Où en est la gauche anti-austérité au pouvoir en Grèce depuis fin janvier ? Après cent jours de gouvernement, le Premier ministre Alexis Tsipras semble pris en tenaille, coincé entre, d’un côté, les exigences des créanciers du pays et, de l’autre, ses 2,2 millions d’électeurs qui attendent que les promesses soient tenues a minima. Voici un décryptage des points de blocages, des déceptions mais aussi de « la Grèce qui change malgré tout ».
Le nouveau gouvernement grec vient de passer le cap de cent jours au pouvoir. Il est donc possible de faire un bilan provisoire de son action. Dans ce texte je tenterai de recenser les principales difficultés rencontrées ainsi que les critiques qui lui sont adressées avant de décrire les aspects qui laissent entrevoir malgré tout un espoir de changement positif.
Le « compromis honorable » introuvable
Le premier constat qu’on fait à Athènes est que le temps semble suspendu. Rien n’a changé en apparence depuis trois mois. Tout le monde attend le résultat des négociations avec les créanciers qui s’éternisent. Le gouvernement de Tsipras paye aujourd’hui le prix de son inexpérience et de son impréparation : l’accord du 20 février n’a pas assuré le versement de la dernière tranche du précédent programme de financement, ni la liquidité nécessaire en provenance de la Banque centrale européenne (BCE). L’État grec se trouve donc constamment au bord de la cessation de paiements.
Pourtant le gouvernement a fait de nombreuses concessions face à la pression des institutions et le risque d’une faillite imminente. Il a également honoré l’ensemble de ses obligations envers les créanciers – plusieurs milliards d’euros déjà prélevés sur le budget de l’État qui du coup n’ont pas été utilisés pour relancer l’activité ou réparer les services publics. En effet, l’économie du pays stagne dans ce climat d’incertitude. Les prévisions de croissance pour l’année 2015 ont été revues fortement à la baisse de 1,4 % à 0,8 %. Le chômage reste extrêmement élevé. Et la Grèce n’a pas touché un euro de la part du mécanisme de soutien financier européen depuis bientôt un an.
Tsipras pris en tenaille à l’intérieur
Sur le front de la politique intérieure le premier ministre est coincé : d’un côté l’opposition et les médias dominants le pressent de « signer » avec les créanciers, quelques soient les conditions de l’accord. Pour ce faire ils brandissent des sondages douteux, supposés montrer que les Grecs sont « prêts à tous les sacrifices pour garder l’Euro » et reproduits largement par les médias européens. Ce que l’opposition veut c’est une compromission humiliante qui montrerait ainsi que la rhétorique anti-austéritaire de Syriza était bien du « populisme utopique ».
De l’autre côté l’aile gauche du parti et les millions d’électeurs de classes populaires et moyennes souffrant de la crise qui ont élu ce gouvernement attendent que celui-ci respecte a minima ses promesses électorales : pas de diminution des pensions et des salaires ; reforme de l’impôt pour plus de justice sociale ; régulation du marché de travail ; lutte contre la corruption, la fraude fiscale et les oligarques ; allégement du fardeau des dettes bancaires ; augmentation du salaire minimum…
Tsipras et son gouvernement doivent donc à tout prix obtenir des créanciers un accord « défendable » en interne, faute de quoi la popularité dont ils jouissent toujours risque de s’envoler et la majorité parlementaire qui les soutient imploser. Ceci d’autant plus que de nombreuses voix à gauche s’élèvent désormais pour critiquer leur gestion du pouvoir. En effet, des signes inquiétants se font jour : manque de transparence dans les processus de prise décision, concentration du pouvoir entre les mains du premier cercle de Tsipras, marginalisation d’un certain nombre de personnalités du parti, difficulté à s’ouvrir à la société civile.
Le cas emblématique de la télévision publique
Récemment, les critiques se sont cristallisées autour de la désignation de la direction de ERT, la radiotélévision publique ressuscitée après la fermeture décidée de manière autoritaire par le précédent gouvernement à l’été 2013 (Basta ! était sur place à l’époque). En effet, la loi définissant les nouveaux statuts de ERT ne comporte que peu de garanties au niveau de son indépendance face au pouvoir politique, du contrôle par les citoyens, de l’implication de salariés à sa gestion...
De plus, la désignation du nouveau président et du nouveau directeur exécutif se sont faites de manière opaque. Le processus a été conduit par le ministre Nikos Pappas, un proche de Tsipras, sans qu’un projet soit présenté formellement par les différents candidats, seulement des CV qui ont été “examinés dument” mais on ne sait pas par qui.
Les critiques ont été plus fortes encore en raison des personnalités choisies. Le président choisi pour la nouvelle ERT est Dionissis Tsaknis, un chanteur et compositeur populaire, proche des mouvements sociaux, dont les convictions exprimées publiquement sont très ancrées à gauche. Mais en même temps il n’a aucune expérience dans l’audiovisuel et c’est aussi l’un des artistes qui a le plus profité de la bulle des industries culturelles grecques dans les années 90 et 2000.
Son directeur exécutif, Lambis Tagmatarhis, est quant à lui un cadre expérimenté de l’audiovisuel en provenance du privé, proche de l’establishment médiatico-financier. Il symbolise l’ère des excès du paysage médiatique. Ce choix controversé avait comme objectif déclaré d’éviter de placer un proche de Syriza ou quelqu’un sans l’expérience requise. Mais il a conduit des nombreuses personnalités respectées comme le professeur Yorgos Pleios, le journaliste Yorgos Avgeropoulos ou l’ancien directeur technique de ERT Nikos Mihalitsis à refuser d’intégrer le conseil d’administration de la radiotélévision publique .
Un autre problème pour la nouvelle ERT sera la cohabitation en son sein de deux groupes d’anciens salariés : ceux, les plus nombreux, qui se sont battus pendant deux ans pour sa réouverture à travers la radiotélévision autogérée ERTopen et ceux qui n’ont pas hésité à intégrer NERIT, la structure fantomatique mis en place par le gouvernement précédent. Les tensions entre les deux seront donc inévitables.
Les tâches herculéennes
Ce recours à des dirigeants de l’ancien « régime » illustre également la difficulté que connaît ce gouvernement pour s’entourer des cadres aux compétences nécessaires à la gestion du pays. Les professionnels affirmés susceptibles d’être utiles dans de nombreux secteurs de l’administration ont souvent immigré ou sont politiquement incompatibles avec le programme de Syriza. D’autres sont tout simplement très bien payés dans le privé. Or, l’état lamentable des finances ne permet pas au gouvernement de proposer à ses collaborateurs des salaires décents par rapport à l’énormité des tâches à accomplir.
