc pas à mon avis d'en terminer avec la forme parti. La capacité à répondre aux tâches politiques du moment repose sur la compréhension de la situation et des réponses à y porter ainsi qu'à la volonté de ne pas construire sa petite boutique en pensant qu'on a la vérité révélée.

 

Aujourd'hui concrètement en France, des pas importants ont été fait pour en finir avec l'émiettement politique en créant le Front de Gauche et en cherchant constamment à l'élargir. Avec les municipales une nouvelle période s'est ouverte avec les premiers rassemblements avec EELV. Elle s'est poursuivie lors des départementales donnant de très bons résultats dans de nombreux endroits. Il n'y a aucun cas de recul de ces rassemblements par rapport à des résultats antérieurs. Alors certes nous aimerions aller beaucoup plus vite, surtout que le FN continue sa progression ; ne pas faire deux pas en avant pour parfois en faire un en arrière ensuite. En tous les cas la leçon à tirer de ces départementales c'est qu'il faut continuer et approfondir l'union dans l'indépendance du PS, sur laquelle peut s'appuyer l'engagement citoyen, au jour le jour et pas seulement lors des élections. Cela veut dire aussi aller dans les mêmes dispositions d'esprit pour les régionales. Pas à pas, mais ferme sur la direction, sans jamais se décourager, et en essayant d'aller plus vite mais sans s'impatienter et tout rompre dans les passages difficiles, c'est ainsi que nous reconstruirons de l'espoir et de l'envie de s'impliquer car nous démontrerons que nos partis sont utiles. Et c'est aussi ainsi que nous préparerons les cadres pour dépasser chacun de nos partis dans une nouvelle organisation qui portera les combats démocratiques, sociaux et écologiques.

 

Alors bien évidemment qu'il y a beaucoup à améliorer dans nos fonctionnements, qu'on peut apprendre des méthodes les plus démocratiques de Podemos, qu'il faut être capable d'utiliser les nouvelles possibilités offertes par internet mais sans les idéaliser non plus. Car au final, les outils internet peuvent et doivent aider à la préparation, mais le plus démocratique c'est quand même le débat en face à face, en prenant le temps et en cherchant ensemble la construction d'une réponse commune quitte à la valider ensuite en utilisant le vote par internet.

 

De même, l'action politique à l'échelle d'un pays ne peut pas être que l'addition d'actions locales ou partielles. Le rapport de force ne peut pas se construire que localement. Il arrive un moment où il faut une convergence nationale et il en existe d'autres où l'impulsion va partir nationalement. Tout dépend du sujet et de l'objet de la mobilisation. Il est donc vain d'opposer local et national, direction et base. Tout est dans l'articulation et la façon de faire.

 

 

Il serait donc dangereux de jeter le bébé avec l'eau du bain !
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3 avril 2015 5 03 /04 /avril /2015 08:26
Second tour des élections départementales : le Front de gauche s’en sort plutôt bien

Pour le Front de gauche, les résultats du second tour ont confirmé la tendance du premier. Dans un contexte désastreux pour la gauche et malgré un mode de scrutin défavorable, il conserve entre les deux tiers et les trois quarts de sa représentation départementale.

 

Source : Regards.frs entretien par Roger Martelli | 30 mars 2015

Le Front de gauche était présent dans 119 cantons, dont une quinzaine en alliance avec le PS ou avec EE-LV (à Grenoble 1 et 3). Il l’emporte dans 90 cantons, qui s’ajoutent aux trois gagnés dès le premier tour. Il emporte de façon précise 176 sièges de conseillers départementaux. À la veille du scrutin, le Front de gauche avait 234 conseillers généraux, dont 220 membres du PCF. La nouvelle représentation sera donc entre les deux tiers et les trois quarts de la précédente. On sait que le mode de scrutin n’est pas sans effet négatif, dès l’instant où une sensibilité politique se trouve du côté des "petits" (moins de 10%). Par la seule vertu du système électoral, le FdG ne pouvait espérer retrouver le nombre d’élus antérieur.

 

 

- Au-delà des espérances dans les duels et les triangulaires

Le plus satisfaisant est le résultat du face-à-face avec le Front national. Il avait lieu dans près de la moitié des cantons où le FdG était présent au second tour. Dix-neuf de ces cantons donnaient lieu à une triangulaire et 47 à un duel. Le FdG et ses alliés l’emportent dans 44 duels et 15 triangulaires. Au total, le FdG ne perd en face-à-face que dans trois cas : Hirson (Aisne), Harnes (Pas-de-Calais) et La Seyne (Var). Dans 19 cas gagnés, l’affrontement pouvait être jugé très difficile, voire ingagnable avant le second tour. Le résultat est donc allé au-delà des espérances de la veille. Les vieilles terres ouvrières du Nord, du Pas-de-Calais, de Meurthe-et-Moselle ou de la Loire ont bien résisté.

 

Dans 19 cas, les binômes du FdG enregistrent des résultats très satisfaisants, au-dessus des 60 % et même au-dessus des 70 % dans cinq cantons : Gennevilliers (76%), Saint-Junien (Haute-Vienne), les deux cantons de Vitry-sur-Seine et Isle-Manoire en Dordogne. Dans des territoires déstructurés par la crise, le Front de gauche a fait la démonstration qu’il n’y avait pas de fatalité à ce que, de mécontentement en colère puis en ressentiment, les catégories populaires basculent définitivement vers le Front national. Le FN entendait montrer qu’il avait pris la place du PCF en milieu populaire. Il réussit politiquement son coup sur le plan national (22% des suffrages au second tour) ; localement, il n’a pas mis les communistes et le FdG au tapis.

 

On notera aussi que, sur cinq cas de duel à gauche, le Front de gauche l’a emporté trois fois, à Bordères-sur-l’Echez (Hautes-Pyrénées), Saint-Vallier (Haute-Saône) et Montreuil (Seine-Saint-Denis), a été nettement battu dans le Val d’Ariège et de justesse dans les Monts du Livradois (Puy-de-Dôme).

 

 

- La géographie électorale du FdG transformée

Le second tour n’a pas amplifié le décrochage territorial du premier. Le Front de gauche avait des élus départementaux dans 61 départements ; ils sont désormais dans 37 départements, soit 24 de moins, pour l’essentiel perdus dès le premier tour. Le Front de gauche entre même dans le conseil départemental de la Lozère, département classé à droite dont on ignore souvent qu’il fut une terre de vote communiste dense au lendemain de la Libération et dans les années 1950.

 

Mais si la géographie électorale du FdG n’est pas bousculée, elle n’en est pas moins transformée. La petite ceinture parisienne résiste plutôt bien. Le Val-de-Marne conserve sa représentation communiste en l’état (9 binômes élus pour 18 conseillers sortants). Les Hauts-de-Seine confirment leur allant du premier tour et la Seine-Saint-Denis sauve les meubles, dans des conditions difficiles, et malgré la perte du canton du Blanc-Mesnil. La situation est moins favorable dans le Nord et le Pas-de-Calais où, malgré la bonne tenue face au Front national, le FdG perd une part non négligeable de la représentation communiste antérieure. Tandis que l’Aisne, l’Oise et la Somme maintiennent leur quota d’élus, les deux départements nordistes et la Seine-Maritime perdent près de la moitié de leur contingent initial.

 

La perte du Conseil départemental de l’Allier n’a en soi rien de surprenant, dans un département très disputé, dont la présidence a oscillé entre droite et gauche depuis plusieurs années. Mais le recul dans l’Allier est concomitant avec celui du Puy-de-Dôme (alors que l’implantation territoriale communiste s’y était nettement renforcée depuis vingt ans), du Cher (malgré les belles victoires sur le FN à Vierzon) et surtout de la Corrèze et la Haute-Vienne. Au milieu des années 1980, ces départements encore marqués par la tradition de la ruralité avaient un temps montré une meilleure résistance au déclin du vote communiste que les espaces les plus urbanisés. Le phénomène ne fonctionne plus depuis quelques années et le résultat décevant de ce dimanche de second tour en est l’illustration.

 

 

- Des digues qui se rompent au profit du FN

Un tour ne chasse pas l’autre et la complexité demeure sur les deux dimanches. Le Front de gauche a manifesté une belle tenue face au Front national. Mais, bien trop souvent, les écarts avec le FN ne sont plus ce qu’ils étaient. Pour l’instant, le parti de Marine Le Pen continue d’être rejeté par une part non négligeable de l’électorat, mais il n’a jamais eu des résultats aussi élevés. Ses capacités d’alliance restent limitées et les reports de l’électorat de droite en sa faveur ne suffisent pas à constituer une majorité. Pourtant, les digues ont commencé de se rompre et l’entreprise frontiste de légitimation continue de suivre son cours.

 

De l’autre côté, les reports à gauche semblent avoir fonctionné, sous réserve d’inventaire plus précis. Mais, contrairement à la stratégie d’étouffement du Parti socialiste – le chantage à la "tripartition" – il est de plus en plus évident que la logique ancienne de l’union de la gauche ne fonctionne plus comme autrefois.

 

Pour l’essentiel, le glissement vers sa droite du PS affaiblit la référence au rassemblement, a fortiori quand on explique qu’il doit obligatoirement se faire sous la houlette du parti dominant. Les dynamiques majoritaires à gauche ont donc besoin d’autres ressorts, sous peine de laisser la gauche s’enliser avec le PS et les catégories populaires s’enfoncer un peu plus dans l’abstention et le vote FN.

 

 

- Des points d’appui, mais une prise en tenaille

Pour l’instant, le Front de gauche vit sur l’acquis électoral du PCF, tout au moins dans les élections les plus territorialisées. Que cet ancrage montre des capacités de résistance, au demeurant très variables selon les élections, n’empêche pas le constat global fait depuis 2008. En dehors de l’élection présidentielle, le vote en faveur du Front de gauche reste dans les eaux modestes d’un vote communiste qui n’a pas interrompu son processus d’érosion par le haut. La dynamique électorale des zones de vote les moins denses ne compensent qu’en partie le tassement des anciens "bastions". Pour l’instant, l’ouverture des alliances à la gauche du PS n’a pas été assez large et assez visible pour marquer le paysage électoral.

 

Dans des contextes certes différents, le même niveau de recul en nombre d’élus s’est observé aux municipales de 2014 et aux départementales de 2015. Quand la gauche va très mal, le patrimoine existant n’est pas sans intérêt et constitue un point d’appui. Mais, en l’état, il ne permet pas au FdG d’échapper à la tenaille qui voue la gauche de gauche, soit à s’enfermer dans la posture d’un aiguillon protestataire et minoritaire, soit au contraire à n’être rien d’autre que le porteur d’eau d’une social-démocratie désormais bien éloignée de l’horizon égalitaire.

 

La culture de la critique sociale et de l’alternative ne peut se contenter d’une timide gestion patrimoniale de rentiers. La transformation sociale et le sursaut démocratique ont besoin de dynamiques bien plus créatives et entraînantes. Faute de quoi, le surplace d’un jour est sans cesse à deux doigts d’un recul du lendemain.

 

Pour en savoir plus :

- Mon dossier : Elections départementales

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2 avril 2015 4 02 /04 /avril /2015 08:03
Mélenchon, de la Gauche au Peuple (article 3/3)

Nous ne parlerons pas d'actualité. Nous ne parlerons pas de ses piques, bons mots et polémiques. Nous ne parlerons de scrutins ni d'alliances. En un mot comme en mille, tout a déjà été dit, ailleurs et partout, sur ces sujets. Jean-Luc Mélenchon est l'une des voix les plus connues, parce que médiatique, du socialisme critique contemporain : le personnage, comme le projet politique qu'il porte, ne fait naturellement pas l'unanimité dans la grande et cacophonique famille anticapitaliste — trop autoritaire et institutionnel pour les libertaires, trop social-démocrate pour les communistes radicaux, trop républicain pour les trotskystes...

 

L'intéressé a pourtant déclaré un jour : « Nous sommes tous des socialistes, des communistes, des écologistes, des trotskystes et même des libertaires à notre manière ! Nous sommes tout cela et nous sommes passionnément républicains ! Bref, nous sommes de gauche, en général et en particulier. Nous prenons tout et nous répondons de tout. » C'était en 2008. Or, depuis quelques mois, Mélenchon amorce un virage politique que l'on ne peut ignorer : le système, explique-t-il, ne redoute pas la gauche (qu'il peut à sa guise récupérer) mais le peuple. Dépassionner l'homme public pour rendre intelligible le cheminement de cette évolution : telle est l'ambition de cet article en trois parties dont vous trouverez ci-dessous la dernière partie.

 

Partie 3
Source : Revue-Ballast.fr par Alexis Gales - 11 mars 2015 Etudiant et orwellien.
- Être de culture et ordre globalitaire  

Cette stratégie contre-hégémonique prend sens dans une critique globale d’un économisme qui consiste à ne lire la société qu’en fonction des rapports de force dans le monde productif. Dès l’origine, le marxisme porte en lui un axiome intenable : la primauté des conditions de production sur les structures mentales de représentation du réel. Après la linéarité des processus historiques, Mélenchon attaque un autre pilier d’une lecture matérialiste de l’histoire : l’opposition entre infrastructure et superstructure. Le bannissement ad vitam aeternam  des représentations dans l’insignifiance constitutive de la superstructure biaise la compréhension des phénomènes sociaux contemporains.

 

Par conséquent, Mélenchon fustige la mutilation méthodologique qui consiste à réaliser une «  découpe stricte entre infrastructure des rapports réels de production et superstructure intellectuelle, culturelle et artistique » (débat suivant la projection du documentaire Rêver le travail). C’est la vision anthropologique même de l’Homme qui est tronquée puisque l’imbrication être de culture-être social se révèle inopérante dans le catéchisme marxiste. Au contraire, chez Mélenchon, « les êtres humains sont d’abord des êtres de culture, en même temps et même avant que des êtres sociaux » (ibid.). Les conséquences pratiques de ce renversement doivent être prises dans leur intégralité : « On ne penche pas à gauche à la seule lecture de son bulletin de paie » (À la conquête du Chaos). Il aime à rajouter qu’on ne fait pas des révolutions pour « des différentiels d’inflation » mais toujours pour « des idées si abstraites que la dignité ou la liberté ».

 

  • « Chaque consommateur devient un rouage d’une mécanique globale d’asservissement où la marchandise nous enrôle à la fois dans un modèle culturel et dans un modèle social. »

 

Sa démonstration semble limpide : pour qu’une société où un petit nombre se gave sur le dos d’un grand nombre fonctionne, il faut que le très grand nombre soit d’accord ou résiste mollement. C’est donc, pour Mélenchon, par une forme d'envoûtement que le système capitaliste se perpétue. Notre quotidien est régi par une structure implicite : « Chaque être incorpore la logique du système productiviste par ses consommations » (p. 132). Ainsi, une culture individualisante fondée sur la réalisation de soi par la consommation de biens et de services fait littéralement corps en chacun de nous. Chaque consommateur devient un rouage d’une mécanique globale d’asservissement où la marchandise nous enrôle à la fois dans un modèle culturel – consommer pour être – et dans un modèle social – « le moins cher s’opère au prix du sang et des larmes : délocalisation, baisse des salaires, abandon des normes sanitaires et environnementales… » (p. 133). Cet ordre est théorisé par Jean-Luc Mélenchon sous la dénomination globalitaire : il « produit, selon la paraphrase du Manifeste de Parti Communiste que l’on doit à Miquel Amoros, à la fois l’insupportable et les hommes capables de le supporter ».

 

L’ordre est premièrement global. Il est partout. À la fois culturel et économique, il s’appuie sur les secteurs de la production pour contaminer l’école, le service public, la vie familiale ou les relations amicales. De l’ordre de l’ineffable, Mélenchon guette ses apparitions sporadiques jusqu’à l’incorporation et le conditionnement. La spécificité de la globalité moderne, par rapport aux systèmes du passé, réside dans son unicité : il n’existe plus de monde extérieur concurrent. Contre-empire, contre-culture et contre-valeurs ont été happés par un mécanisme holiste produisant un monde sans bord où l’ailleurs se confond avec l’ici. Deuxièmement, il est totalitaire puisqu’« il formate l’intimité de chacun » (p. 131). L’ordre social le plus efficace n’est pas celui imposé de l’extérieur, mais celui qui s’incorpore dans l’être, celui qu’on s’approprie alors qu’il nous est dicté, celui qu’on s’impose à soi-même. L’ordre globalitaire s’immisce dans chaque interstice de l’existence. Le contrôle collectif se réalise par « ses aspects non politiquement visibles » : par le comportement d’autrui culturellement formaté par l’appareil culturel dominant, les médias.