En effet, les cadres gouvernementaux se trouvent en première ligne. Disposant des budgets anémiques, voir inexistants, ils sont obligés de composer avec une administration peu efficace, lente et bureaucratique. Ils sont systématiquement confrontés à la corruption de certains agents et aux intérêts privés qui ont profité pendant des années des deniers publics.
A titre d’exemple, selon le témoignage d’une députée, lors d’une visite de l’une de plus grandes prisons du pays à Domokos aucune archive sur les marchés lucratifs de fournitures n’a été trouvée. Toutes les traces des pratiques douteuses du passé avaient tout simplement disparu. Autre exemple, on a découvert que la capacité d’accueil affichée des prisons grecques était largement surestimé par l’administration pénitentiaire. La surpopulation, déjà dramatique, est donc pire que ce qu’on croyait. Le ministère a été obligé d’entreprendre un nouveau comptage de la réelle capacité d’accueil des prisons du pays, calculée cette fois-ci en fonction des standards internationaux.
La bataille pour assainir les médias
Même situation au secrétariat général de la communication où Lefteris Kretsos, le nouveau responsable qui a quitté une carrière d’universitaire en Grande Bretagne pour assumer la fonction, a découvert des situations ubuesques : des journalistes payés par l’agence de presse public APE qui n’ont jamais mis les pieds dans les locaux, ni produit la moindre information ; des locaux à l’étranger inexploités voir abandonnés ; des archives audiovisuels publics dans un piteux état.
Kretsos, un proche de Pappas, est en première ligne dans la bataille que le gouvernement tente de mener contre les oligarques qui contrôlent les médias. Il a ainsi récemment exigé le paiement des sommes dues par les chaînes privées pour l’utilisation des fréquences. Les chaines ont justifié leur manquement en évoquant la mise à disposition gratuite du temps d’antenne aux partis politiques, censée compenser le prix de l’utilisation des fréquences. Une excuse qui sonne comme un aveux.
L’autre tâche urgente pour le secrétaire général à la communication est l’examen des conditions dans lesquelles les chaînes privées en quasi-faillite ont obtenu des prêts avantageux des banques, qui elles mêmes avaient été précédemment re-capitalisées avec de l’argent public. Une disposition de la loi de refondation de ERT prévoit que le gouvernement peut révoquer les licences des stations de télévision qui ne peuvent pas payer leurs dettes. Des hommes d’affaires Grecs mais aussi étrangers sont en embuscade pour récupérer les fréquences si redistribution il y a. Faute d’une régulation suffisante et strictement appliquée le risque de créer une nouvelle oligarchie médiatique est existant.
Le projet de ré-agencement du système médiatique grec inclut également l’assainissement du paysage de l’information en ligne. Pour ce faire le gouvernement entend favoriser les sites d’information qui assurent un journalisme de qualité et se fonde sur des modèles économiques transparents, au détriment de ceux qui dépendent des financements douteux et qui pullulent sur l’internet grec diffusant rumeurs et fausses informations. Si l’idée est louable sa mise en œuvre risque d’être compliquée.
La Grèce qui change malgré tout
Pour s’apercevoir que la Grèce est réellement en train de changer lentement, il faut s’éloigner du triste spectacle qu’offre la négociation avec les créanciers et s’intéresser à la politique de basse intensité qui vise à changer des pratiques et des mentalités fortement ancrées depuis longtemps. La reforme pénitentiaire en cours qui vise à désengorger les prisons et améliorer les conditions de vie des détenus, même si c’est à moyens quasiment constants, est à ce titre emblématique. Il s’agit d’insuffler une nouvelle mentalité dans un système inhumain qui pendant longtemps a fonctionné à l’écart de la société.
Le même effort, très compliqué, est déployé en direction de la police. Samedi dernier a ainsi eu lieu sur la place Syntagma, devant la parlement, le premier festival de cannabis au centre d’Athènes. Pas un seul policier en uniforme n’est venu perturber cette fête de la jeunesse athénienne qui a repris possession des lieux après des années de répression féroce instaurant un climat de terreur policière au cœur de la ville. Cependant le ministre de la police Panousis reste une bête noire pour des nombreux militants et électeurs de Syriza à cause de ses déclarations droitières répétées.
Autre front de ce type, le ministère de la Culture, longtemps mis au services d’une conception nationaliste et étroite de l’art et de l’histoire, tente de s’assainir et de s’ouvrir. Ainsi le secrétaire général à l’archéologie a par exemple découvert des services désorganises et des locaux délabrés. Il a également révélé des multiples manipulations politiques des fouilles en cours dans le nord de la Grèce visant à gonfler la « fierté nationale » et faire diversion des politiques austéritaires mises en œuvre par le précédent gouvernement.
Enfin, le procès en cours des principaux dirigeants d'Aube dorée pour participation à une organisation criminelle est aussi un signal fort pour les populations d’origine étrangère. Ces-dernières peuvent de nouveau circuler sans peur dans les rues d’Athènes puisque les attaques racistes impunies ont drastiquement diminué (sans disparaître).
Dans la même veine, la libération des centaines de migrants des centres de détention immondes mis en place avec des fonds européens, la couverture maladie universelle, y compris pour les étrangers, le droit du sol remplaçant le droit du sang pour les enfants d’immigrés, le retrait des circulaires stigmatisant séropositifs et toxicomanes et la remise sur pied du système de soin pour les malades mentaux qui est en cours clôturent une période qui restera tristement célèbre dans l’histoire du pays : celle d’un racisme d’État violent et qui pour l’instant reste impuni.
Enfin, il faut ajouter aux points positifs évidement les mesures contre la pauvreté extrême – mais qui touchent une fraction seulement de ceux qui en ont besoin – , la réintégration des fonctionnaires licenciés injustement (dont les femmes de ménage du ministère de l’Économie et les employés de ERT), la reforme de l’Éducation nationale vers plus d’égalité et la mise en place d’une commission d’audit sur la dette par le Parlement. Des débuts encourageants mais dont la suite est conditionnée par l’issue des négociations avec les créanciers et la réussite, qui reste hypothétique, de la politique économique qui s’en suivra.