 

Toutefois, Mélenchon reconnaît la responsabilité historique de sa famille politique : le système globalitaire n’a pu prospérer que sur les ruines de ce qu’il appelle la « mémoire-savoir ». Il analyse que la gauche moderne, sombrant dans la « culture de l’instantanéité », a totalement désinvesti la production de cette mémoire collective des conflits sociaux – « l’école du mouvement social » – comme contrepoids à l’information marchande globalisée. En effet, la conséquence directe s’est manifestée dans l’abolition de la pensée critique, actualisée dans les luttes concrètes, qu’a historiquement portée le mouvement ouvrier. De surcroît, faire péricliter la mémoire légitime la stratégie de « disqualification du passé » à l’heure où il apparaît comme un refuge de valeurs morales et de traditions minimales opposables à la modernité globalitaire.

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Extrait de l'affiche Les nouveaux chiens de garde
 

L’écosocialisme

Le tableau est quasiment complet. L’ultime étape correspond à la synthèse doctrinale de ses influences philosophiques successives. Deux synthèses majeures jalonnent le parcours intellectuel de Jean-Luc Mélenchon. La première, propre à l’histoire politique française, s’incarne dans la figure de Jean Jaurès et permet d’opérer une synthèse entre socialisme et République, entre marxisme et philosophie des Lumières, entre matérialisme et idéalisme : la République sociale. Cette inspiration jaurésienne se retrouve chez Mélenchon dans nombres de sujets, comme la question des institutions politiques du socialisme ou la recherche d’une imbrication des émancipations politiques, juridiques, économiques et sociales – la dialectique des émancipations du philosophe Henri Penä-Ruiz.

 

  • « Comment allier la figure de l’Homme doué de raison des Lumières, dont l’existence est mue par la maîtrise de la nature, avec la défense de cette dernière ? »

 

La seconde vint se greffer avec l’apparition d’un nouveau paradigme que le vieux mouvement socialiste français a dû intégrer à son corpus initial, au risque de renier quelques-uns de ses fondamentaux. L’écologie – discours savant sur l’interaction des organismes vivants avec leur environnement – entra dans le débat public à force d’alertes de scientifiques et de catastrophes dites naturelles à répétition. Mélenchon reconnaît volontiers sa dette intellectuelle à l’égard des Verts. Comment allier la figure de l’Homme doué de raison des Lumières, dont l’existence est mue par la maîtrise de la nature, avec la défense de cette dernière ? Comment allier le développement illimité des forces productives et la société d’abondance que propose le communisme avec la finitude des ressources terrestres ? Aggiornamento de la pensée ou art de la synthèse conceptuelle, l’écosocialisme soumet une interpénétration des approches matérialistes, du socialisme, du communisme, de la philosophie des Lumières, de l’universalisme, du républicanisme et de la laïcité.

 

 

- Histoire de la nature et histoire de l’Homme  

Vacciné d’emblée contre la réification de la nature par certaines branches du mouvement écologiste grâce à sa formation marxiste, Mélenchon apposa le terme politique après celui d’écologie. Il ne s’agit pas de sauver une Nature essentialisée contre l’Homme, mais bien de sauver l’humanité contre les dégâts que l’activité humaine capitaliste fait subir à son écosystème. Sa posture n’est compréhensible qu’en re-contextualisant l’émergence du phénomène écologique – rapidement lié au nébuleux développement durable – dans une ambiance générale de neutralisation sémantique de l’écologie, notamment portée par Daniel Cohn-Bendit.

 

  • « Critique sociale et critique écologique, loin de s’exclure mutuellement, se combinent. »

 

Dans ce cadre de pensée, l’apport du marxisme permet de réactualiser la critique du capitalisme par le biais de l’écologie. L’analyse marxiste des contradictions inhérentes au capitalisme s’étaient jusque-là bornée aux crises économiques, sanitaires, guerrières ou culturelles, oubliant la crise des crises : celle qui remet en cause l’existence même de l’humanité en tant qu’espèce. Au même titre que le capitalisme concentre, du fait de sa dynamique d’accumulation illimitée, les moyens de production dans les mains d’un groupe toujours plus restreint de possédants et élargit ainsi la base des exploités qui retourneront leurs armes contre lui, sa ponction effrénée sur les ressources épuisables de la planète sonnera le glas de « sa cohérence et sa pérennité » (L’autre gauche, Mélenchon). Jean-Luc Mélenchon se sert de l’arme dialectique pour inclure la nouveauté conceptuelle écologique dans la marche matérialiste de l’Histoire. Et, en effet, la dialectique de la nature fait partie intégrante du travail philosophique du jeune Marx, qu’on s’intéresse à L’idéologie allemande ou aux Manuscrits de 1844 : « L’Histoire des hommes et celle de la nature se conditionnent réciproquement ». Bien que la transcription rétrospective d’une pensée à l’aune de sa contemporanéité représente certainement une limite à ne pas franchir – il ne s’agit évidemment pas d’affirmer que Marx théorisa inconsciemment le réchauffement climatique, le trou dans la couche d’ozone ou les énergies renouvelables –, la méthode matérialiste d’explication du monde part de la nature, c’est-à-dire « du corps non-organique de l’homme » (Marx), puisque la dépendance de l’Homme à la nature « est préalable à la forme historique de société qu’elle peut prendre » (L’autre gauche). De ce constat découle une hiérarchie bouleversée pour le mouvement socialiste : la critique sociale n’est plus exclusive puisque la lutte des classes est tributaire de la perpétuation « des conditions de vie propice à l’espèce humaine », de l’écosystème humain.

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Critique sociale et critique écologique, loin de s’exclure mutuellement, se combinent : « La crise sociale doit être réglée d’après les exigences que met en scène la crise écologique » (ibid.). D’où l’apostasie, pour la gauche radicale, quant à la nature productiviste du système. L’aggiornamento écosocialiste réfute désormais explicitement à la fois l’idée social-démocrate, qui consiste à remettre du charbon dans la machine capitaliste dans l’espoir qu’il en résulte des droits sociaux et une plus équitable répartition des richesses et communiste du développement illimité des forces productives.

 

 

- De l’égalité devant la nature à l’égalité entre les Hommes  

Le courant progressiste issu des Lumières porte cette contradiction dès l’origine : comment prouver rationnellement l’abstraction de l’égalité statutaire des individus entre eux ? Au fond, l’humanisme séculier est une croyance, au même titre que la supériorité raciale ou religieuse. Comme le mentionne souvent en galéjant Mélenchon, l’inégalité entre les Hommes sautent aux yeux à quiconque s’y arrête un instant : « Il y a des grands, des petits, des femmes, des hommes, des gros, des jaunes, des noirs, des intelligents, des moins intelligents ». Cette abstraction constitutive de la modernité a toujours fonctionné sous dimension performative : l’égalité formelle se réalisait en la déclarant. L’écologie politique a octroyé au mouvement de la modernité une nouvelle assise heuristique dans sa lutte séculière contre la réaction. En effet, le raisonnement tenu notamment par Jean-Luc Mélenchon se fonde sur l’universalité de la dépendance des êtres humains par rapport à leur écosystème : « Il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine ».

 

  • « L’écosystème humain, s’il est unique, est un bien commun de l’humanité que les intérêts privés ne peuvent accaparer. »

 

La recherche scientifique informe sur l’équilibre métastable de l’environnement terrestre qui nous accueille. L’Homme en tant qu’espèce ne représente qu’un infime moment de l’histoire de la Terre ; des conditions particulières ont rendu possible son développement tant et si bien que le bouleversement stochastique de ces conditions initiales remet en cause la survie de l’espèce. Par conséquent, si l’on réduit, en toutes hypothèses, l’être humain à sa caractéristique première, on trouve sa dépendance vitale à son environnement. L’aporie conceptuelle et logique d’une humanité découplée de son corps inorganique valide donc le pressentiment des philosophes du XVIIIe siècle et des révolutionnaires français : les êtres humains sont semblables. Et l’écologie politique rajoute : du fait de leur dépendance mutuelle à l’unique écosystème rendant leur existence possible. De l’égalité des hommes face à la nature à l’égalité des Hommes entre eux, il n’y a qu’un pas, que Mélenchon franchit au service de la grande idée d’égalité.

 

 

- Du bien commun universel à la République laïque  

Mélenchon, et à travers lui sa famille politique, réactualise l’idée originelle du communisme grâce à l’écologie politique. L’écosystème humain, s’il est unique, est un bien commun de l’humanité que les intérêts privés ne peuvent accaparer. Ce glissement de l’interdépendance des Hommes envers leur capacité de produire leur moyen d’existence à l’interdépendance envers l’écosystème humain justifie la nécessité de socialiser ces biens communs. Par exemple, la bataille pour extraire l’exploitation des réserves aqueuses du giron marchand représente un cas concret de cette communalisation des biens universels.  Ce ne sont donc pas les intérêts privés guidés par la main invisible du marché qui doivent assurer une allocation optimale des ressources naturelles de l’écosystème,  comme le propose la green economy – paradigme suggérant de transformer la nature en un panier de biens échangeables sur un marché auquel s’adjoint un prix. De l’intuition communiste, l’écologie politique comme formulée par l’ex candidat à la présidentielle, aboutit au régime institutionnel précis où il n’est pas question « de dire ce qui est pour moi mais ce qui est bon pour tous » : la République. Puisque l’écosystème nous concerne tous, l’égide sous lequel doit se poser le débat est celui de l’intérêt général humain.

 

  • « La dimension laïque et rationnelle de l’espace public est inextricablement liée à la question écologique. »

 

Parallèlement, il convient de préciser que c’est par le débat argumenté et la démocratie que les citoyens atteindront l’intérêt général. Dans la vision que soumet le Parti de Gauche, l’écologie n’est pas l’apanage d’experts scientifiques opinant sur des bisbilles techniciennes. Au contraire, le mode d’organisation écologique de la production soumise à la règle verte (« telle qu’on ne puisse prendre à la terre ce qu’elle est capable de renouveler en une année »), en tant que décision humaine (donc de son caractère temporaire et modifiable), s’inscrit dans cette recherche constante de l’intérêt général. Toutefois, encore faut-il que l’espace public qui accueille ce débat soit « débarrassé des vérités révélés ». La dimension laïque et rationnelle de l’espace public est inextricablement liée à la question écologique.

Jean-Luc Mélenchon à Aguarico, où il a symboliquement plongé la main dans une mare de pétrole.
 

De la gauche vers le peuple.

Du peuple vers Jean-Luc Mélenchon ?

L’intellectuel Mélenchon a posé un diagnostic du monde qui l’entoure et de la configuration politique qui se dessine en Europe. En réponse, le stratège Mélenchon entame le virage tactique de rigueur. Une fois les influences historiques et intellectuelles démêlées, tout esprit qui porte un intérêt minimal pour le cours des événements ne peut se satisfaire d’un constat froid, d’un simple cheminement de pensée. La question sort souvent de la bouche d’un journaliste feignant son imminente délectation : pourquoi ne profitez-vous pas électoralement de la colère populaire ? Et malgré cela, elle est fondamentale. La balayer d’un revers de main pour ne pas entretenir le défaitisme ne vaut pas mieux que les réponses à l’emporte-pièce des éternels donneurs de leçons. Reformulons notre interrogation dans les termes d’un débat qui permette de donner quelques clés d’analyse plutôt que d’asséner une vérité. Pour quelles raisons le processus historique de la révolution citoyenne qui, dans ses spécificités nationales, s’est concrétisée en Amérique latine et semble dessiner un chemin – sinueux, dirons certain – en Grèce et en Espagne, ne se répercute-t-il pas en France avec le Front de Gauche ?

 

 

- En attendant le désastre social

  • « Pour quelles raisons le processus historique de la révolution citoyenne ne se répercute-t-il pas en France avec le Front de Gauche ? »

 

Le premier élément de réponse consiste à assumer l’explication gramscienne du rôle des tranchées entre crise économique et crise d’hégémonie du système politique. Si l’on compare la situation des bases matérielles en France – niveau de revenu, taux de pauvreté, précarité de l’emploi, taux de chômage etc. – avec celle que connaît les Espagnols ou les Grecs, la différence de degré n’est pas négligeable. Sans se lancer dans un fastidieux exercice comptable, quelques données mettent les idées au clair : 24% de chômage en Espagne, 26% en Grèce, 10% en France ; suivant tous les indicateurs le taux de pauvreté en Grèce et Espagne est supérieur de 10 points à celui de la France. Une des interprétations possibles afin d’expliquer la dynamique pour l’instant non-majoritaire du Front de Gauche réside dans l’amortissement de la crise économique de 2008 par des tranchées redistributrives comme les indemnités chômage, les prestations sociales et le maintien d’une dépense publique relativement élevée. En effet, les cures d’austérité grecques et espagnoles sont d’une autre échelle : hausse de plusieurs points de différentes taxes dont la TVA, baisse nette du salaire des fonctionnaires, privatisations brutales, diminution des allocations chômage, des prestations sociales et des pensions de retraites, flexibilisation du marché du travail, réduction drastique de l’investissement public et des dotations aux collectivités locales, etc.

 

Autrement dit, est survenue dans ces pays une explosion des bases matérielles qui produisaient le consensus incarné par la social-démocratie (centre-gauche) et la démocratie-chrétienne (centre-droit). L’altération des conditions d’existence, doublée du démantèlement de certaines tranchées, a entraîné une crise d’hégémonie politique (ou crise de régime) permettant une ré-articulation des latéralisations politiques. Pablo Iglesias de Podemos donne un exemple du lien entre bouleversement des bases matérielles et bifurcation de la manière de penser des gens. Il explique que l’explosion de la bulle immobilière, suivie des saisies par les banques des biens immobiliers, ont retourné l’hégémonie juridique du droit inaliénable de propriété. S’est imposée progressivement comme supérieure l’idée d’un droit au logement décent pour tous, chose inimaginable, nous dit-il, dans le sens commun d’avant la crise.

 

  • « L’explosion de la bulle immobilière suivie des saisies par les banques des biens immobiliers ont retourné l’hégémonie juridique du droit inaliénable de propriété. »

 

Jean-Luc Mélenchon, qui récuse la politique du pire[1], est conscient du moment charnière où se trouve la classe moyenne française qui « se cramponne à des certitudes de pacotilles que le parti médiatique lui sert à grosse louche », note de blog du 4 février 2015). Il sait que la clef de tout processus révolutionnaire efficace est le basculement de ceux qui voient encore un intérêt à participer activement à la défense de ce système. Ce retournement semble s’être produit en Grèce et Espagne par un profond déclassement social.

Podemos, 2014, par Pau Barrena/Bloomberg

 

- Occuper l’espace délaissé par la social-démocratie

La séquence politique des révolutions citoyennes d’Amérique latine, de l’ascension au pouvoir de Syriza et prochainement de Podemos, présente une similitude majeure : l’investissement par une force politique de l’espace laissée vide par la social-démocratie et la démocratie chrétienne. En effet, s’opère un recentrement idéologique et programmatique de ces deux anciennes familles politiques autour des préceptes néolibéraux. Cela conduit à la marginalisation puis la scission de leurs branches antilibérales : le républicanisme et le socialisme « à gauche » – type Jean-Pierre Chevènement et Jean-Luc Mélenchon en France –, l’autoritarisme et le souverainisme « à droite » – type Philippe de Villiers et Nicolas Dupont-Aignan. Ce que la vulgate médiatique caricature en extrémisme, radicalisme ou populisme, ne correspond en réalité qu’à la traduction contemporaine – penchant écologiste et féministe en plus – de la rhétorique du compromis avec le capitalisme : rôle d’intervention et de redistribution de l’État, pilote de la conjoncture par les instruments budgétaires et monétaires, défense des services publics, souveraineté populaire, justice sociale, redistribution des richesses en faveur du travail, relance par la demande, etc.

 

 

- La spécificité française : le Front National

  • « La vague bleu marine ne se construit évidemment plus sur la vieille garde royaliste, nazie, pro-Algérie française ou le discours reaganien de son père. »

 

Dans chacune des configurations nationales évoquées plus haut, ce no man’s land politique n’a fait l’objet que d’une relative concurrence de l’extrême gauche révolutionnaire et de groupes nationalistes. Si elle n’épuise pas la complexité des phénomènes en jeu, une approche de l’histoire politique de ces pays permet de comprendre l’absence d’une force contre-hégémonique concurrente, populiste de droite, sur le même espace vide qu’est le Front National en France. Les pays d’Amérique latine, l’Espagne et la Grèce partagent un trait historique commun : une phase de transition récente (moins de quarante ans) de régimes dictatoriaux à des démocraties formelles. Si la droite autoritaire et nationaliste a été dissoute et réduite au statut de groupuscules en Amérique latine, elle est inaudible dans l’Europe du Sud. D’abord, en Espagne, les franquistes sont incorporés dans le Parti Populaire et ne peuvent donc jouer la carte anti-système. Puis, en Grèce, la formation néo-nazie Aube Dorée ne porte aucune réflexion stratégique sur un hypothétique devenir majoritaire en se réfugiant derrière des symboles très clivants ; pour reprendre le débat sur les signifiants flottants, on peut difficilement faire signifiant plus fermé que la rhétorique et l’iconographie nazies... Ainsi, Syriza et Podemos n’ont pas de concurrents populistes sérieux contre qui batailler pour la constitution hégémonique du sujet politique « peuple » - l’unique ennemi à affronter est la caste.

 

À l’inverse, Jean-Luc Mélenchon et le Front de Gauche doivent manœuvrer avec un adversaire populiste de droite. L’implantation dans le paysage politique français du Front National depuis les années 1970 est une donnée majeure : ce n’est pas un mais deux discours qui tentent d’occuper ce même espace. En effet, il s’agit de nommer et d’analyser avec précision celui qu’on désire combattre. Il est sans doute essentiel de rappeler publiquement et à intervalles réguliers que, selon la formule consacrée, si la façade a changé l’arrière-boutique reste la même : les déclarations de candidats FN aux départementales sont là pour qu'on ne l'oublie pas. Néanmoins, tout stratège politique doit analyser avec rigueur et précision le changement de paradigme impulsé par Marine Le Pen depuis 2011. La vague bleu marine ne se construit évidemment plus sur la vieille garde royaliste, nazie, pro-Algérie française ou le discours reaganien de son père. C’est bien la mouvance souverainiste menée par l’ancien chevènementiste Florian Philippot – toujours prompt à faire l’éloge du Parti communiste de Georges Marchais – qui influence le discours de Marine Le Pen.

 

  • « La tactique proposée par Jean-Luc Mélenchon lors de la campagne présidentielle fut celle du Front contre Front. »

 

Jean-Luc Mélenchon ne s’y trompe pas : « Elle répète des pans entiers de mes discours ». Le journal Fakir, dans un très bon article intitulé « Quand Marine Le Pen cause comme nous » (n°63), démontre la reprise un à un des thèmes historiques de la gauche par le parti frontiste : la critique de l’Union Européenne, la souveraineté du peuple, les multinationales qui ne payent pas d’impôt, les évadés fiscaux, le système financier prédateur, la pauvreté, le chômage, un État planificateur, la laïcité, etc.

 

 

- Front contre Front : peuple contre peuple

Marine Le Pen ne se contente pas de reprendre à son compte les analyses et les propositions classiquement connotées « à gauche ». Elle n'ignore rien du rôle des identités collectives en politique et s’en sert pour constituer, elle aussi, son peuple comme potentialité contre-hégémonique. En plus de l’opposition verticale entre le haut et le bas se superpose une opposition horizontale entre nous – le peuple français – et eux – les immigrés, les étrangers, les assistés. Par conséquent, le Front National embrasse à la fois des problématiques sociales et des problématiques culturelles qui mettent en jeu le rapport à l'autre et les modes de vie. Loin d’être la bête irréfléchie que d'aucuns croient, le Front National version Philippot est une machine gramscienne à investir le sens commun et les signifiants flottants. La mise en avant de la notion d’insécurité, qui va de la précarité de l’emploi jusqu’aux questions identitaires, en passant par les conditions de vie quotidiennes, exprime bien la mue populiste de l’extrême droite traditionnelle. Insécurité sociale, culturelle et physique se combinent dans un même discours unitaire, qui prend appui, ou le prétend, sur les expériences et ressentis individuels et collectifs.

 

  • « Au peuple identitaire du Front National, Mélenchon répond par l’inclusion dans son peuple républicain des vagues d’immigration récente. »

 

La tactique proposée par Jean-Luc Mélenchon lors de la campagne présidentielle fut celle du Front contre Front. Prenant acte de l’inefficacité des postures morales – danger du fascisme, les heures les plus sombres de notre histoire, valeurs républicaines, etc. –, l’ancien candidat à l’investiture choisit de décortiquer le programme économique du Font National pour mettre en évidence ses incohérences. Après avoir donné la contradiction dans l’émission phare de la campagne « Des paroles et des actes », sur France 2, avec Marine Le Pen, il va l’affronter sur ses terres aux législatives d’Hénin-Beaumont. Front contre Front mais aussi peuple contre peuple. Au peuple identitaire du Front National, Mélenchon répond lors de son discours sur les plages du Prado à Marseille à Marseille par l’inclusion dans son peuple républicain des vagues d’immigration récente, notamment « arabes et berbères du Maghreb », cibles privilégiées de la communauté nationale exclusive de ses rivaux.

 

- Assumer la radicalité populiste

Pour l’instant, le Front National s'avance en tête. Depuis la campagne pour les élections européennes, la stratégie offensive menée par le Front de Gauche contre Marine Le Pen, pour la conquête de cette espace politique vide décrit précédemment, semble se chercher. Jean-Luc Mélenchon présente deux explications majeures : l’une exogène et l’autre endogène à son camp. La première pointe celle des médias dominants qui, selon lui, jouent la carte Marine Le Pen. D’une part, « le parti médiatique » multiplie les publi-reportages la mettant en scène et centralise ses thématiques de prédilection. D’autre part, les producteurs principaux de contenus idéologiques structurent un air du temps identitaire par la mise en agenda permanente, et encore plus depuis les attentats de début janvier, de faits divers où se répètent à l’infini les signifiants antisémitisme, islam, islamisme, musulmans, juifs, religions, banlieues, délinquance, etc. Ainsi, le discours du Front de Gauche, où prédominent les référents économiques et sociaux, s’ancrerait plus difficilement dans un sens commun bombardé de conflits culturels (là où celui de Marine Le Pen s’y calque idéalement).

 

  • « Une partie du Front de Gauche se voit encore comme force d’appoint du Parti Socialiste aux élections (ce qui ne fait que redorer le blason supposément anti-système du Front National). »

 

La seconde endosse une responsabilité certaine qu’il renvoie à ses camarades communistes. « Le Front de Gauche s’est rendu illisible » par des accords aux municipales avec le Parti Socialiste. Sans nier la puissance d’injonction du message médiatique, intéressons-nous à ce domaine maîtrisable par Jean-Luc Mélenchon et ses alliés : la stratégie politique. Dans la configuration actuelle, assumer la radicalité populiste parait être la seule voie de crête empruntable. Assumer la radicalité populiste signifie construire un « autre populisme ». Cela implique de s’emparer et d’arroser les racines contemporaines de l’opposition peuple-oligarchie pour que fleurisse une nouvelle hégémonie sur la représentation du peuple. Pour le dire sans ambages : il n’est plus possible de délaisser au Front National le monopole du discours radical – même s’il n’est que d’apparence – d’un point de vue socialiste, ou pour le dire autrement, d’un point de vue anticapitaliste.

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Assumer la radicalité populiste suppose de comprendre les conditions d’émergence d’une situation populiste qui donnent sa matérialité à ce discours. Comme l'estime Mélenchon, elle se définit par l’ère de la souveraineté limitée, de l’illégitimité du grand nombre au profit de règles automatiques de bonne gouvernance, de la démocratie conditionnée aux arrangements d’experts. Ainsi, des revendications et thématiques longtemps éteintes redeviennent clivantes si et seulement si elles se présentent sous l’angle de la souveraineté. Dans cette configuration, refuser certains sujets car faisant écho à des marqueurs historiques du Front National – pour ne pas faire son jeu – revient à oublier qu’ils renvoient, avant toute chose, à la situation populiste dont les données se définissent de plus en plus par en haut. Quelle expression a, par exemple, marqué le sens commun pour décrire ce que Jean Louis Michéa nomme l’alternance unique du PS et de l’UMP ? L’UMPS. Pablo Iglesias de Podemos – qu’on peut difficilement taxer de fasciste – ne louvoie pas lorsqu’il est question de qualifier les politiques menées par les deux partis de gouvernements espagnols en alternance depuis 1982 : « La différence je ne la vois pas, c’est pepsi cola et coca cola ». Encore une fois, la question à se poser porte sur la radicalité de l’analyse dans la situation populiste et sa traduction dans les actes. Jean-Luc Mélenchon en est bien conscient – il n’hésite pas à dire qu’« Hollande, à maints égards, c’est pire que Sarkozy » –, mais une partie du Front de Gauche se voit encore comme force d’appoint du Parti Socialiste aux élections (ce qui ne fait que redorer le blason supposément anti-système du Front National).

 

De même, tout ce qui apparaît comme ayant été exclu de la délibération publique par ceux d’en haut, donc en dehors du champ de la souveraineté populaire – de la monnaie unique au protectionnisme en passant par les politiques migratoires –, détient une forte potentialité de clivage en situation populiste. Toute ambition hégémonique du sens commun qui n’assume pas la conflictualité sur des sujets déjà investis par le concurrent lui laisse le champ libre. Il s’agit à chaque fois de les réarticuler d’un point de vue social et économique, là où le Front National leur donne une signification identitaire et nationaliste. Ne pas laisser le champ libre sans rien céder sur le fond. Telle est la singularité de la ligne de crête populiste par rapport aux lacets de la gauche : plus sinueuse car débarrassée de la volonté d’incarner le Vrai et le Bien dans l’Histoire, plus dangereuse puisqu’à vocation majoritaire, mais menant aussi de façon plus directe jusqu'aux sommets car elle s’adresse et construit le sujet politique de notre ère : le peuple.

 

Note :

[1] Cette position de Karl Marx entre protectionnisme et libre-échange résume assez correctement ce qu’est faire la politique du pire : « Mais en  général, de nos jours, le système protecteur est conservateur, tandis que le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l'extrême l'antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C'est seulement dans ce sens révolutionnaire, Messieurs, que je vote en faveur du libre-échange. »

 

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1 avril 2015 3 01 /04 /avril /2015 08:00
Mélenchon, de la Gauche au Peuple (article 2/3)

Nous ne parlerons pas d'actualité. Nous ne parlerons pas de ses piques, bons mots et polémiques. Nous ne parlerons de scrutins ni d'alliances. En un mot comme en mille, tout a déjà été dit, ailleurs et partout, sur ces sujets. Jean-Luc Mélenchon est l'une des voix les plus connues, parce que médiatique, du socialisme critique contemporain : le personnage, comme le projet politique qu'il porte, ne fait naturellement pas l'unanimité dans la grande et cacophonique famille anticapitaliste — trop autoritaire et institutionnel pour les libertaires, trop social-démocrate pour les communistes radicaux, trop républicain pour les trotskystes...

 

L'intéressé a pourtant déclaré un jour : « Nous sommes tous des socialistes, des communistes, des écologistes, des trotskystes et même des libertaires à notre manière ! Nous sommes tout cela et nous sommes passionnément républicains ! Bref, nous sommes de gauche, en général et en particulier. Nous prenons tout et nous répondons de tout. » C'était en 2008. Or, depuis quelques mois, Mélenchon amorce un virage politique que l'on ne peut ignorer : le système, explique-t-il, ne redoute pas la gauche (qu'il peut à sa guise récupérer) mais le peuple. Dépassionner l'homme public pour rendre intelligible le cheminement de cette évolution : telle est l'ambition de cet article en trois parties dont vous trouverez le second texte ci-dessous.

 

Partie 2

 

Source : Revue-Ballast.fr par Alexis Gales - 11 mars 2015 Etudiant et orwellien.

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Pablo Iglesias, de Podemos (DR)
 

- L’ère du vol des mots et des signifiants flottants

Fin lecteur de George Orwell, l’eurodéputé témoigne des conséquences de « l’ère du vol des mots » (p. 26). Déjà lors de la campagne européenne de mai 2014, Mélenchon fustigeait «  les mots [qui] ne veulent plus rien dire. Ou bien s’ils veulent dire quelque chose, c’est le contraire de ce qui est dit » afin de proposer une sortie par le haut : « voilà comment il faudra les réinventer ». En effet, les mots sont des sédimentations historiques de sens et des puissants marqueurs symboliques. C’est évidemment le cas du mot gauche, dont l’écho dans le sens commun a été vidé de sa signification historique – être du côté des travailleurs. Mélenchon prend au sérieux l’expérience latino-américaine où ses camarades s’interdisaient de se revendiquer de la gauche puisque dans la tête des gens « gauche et droite c’est tout pareil » – puis rajoute : « Comment le démentir ? » (p. 27).

 

  • « Un signifiant trop ouvert – gauche ou progrès – ne permet pas d’assumer un antagonisme et, à l’inverse, un signifiant trop fermé et fortement clivant – marxiste – n’est séducteur que pour une minorité d’initiés. »

 

 

Si l’on se penche sur les influences latino-américaines de l’analyse mélenchonienne, il est indispensable de se référer au politiste argentin Ernest Laclau auteur de La raison populiste (2005). À rebours d’une conception procédurale de la démocratie, elle est pour Laclau un processus de construction/redéfinition constante des identités collectives. Ces identités se structurent autour de signifiants flottants qui sont l’arène des constructions hégémoniques concurrentes et de batailles pour imposer son ordre symbolique. Lors de période de crise d’hégémonie des superstructures, le champ des signifiants classiques se dissout. Ainsi, les forces politiques qui émergent doivent investir ces signifiants vidés de leur substance antérieure de manière stratégique. Un signifiant trop ouvert – par exemple gauche ou progrès – ne permet pas d’assumer un antagonisme et, à l’inverse, un signifiant trop fermé et fortement clivant – par exemple marxiste – n’est séducteur que pour une minorité d’initiés.

 

Jean-Luc Mélenchon, qui a rencontré et débattu avec Ernesto Laclau en Argentine, tente de mettre en pratique ces recommandations afin de reconfigurer le sens commun. Pour le tribun amoureux des mots et des concepts, il est aisé d’assumer la force performative du langage – quand dire crée du sens. Démocratie, patrie, système ou républicain, participent de ces catégories sujettes à disputes, tout comme le signifiant flottant par excellence : peuple.

 

 

- Constituer un nouveau bloc historique

L’étendard à porter sera donc celui du peuple, délaissant celui de gauche aux vautours de la rue de Solferino d’un côté et aux distributeurs de brevets révolutionnaires de l’autre. S’envolent progressivement les gens de gauche ou l’électorat de gauche pour laisser place au grand nombre, aux gens du commun et, en définitive, au peuple. Mélenchon assume une forme de populisme tout en critiquant la vacuité de ce concept qui, selon lui, en dit plus sur la haine de classe de ceux qui le prononce que d’une hypothétique essentialisation du peuple de leur contradicteur. Néanmoins, on retrouve bien une caractéristique populiste dans l’opposition verticale entre le haut – l’oligarchie – et le bas – le peuple – avec des intérêts en contradiction radicale.