Jean-Claude Juncker, déclare dans le Figaro qu’ « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ».
Une déclaration de guerre contre la décision du peuple grec. Cela nous rappelle qu'en 2005 le peuple français a voté à 55% contre le TCE, les Hollandais à 61% - sans qu’on respecte leur choix - pour une Europe sociale.
A votre disposition
Montage de 16 extraits du net en 2005 et 2 épilogues de Bernard Teper (ResPUBLICA et du Réseau d'éducation populaire) et François Cocq (AGAUREPS-Prométhée, maire adjoint de Champigny s/Marne, Parti de Gauche) en 2015 pour reprendre la discussion pour sortir de l’Europe des banques.
Un NON populaire et floué où 3/4 des électeurs de gauche avaient dit leur refus !
Qu’ont-ils fait de notre 29 mai 2005 ?Que reste t-il de notre NON ?
Lire ICIla contribution d'Eric Coquerel, Secrétaire national du Parti de Gauche
2018 - Anniversaire du Non français au TCE lors du référendum de 2005
- Afghanistan, 20 ans de guerre en travers de la gorge[2] !
- La « perte » de l’Afghanistan par les États-Unis est un repositionnement et la nouvelle mission n’est pas une « guerre contre le terrorisme », mais contre la Russie et la Chine[3] .
Du 27 avril 1978 au 27 avril 1992, des forces de gauche sont au pouvoir en Afghanistan.
27 décembre 1979 : l’armée soviétique entre dans Kaboul à la demande du gouvernement Najibullah confronté aux guerrillas féodalo-islamistes épaulées par les USA et plusieurs pays arabes.
Le retrait des soviétiques puis la défaite de la gauche afghane trois ans plus tard amènent l’exode de centaines de milliers de familles progressistes et laissent place à la propagation d’un islamisme de masse.
Les Etats Unis comme tous les pays occidentaux, comme la Chine, comme les prétendus nouveaux philosophes auraient mieux fait d’y réfléchir à deux fois avant de soutenir et fournir à foison des armes et de l’argent pour les mollahs et les madrasas.
Cet article a été rédigé en 2006. Depuis..............................
1- Remarques sur l’histoire de l’Afghanistan jusqu’en 1978
Placé sur la grande route de la soie, au carrefour de l’Asie (entre Perse, Russie, Turco-mongols, Chine et Inde...), l’Afghanistan a connu une histoire riche depuis le néolithique. Les villes de Kaboul, Hérat, Kandahar, Balk, Bagram, Ghazni... ont resplendi à plusieurs époques au coeur de la Bactriane antique puis de la grande civilisation des Kouchans, dans l’Empire ghaznévide... Ensuite, le développement du capitalisme international par les routes maritimes laissa l’Afghanistan à l’écart des évolutions du monde ; les villes perdirent beaucoup de leur puissance économique, sociale et culturelle au profit d’un féodalisme rural dominé par de grands propriétaires terriens et des chefs de guerre, au profit aussi de mollahs autour desquels s’organisait la vie des villages.
Des historiens russes ont daté les prémisses d’un Etat afghan du 17ème siècle (principautés féodales de Akora et de Teri) et de 1713 lorsque plusieurs chefs féodaux locaux s’entendirent pour chasser le gouverneur de Kandahar nommé par le Shah d’Iran. Ceci dit, l’absence de relations économiques entre les territoires n’a pas poussé à la naissance d’un peuple ou d’une nation. Le pouvoir politique s’est donc disputé au gré des rapports de forces dans un chaos permanent. Les moments d’unification furent rares comme sous la domination du clan Sadozai de la tribu Durrani (ethnie pachtoun).
Reste de cette histoire une mosaïque d’ethnies (Pachtouns, Tadjiks, Ouzbeks, Hazaras, Turkmènes, Kirghizes, Aïmaks, Baloutches, Nouristanis...), de tribus, de sous-tribus, de clans, de langues séparés par l’histoire (innombrables déplacements de population et innombrables conquérants), par la géographie (hautes montagnes, grands déserts), par des intérêts divergents, par des religions différentes, par l’attraction économique et culturelle de civilisations voisines.
- De 1839 à 1919, la Grande Bretagne essaya en vain d’imposer son protectorat sur ces populations guerrières et indépendantes. A plusieurs reprises, les armées britanniques connurent des défaites humiliantes (bataille de Gandamak en janvier 1842). C’est surtout de cette lutte contre l’envahisseur colonial que date un nationalisme féodalo-monarchique afghan d’autant plus que c’est lui qui traça les premières frontières.
- En 1919, une nouvelle guerre entre Britanniques et Afghans (dirigés par le prince Amanullah Khan) se termine par une défaite des British Armed Forces ; par souci de protection, Kaboul se tourne vers la jeune Union des Républiques Socialistes Soviétiques. L’Afghanistan est le premier Etat à reconnaître l’URSS et à signer avec elle des traités de coopération et de non-agression.
- De 1919 à 1929, l’Afghanistan connaît une décennie de développement à l’européenne : création de routes, de lycées, développement des villes, infrastructure étatique permettant de collecter l’impôt... L’émancipation de la femme afghane progresse rapidement (éducation, abolition du port du voile, interdiction de la polygamie, interdiction du mariage des jeunes filles avant l’âge de 9 ans, droit de vote). Qui porte cette politique ?
Sur le fond, des couches sociales citadines
Au sommet de l’Etat, des modernisateurs comparables au turc Kemal Atatürk, en plus démocratiques et plus progressistes.
Survient alors en Afghanistan, ce qui était arrivé durant la révolution française
La majorité des paysans de sociétés rurales restées les plus féodales soutiennent leurs anciens oppresseurs (religieux et grands propriétaires) contre ceux qui croient pouvoir les libérer. La structure sociale et idéologique paraît alors plus forte que toute aspiration individuelle ou collective. L’intérêt trouvé par des abrutis locaux dans le maintien du patriarcat paraît plus important que la réforme agraire, l’éducation... Les religieux organisent une révolte qui oblige Aminullah à quitter le pays.
- Du 17 janvier 1929 au 13 octobre 1929, l’Afghanistan subit une première domination sanglante des fondamentalistes avec Habibullah Ghazi comme roi. Ce dernier est assassiné par Mohammad Nadir Shah qui convoque une Loya Jirgah (assemblée traditionnelle réunissant les chefs religieux, tribaux et militaires) pour être proclamé roi en septembre 1929 ; avec lui les fondements du pouvoir retournent aux chefs religieux et tribaux.
- Jusqu’en 1973, Mohammad Nadir Shah puis son fils Mohammed Zaher Chah siègent sur le trône royal afghan. Dans les années 1950 et 1960, la poussée tiers mondiste mondiale, les liens entre les Etats Unis et l’ennemi pakistanais expliquent les liens renoués avec l’URSS : construction de barrages, de centrales hydro-électriques, d’usines, scolarisation des femmes, droit de ne pas porter le voile... L’Afghanistan fait alors partie de la zone d’influence soviétique : les officiers comme beaucoup de hauts fonctionnaires sont formés en URSS ou au moins par ses coopérants. Les Etats-Unis veulent aussi prouver leur capacité à mener à bien des projets (barrage du Helmand, aéroport de Kaboul...). De 1963 à 1973, le pays connaît une période de monarchie constitutionnelle avec une constitution, des partis politiques déclarés et reconnus (à droite des parti islamistes, à gauche le PDPA).
- De 1969 à 1973,plusieurs années de sécheresse, de mauvaises récoltes et de famine affaiblissent la monarchie.
- En 1973, le général Daoud renverse son cousin et beau-frère, le roi Mohammed Zaher Khan, instaure la république et en devient le premier président. Ce dictateur populiste dispose d’une faible assise sociale. Il essaie de s’appuyer à la fois sur la haute aristocratie féodale et sur des couches sociales urbaines en cooptant son réseau politique. Des chefs islamistes commencent à rejoindre le Pakistan pour constituer des groupes de résistance comme le tadjik Ahmed Chah Massoud et le pachtoune Gulbudin Hekmatyar. Des guerillas islamistes commencent à se former. Rapidement, le pouvoir subit ce poids politique conservateur et adopte une attitude répressive vis à vis de la gauche formée par le PDPA (Babrak Karmal).
2- 27/04/1978 : la gauche afghane au pouvoir
La répression violente exercée par le pouvoir contre les progressistes met de plus en plus la gauche en situation d’impasse. Le 17 avril 1978, un dirigeant du PDPA, connu et apprécié, est assassiné en pleine rue. La grande manifestation de protestation organisée par ce parti deux jours plus tard est réprimée de telle manière (vaste rafle) que toute la gauche se sent en danger de mort.
Pour éviter le processus génocidaire de la gauche qu’a connu l'Indonésie en 1965, des officiers progressistes réalisent un coup d’état qui bénéficie alors d’un large soutien populaire tellement Daoud s’était fait d’opposants et ennemis.
Ainsi, le 27 avril 1978, arrive au pouvoir le PDPA (People’s Democratic Party of Afghanistan).
Qu’est-ce que le PDPA ? Un parti né en 1965 dans le sillage de la montée tiers-mondiste, émancipatrice et révolutionnaire des années 1960.
Les militants de gauche qui le créent veulent :
s’attaquer aux structures féodales rurales, au pouvoir des grands propriétaires terriens, à l’intégrisme religieux, à la grande bourgeoisie prédatrice ;
promouvoir l’alphabétisation des garçons et des filles, développer la semaine de 40 heures, instaurer une sécurité sociale...
construire un Etat de droit républicain en lieu et place de la corruption régnante ; faire perdre ainsi à la multitude de mollahs leur rôle traditionnel de prédicateurs porteurs de la parole d’Allah, de chefs politiques, de juges, de maîtres d’école ;
utiliser cet Etat planificateur pour développer un réseau de coopératives agricoles, des organismes publics de crédit pour aider les artisans...
s’appuyer socialement sur les travailleurs, les petits paysans, les intellectuels, les couches urbaines.
La majorité des cadres du PDPA proviennent des milieux enseignants, journalistes, bourgeoisie urbaine cultivée, quelques officiers formés en URSS.
Dès l’été 1978, des zones rurales s’insurgent et sont rejointes par plusieurs garnisons. Le Sud-Est, région de forte implantation islamiste est en sécession.
3 - La décision des USA de renverser la gauche afghane date du début juillet 1979
Dès le début juillet 1979, les Etats Unis décident d’intervenir en Afghanistan par le biais :
d’une part d’une assistance financière et militaire aux moudjahiddin (« guerriers saints ») ;
d’autre part d’un soutien direct de la part du Pakistan voisin (préparation d’un gouvernement fantôme à Peshawar, formation militaire, logistique...).
Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller pour la sécurité de Jimmy Carter, a affirmé en janvier 1998 que c’est « le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul[1] ».
Pire, la CIA comme l’administration du Pentagone mise sur le fait qu’en intervenant massivement, l’URSS va se trouver obligée de faire de même et de s’engluer dans le "piège afghan".
La décision américaine se traduit rapidement par une extension des guérillas. Elle représente un tel encouragement politique et militaire que la garnison de Kaboul elle-même se soulève et passe à l’opposition.
En octobre, la moitié des 85000 soldats de l’armée ont quitté leur affectation, rejoignant généralement l’insurrection contre le PDPA.
Les dirigeants du PDPA sont à présent dépassés par les enjeux stratégiques mondiaux qui se jouent dans leur pays. D’ailleurs, leur division s’exacerbe au plus mauvais moment entre d’une part le Khalq (Peuple) majoritaire, radical et assez peu politisé), d’autre part le Parcham (Etendard).
4 - 27/12/1979 : l’armée soviétique entre dans Kaboul
Le PDPA dirigé par le Khalq :
promeut des mesures progressistes dont il escompte le soutien du milieu paysan pauvre et modeste (alphabétisation, annulation des emprunts immobiliers ruraux, réduction de la dot, interdiction du mariage des enfants, interdiction des prêts financiers au bazar, redistribution de terres...);
se bat face à ses ennemis, les emprisonne, les abat parfois.
Dans le contexte montagnard afghan d’isolement géographique et culturel de nombreuses zones, les mollahs (religieux), les grands propriétaires et les maliks (chefs de villages) montent contre le gouvernement des populations rurales pourtant rationnellement intéressées par ces réformes.