 

  • « Mélenchon assume une forme de populisme tout en critiquant la vacuité de ce concept qui, selon lui, en dit plus sur la haine de classe de ceux qui le prononce. »

 

Cette rhétorique accompagne autant qu’elle construit ce qu’Ernesto Laclau nomme « la dichotomisation de l’espace social en deux camp antagonistes » (La raison populiste) lors d’une crise d’hégémonie du système politique. Loin de faire du peuple une essence et encore moins un élément de la structure sociale – qui reviendrait à définir des critères rigides de revenu, d’habitat, de diplôme etc. d’appartenance au peuple -, il est chez Mélenchon une « catégorie politique » ou, autrement dit, une potentialité contre-hégémonique. Cette dernière permet d’édifier un nouveau bloc historique, pour reprendre l’expression d’Antonio Gramsci, comme forces sociales convergentes autant sur des revendications matérielles que sur une vision du monde. Ainsi, si l’ennemi de l’oligarchie a le visage du capitalisme financier (dirigeants de fonds de pension, banquiers, patrons du CAC40, traders, etc.), alors l’artisan, le commerçant et même le petit patron peuvent participer à une « convergence des productifs » aux côtés des ouvriers et salariés sur le mot d’ordre d’une dé-financiarisation de l’économie.

 

 

- L’hégémonie culturelle : identifier, décrédibiliser, retourner

Comment constituer ce nouveau bloc historique comme potentialité contre-hégémonique ? L’action politique, pour Jean-Luc Mélenchon, s’appréhende en premier lieu par ses aspects culturels et a pour mission une « reconstruction de soi » qu’il nomme indistinctement « racine politique » ou « construction culturelle active » (intervention au symposium organisé par le Secrétariat de la Nation argentin, octobre 2012). Ainsi, il s’agit d’abord de dévoiler les vecteurs de l’hégémonie culturelle dominante au grand jour pour, ensuite, souffler sur les braises d’une conception du monde supérieure à celle des dominants. Mélenchon commence par identifier le cerbère à trois têtes gardien de l’ordre moderne – divertissement, publicité, médias politiques – afin de décrédibiliser ses représentants canoniques. Pour « rendre explicites les injonctions implicites de l’ordre […], les rendre visibles aux yeux de la conscience individuelle », le succès réside dans la conflictualisation des sujets dans l’arène politique, seule capable de « passer d’une hégémonie culturelle à une autre » (ibid.). C’est la stratégie qui consiste à taper dans la vitrine médiatique et ses experts cathodiques pour vacciner les consciences du schème de pensée qu’elle véhicule : il n’y a pas d’alternative.

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Nicolas Sarkozy et François Hollande le 8 mai 2012 (© Reuters)

 

Deux armes sont susceptibles de fendre « la deuxième peau du système » en la démystifiant. D’abord, l’eurodéputé tourne en ridicule, par l’humour et la raillerie, la force de l’évidence que recouvrent les discours dominants. « Moquez-vous d’eux ! », enjoint-il à ses concitoyens afin d’écorner la légitimité des importants qui façonnent l’air du temps – des caciques du PS et de l’UMP (40'30 - 47), aux journalistes et autres experts médiatiques. Puis, une fois l’effet démystificateur de la blague atteint, l’auditoire est dans les dispositions idéales pour la contre-argumentation seule capable de re-polariser le champ politique dans son sens : c’est la fonction contre-hégémonique de la radicalité concrète. Mélenchon s’inscrit dans la filiation jaurésienne qui, en son temps, abjurait ses contemporains à ne pas boire ses paroles car « envers une idée audacieuse […] vous avez le droit d’être exigeants […] de lui demander de faire ses preuves, […] par quelle série de formes juridiques et économiques elle assurera le passage de l’ordre existant à l’ordre nouveau » (discours du Pré-Saint-Gervais, 1913). Pourfendeur des « y’a qu’à, faut qu’on » médiatiques, l’explication de ses thèses occupe la majeure partie de son travail politique. Peu aidé par sa formation sur la poésie au XVIe siècle, Mélenchon se plie – non sans la récuser – aux exigences techniciennes de la grammaire médiatique où les spécificités de la politique fiscale libératoire s’enchainent avec les règlements de contrôle de l’activité numérique. Il s’évertue à déconstruire les argumentaires dominants au fil de ses interventions publiques. Cela implique d’accepter le débat quant à la traduction législative de la révolutionne citoyenne – et ne pas le renvoyer à la mission d’une classe élue par l’histoire.

 

  • « Exalter les affects ne ferait que réveiller la bête immonde du fascisme. Jean-Luc Mélenchon se targue d’avoir rompu avec une tradition rationaliste de son camp. »

 

Plus difficile, cette stratégie consiste également à conflictualiser les représentations qui passent par des canaux infrapolitiques, c’est-à-dire le divertissement et la publicité. Sa critique de l’histoire de la Révolution française véhiculée par le jeu vidéo Assasin's Creed en est un bon exemple. Néanmoins, parler à la raison ne suffit pas pour retourner l’hégémonie. Puisque l’ordre globalitaire (cf. seconde partie de l'article) investit jusqu’à l’intimité de chacun en constituant des subjectivités – des rapports à soi et au monde – ainsi que des comportements propices à l’accumulation capitaliste, la tentative contre-hégémonique doit se situer sur le même terrain. Toutefois, la gauche est prise de panique dès qu’il est question de passions politiques car traumatisées par les expériences totalitaires du XXe siècle. Exalter les affects ne ferait que réveiller la bête immonde du fascisme. Jean-Luc Mélenchon se targue d’avoir rompu avec une tradition rationaliste de son camp : « Je parle à ton cœur ».

 

L’idée est de glorifier les valeurs anticapitalistes – « les gisements culturels précapitalistes » de Cornlius Castoriadis – qui s’entremêlent et font un compromis quotidien avec l’ordre marchand de l’intérêt rationnel. A la logique de la concurrence et du profit, l’ancien candidat à la présidentielle loue les vertus de la solidarité et du désintéressement. Sont de retour sur la place publique les termes d’honneur, de morale, de dignité et même d’amour. Sans idéaliser les pratiques populaires, Mélenchon s’éloigne des considérations d’une certaine gauche abhorrant le travail manuel au profit du loisir intellectuel et discréditant les activités culturelles dites non légitimes. Qu’il soit question « de l’amour du travail bien fait » ou « des petits bonheurs simples de la vie », le tribun évoque à chaque meeting la simplicité du quotidien en opposition à l’opulence des puissants. Par exemple, sa défense du repos dominical s’inscrit explicitement dans cette bataille « valeurs contre valeurs ».

 

 

- S’emparer de la culture du pays

  • « Ces monuments de l’imaginaire collectif populaire incarnent autre chose qu’une simple identité particulière : ils représentent la capacité d’un peuple à décider de son destin. »

 

Raison, intériorité et… histoire politique commune. Là où la culture dominante discrédite le passé pour valoriser un présent de jouissance immédiate, l’identification à un récit collectif fait bégayer les rouages de l’hégémonie culturelle ; là où elle uniformise sur le mode de la marchandise globalisée, le référent national l’attaque de front. Les révolutions citoyennes d’Amérique latine ont chacune porté, en confrontation à leurs élites mondialisées issues du monde anglo-saxon, une identité nationale puisée dans leur histoire politique et culturelle. C’est la figure de Boliva au Venezuela, celles de San Martin et Juan Domingo Perôn en Argentine ou de la culture indigène représentée par Tûpac Amaru en Bolivie. Ces monuments de l’imaginaire collectif populaire incarnent autre chose qu’une simple identité particulière : ils représentent la capacité d’un peuple à décider de son destin contre les règles automatiques d’une technocratie ; autrement dit, la souveraineté.

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Jean Jaurès au Pré-Saint-Gervais, le 25 mai 1913. (© Maurice-Louis Branger / Roger-Viollet)

 

Jean-Luc Mélenchon décèle une configuration semblable en Europe. Devant la pauvreté du récit collectif porté par les tenants de l’Union Européenne – la sempiternelle « Europe de la paix » –, qui cache son agencement technocratique, la constitution contre-hégémonique du peuple doit prendre appui sur une identité nationale. De qui sommes-nous les héritiers ? Fille de la Grande révolution de 1789, l’identité française se confond avec son identité républicaine : « La Nation est une construction et non une essence » (Discours à l'agora de l'Humanité sur les discours de Jaurès en Amérique latine septembre 2010). En effet, en connaisseur de l’histoire révolutionnaire française, Mélenchon s’emploie à retisser le fil de la conception émancipatrice de la Nation. Il exhume la figure de Maximilien Robespierre afin de lier Révolution bourgeoise et revendications démocratiques et sociales du mouvement socialiste. Ainsi, l’identité française sublimée – « la patrie républicaine » – se confond avec la citoyenneté et les droits politiques qui en découlent : elle est la souveraineté même du peuple. Puisque les Français n'ont pas la même couleur de peau, la même religion, les mêmes coutumes et que même la langue n'est pas le plus petit dénominateur commun, la Nation française ne peut être fondée sur une approche ethnique, religieuse ou culturelle. Seul le consentement au pacte politique la définit.

 

  • « De qui sommes-nous les héritiers ? »

 

La rhétorique mélenchonienne propose une identité collective à se réapproprier qui mixe histoire républicaine et histoire socialiste. Pendant la campagne de 2012, le tribun dispense des leçons à la fois d’histoire des symboles du mouvement ouvrier (L’Internationale, le drapeau rouge, le poing fermé, la Commune de Paris) et de l’imaginaire républicain (récit des épopées de 1789, citations de Victor Hugo, la résistance au nazisme). Par conséquent, c’est la personne emblématique de Jean Jaurès qui incarne le mieux cette synthèse. On retrouve chez Mélenchon, et encore plus chez Pablo Iglesias – qui s’appuie lui sur l’imaginaire républicain espagnol contre la monarchie –, la valorisation sémantique de la « patrie » comme propriété de ceux qui n’en ont pas. Elle est celle qui éduque, qui soigne, qui protège et doit donc être arrachée à la caste passagère qui l’accapare pour son intérêt ou celui des puissances financières.

 

 

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31 mars 2015 2 31 /03 /mars /2015 08:00
Mélenchon, de la Gauche au Peuple (article 1/3)

Nous ne parlerons pas d'actualité. Nous ne parlerons pas de ses piques, bons mots et polémiques. Nous ne parlerons de scrutins ni d'alliances. En un mot comme en mille, tout a déjà été dit, ailleurs et partout, sur ces sujets. Jean-Luc Mélenchon est l'une des voix les plus connues, parce que médiatique, du socialisme critique contemporain : le personnage, comme le projet politique qu'il porte, ne fait naturellement pas l'unanimité dans la grande et cacophonique famille anticapitaliste — trop autoritaire et institutionnel pour les libertaires, trop social-démocrate pour les communistes radicaux, trop républicain pour les trotskystes...

 

L'intéressé a pourtant déclaré un jour : « Nous sommes tous des socialistes, des communistes, des écologistes, des trotskystes et même des libertaires à notre manière ! Nous sommes tout cela et nous sommes passionnément républicains ! Bref, nous sommes de gauche, en général et en particulier. Nous prenons tout et nous répondons de tout. » C'était en 2008. Or, depuis quelques mois, Mélenchon amorce un virage politique que l'on ne peut ignorer : le système, explique-t-il, ne redoute pas la gauche (qu'il peut à sa guise récupérer) mais le peuple. Dépassionner l'homme public pour rendre intelligible le cheminement de cette évolution : telle est l'ambition de cet article en trois parties dont vous trouverez le premier texte ci-dessous.

 

Partie 1

 

Source : Revue-Ballast.fr par Alexis Gales - 11 mars 2015 Etudiant et orwellien.

Si notre attention se limite à ses bons mots travaillés au millimètre ou à ses commentateurs médiatiques, la partition jouée par Jean-Luc Mélenchon semble demeurer intacte. Incarner la colère populaire par le parler « dru et cru », taper sur les représentants du système de Merkel aux locataires de la rue de Solférino en passant par la Commission européenne, retourner les procès médiatiques en populisme ou germanophobie contre leurs auteurs, travailler à une opposition de gauche au gouvernement en vue des élections intermédiaires… sa stratégie politique suit la ligne tracée depuis mai 2012. Néanmoins, la mélodie de fond s’est bouleversée ces derniers mois. Si l’on tend cette fois-ci l’oreille en deçà des radars du spectacle, le ciment historique sur lequel Mélenchon s’est construit vacille. Aux références à la gauche – même la « vraie » ou la « radicale » – se substituent celles au peuple. Le parti politique n’encadre plus au profit d’initiatives citoyennes, le clivage gauche-droite s’éteint sous l’opposition peuple-oligarchie, à ses anciens livres En quête de gauche et l’Autre gauche leur succèdent Qu’ils s’en aillent tous et L’ère du peuple. Bref, le député européen aurait posé l’étendard « gauche », lui préférant celui de « peuple ». Au-delà du simple signifiant, ce passage de la gauche vers le peuple est le fruit d’une importante réflexion autant intellectuelle que stratégique.

 

  • « La mélodie de fond s’est bouleversée ces derniers mois. Si l’on tend cette fois-ci l’oreille en deçà des radars du spectacle, le ciment historique sur lequel Mélenchon s’est construit vacille. »

 

En effet, Jean-Luc Mélenchon se plaît à être qualifié d’intellectuel. Héritier d’une longue tradition, ce qu’on nomme le mouvement socialiste a toujours eu à sa tête des théoriciens de la pratique. Les hommes et les femmes capables d’analyser avec précision et méthode les contradictions de leur époque afin d’en tirer une stratégie révolutionnaire ont historiquement tenu le haut du pavé : Jean Jaurès, Rosa Luxembourg ou Antonio Gramsci, pour citer les plus éminents représentants. C’est ce travail de fond que soumet aujourd’hui le fondateur du Parti de Gauche lorsqu’il entend démontrer que l’ère du peuple frappe à la porte de l’Histoire, enterrant implicitement l’ère de la gauche dans un passé révolu. Du constat de trois grandes bifurcations en jeu – anthropologique, climatique et géopolitique – émerge un nouvel acteur de l’Histoire, le peuple urbain, et son nouveau terrain d’expression, l’espace public, ainsi qu’une stratégie de prise de pouvoir, la révolution citoyenne, adossée à la doctrine émancipatrice de notre temps : l’éco-socialisme.

 

Pour saisir ce nouveau chemin de crête, il est nécessaire de revenir à ses soubassements philosophiques originaires et ses référents intellectuels. Le moins que l’on puisse dire, c’est que notre licencié de philosophie n’en est pas avare. Dépassionner le personnage pour rendre intelligible le cheminement de sa pensée : voilà notre idée directrice.

 

 

L’outil matérialiste : les trois bifurcations

Toute doctrine politique s’appuie sur un diagnostic du monde qui l’entoure. Néanmoins, la méthode utilisée afin d’élaborer ce constat n’est pas neutre. Elle implique de trancher, même implicitement, des questions fondamentales comme la nature de l’Homme ou d’adopter une certaine philosophie de l’Histoire. Ainsi, dans le tableau que Jean-Luc Mélenchon nous propose des sociétés humaines à l’aube du XXIe siècle apparaît à grands traits l’outil matérialiste d’explication du monde. Le jeune Mélenchon doit à la lecture de L’idéologie allemande son adhésion au matérialisme historique, évoqué comme une « révélation » : le référent premier doit être l’activité pratique de l’Homme, c’est-à-dire le mode de production par l’Homme de ses moyens d’existence. L’approche d’un matérialiste sur les évènements se caractérise par une méthode – le matérialisme dialectique – résumée en trois principes : la primauté de la matière concrète du réel, le réel comme processus, les processus comme parties intégrantes d’une totalité.