Quatre autres éléments pèsent alors contre la réussite du PDPA :
l’action prosélyte de pays musulmans contre les "communistes" de Kaboul. L’Arabie saoudite apporte un financement considérable aux sept organisations de moudjahidines dès juillet 1979 au plus tard ;
le contexte international de réaction avec les USA en gendarmes du monde. Le 3 juillet 1979, Washington décide de fournir une aide financière et militaire considérable aux moudjahidines ;
le rôle de la dictature pakistanaise dont les services secrets servent de relai entre Washington, Ryad, les "zones tribales" et les guérillas afghanes ;
la poussée islamiste iranienne aux portes des régions rurales les plus conservatrices d’Afghanistan (Sud-Est).
Confronté à ce soutien international des forces impérialistes et abruties, le gouvernement afghan demande officiellement à treize reprises à l’URSS une intervention militaire pour le soutenir. Moscou analyse la situation et répond non avec pour argument essentiel que cela renforcerait les religieux et le soutien qu’ils reçoivent des pays capitalistes.
Pourtant, le gouvernement soviétique accroît son intervention en Afghanistan après deux évènements importants :
le soulèvement de la garnison d’Herat (aux portes de l’URSS) contre le PDPA ;
l’assassinat en septembre 1979 du président afghan (PDPA) Noor Mohammed Taraki.
Environ 55000 soldats soviétiques participent à l’intervention en cette fin d’année 1979. Ils appuient l’arrivée au pouvoir de Babrak Karmal, dirigeant modéré du PDPA, proche d’eux. Ils poussent à une attitude conciliante vis à vis de la religion et des religieux. 2000 prisonniers politiques sont libérés ; les discours et communiqués officiels commencent par Bismillah (au nom d’Allah).
1979, c’est l’année de la révolution khomeiniste en Iran.
Il aurait été logique que les Etats Unis restent prudents vis à vis de guérillas religieuses pour éviter une propagation islamiste ; or, ils vont peser de tout leur poids pour soutenir et armer ces groupes profondément réactionnaires. C’est dans ces conditions qu’ils utiliseront Oussama Ben Laden pour faire parvenir des armes et de l’argent ici et là. Chaque année, de 1981 à 1989, Washington va y engloutir environ 500 millions de dollars auxquels s’ajoutent les aides financières et en armement du Pakistan, de l’Arabie saoudite, de l’Iran, de la Chine, de l’Egypte...
Dans le même temps, des volontaires affluent de divers pays du monde arabo-musulman pour aider les moudjahidines (Algériens, Philippins, Saoudiens, Égyptiens...).
Les effectifs soviétiques augmentent rapidement : 85 000 hommes en mars 1980, 118 000 en 1982.
Sur 10 ans, plus de 900 000 jeunes Soviétiques servent en Afghanistan, 14 000 d’entre eux sont tués et 75 000 blessés, victimes d’armes fournies par l’Occident.
Cependant, les moudjahidines contrôlent une partie de plus en plus importante de l’Afghanistan rural.
En 1988, Gorbatchev décide le retrait des troupes russes, retrait complètement terminé en février 1989.
Ne sous-estimons pas dans cet échec du PDPA et de l’URSS, le rôle considérable des médias occidentaux (dont les grands médias français), présentant les moudjahidines en référence aux "Résistants" de 1940 1945. Grotesque bêtise !
5 - L’Afghanistan depuis le retrait soviétique
Notons seulement trois faits :
l’Afghanistan progressiste du président de la république Najibullah tient seul au pouvoir durant plusieurs années jusqu’au 27 avril 1992 face à des guérillas soutenues par les Etats Unis, le Pakistan, l’Arabie... l’Oumma... En mars 1989, tous les réactionnaires et ignorantistes au service des USA croient pouvoir écraser l’armée afghane à présent privée de tout soutien soviétique. A partir du Pakistan proche, des forces considérables avancent vers Jalalabad et en entreprennent le siège. Surprise : des forces de l’armée régulière de Najibullah brisent ce siège et font éclater l’unité des islamistes ;
dès le printemps 1990, un tartuffe pro-occidental nommé Boris Eltsine arrive au pouvoir à Moscou. L’isolement international de Kaboul s’accroît de façon inexorable rappelant la fin de la république espagnole avec une retirada aussi massive et aussi dramatique ;
La politique menée par le PDPA est indiscutablement meilleure pour le pays que tout ce qu’a connu l’Afghanistan depuis, à savoir la longue guerre civile entre factions de 1992 à 1996, puis la dictature des talibans, puis l’intervention militaire américaine. Notons un point : en 14 ans de présence du PDPA au gouvernement à Kaboul (intervention soviétique comprise), les spécialistes s’accordent sur environ 8000 Afghans moudjahidines exécutés. Une fois ce parti vaincu, les seuls combats entre factions islamistes dans la capitale ont fait plus de cent mille morts en un an.
Oui, il exista un Afghanistan de gauche qui présentait de nombreux défauts mais qu’il aurait fallu soutenir plutôt que de céder aux sirènes médiatiques au service des ignares obtus dirigeant la CIA.
Je ne peux terminer sans rappeler comment est mort le dernier président réel de l’Afghanistan auquel un jour l’histoire rendra hommage : lors de la prise de Kaboul en avril 1992, il essaie de quitter son pays mais en est empêché par le clan de Dostom devenu un allié des USA après le départ des soviétiques suite à des arguments sonnants et trébuchants. En 1996, les talibans prennent Kaboul, s’emparent de l’ancien président réfugié dans un bâtiment des Nations Unies :
le battent à la mode SS des années 1930 ;
le torturent à la mode Inquisition de la Renaissance ;
Quoiqu’en pensent Le Figaro, L’Express, le Nouvel observateur, Le Monde et La Dépêche du Midi, l’humanité pensante n’était pas du côté des guerriers saints soutenus par les faucons de Washington. Avec le PDPA, les réverbères recevaient de l’électricité pour éclairer les rues et non pour pendre sans aucun procès un ancien président de la république.
6 - 1997-2001 : les Talibans
7 - Intervention de l’OTAN
8 - 31/12/2014 : Les forces de l'Otan mettent fin à leur intervention déclenchée en 2001 pour chasser les Talibans d'Afghanistan
9 - 15/08/2021 : les talibans font chuter le gouvernement afghan et prennent le pouvoir
Jean-Luc Mélenchon : " La victoire des talibans en Afghanistan déclenche légitimement un flots de commentaires et l’angoisse y domine, à juste titre. Engagé dès la première heure contre cette intervention militaire des USA (soi-disant en réplique aux attentats du 11 septembre 2001), je suis d’autant plus révolté contre le résultat final de ces vingt ans de guerre. J’ai déjà dit que j’avais chaleureusement applaudi la défaite des USA au Vietnam. Leur défaite (cette fois-ci encore), par contre, ne me procure qu’affliction et colère contre eux et je ne veux pas m’en cacher. Elle me soulève de dégoût pour ceux qui ont conduit les évènements jusqu’à ce point. Car tout était hautement prévisible depuis le premier jour. [2]"
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Afghanistan : Jean-Luc Mélenchon " pour comprendre la guerre, suivez les pipelines ! "
Intervention de Jean-Luc Mélenchon le 18 septembre 2019 à l’Assemblée nationale à propos d’un traité de coopération entre l’Union européenne et l’Afghanistan.
Le président du groupe «La France insoumise» a commencé son exposé par parler de la première cause de la guerre : le pétrole et les pipelines. Il a dénoncé le rôle néfaste des États-Unis qui, après avoir entretenu Al Qaïda, sont intervenus militairement officiellement pour détruire cette organisation terroriste.
Jean-Luc Mélenchon a dénoncé les hypocrisies contenues dans le texte de l’accord de coopération UE-Afghanistan, pointant notamment du doigt la question des droits des femmes ou encore de la liberté de conscience. Il a dénoncé un énième accord de libre-échange prônant par exemple la libre circulation des capitaux dans les échanges avec un pays qui est le premier producteur de drogue.
Après la débâcle des élections départementales, la gauche est en vente à la découpe. Le gouvernement et le Parti socialiste ont été une nouvelle fois sanctionnés dans les urnes. L’abstention record, tout comme la course en tête du FN, expriment à la fois l’écœurement et le rejet du système politique dans son ensemble. Mais la colère populaire n’a débouché, pour le moment, que sur le ressentiment et le repli aussi réactionnaire qu’autoritaire.
Comment pourrions-nous nous laisser enfermer dans deux logiques mortifères, se nourrissant l’une l’autre : d’un côté, l’austérité et la régression ; de l’autre, la réaction autoritaire et la xénophobie ? Nous devons prendre nos responsabilités et conjurer ce scénario de la désespérance.
La reconstruction d’une force politique émancipatrice, en phase avec les urgences sociales et environnementales est un impératif urgent auquel il faut dès maintenant s’atteler.
La première étape est de faire émerger un pôle rassemblant toutes celles et ceux qui veulent donner une colonne vertébrale sociale et écologique à une nouvelle gauche. Car il n’y a pas d’écologie conséquente et populaire sans rupture avec la logique du profit et le dogme de l’austérité. Et il n’y a pas d’émancipation humaine sans préservation de l’écosystème, et donc sortie du modèle consumériste et productiviste.
L’articulation entre le mouvement ouvrier et l’écologie politique permet de poser la question des finalités de l’économie. Elle nous ramène à des choix fondamentaux, qui consistent à tourner l’économie vers la satisfaction des besoins du grand nombre et la préservation de la planète.
Nous refusons d’attendre Godot, ce retour de la croissance des années 60 ni possible ni souhaitable. Le cap doit être clair : ce n’est pas la compétitivité que nous recherchons, mais la construction d’une «société du bien vivre» à même d’assurer à chacune et à chacun une vie meilleure.
Quant à la méthode, une seule permet d’avancer : la démocratie véritable en lieu et place de la «gouvernance» qui donne aux élites le pouvoir de décider pour le peuple.
Une nouvelle république, c’est-à-dire un changement radical de notre fonctionnement institutionnel et démocratique, doit être mise en œuvre à travers la fin du présidentialisme, la proportionnelle, le statut de l’élu : le chantier est immense et ne s’arrêtera pas aux portes des entreprises.
Les salariés, comme les usagers, ont leur mot à dire dans le cours de la production. Ce qu’on produit, et la façon de le produire, doit devenir l’affaire de toutes et de tous.
Pour permettre une dynamique sociale, culturelle, citoyenne, il faut fédérer toutes celles et ceux qui veulent changer le monde et ne considèrent pas qu’il n’y a qu’une seule alternative possible, celle de la gestion du capitalisme tel qu’il est. La nouvelle gauche ne naîtra pas d’un cartel de partis, mais le signal d’une alliance nouvelle doit donner l’envie de s’engager à ces millions de nos concitoyens, qui attendent un sursaut, une initiative.
A la condition de dire ensemble que nous sommes prêts à changer nos pratiques, et inventer le projet et la stratégie de transformation sociale et écologique du XXIe siècle.
La réappropriation de la politique par les citoyens commence par en bas, à partir des valeurs de l’écologie, de l’autonomie, de l’égalité, de la dignité. Nos forces politiques doivent être prêtes à dépasser les logiques d’appareils, et les vieilles routines pour créer, à l’image des mouvements grecs et espagnols, une nouvelle force politique.
Impulsés par des responsables du mouvement social, du monde culturel et intellectuel critique, du Front de gauche, de Nouvelle Donne et d’Europe Ecologie-les Verts, les Chantiers d’espoir, avec leur prochain rendez-vous le 20 juin, constituent un point d’appui.
Si nous ouvrons nos portes et nos fenêtres sur ce qui bouge, résiste, s’invente dans les sociétés, alors nous aurons l’énergie nécessaire pour recomposer et refonder la gauche sur la base d’un projet de civilisation alternatif au modèle de développement croissanciste et productiviste, qui seule peut réenchanter le monde et lui donner du sens, antidote à tous les extrémismes. Alors ayons confiance dans la force de nos idées, et osons être ambitieux. Pour notre part, nous y sommes prêts.
Jacques Boutault, Sergio Coronado, Jérôme Gleizes et Elise Lowy, Europe Ecologie-les Verts (EE-LV), Clémentine Autain, Myriam Martin, Jean-François Pellissier et Marie Pierre Thoubans (Ensemble-Front de gauche).
Au lieu de réaffirmer la laïcité, certains parlent aujourd’hui de l’affaiblir encore un peu plus en s’inspirant du concordat qui sévit encore en Alsace-Moselle. Ils ne veulent pas voir qu’avec la liberté de conscience, l’égalité de droits des croyants et des athées est essentielle. Ce principe républicain requiert la disparition des privilèges des religions, donc l’abrogation du concordat et non son extension.
Quelques repères historiques.