Place de la Bastille (DR)
 

- Anthropologie, climat et géopolitique

Le point de départ de son étude à vocation scientifique des sociétés humaines est une loi qui guide leur marche : celle du nombre et de la reproduction biologique. De la croissance exponentielle de l’humanité – il a fallu deux cent mille ans pour atteindre le premier milliard et seulement onze pour passer de six à sept milliards ! – dépend tout le reste de l’organisation sociale. C’est « la condition humaine elle-même » (L’ère du peuple, p. 34) qui se retrouve bouleversée puisque les besoins humains entrainent l’invention de nouvelles techniques ainsi que l’expansion de l’humanité sur le globe entier et dans les mers. On retrouve ici l’idée d’un certain déterminisme causal : « L’histoire humaine est d’abord celle du nombre des individus qui la composent » (ibid.). Fidèle à la tradition marxiste, Mélenchon refuse de définir une nature de l’Homme au profit d’une production de soi par le rapport socialisé au monde. Quel degré de proximité y a-t-il entre les premiers groupes humains vivant de la cueillette et l’homme contemporain, hybridé avec la machine et achetant son repas au supermarché ? Peut-on parler de la même humanité entre une femme enceinte dès l’âge de la puberté et s’éteignant avant d’atteindre la trentaine et celle d’aujourd’hui choisissant d’enfanter grâce à la contraception – « une aptitude biologique n’est plus un destin social » – et vivant jusqu’à quatre-vingt-cinq ans ?

 

  • « Fidèle à la tradition marxiste, Mélenchon refuse de définir une nature de l’Homme au profit d’une production de soi par le rapport socialisé au monde. »

 

La bifurcation anthropologique de l’humanité remodèle jusqu’à son rapport au temps. Ce dernier, « propriété de l’univers social » et défini comme « le rythme auquel se font les choses » (p. 93), n’est pas immuable à travers les époques. Entre la société paysanne contrainte par la temporalité de l’agriculture et les cycles saisonniers au « temps zéro » des flux financiers internationaux se trouve un abysse que l’humanité a sauté en moins de deux siècles. L’accroissement du nombre lui-même, multiplicateur des liens et catalyseur des bouleversements de l’histoire humaine, induit quasi-mécaniquement l’invention de techniques et le mode de production et d’échange. Le capitalisme financiarisé façonne donc le rapport humain au temps – celui de la vie, des objets, des savoirs etc. – en imposant la temporalité dominante des possédants. Mélenchon semble calquer la découpe analytique matérialiste entre une infrastructure des rapports de production déterminant intégralement une superstructure idéel – ici le rapport individuel et collectif au temps.

 

La conséquence directe du nombre croissant des êtres humains est le danger de leur activité sur l’écosystème. La course aux matières premières et le modèle productiviste afin de répondre aux besoins humains entraînent l’émission massive de gaz carbonique qui réchauffe l’atmosphère. Cela conduit à une réaction en chaîne : température plus élevée, fonte des glaces, élévation du niveau de la mer et libération de gaz à effet de serre, accélération de l’évaporation donc des pluies, bouleversement de la biodiversité, extinction d’espèces etc. Une ère nouvelle a pris place : l’anthropocène, celle des hommes. La bifurcation climatique, encore plus que la bifurcation anthropologique, s’explique par les lois de la science (la climatologie en tête). En effet, Jean-Luc Mélenchon est un des rares hommes politiques à entretenir un dialogue constant avec les sciences « dures ». Il utilise nombre de métaphores scientifiques afin de rendre compte du monde social (comme les processus stochastiques issus de la physique des systèmes dynamiques ou le principe d'incertitude venu de la physique quantique).

 

  • « Le capitalisme financiarisé façonne donc le rapport humain au temps – celui de la vie, des objets, des savoirs etc. – en imposant la temporalité dominante des possédants. »

 

La troisième bifurcation, géopolitique, suit le même schéma. Partant d’une analyse matérialiste en termes de rapports de force monétaires et de structure de l’économie américaine, Mélenchon en conclut l’attitude, par intérêt, belliqueuse des États-Unis d’Amérique et de son bras armé, l’OTAN. Le gouvernement nord-américain a imprimé une masse gigantesque de dollars sans aucune contrepartie matérielle dont il assure la valeur par sa présence militaire aux quatre coins du globe. De même, le volant d’entrainement de l’économie américaine est inféodé au complexe militaro-industriel. Ces deux éléments matériels poussent à une production et une présence militaire toujours plus importantes. Ainsi, il détricote le « voile tissé des fils les plus immatériels [de l’idéalisme] » (Marx) propre à la rhétorique d’un « choc des civilisations », théorisé par Samuel Huntington au milieu des années 1990, d’hypothétiques valeurs de Démocratie et de Droits de l’homme à défendre les armes à la main le long des pipelines de pétrole. Mélenchon prédit donc une bifurcation géopolitique de l’ordre mondial lorsque les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), et leur monnaie d’échange récemment institué pour concurrencer le dollar, devanceront les États-Unis en termes de puissance économique. Il assume le primat du changement sur l’essence, des processus sur les choses. Cette vision processuelle du réel, où l’accent est mis sur le caractère mouvant et transitoire de toutes choses, est indissociable des analyses mélenchoniennes.

 

Enfin, et de manière évidemment liée, la méthode matérialiste ne pense pas les processus comme indépendants entre eux. Ces trois bifurcations ne sont pas irréductibles les unes aux autres, mais au contraire, communiquent si étroitement qu’elles n’en font qu’une. Facteurs démographiques, économiques, techniques, écologiques, militaires et géopolitiques se mêlent constamment dans ses explications. De fait, la totalité ou la globalité de la dialectique s’incarne dans la capacité à éclairer les connexions du mouvement d’ensemble. Face à un mouvement général d’extériorisation et de juxtaposition des thématiques contemporaines, Jean-Luc Mélenchon s’évertue à collecter les pièces du puzzle et à pointer les manifestations, à première vue insignifiantes, du capitalisme en tant que système.

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Cinquième sommet des BRICS, 2013 (DR)
 

Le nouvel acteur de l’Histoire : le peuple

Face au constat dominé par l’émergence du grand nombre sur la scène de l’histoire, qui porte le drapeau de la révolte ? Le matérialisme historique dont s’est revendiqué le mouvement socialiste jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle ne jure que par la classe ouvrière comme protagoniste de l’Histoire de l’humanité. Un ensemble homogène dont l’appartenance exclusive se trouve rabattu sur sa position dans le processus de production. Bien que cotisant à l’outil matérialiste d’explication du monde, Jean-Luc Mélenchon s’est distancié, depuis son premier ouvrage À la conquête du chaos, en 1991, d’une lecture dogmatique et anhistorique du marxisme. Il s’agit de distinguer chez Mélenchon, à l’instar des travaux de Louis Althusser, entre une philosophie marxiste comme méthode dont il se réclame et une théorie scientifique de l’histoire qu’il nuance abondamment. C’est dans le contexte de cette remise en question globale de lois déterministes de l’histoire des sociétés humaines qu’il faut comprendre le recours au peuple supplantant la classe ouvrière.

 

 

- Relativiser la marche matérialiste de l’Histoire

  • « Le déterminisme historique marxiste postule la succession de formes d’organisations sociales liées positivement entre elles puisque chaque étape postérieure rapproche l’Homme du stade ultime. »

 

L’apostasie tombe comme un couperet dès son tout premier ouvrage : « Le socialisme n’est-il qu’un mythe prophétique comme un autre ? » Cette question existentielle se comprend dans le contexte terrible du débat politique des années 1990. Le mur de Berlin emmène dans sa chute la fin de l’Histoire et des grandes idéologies. S’attaquer en 1991 au matérialisme historique tout en méprisant l’avènement concomitant de la science économique néoclassique (dite rationnelle) apparaît comme un jeu d’équilibriste. Jean-Luc Mélenchon, conscient de l’incapacité d’une loi matérialiste à expliquer l’intégralité des évènements de son temps, entreprend « d’en finir avec les conceptions théologiques de la politique : son rôle n’est pas de se présenter comme la science globale de l’activité humaine ou comme la religion des jours meilleurs ». Libéralisme et déterminisme historique se confondent dans cet énoncé. Face à une élite politique social-démocrate qui s’immisce avec enthousiasme dans ce nouveau rabattage des cartes – « les nouveaux parvenus du socialisme gestionnaire et leur réalisme de pacotille » – et l’extrême gauche – « les récitants du catéchisme marxiste du passé » –, celui qui a été le plus jeune sénateur français ouvre la voie à une nouvelle théorie apte à comprendre le « mouvement réel des sociétés humaines » par l’interaction des composants isolés du système. Si, comme le dit George Orwel, « il est nécessaire, pour défendre le socialisme, de commencer à l’attaquer », l’assaut proposé par Mélenchon cible un de ses piliers canoniques : la théorie des stades de développement.

 

Le déterminisme historique marxiste postule la succession de formes d’organisations sociales liées positivement entre elles puisque chaque étape postérieure rapproche l’Homme du stade ultime où sa condition sociale coïncidera avec l’idée qu’il se fait de lui-même. L’histoire des sociétés humaines s’expliquerait donc avant tout par des raisons économiques et techniques : elle serait régie par un « mystérieux programme transcendant […] qui a pour noyau dur le développement continuel de l’invention technique et scientifique […] non seulement automatique mais également d’une neutralité philosophique absolue » (Orwell Educateur, Jean-Claude Michéa). Mélenchon engage son apostasie. Les faits culturels, les structures mentales ou l’imaginaire collectif sont susceptibles d’empêcher, de ralentir ou à l’inverse, de favoriser, d’accélérer le dépassement des ordres sociaux économiques, les avancées technologiques ou le mode de production. Quelle stupeur traversa le courant marxiste lorsque des ethnologues conclurent que l’invention de l’agriculture ne fut en rien une solution pragmatique pour pallier à la précarité de la cueillette mais la conséquence fortuite d’un banal culte consistant à enterrer des graines. La présence ou l’absence de conditions politiques et culturelles nuancent le déterminisme technique des stades évolutifs. En effet, la critique de la linéarité des processus historiques fit l’objet d’un examen précis par Jean-Luc Mélenchon qu’il condensa dans son premier ouvrage À la conquête du chaos. L’incertitude serait donc une « propriété indépassable de l’univers social ».

 

 

- De la classe ouvrière au peuple urbain

  • « Les bouleversements du monde salarié en un émiettement des catégories socioprofessionnelles ont flouté les repères traditionnels.»

 

Quel acteur désigne alors Jean-Luc Mélenchon pour hériter du témoin révolutionnaire ? La catégorie marxiste de classe ouvrière avait l’avantage de définir une frontière nette entre travailleurs – Gramsci y incluait la paysannerie – et capitalistes : détenteurs de leur seule force de travail contre détenteurs du capital. Néanmoins, les bouleversements du monde salarié en un émiettement des catégories socioprofessionnelles – ouvriers d’industrie, ouvriers agricoles, employés de service, fonctionnaires, cadres d’entreprise, chômeurs etc. – ont flouté les repères traditionnels. Ainsi, se comprend l’usage récurrent du concept de peuple au détriment de celui de classe. Même si cette référence s’articule partiellement autour de la notion de peuple-classe – ensemble des dominés dans les rapports de production –, il reste la dominante du laïkos – le peuple dans son indivisibilité. C’est toute la mythologie du fardeau de la classe ouvrière quant à son rôle révolutionnaire qui s’écroule. Mélenchon ne croit pas que « la classe ouvrière ait à s’emparer par elle-même du pouvoir d’ensemble de la société et que c’est de son mouvement mécanique que va résulter le bien commun » (Discours à la loge du Grand Orient, janvier 2012).

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Par Lewis Hine, 1931

Pour Mélenchon, le successeur de l’homo laborans sera l’homo urbanus, celui de la classe ouvrière le peuple urbain. Encore une fois, la clé de lecture est le fait populationnel urbain qui tend à s’universaliser et implique des « liens forts d’interdépendance, […] une vaste machinerie sociale concentrée en milieu urbain » (p. 110). De ce phénomène émerge la figure première et indépendante de la condition sociale érigée par la modernité politique occidentale : l’individu. Il s’empresse de le rappeler dès qu’il en a l’occasion. Sa matrice originelle, celle à partir de laquelle il a construit sa vie de militant politique, est la doctrine qui « a libéré l’individu » du « vieux monde », décrit comme un « fatras de privilèges et de puissants ». La philosophie des Lumières « habite émotionnellement » (7 mars 2012, émission La fabrique de l'Histoire) le natif de Tanger depuis son plus jeune âge.

 

  • « Chaque individu est capable de s’arracher des institutions (famille, Église, communauté villageoise) ou médiations (patriarche, curé, préjugés) qui lui barrent la route de l’autonomie intellectuelle. »

 

Un des grands principes philosophiques dont il se fait l’héritier est le statut de la raison. L’idée d’une transcendance antérieure à la volonté humaine à laquelle il devrait se soumettre intégralement est battue en brèche par les philosophes du XVIIe et XVIIIe siècle : l’Homme est capable d’autonomie, il peut s’instituer sa propre loi. La première des autonomies étant, évidemment, celle de penser par soi-même. Ce primat de la raison individuelle sur les déterminants extérieurs ou antérieures à la condition humaine fonde l’approche politique de Jean-Luc Mélenchon, d’où son constant appel aux capacités réflexives de chacun. Chaque individu est capable de s’arracher des institutions (famille, Église, communauté villageoise) ou médiations (patriarche, curé, préjugés) qui lui barrent la route de l’autonomie intellectuelle. La ville permet plus en amont l’épanouissement de cette individualité enténébrée dans les anciennes structures sociales.

 

 

- De l’usine à l’espace public

À chaque sujet révolutionnaire de l’Histoire correspond un lieu physique à sublimer par l’action du nombre. Dans l’analyse marxiste traditionnelle, le prolétariat ouvrier doit s’emparer de son terrain de prédilection où se produit la richesse : l’usine. Ce lieu qui cristallise les contradictions du système permet une double prise de pouvoir. La première est une prise de pouvoir sur soi, sur sa subjectivité au contact d’une condition sociale partagée par ses semblables – c’est le passage chez Marx d’une classe en soi (avec des intérêts communs) à une classe pour soi (consciente de ses intérêts communs). La seconde est une prise de pouvoir matérielle sur le lieu lui-même, de possession collective par la dépossession privée. « L’entreprise n’est plus le lieu central où s’exprime une conscience politique globale » (p. 123) assène Jean-Luc Mélenchon. Désindustrialisation, délocalisations, criminalisation de l’action syndicale, menaces de licenciement et éclatement des grandes industries en entités de petites tailles ont eu raison de la figure emblématique de l’usine. La partition révolutionnaire du peuple urbain se joue donc sur une autre scène : l’espace public, et son incarnation contemporaine, la ville.

 

  • « Le nouvel âge des révolutions se caractérise donc par le déferlement du peuple en ville et l’occupation des places poussés par des revendications communes de conditions dignes d’existence. »

 

La ville moderne symbolise plus que jamais les rapports de domination capitalistes entre des centres villes embourgeoisés, des ghettos riches, des grands ensembles où se concentrent la misère et une relégation périurbaine qui reflète des nouvelles formes de relégations sociales. Si, pour Mélenchon le matérialiste, « à toute condition sociale finit par correspondre une conscience collective » (p. 115), alors émerge une condition urbaine autour d’enjeux collectifs comme les transports, la santé, l’éducation, l’emploi ou l’habitat. Le nouvel âge des révolutions se caractérise donc par le déferlement du peuple en ville et l’occupation des places poussés par des revendications communes de conditions dignes d’existence. De la Puerta del Sol à la place Tahrir en passant par les révolutions latino-américaines, le schéma suit la dilution de la classe ouvrière homogène dans un peuple urbain hétérogène. De plus, le nouvel âge des réseaux – celui des réseaux sociaux sur la toile –  dédouble et amplifie l’espace public formant « une cité sans fin » (p. 109). Mélenchon critique l’opposition simpliste entre matérialité du face-à-face et virtualité du réseau social. Le rôle joué par ces derniers en Égypte, Tunisie, Espagne ou Turquie comme catalyseur des forces matérielles ne peut être négligé. Ainsi, la mise en réseau numérique, tout comme la mise en réseau physique (transports, électricité, eau) participe à la formation d’une conscience collective urbaine.

 

Laissons l’eurodéputé conclure : « Le peuple est le sujet de l’histoire contemporaine. Le peuple c’est la multitude urbaine prenant conscience d’elle-même à travers ses revendications communes » (p. 119).