Le 9 décembre 1905, Marianne se sépare de Dieu. Non pour lui faire la guerre, mais pour s’émanciper de sa tutelle, tout en le libérant de son contrôle. La République reconduit, ainsi, la religion à sa vocation revendiquée de démarche spirituelle qui n’engage que ses fidèles. Elle met à égalité les divers croyants, les athées et les agnostiques, et s’élève à l’universel en se réservant pour le bien commun à tous.
Rompant avec le concordat napoléonien et avec le bonapartisme dominateur qui l’animait, elle ne nomme plus les prêtres, laissant ce soin aux autorités religieuses. Une telle liberté va de pair avec la suppression des privilèges financiers des religions concordataires. Désormais, les salaires des responsables religieux et la construction des lieux de culte seront à la charge des seuls fidèles. La laïcité s’accomplit, simple et limpide, comme la devise républicaine dont elle met en œuvre les principes : liberté de conscience, égalité de droits, universalité fraternelle de la chose publique, désormais dévolue à l’intérêt général et non aux intérêts particuliers des croyants.
Cet avènement laïc est une double émancipation. Comme dit le poète croyant Victor Hugo : « L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle. » C’en est donc fini du concordat de 1802-1807, que Bonaparte Napoléon avait assorti d’un catéchisme impérial et d’un sacre propre à ressusciter la collusion de la religion et du pouvoir politique. Avec ce concordat, le droit divin était revenu, comme au temps de la monarchie absolue qui faisait du roi le « ministre de Dieu sur la Terre » (Bossuet). Lecteur de Machiavel, Napoléon ne restaurait les privilèges des religions que pour obtenir en retour une sacralisation de sa domination. Régression vers l’Ancien Régime, et non seuil de laïcisation, le concordat avait reconduit le gallicanisme, qui donne au chef politique un pouvoir religieux. Une balance à deux plateaux. D’un côté, de l’argent pour les cultes et les clergés ; de l’autre, une allégeance contrôlée. Je paie, donc je contrôle. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, Napoléon s’en explique. Ce qu’il dit des responsables ecclésiastiques est peu flatteur : « Je suis entouré de prêtres qui me répètent sans cesse que leur règne n’est pas de ce monde, et ils se saisissent de tout ce qu’ils peuvent. Le pape est le chef de cette religion du ciel, et il ne s’occupe que de la Terre. » Le mécénat intéressé, car il l’est presque toujours, achète donc l’allégeance. Ainsi, le pape Paul III commanda à Michel-Ange la fresque du Jugement dernier, et son successeur, Paul IV, fit censurer le chef-d’œuvre par Da Volterra, chargé de repeindre les nus, et surnommé « Il Braghettone » (« le culottier »). « Cachez ce sein que je ne saurais voir » (le Tartuffe, acte III, scène 2).
Transposons pour récuser un argument faussement évident.
La République devrait financer des mosquées voire des instituts de théologie musulmane, et elle pourrait ainsi les contrôler. Quelle étrange idée de la liberté religieuse ! Quel croyant peut accepter ce gallicanisme dominateur, qui en somme achète la soumission ? Chantage. « Je vous paie. Mais gare à ce que vous direz ! ». Voilà bien un retour à l’Ancien Régime, car la relation de dépendance entre les personnes prend la place de la loi républicaine. Une métaphore commune le dit : « Celui qui paie l’orchestre dicte la musique. » Oublie-t-on qu’en République ce n’est pas la domination qui joue, mais la loi commune à tous ? Une loi que le peuple se donne à lui-même, contrat de tous avec chacun et de chacun avec tous. L’égalité horizontale des contractants prend la place de la dépendance verticale. Et, pour obtenir le respect des droits humains, nul besoin de l’acheter. Un imam, qui appelle à battre une femme, comme l’imam Bouziane à Lyon en avril 2004, est passible de poursuites pénales pour incitation à la violence et mise en danger de l’intégrité physique d’une personne. Tel est l’état de droit, et il n’a rien à voir avec le chantage implicite du mécénat religieux. Il est illusoire et même révoltant de vouloir payer pour contrôler. C’est d’ailleurs faire preuve d’une sorte de mépris condescendant pour les fidèles d’une religion que de se substituer à eux pour la délivrer de ses dérives intégristes. La République se contente de dire le droit et de poser, ainsi, les limites de pratiques religieuses qui lui contreviendraient. En parallèle, les religions doivent procéder à une adaptation issue de l’intérieur et non achetée de l’extérieur.
Retour dans les départements concordataires d’Alsace-Moselle.
Les trois composantes du droit local y sont le concordat napoléonien, les lois allemandes dont une qui fait du blasphème un délit et d’autres qui créent des droits sociaux, et la loi Falloux qui installe les cours de religion dans les écoles publiques, avec demande obligée de dérogation pour les familles qui n’en veulent pas pour leurs enfants. Ces trois composantes sont distinctes et parfaitement dissociables. Si bien que l’abrogation du concordat et du délit de blasphème, ainsi que le transfert des cours de religion des écoles publiques à la sphère privée des familles n’entraînent nullement la suppression des droits sociaux spécifiques des alsaciens-mosellans.
Le concordat est une survivance archaïque et antirépublicaine, puisqu’il consacre des privilèges institutionnels et financiers pour les religions, au mépris de l’égalité des croyants et des athées. Il n’a aujourd’hui plus rien d’un accord équilibré, puisque ces privilèges n’ont désormais aucune contrepartie. Le président de la République, certes, nomme des responsables religieux, mais ce sont les autorités religieuses qui les choisissent. Le donnant, donnant napoléonien ne correspond plus à rien. Il ne reste plus que des privilèges, évidemment attentatoires à l’égalité et coûteux pour toute la République du fait qu’elle salarie les prêtres, les rabbins et les pasteurs. L’universel est sacrifié sur l’autel du particulier. Un comble en temps de crise et de vaches maigres pour les services publics communs à tous !
Il est temps d’abroger le concordat que certains voudraient bien étendre pour tuer définitivement la laïcité en communautarisant l’argent public. Dans le même esprit il y a mieux à faire pour la République que de financer des instituts privés de théologie musulmane sous prétexte de lutter contre les causes du fanatisme religieux. Le respect des lois laïques et républicaines, l’Ecole refondée pour instruire, et une politique sociale réaffirmée, peuvent y pourvoir de façon plus sûre.