 

 

La révolution citoyenne : la leçon latino-américaine

Si la figure révolutionnaire ainsi que son terrain d’épanouissement se sont modifiés, alors il en va de même pour la stratégie d’action à suivre. La révolution qu’appelle de ses vœux Jean-Luc Mélenchon est et ne peut être que doublement citoyenne. Citoyenne d’abord car portée, comme nous venons de le voir, par l’individu-citoyen au-delà de sa simple place dans le processus de production. Citoyenne ensuite car englobant des objectifs universels au-delà de la simple socialisation des moyens de productions comme la défense de l’écosystème. Plus que de répéter la définition canonique qu’en donne Mélenchon – révolution du régime de la propriété, des normes juridiques et de l’ordre institutionnel –, tentons de voir l’inspiration historique que furent les révolutions citoyennes d’Amérique latine ainsi que ses influences intellectuelles dans la tradition marxiste.

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Mélenchon et Chavez (DR)
 

- Le laboratoire latino-américain

  • « L’Amérique du Sud représente le traumatisme du coup d’État contre Salvador Allende et les récits "des nôtres" – les militants socialistes et communistes – retrouvés dans les fosses communes. »

« Non, l’Histoire n’est pas finie ! », tel est le message plein d’espoir que tire Jean-Luc Mélenchon des mouvements populaires latino-américains, qui se traduisirent par les victoires électorales entre 1999 et 2006 d’Hugo Chavez au Venezuela, Lula au Brésil, Néstor Kirchner en Argentine, Tabaré Vazquez en Uruguay, Evo Morales en Bolivie et Rafael Correa en Équateur. Celui que les médias aiment caricaturer en « petit Chávez » assume son tropisme sud-américain. Pour sa génération de militants politiques, l’Amérique du Sud représente le traumatisme du coup d’État contre Salvador Allende et les récits « des nôtres » – les militants socialistes et communistes – retrouvés dans les fosses communes. Suite à la chute des dictatures et la transition à des démocraties formelles, les pays latino-américains furent le théâtre d’une nouvelle rationalité politique : celle des politiques néolibérales résumées dans le consensus de Washington. Néanmoins, dès 1990 la contre-offensive des mouvements progressistes s’organise dans le Foro de Sao Paulo, lieu de réflexions inédit puisqu’il rassemble au-delà des Internationales Communistes et Socialistes. C’est en allant analyser le moment politique latino-américain que Mélenchon a affiné sa stratégie de révolution citoyenne.

 

 

- De l’astre mort social-démocrate à la révolution citoyenne

Le point de départ de la réflexion est un double constat posé aussi bien par les participants au forum que par Jean-Luc Mélenchon : la chute du bloc soviétique et l’astre mort qu’est devenue la social-démocratie. Si pour l’ancien sénateur socialiste la rupture avec l’Union Soviétique était consommée dès son engagement de jeunesse trotskyste, sa réflexion s’est nourrie des turpitudes dont se sont rendues coupables les partis sociaux-démocrates latino-américains. La multiplication de coalitions gouvernementales avec les partis de centre-droit, l’éviction des partis communistes, l’alignement politique sur les recommandations du Fonds Monétaire International, le dépérissement de toute assise populaire, l’embourgeoisement des dirigeants et militants, l’absence totale de renouvellement doctrinal... fusionnent dans le verdict de Mélenchon : un astre mort. Cela s’incarne de manière emblématique dans le Pacte de Punto Fijo (du nom de la ville vénézuélienne) qui acte une alternance politique organisée entre les deux grands partis de centre-droit et de centre-gauche.

 

  • « Le fondateur du Parti de Gauche détecte le point commun des révoltes populaires en Amérique latine : des décisions politiques qui frappent de plein fouet les conditions de vie du peuple urbain. »

 

Jean-Luc Mélenchon transpose rapidement ce constat au Vieux Continent. Dans son ouvrage En quête de Jean-Luc Mélenchon transpose rapidement ce constat au Vieux Continent. Dans son ouvrage En quête de gauche publié en 2007, il établit un tour d’horizon des partis sociaux-démocrates européens. Il analyse avec précision la bifurcation idéologique de la « troisième voie » chère à Tony Blair ; théorie fondée sur une opposition rhétorique de réformateurs dans un monde qui bouge face à des conservatismes sociaux ou idéologiques ainsi que sur le dépassement du clivage gauche-droite autour d’un consensus partagé – le fameux « cercle de la raison » d’Alain MincOutre le « désastre social » qu’implique le ralliement de la social-démocratie à l’adaptation aux contraintes, la succession d’alternances politiques dans ce cadre conduit à des « marées d’abstention ». Mélenchon décèle le même phénomène dans l’Amérique latine des années 1990 et l’Europe d’aujourd’hui. Face à une élite nationale qui verrouille le pouvoir en s’en dépossédant au profit d’une oligarchie supranationale – le FMI pour l’Amérique latine, l’Union Européenne pour l’Europe –, le peuple entame sa grève civique. « L’abstention prend alors l’apparence d’une autodissolution du peuple » (p. 129) alors qu’elle demeure éminemment politique : un rejet d’institutions ne permettant plus d’exercer la souveraineté, rejet qui s’exprime dans le langage d’une dénonciation plus vaste « du système ». Puis, dans cette séquence, un déclencheur fortuit catalyse cette politisation sous les radars officiels. Le fondateur du Parti de Gauche détecte le point commun des révoltes populaires en Amérique latine : des décisions politiques qui frappent de plein fouet les conditions de vie du peuple urbain. En effet, la hausse du prix des transports en commun au Venezuela aboutit au « Caracazo » en 1989, celle de l’eau suite à sa privatisation en Bolivie entraîne « la guerre de l’eau de Cochabamba » en 2000 et en Argentine la réduction drastique de la monnaie en circulation se traduit par les « cacerolazos » et « piqueteros » ; ce processus global étant guidé par le mot d’ordre argentin « que se vayan todos » (qu’ils s’en aillent tous).

 

Ces révoltes populaires ont trouvé en Amérique latine leur incarnation institutionnelle par des mouvements politiques – que Mélenchon appelait jusqu’à récemment « l’Autre gauche » – à travers le processus constituant : la conjonction des deux moments façonnent la révolution citoyenne. Il s’agit donc de se pencher sur la stratégie à adopter dans cette configuration politique. Celle tracée par Mélenchon fait la synthèse de deux traditions révolutionnaires du début du XXe siècle : à la rencontre de Rosa Luxemburg et d’Antonio Gramsci.

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Rosa Luxemburg, 1912 (DR)
 

- Au croisement de l’étincelle incendiaire…

  • « La révolution citoyenne a l’ambition de faire la synthèse entre un programme politique révolutionnaire et sa légitimation institutionnelle par les élections au suffrage universel. »

 

Mélenchon cultive, à l’instar de Rosa Luxemburg, le volontarisme et l’infatigable pensum accélérant le processus historique. Si l’action autonome des travailleurs – désormais, donc, du peuple – doit prévaloir lors du moment révolutionnaire, l’avant-garde éclairée a néanmoins un rôle éminent dans sa période préparatoire : « devancer le cours des choses, de chercher à le précipiter » (Rosa Luxemburg) ou « d’éclairer le chemin » (Jean-Luc Mélenchon). D’où le travail consciencieux de théorisation, d’explication des événements et de polémique politique qui s’actualise avec les moyens de diffusion propre à chaque époque (tracts, réunions publiques, livres, vidéos internet…). Alors que Luxemburg excellait dans la rédaction de courtes brochures explicatives, Jean-Luc Mélenchon met un point d’honneur à restituer le moment politique dans de copieux billets hebdomadaires sur son blog.

 

En outre, le député européen fait sien l’héritage spartakiste relatif à la direction politique qui ambitionne de dégager à la fois une « tactique et des objectifs » (Luxemburg), « les taches et la méthode » (Mélenchon) : tous deux réunis dans ce fameux concept de révolution citoyenne. Empruntée aux mouvements d’émancipation de la tutelle du Fonds Monétaire International en Amérique latine, la révolution citoyenne a l’ambition de faire la synthèse entre un programme politique révolutionnaire et sa légitimation institutionnelle par les élections au suffrage universel. Puisqu’il ne s’agit pas « d’être les porteurs d’eau de la révolution » (débat avec Besancenot organisé par le magazine Regards, avril 2011), les partis ont pour vocation de proposer une méthode – ici « l’implication populaire dans les affaires publiques » – et des objectifs – la bifurcation de l’appareil productif, la refondation des institutions, l’extension de la citoyenneté dans l’entreprise, le partage des richesses… Mélenchon est conscient qu’un changement par le haut ne tiendrait pas une semaine contre la farouche résistance des puissants.

 

  • « Le peuple doit donc se constituer lui-même en écrivant les nouvelles règles du jeu politique. »

 

De là naît une tension sur la forme d’organisation à adopter. Initialement inspiré par les expériences de Die Linke (Allemagne) et Syriza (Grèce), le Front de Gauche se structure comme un cartel de partis ouvert aux formations en rupture avec la social-démocratie. Néanmoins, ces derniers temps Jean-Luc Mélenchon appelle à  un « dépassement du Front de gauche », c’est-à-dire à un dépassement des coalitions partidaires. C’est ici une référence au modèle de Podemos en Espagne comme institutionnalisation de révoltes sociales – celle des Indignés. Ainsi, il semble renier une forme de caporalisme propre aux anciennes formations politiques. Mélenchon préfigure cela par le lancement d’un Mouvement pour la 6e République (M6R), où l’horizontalité et la démocratie interne prend le pas sur la discipline de partis à travers des plateformes internet. L’horizon stratégique à atteindre serait donc un label commun (du Nouveau Parti Anticapitaliste aux socialistes dissidents, en passant par les écologistes) légitimé par des Assemblées citoyennes locales balayant « la tambouille politicienne » des accords de partis.

 

L’implication populaire dans le processus révolutionnaire, slogan agréable dans un colloque d’agrégés en révolution, contient une dimension concrète qu’il résuma par une formule : face à la probable sédition des possédants, « nous comptons sur les employés des banques qui tiennent les livres de comptes bancaires ». La prise de conscience et l’usage du pouvoir citoyen dans chaque sphère de l’activité humaine – il appelle également les milliers de précaires des médias à « virer les généraux, les colonels » pour « faire de la place aux caporaux, sergents ou lieutenants » – renferment la clé méthodique de sa révolution citoyenne. Plus fondamental encore, Mélenchon reprend l’idée luxemburgiste d’une constitution de soi dans la pratique politique. En opposition à Lénine, la militante allemande oppose la dimension féconde des « erreurs commises par un mouvement ouvrier vraiment révolutionnaire » à « l’infaillibilité du meilleur comité central ». Dans une configuration politique contemporaine, le peuple doit donc se constituer lui-même en écrivant les nouvelles règles du jeu politique. « La multitude devient le peuple quand elle fait acte de souveraineté » (p. 126) : tel est le rôle du processus constituant.

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(© AFP)
 

Il se défend du caractère révolutionnaire et concret d’une Assemblée constituante. Faire acte de souveraineté, exposer des avis contradictoires, décider collectivement, réguler les sociétés humaines, tout ceci entre en contradiction directe avec l’ordre financier « qui n’accepte aucune régulation extérieure à lui » (p. 128). À ce système qui nécessite l’apathie et la dissolution du peuple, la réponse radicale ne peut être que celle du nombre et de sa constante anthropologique – Mélenchon fait référence aux travaux de l’ethnologue Maurice Godelier : poser des règles sur l’espace de vie en commun. Témoin des expériences latino-américaines où les séquences historiques ont enchaîné révoltes populaires-victoires électorales-Assemblée constituante, Mélenchon entend donc placer la VIe République au cœur du débat politique.

 

 

- … et de la guerre de position

  • « Partir du sens commun pour constituer un nouveau bloc historique et comprendre les ressorts de l’hégémonie culturelle pour la retourner. »

 

Néanmoins, la révolution citoyenne qu’appelle de ses vœux Jean-Luc Mélenchon est, avant toute chose, une bataille culturelle et renvoie à la pratique révolutionnaire théorisée par Antonio Gramsci. Démontrant le passage des sociétés fluides (autonomie de la société civile par rapport à l’État) à des sociétés densifiées dans la seconde moitié du XIXe siècle au sein des grands pays industrialisés européens, l’intellectuel italien critique la stratégie de guerre de mouvement. Les grands appareils idéologiques de domination – administrations étatiques, Église, parlementarisme, corporations… – formeraient désormais des tranchées qui amortissent les crises du capitalisme : les crises économiques n’impliquent pas inéluctablement des « crises d’hégémonie » du système politique.

 

La guerre de position, celle qui consiste à prendre le pouvoir dans les consciences, doit donc se substituer à la préséance de la conquête du pouvoir politique – désormais simple aboutissement d’un processus bien plus long. Cela implique de partir du sens commun pour constituer un nouveau bloc historique ainsi que de comprendre les ressorts de l’hégémonie culturelle pour la retourner.

 

 

- Partir du sens commun

Une vidéo a récemment circulé sur les réseaux sociaux dans laquelle Pablo Iglesias, leader de Podemos, évoque la difficulté des mouvements politiques révolutionnaires à établir une identification entre leur analyse et le sens commun – « ce que sent la majorité ». Il se moque de ce que Mélenchon nomme « les récitants du catéchisme marxiste du passé » qui prétendent convaincre à grands coups de prolétaires, grand capital, classe ouvrière et autres figures canoniques du panthéon révolutionnaire. Ce travail de mise en discours ainsi que de traduction contemporaine « du bruit et de la fureur de notre temps » correspond avec l’idée que se fait Mélenchon de la fonction tribunicienne. Il s’agit d’incarner – par une expression, un mot d’ordre, une saillie publique, une proposition, une analyse – un sentiment commun jusqu’à lors quasi ineffable. Le tribun subsume le chaos des faits et des émotions, donne du sens à une indignation confuse et tente de sublimer en action collective un sens commun plutôt réactif qu’actif, négatif que positif.

 

  • « Partis de gouvernement, médias audio-visuel, élites culturelles, communicants, patrons du CAC40, technocrates bruxellois et banquiers : l’oligarchie, la caste, le système. »

 

La première tâche consiste à nommer l’ennemi : qui est notre adversaire ? Mélenchon raconte sa rédaction d’une liste de termes lors de la campagne pour le « Non » au référendum de 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen : les puissants, les importants, les parfumés. Peu de capitalistes, social-traîtres ou bourgeois dans sa rhétorique puisqu’ils expriment avec inexactitude la configuration politique ressentie par le grand nombre. « Cette alliance des superstructures » – partis de gouvernement, médias audio-visuel, élites culturelles, communicants, patrons du CAC40, technocrates bruxellois et banquiers – porte un nom : l’oligarchie, la caste, le système. Jean-Luc Mélenchon rend ainsi compte de ce petit monde homogène qui vit en cercle fermé jusqu’à l’endogamie la plus clanique, cumule le pouvoir économique, politique, symbolique (celui de dire la norme) et partage une peur commune : celle du peuple.

 

« Le système n’a pas peur de la gauche, il a peur du peuple » assène depuis quelques mois le fondateur du Parti de Gauche. Après avoir nommé l’ennemi, il s’agit désormais de désigner son propre camp. Durant le début du mandat de François Hollande, la tentation était forte chez les militantes et dirigeants à la gauche du Parti Socialiste de tomber dans les travers de la gauche adjectivale ou adverbiale : la vraie gauche, la gauche de la gauche, la gauche radicale, l’autre gauche, une politique réellement ou vraiment à gauche. Mélenchon y prit sa part. Devant l’échec de cette ligne politique, il se rend à l’évidence : la concurrence des gauches ne mène à rien, il faut désormais fédérer le peuple.

 

 

Pour aller à la partie 2 cliquez ICI

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30 mars 2015 1 30 /03 /mars /2015 08:02
Au PS, la laïcité se forge à l’école privée

Source : Le blog de François Cocq par François Cocq, Secrétaire national à la politique territoriale et à l’éducation du parti de Gauche

- « Il faut développer les enseignements scolaires privés sous contrat ».

Telle est la sinistre proposition qui figure dans le rapport sur la « cohésion républicaine » présenté le 1er février par les responsables du Parti Socialiste devant les secrétaires de sections réunis à Paris. Et Laurent Dutheil, secrétaire national du PS à la laïcité et aux institutions d’enfoncer le clou dans un communiqué daté du 26 février en appelant au «développement de l’enseignement privé confessionnel musulman ». Désormais, pour le PS, la laïcité se résume donc à l’égalité de traitement des religions, sans se soucier du principe d’organisation sociale qui doit régir la place de ces dernières. Jaurès reviens, ils sont devenus fous !

 

La formulation officielle de ce qui constitue une rupture majeure et manifeste avec l’histoire de la pensée socialiste mérite qu’on s’y arrête. En réponse aux assassinats politiques des 7, 8 et 9 janvier, le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis avait appelé à une convention qui se tenait à Paris le 1er février devant l’ensemble des secrétaires de section. Dans ce cadre, trois rapports étaient présentés : l’un sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme, le deuxième sur la coordination européenne en matière de lutte contre le terrorisme, et le troisième, cheveu sur la soupe, sur la préservation de la cohésion républicaine.

 

  • C’est donc dans ce dernier (à lire ICI) que figure la proposition qui nous intéresse (le reste méritera aussi qu’on y revienne tant les reniements et trahisons républicaines volent au PS en escadrille).

 

Présenté par Laurent Dutheil, le rapport sur la “cohésion républicaine” rassemble tout le spectre de ce que le PS compte comme chapelles. Voyez plutôt les signataires : Alain Bergounioux, Florence Augier, Ericka Bareigts, Jean-Louis Bianco, Colombe Brossel, Sylviane Bulteau, Luc Carvounas, Marie Colou, Kamel Chibli, Karine Gloanec-Maurin, Elsa di Méo, Samia Ghali, Estelle Grelier, François Kalfon, Marc Mancel, Emmanuel Maurel, Sandrine Mazetier, Claude Roiron, Isabelle This-Saint-Jean, Yannick Trigance. Des valssistes qui rédigent l’épitaphe du PS, aux prétendus gardiens de l’héritage socialiste au sein du parti,, ils sont tous là ! Celles et ceux qui considèrent que le Parti Socialiste est divers et que, dans ses instances, des courants structurés représentent plus d’intérêt et de perspectives que d’autres en seront pour leurs frais. Pauvres militant-e-s sincères salis par les vilénies de leurs chefs…

 

 

- Sur le fond maintenant.

On se souvient des propositions scandaleuses formulées mi-janvier par Jean-Louis Bianco sous couvert de l’Observatoire de la laïcité qu’il préside et qui avaient poussé plusieurs de ses membres à se désolidariser de ces annonces. Parmi celles-ci, outre “le recrutement d’aumôniers musulmans dans les prisons”, on retrouvait déjà “le soutien à la creation d’établissements privés de théologie musulmane et de formation à l’islamologie” et “la prise en compte de toutes les pratiques convictionnelles et confessionnelles présentes sur le territoire de la république”. Comme une synthèse, Jean-Louis Bianco est de ceux qui avec le rapport sur la “cohésion républicaine” affichent aujourd’hui leur volonté de voir se développer l’enseignement privé confessionnel.

 

Il faut à ce stade s’arrêter sur la formulation initiale du rapport. La proposition de “déveloper les établissements scolaires privés sous contrat” a beau s’insérer dans la partie du document intitulée “Se pose enfin la question de l’islam français”, elle n’en est pas moins rédigée sous la forme d’une proposition générale qui englobe les enseignements privés sans même évoquer leur caractère confessionnel et/ou marchand. C’est bien l’enseignement scolaire privé sous contrat en tant que tel qui est promu par les rédacteurs comme une alternative, ou pour le moins un complément utile et nécessaire, à l’école publique ! On sait dans l’histoire du mouvement ouvrier que c’est par l’écrit que l’on entérine des modifications dans le champ des idées. Le propos est ici trop grave et trop décisif pour croire qu’il ne s’agirait que d’une maladresse rédactionnelle.

 

 

- Avant même que de s’aventurer dans le champ du religieux, le PS marque donc une rupture profonde avec le principe général de laïcité et sa déclinaison pour l’Ecole de la République.

Ainsi Jaurès, en 1910 dans sa célèbre intervention « Pour la laïque » à la chambre des députés, affirmait « qu’il pouvait être du droit de l’Etat d’organiser un service public national de l’enseignement » en précisant immédiatement : « J’entends un service national où seraient appelés tous les enfants de France ». « Tous » les enfants de France…Reprenant Proudhon, Jaurès explicitait en quoi l’éducation, dans sa visée universaliste et émancipatrice, doit garantir à l’enfant un cadre qui soit tout à la fois commun à toutes et tous, mais aussi préservé des velléités restrictives qui peuvent s’opérer au nom du dogme, qu’il soit religieux ou marchand : « L’enfant a le droit d’être éclairé par tous les rayons qui viennent de tous les côtés de l’horizon, et la fonction de l’Etat, c’est d’empêcher l’interception d’une partie de ces rayons ». Voilà qui lui permettait de conclure : « Je ne crois pas qu’il y ait d’objection de doctrine, d’objection de principe à ce que l’enseignement national pour tous soit organisé ». Là où Jaurès étayait sur le fond la question du monopole de l’éducation, le PS de 2015 de l’après Charlie se dresse face à lui pour promouvoir l’enseignement privé face à l’Ecole publique de la République et provoquer ainsi l’éclipse de l’humanisme universel…

 

  • La formulation complémentaire apportée par le secrétaire national du PS Laurent Dutheil dans son communiqué du 26 février (à lire ICI) n’y change rien.

 

Au contraire, elle approfondit la redéfinition de la laïcité à la sauce PS. Celui-ci prône en effet «le développement de l’enseignement privé confessionnel musulman ». L’enseignement privé dont il est question est cette fois précisé : il s’agit bien de l’enseignement confessionnel musulman. Est-ce à dire que le PS se fait le chantre de celui-ci ? Non bien sûr. Mais ce que recouvre cette proposition, c’est le passage d’une laïcité où l’Etat ne reconnait ni ne salarie aucun culte comme le veut la loi de 1905 à une pseudo-laïcité où les religions doivent bénéficier d’une égalité de traitement. Les religions sortent ainsi du seul champ spirituel et sont de fait reconnues comme des acteurs temporels à même de prendre en charge ce que certains appellent des « droits-créances » pour l’Etat comme le droit à l’éducation (pour ma part, et vous m’excuserez cette digression sur laquelle je reviendrai, un droit créance n’est rien de plus que la résultante des droits naturels de liberté et d’égalité et c’est pourquoi je considère cette réintroduction politique du religieux comme une atteinte au principe même du droit naturel si vaillamment défendu par Maximilien Robespierre).

 

 

- Concrètement, le PS promeut un financement public étendu pour les établissements scolaires privés et notamment ceux à caractère confessionnel.

Là où l’argent public devrait aller à la seule école publique, celle de toutes et tous, le PS propose de rajouter à la manne de 9 milliards d’euros annuels distribués à l’enseignement privé, il est vrai à 90% confessionnel et catholique, le nécessaire pour développer l’enseignement privé musulman. C’est l’égalité des chances des religions en somme !

 

Mais c’est justement sur ce terrain que Jaurès devrait revenir jouer la mauvaise conscience des ex-socialistes du PS. Jaurès n’était pas qu’un penseur. Il partait du réel et des rapports de force pour construire un cheminement politique. C’est pourquoi après avoir montré le point d’arrivée dans son discours « Pour la laïque », il concluait celui-ci en donnant le manuel pour engranger des victoires immédiates comme autant de points d’appui. Pour Jaurès, « la question scolaire rejoint la question sociale » et il engage le gouvernement à se donner les moyens d’accueillir tous les enfants dans des conditions de réussite : « Comment aurions-nous le droit de recruter, même par la loi, des écoliers nouveaux si nous laissons des classes de 60, 70 élèves ? Comment le pourrions-nous si nous n’avons pas le courage de pousser jusqu’à 14 ans la scolarité (NDA : lire aujourd’hui 18 ans) »?  Que préconisent pourtant les vaillants solfériniens d’aujourd’hui sinon distribuer au privé l’argent que n’a pas l’école publique ?

 

 

- Comme souvent en pareil cas, PS et gouvernement sont les deux jambes d’un même fantôme qui marche à reculons.

Le PS n’avait pas sitôt digéré son renoncement en la matière que Bernard Cazeneuve, sous couvert de la ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem, reprenait la balle au bond : « L’enseignement privé confessionnel musulman doit pouvoir se développer dans le respect des principes républicains. (…) Ces établissements peuvent conclure des contrats d’association. » Où quand les renoncements socialistes forgent les ruptures d’Etat…

 

Le Parti socialiste démantèle chaque jour un peu plus les cadres qui définissent l’ideal d’un humanisme universel et émancipateur. Nul adhérent du Parti socialiste ne doit aujourd’hui ignorer la trahison de notre histoire commune sauf à adhérer à la nouvelle pensée en restant dans ce corps sans vie. Jaurès terminait quant à lui à la chambre par cette sentence : “Laïcité de l’enseignement, progrès social, ce sont deux formules indivisibles. Nous n’oublierons ni l’une ni l’autre, et, en républicains socialistes, nous lutterons pour toutes les deux”. Indubitablement, le PS ne peut prétendre aujourd’hui ni à la filiation républicaine, ni à la filiation socialiste.

 

- A lire du même auteur :

Quand les banques sont invitées à venir endoctriner à l’école !

- Tous les textes de cet auteur relatifs à l'école : ICI

 

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28 mars 2015 6 28 /03 /mars /2015 10:10
Quand l'austérité tue !

Sources : éditions autrement par David Stuckler & Sanjay BasuPréface des Économistes atterrés[1]

Pour répondre à la crise, de nombreux pays ont fait Le choix de l'austérité. S'appuyant sur l'analyse de statistiques internationales de santé publique, David Stuckler et Sanjay Basu examinent les conséquences de ces décisions politiques pour les populations. À force de coupes sombres dans les aides sociales et la prévention, les maladies prolifèrent, les suicides augmentent, la consommation de drogues et d'alcool progresse et l'espérance de vie diminue.


En Grèce, le taux d'infection par le VIH et le nombre de suicides ont explosé. À l'inverse, dans les pays nordiques, les mesures de soutien aux plus vulnérables ont des effets positifs, humainement et économiquement.


Refusant le discours dominant, les auteurs explorent les vices du système et prouvent par les chiffres que l'austérité a un coût humain : elle rend malade et tue.

 

 

- Le livre est disponible ICI

 

Note :

[1] Traduit de l'anglais (américain) par Samuel Sfez

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27 mars 2015 5 27 /03 /mars /2015 09:00
La vie politique française ne se résume pas à deux libéraux (1 de droite, 1 de gauche) et une facho

Depuis dimanche soir, montage à l’appui des photos de Valls, Sarkozy, Le Pen côte à côte, on nous vend le tripartisme. La vie politique française se résumerait donc à deux libéraux (un de « gauche », un de droite) et une « facho ».

Incontestablement la droite a gagné cette élection en étant unie. Incontestablement le FN a consolidé son implantation. Mais l’image d’une gauche rassemblée derrière Manuel Valls est évidemment une arnaque. Il n’y a pas un bloc « de gauche » derrière le PS.

 

Sources : Le Parti de Gauche par Eric Coquerel

- L’arnaque aux étiquettes

Cette manipulation n’a rien de spontanée. Elle a même été préparée de longue date. Face à un nouveau mode de scrutin, le Ministère de l’intérieur avait la latitude de classer de différentes manières un binôme lorsqu’il était composé de candidats de deux partis différents. En choisissant arbitrairement de les étiqueter « Divers Gauche », quels qu’ils soient, voire même « Union de la Gauche » dans certains cas, il a pris une décision politique. D’autant que le FdG et EELV s’étaient adressés officiellement à lui pour demander qu’il en soit autrement pour nos binômes communs. Refus.

 

L’objectif poursuivi ? Il s’agissait de réduire dimanche soir l’échec du PS et d’effacer du tableau toute trace d’alternative à gauche. Si on en croit le Ministère, le FdG atteindrait ainsi 6,09 % et EELV 2% contre un PS « et ses alliés » (dixit) à 21,85 % (nul n’a noté par ailleurs que les binômes exclusivement socialistes n’atteignent que 13,70 % des suffrages exprimés, la catégorie Union de la Gauche étant additionné sans discussion au résultat du PS). Les DVG, souvent enrôlés derechef sous le drapeau de la majorité gouvernementale, sont eux estimés à 6,81 %.

 

 

- Les vrais résultats du Front de Gauche

La réalité est toute autre puisqu’au moins 30 % des candidats FdG, ceux partis en commun avec EELV, sont camouflés dans « DVG ». En réalité, 9,4% des électeurs ont voté pour une liste soutenue par le FdG (11,9% si on les rapporte aux seuls cantons dans lesquels ils étaient présents, comme le montre l’étude électorale de Roger Martelli à lire ici ). Soit le meilleur score du FdG en dehors de la Présidentielle, meilleur que les 8,9 % obtenus aux cantonales de 2011 dans la moitié des cantons français, et beaucoup mieux que les 6,33 % des Européennes. Ajoutons, pour être précis, qu’une partie de nos candidats ont même été classés en « Union de La Gauche » dont le résultat, on l’a vu, est rentré directement dans l’escarcelle socialiste ! La conséquence de tout cela ? Non seulement cela cache notre rebond mais cela augmente d’autant le score du PS et de ses alliés.

 

 

- En réalité, le PS a connu une nouvelle sanction alors que le FdG, lui, progresse sensiblement

Première raison : à l’inverse des Municipales, il s’est engagé sur une stratégie nationale d’autonomie claire vis à vis du PS. Il a du coup évité, en prime, les divisions qui ont pollué les élections européennes. L’électorat ne vient pas au secours d’un canard boiteux. Cette fois, il a jugé du coup utile de se déplacer davantage d’autant que les choix étaient clairs (la dispersion de listes étant très limitée, les électeurs ont souvent eu le choix à gauche entre deux listes : celle de la majorité gouvernementale face à celle de l’opposition de gauche). Plusieurs candidatures ont profité de cette « prime à la clarté » comme celle de Claude Chaidron et Dolorès Esteban, pourtant seulement soutenue par le PG et Ensemble, qui se retrouve face au FN au 2ème tour à Amiens 1 après avoir éliminé celle défendue par le PS.

 

Cela ne règle pas toutes les questions, c’est notamment insuffisant pour parler d’alternative, mais dans un contexte général de ressac et de victoire de la droite, il s’agit d’un point d’appui sur lequel on peut espérer rebâtir. Après l’échec des Européennes c’est une satisfaction dont nul ne se plaindra.

 

 

- Le rassemblement avec EELV cela marche

D’autant, et c’est le deuxième élément de satisfaction, que le rassemblement avec EELV, et parfois Nouvelle Donne, dans 448 circonscriptions a marqué des points. Il enregistre une moyenne de 13,6 % . Un résultat d’autant plus intéressant qu’obtenu sans aucune visibilité ni identifiant national. Cela a évidemment affaibli son impact dans une élection où les critères nationaux ont pris le pas sur tout autre. Pour preuve, ce résultat augmente dès lors qu’il y a eu une cohérence de liste sur tout un département - 17,67 % en Ariège, 16,72 % en Lozère, 16 % en Haute-Vienne par exemple – et plus encore sur une ville : 19,25 % à Lille, 19,6 % à Poitiers, 15,83 % à Toulouse, 29 % à Grenoble. Cela confirme l’efficacité encore plus grande de cette association politique dans les centres urbains.

 

 

- La prime aux démarches citoyennes et aux dynamiques militantes

Les rassemblements élargis prouvent donc leur utilité électorale. Mais ils entrainent d’autant plus d’adhésion qu’ils correspondent à de nouvelles pratiques militantes et à une volonté de déclencher et entretenir une véritable implication citoyenne dépassant les seuls cadres partisans. Quelles qu’en soient, à ce stade, les modalités opérantes. Cela fonctionne par exemple quand le FdG s’est engagé dans un tel processus depuis longtemps. A l’exemple de la Creuse (point de départ de « Limousin Terre de Gauche ») avec une moyenne de 14,94 % dont une pointe à 28,8 %, ou des Alpes-de-Haute-Provence, où dans quatre circonscriptions les résultats culminent à 22, 28, 25 et 26 % ! On l’a vu plus haut, cela a de nouveau fonctionné parfaitement à Grenoble, où l’articulation entre unité des partis et démarche citoyenne, exemplaire aux Municipales, permet d’être au 2ème tour dans 3 des 4 cantons de la ville. Dans la Drôme, le même type de démarche a permis, par une alliance du FdG dans son ensemble et d’EELV, de qualifier ses binômes au 2ème tour à Dieulefit et dans le pays Diois. C’est un processus comparable qui explique les succès de Poitiers ou Lille, où pourtant le rassemblement FdG / EELV n’était pas écrit à l’avance ou encore à Clichy-la-Garenne avec plus de 15% des voix. Même bonus évident là où des démarches de type « majorité citoyenne » se sont appuyées sur des assemblées citoyennes souveraines : à Toulouse, Alternative Citoyenne obtient 15,87 de moyenne (malgré des listes concurrentes du PCF), dans le Jura les résultats s’étalent entre 10 et plus de 20 % dans plusieurs circonscriptions pourtant difficiles pour la gauche ou encore l’Aveyron avec 15,22 % sur 19 cantons dont celui de Rodez - Onet qui voit notre CG sortant, M. Jean-Louis Roussel, au 2ème tour avec 23,86 %.

 

Il se sera donc passé quelque chose finalement à ces élections du côté de l’autre gauche. On espérait quelques bonnes surprises, les listes que nous soutenions ont fait mieux, démontrant une disponibilité de l’électorat dès lors qu’elles se révèlent crédibles et utiles. Le résultat est meilleur en cas de rassemblement plus large et encore plus satisfaisant lorsque ces candidatures s’appuient sur une dynamique citoyenne et militante. C’est cette démarche, complémentaire, qu’il faudra entretenir à l’avenir, ce qui évidemment doit interpeller non seulement les partis du FdG mais aussi nos potentiels partenaires dont au premier plan EELV mais aussi Nouvelle Donne ou le NPA. Il faudra faire preuve d’audace si, pour déjouer un contexte global pour le moment mauvais, on veut ramener une partie des abstentionnistes dans l’action politique. Car, pour finir, si malgré tous les pronostics, la participation a été meilleure que prévue (en hausse de 5 points par rapport aux Européennes et Cantonales 2011), elle reste le phénomène politique premier notamment dans les départements et quartiers populaires (un tiers de participation dans le 93). Or rien ne sera possible sans le retour, là aussi, du peuple aux affaires.

 

 

- Le deuxième tour

  • Les élections ne sont bien sûr pas terminées. Leur physionomie prendra tout son sens dimanche prochain. D’ici là, il nous faut se mobiliser autour de nos candidats pour faire élire le maximum de conseillers départementaux de résistance. Ils seront utiles. Comme sera évidemment précieux de conserver les départements gérés par le FdG tel le 94, dont les habitants auront plus que jamais besoin d’un bouclier social contre la politique d’austérité du gouvernement.

 

  • Pour le reste, le PG a décidé de ne pas donner de consignes de vote. La droite est menaçante, mais la seule responsabilité est du côté de l’Elysée et de Matignon. Plus que jamais, pour l’avenir, la situation réclame une grande lisibilité. Dans ce cas, le traditionnel désistement républicain n’a guère de sens quand des candidats « de gauche » soutiennent un gouvernement qui fait une politique de droite. Ce sera donc aux candidats du PS de convaincre nos électeurs de l’utilité de voter pour eux contre la droite. Il n’est pas sûr que laisser à Manuel Valls le soin de mener la campagne leur facilitera le travail. Toutefois, en adversaire le plus résolu du FN et des valeurs d’extrême-droite, nous appelons à faire barrage contre ce parti. Un appel qui ne concerne pas les duels avec l’UMP qui banalise le FN à force de tirer un trait d’égalité entre lui et le FdG et de recycler une partie de ses valeurs.

 

  • Au-delà de cette prise de position nationale, nous laissons aussi le soin aux véritables collectifs (assemblées citoyennes ou autres) qui se sont constitués autour des candidatures d’affiner leur position pour le 2èmetour. Vouloir l’implication citoyenne c’est aussi laisser aux citoyens et/ou militants qui se sont impliqués dans la campagne, leur souveraineté collective sur ce type décision.

 

Pour en savoir plus :

- Mon dossier : Elections départementales

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26 mars 2015 4 26 /03 /mars /2015 09:07
Et si la gauche radicale représentait la revanche des intellectuels?

Les universitaires sont en nombre parmi les

responsables de Syriza et Podemos, avec

une place et un rôle différents de ceux que leur

réserve la social-démocratie.

 

Sources : Slate.FR par Fabien Escalona

Au sein de la gauche radicale, qui concurrence sérieusement ou a déjà carrément devancé la social-démocratie en Europe du Sud, les universitaires sont nombreux. Dans l’organigramme du parti ou au gouvernement, leur présence, mais aussi leur parcours et leur vision du monde, détonnent par rapport à ce que l’on peut observer au sein du centre-gauche européen. Plus qu’à une revanche des intellectuels, c’est à l’ascension ou au retour d’un certain type de détenteurs de savoirs que nous assistons.

 

On sait que Podemos, dont l’ascension dans les enquêtes d’opinion est suivie de près par les observateurs de la vie politique européenne, compte parmi ses fondateurs et ses dirigeants un petit groupe d’enseignants issus de la faculté de sciences politiques la Complutense, à Madrid. Parmi eux, on compte notamment le leader du parti, Pablo Iglesias, mais aussi l’ancien secrétaire au programme, Juan Carlos Monedero, et le secrétaire politique et directeur de la campagne des européennes, Íñigo Errejón.

 

Du côté de Syriza, plusieurs responsables gouvernementaux ont étudié leur champ de compétence d’un point de vue académique. C’est le cas de Yannis Varoufakis, le désormais célèbre ministre des Finances, formé dans une université britannique comme plusieurs de ses collègues et camarades, ou d’Aristides Baltas, ministre de l’Education et de la Culture, mais aussi professeur de philosophie des sciences et président de l’Institut Nicos Poulantzas.

 

 

- Radicaux et pédagogues

Ces exemples renseignent sur une première caractéristique qui distingue Podemos et Syriza dans le paysage de la gauche européenne. Les intellectuels occupent en effet des positions de premier plan dans leurs instances internes, voire au gouvernement dans le cas de la Grèce. Mais il faut ajouter deux autres éléments pour comprendre l’importance et la singularité de leur rôle dans ces deux formations de gauche radicale :

 

1) la radicalité de leur vision du monde et de leurs solutions;

2) leur effort pédagogique pour les transmettre et les rendre «appropriables» par les citoyens.

 

D’une part, ils sont donc porteurs de conceptions et de discours hétérodoxes. Se qualifiant volontiers de «marxiste fantasque», Varoufakis est par exemple l’auteur d’un livre, Le Minotaure global, dans lequel il explique la crise mondiale par la façon dont les Etats-Unis ont maintenu leur domination après les années 1970, en recyclant les excédents mondiaux mais au prix d’une montée insoutenable des inégalités et de la financiarisation. Sur son blog, il défend une sortie de la crise européenne élaborée avec l’économiste James Galbraith, qu’il oppose à toutes les solutions fédérales plus ou moins «austéritaires» qui ont été proposées jusqu’à présent. Quant aux dirigeants de Podemos, Gaël Brustier a déjà évoqué sur Slate leur univers de références, toutes puisées dans le champ de la pensée critique: Gramsci, Harvey, Laclau et Mouffe, etc.

 

D’autre part, ces intellectuels jouent un rôle pédagogique auprès de leurs membres et des citoyens. Les économistes de Syriza (parmi lesquels on compte aussi le désormais député Costas Lapavitsas) s’efforcent ainsi de remonter aux sources de la crise économique pour mieux réfléchir aux scénarios alternatifs. Les politistes de Podemos, de leur côté, ont utilisé le Web comme canal alternatif d’information et d’instruction, notamment avec l’émission La Tuerka. Ces derniers ont pour ambition, à travers leur vocabulaire et leur «cadrage» des problèmes, de communiquer une vision du monde «homogène et autonome» aux citoyens dépossédés sur les plans matériel et démocratique. Ce faisant, ils se conforment à la mission attribuée par Gramsci aux "intellectuels organiques" des classes sociales en lutte pour l’hégémonie.

 

Le dernier trait qu’il nous semble important de pointer, relevant de la relation externe de Syriza et Podemos aux intellectuels, concerne leur capacité d’attraction. Sans être spécialement radicaux, de nombreux économistes contestataires du «consensus de Bruxelles» (austérité et compétitivité) leur ont exprimé leur soutien. On a par exemple vu Thomas Piketty se rapprocher des responsables de Podemos. Surtout, dix-huit économistes américains et européens entraînés par Joseph Stiglitz se sont exprimés, dans le Financial Times, en faveur des revendications de Syriza. Depuis les débuts de la crise, aucun gouvernement de centre-gauche n’a su provoquer un tel engouement.

 

D’une certaine façon, ce rôle privilégié des universitaires critiques correspond à la sociologie de la nouvelle gauche radicale, dont une des composantes de la base sociale est constituée par des actifs instruits et politisés, mais incertains quant à leur avenir. Si le soutien à Syriza s’est diversifié et nationalisé, la jeunesse étudiante, urbaine et pas toujours insérée, appartient bien à son noyau électoral d’origine. L’ascension de Podemos, par ailleurs, est clairement nourrie par un transfert sur ce parti des intentions de vote des plus jeunes et des plus diplômés des électeurs du PSOE, le parti socialiste espagnol.

 

 

- Les partis de centre-gauche ont abandonné leur vocation éducative

Syriza et Podemos ne sont certes pas représentatifs de toute la gauche radicale. Pour autant, on ne peut s’empêcher de relever le contraste entre leur relation aux milieux intellectuels et celle entretenue par les partis sociaux-démocrates.

 

Dès leur naissance, les mouvements sociaux-démocrates ont été influencés, aidés voire dirigés par des individus issus des milieux enseignants, journalistiques ou des professions libérales. On pense au rôle joué par Jaurès puis Blum en France, Lassalle et Liebknecht en Allemagne, Branting et Danielsson en Suède, la Société fabienne au Royaume-Uni… Cette alliance fut logique dans la mesure où elle répondait à un impensé du schéma marxiste vulgarisé par la IIe internationale: la classe ouvrière ne pouvait en effet pas être une classe révolutionnaire au même titre que la bourgeoisie, dans la mesure où sa position subalterne se déclinait dans ses rapports politiques et socio-économiques.

 

Plusieurs de ces intellectuels dirigeants ou compagnons de route furent amenés à discuter et adapter les thèses de Marx, mais restèrent marqués par son legs théorique, comme en témoigne leur quête d’une articulation entre réformisme au sein de la société existante et transformation radicale de cette dernière. Ce fut notamment le cas d’Ernst Wigforss, un responsable de la social-démocratie suédoise sans formation universitaire, mais qui joua un rôle important de trait d’union entre les élites de son parti et l’innovante Ecole de Stockholm, dont les économistes proposaient une sortie de crise étrangère au paradigme libéral alors en vigueur.

 

Du Keynes avant l'heure, pourrait-on dire en caricaturant un peu, mais en soulignant que cette originalité suédoise ne faisait que préfigurer la rencontre entre social-démocratie et nouveaux économistes hétérodoxes, seulement esquissée dans les années 1930 mais à la source d’une véritable domination intellectuelle dans le second après-guerre. Dans le même temps, l’exercice du pouvoir d’Etat conduisit à de multiples liens avec des experts et des administrateurs,  dont la formation et la socialisation ne les portaient pas à une remise en cause de l’ordre existant, mais plutôt à la maximisation de ses performances selon une logique d’ingénierie sociale.

 

L’ambiguïté a donc marqué la période des Trente Glorieuses. D’un côté, la social-démocratie a présidé à une alliance nécessaire entre des milieux populaires et la fraction de la classe dominante détenant un pouvoir «organisationnel-culturel»[1]. D’un autre côté, sa capacité critique s’est émoussée et elle s’est peu à peu enfermée dans une logique étatiste qui l’a désarmée face à l’échec du keynésianisme.

 

Depuis, les partis du centre-gauche européen ont largement abandonné leur fonction éducative et s’appuient sur une technocratie et des économistes qui n’ont plus rien d’hétérodoxes. Au tournant des années 1970-80, la social-démocratie suédoise s’est par exemple coupée des économistes du syndicat LO, qui émettaient des propositions dans le sens d’une socialisation progressive de l’économie. Les profils d’experts valorisés en son sein ressemblent et entretiennent des liens avec ceux qui ont peuplé les élites néo-travaillistes en Grande-Bretagne, sous l’impulsion de Tony Blair: économistes raisonnant dans le cadre du paradigme néolibéral, professionnels des relations publiques et adeptes du new management

 

S’il n’est pas besoin de revenir sur le poids du conformisme de l’ENA en France, on peut souligner l’écart entre la considération apportée par l’exécutif socialiste aux économistes Philippe Aghion et Jean Tirole, défavorables à tout espacede respiration académique laissé à leurs collègues hétérodoxes, et son mépris pour les "notes secrétes" de Montbourg, corédigées par les paisibles néokeynésiens de l’OFCE. Quant à Matteo Renzi, le Président du conseil italien, présenté un temps comme un résistant à l’austérité, il s’est choisi comme ministre de l’Economie un ancien expert de la très orthodoxe OCDE, Pier Carlo Padoan, dont les propos et annonces s’inscrivent parfaitement dans le paradigme néolibéral.

 

 

- Triple mutation depuis les années 1980

Cette évolution depuis les années 1980 s’inscrit dans une triple mutation.

  • Premièrement, celle des rapports entre le pouvoir marchand et le pouvoir organisationnel-culturel au sein de la classe dirigeante, avec la subordination du second au premier et la conformation des partis de centre-gauche à ce nouveau régime d’hégémonie.
  • Deuxièmement, les évolutions de la discipline économique elle-même, de plus en plus internationalisée mais homogénéisée selon les standards néoclassiques forgés et diffusés dans des réseaux transatlantiques.
  • Troisièmement, la mutation de l’ordre politique européen lui-même: pour la chercheuse Stéphanie Mudge, les « bases sociales de l'austérité » sont à rechercher non seulement dans l’état de la science économique, mais dans sa mise au service d’une gouvernance européenne complexe mêlant banquiers privés et centraux, ministres des Finances, représentants d’institutions financières internationales et de l’exécutif européen.

 

Pour de multiples raisons, les partis du centre-gauche européen sont restés englués dans cette combinatoire depuis les débuts de la crise, comme en témoigne leur difficulté à faire émerger ou à capter des idées nouvelles, comme celles des planistes ou des keynésiens pendant les années 1930. Les rares formules qui circulent dans les think-tanks sociaux-démocrates («société décente», «pré-distribution») ne sont pas traduites en propositions ou voient leur potentiel critique désarmé.

 

Podemos et Syriza s’inscrivent à contre-courant de ces tendances. D’abord, parce que ces formations tentent de (rés)susciter des figures intellectuelles devenues rares à gauche, disposant d’un savoir qu’elles ne réservent pas aux arènes décisionnelles nationales ou européennes, mais qu’elles cherchent à transmettre à leurs sympathisants. Ensuite, parce que ce savoir est mobilisé dans un but de transformation démocratique de l’ordre social.

 

L’actualité immédiate des négociations entre le gouvernement grec et l’Union Européenne illustre comment cette ambition s’affronte aux cadrages mainstream de la crise («un débiteur doit régler ses dettes, point barre»), mais aussi à toute une architecture institutionnelle protégeant des réponses orthodoxes. 

 

Note :

[1] Je reprends ce terme au philosophe Jacques Bidet, qui analyse la structure sociale moderne comme divisée entre une classe dominante détenant des privilèges liés soit à la propriété économique (le pôle marchand) soit à des titres de compétence et de savoir (le pôle organisationnel), et une classe fondamentale dépourvue de ces privilèges.

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  • Pour une Révolution citoyenne par les urnes
  • Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT  de 1978 à 2022.
  • Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT de 1978 à 2022.

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