Note :
[1] Henri PENA-RUIZ Ancien membre de la commission Stasi sur l'application du principe de laïcité
Mon but est de percer le blindage des béatitudes de tant de commentateurs fascinés par l'Allemagne. Je prends la plume pour alerter : un monstre est né sous yeux, l'enfant de la finance dérégulée et d'un pays qui s'est voué à elle, nécrosé par le vieillissement accéléré de sa population. L'un ne serait rien sans l'autre. Cette alliance est en train de remodeler l'Europe à sa main.
Dès lors, l'Allemagne est, de nouveau, un danger. Le modèle qu'elle impose est, une fois de plus, un recul pour notre civilisation. Ce poison allemand est l'opium des riches. Changer la donne politique et faire changer l'Allemagne sont devenus une seule et même chose. Il faut le faire avant qu'il ne soit trop tard.
Jean-Luc Mélenchon était ce matin l’invité de J-J. Bourdin sur BFM TV afin de présenter son nouvel ouvrage (dans toutes les bonnes librairies dès demain) : le hareng de Bismarck. A partir de 10’49’’ (!), après les fadaises journalistiques (la famille Le Pen, Hollande...) qui permettent de ne pas laisser l'invité parler de l’essentiel.
Dix ans après la victoire du NON au Traité Constitutionnel Européen (TCE), expression majoritaire du peuple souverain bafoué(e) par les gouvernements successifs, ce livre remet les pendules à l’heure sur la situation ordo libérale actuelle, dont le « modèle » allemand (enfin décrypté tel qu’il est) et son gouvernement sont le moteur.
« Ceux qui ne connaissent pas l’Histoire sont condamnés à la revivre » – L’allemand Karl MARX
Vidéo à retrouver ici :
J.L Mélenchon parle de son livre le hareng de Bismarck chez bourdin 06 mai 2015
Voici comment Jean-Luc Mélenchon a commencé à présenter cet ouvrage dans une interview au journal Le Point qu'A Gauche publie simultanément.
« En politique, il faut toujours un ennemi. Dans ce livre, vous en désignez un : les Allemands. Pourquoi eux et non plus les États-Unis ?
Jean-Luc Mélenchon : Vous y allez fort ! Non, ce n’est pas mon état d’esprit. Je ne m’en prends pas à un « génome » allemand qui les pousserait à vouloir toujours dominer. Je ne suis pas en manque d’ennemi. Le mien reste la finance et le productivisme. Mais l‘Allemagne est devenue leur avant-garde. Dès lors non seulement l’Europe n’est plus le grand projet social dont nous rêvions. Mais elle ne garantit plus la paix. Car dans ce concert de nations, l’une d’entre elle, l’Allemagne, prend le pas sur les autres et impose un modèle économique, l’ordolibéralisme. Il sert ses intérêts mais conduit inéluctablement à la catastrophe. Mon livre lance l’alerte. L’Europe va sombrer dans les violences dans les nations comme entre elles. Le supplice de la Grèce le prouve.
Qu’est-ce que l’ordo-libéralisme que vous dénoncez ?
Les Allemands ont inventé cette vieille théorie. Elle professe que la politique est frivole et l’économie sacrée. On sanctuarise donc des règles économiques considérées des lois de la nature. Donc, on les met hors du champ des décisions politiques. En réalité c’est l’emballage d’un égoïsme de classe bien précis. Mme Merkel gouverne un pays en panne démographique. Les retraités toujours plus nombreux forment le gros de ses électeurs ! La retraite par capitalisation des vieillards allemands exige toujours plus de dividendes. Donc moins de salaires et d’investissements. La finance règne. Elle domine le capitalisme allemand grâce à la dérégulation organisée par le PS allemand : un comble !
Dont la règle d’or des déficits ?
Les niveaux des déficits, en effet. Mais aussi la monnaie fétichisée, l’inflation et la dette diabolisés. C’est une vision dogmatique très bornée. Les leaders allemands l’assument sans s’en rendre compte. Ainsi quand l’odieux ministre de l’économie allemande, M. Schaubble, déclare : la France « serait contente que quelqu’un force le Parlement… » il ajoute : « mais c’est difficile, c’est la démocratie ». Cette précision est comme un manifeste de l’ordo-libéralisme : la démocratie est un problème dans la mesure où elle permet au politique de nier le dogme économique sacré. La France, son histoire, sa culture, c’est exactement l’inverse : toutes nos constitutions républicaines se sont mêlées d’économie. Pourquoi devrions-nous renoncer à notre modèle ? A mes yeux il est supérieur au modèle allemand quand il s’agit d’organiser la vie humaine en société ? L’ordo-libéralisme est anti-républicain. Il détruit les liens sociaux et la vie civique.
Pierre Moscovici estime que vous commettez un contre-sens et affirme que Schauble plaisantait…
La servilité de Pierre Moscovici fait honte!
Pardon mais les Allemands ne nous imposent pas grand-chose. Cela fait neuf ans que nous ne respectons pas la règle des 3% de déficit… Donc, l’ordo-libéralisme, on lui donne tourne le dos allégrement !
Ce que vous dîtes est incroyable : des traités inapplicables doivent-ils être sacralisés ? Les traités sont choses humaines. Il faut discuter de leur contenu par rapport à leur résultat. Nage-t-on dans le bonheur en Europe ? Le chômage et la pauvreté martyrisent des masses humaines considérables. Partout l’extrême-droite monte. L’Allemagne, elle, accumule les excédents commerciaux ? Et qu’en fait-elle ? Elle les place sur les marchés financiers car elle a étouffé en Europe, l’activité économique pour les employer. Ce faisant, l’Allemagne alimente elle-même la bulle financière qui va bientôt produire un nouveau désastre en explosant. Bonjour le modèle !
Pensez-vous réellement que François Hollande puisse vendre aux Allemands le modèle français ?
Non. François Hollande a changé de camp. Il roule pour l’ordo-libéralisme. Les Français ne savaient pas qu’en votant Hollande, ils élisaient Merkel. Il a avoué d’ailleurs : « La France veut être le meilleur élève de la classe européenne ». Pour moi la France n’est l’élève de personne et elle peut apprendre beaucoup aux autres ! Tant qu’à faire, sur bien des sujets, mieux vaut qu’elle soit le maitre !
A vous lire, les Allemands usurpent une réputation de sérieux. C’est gonflé, quand même…
En France nous adorons par modes successives, des « modèles ». On a eu droit aux « dragons asiatiques », puis, aux « tigres européens » tels l’Irlande ou l’Espagne. Des tigres de papier, en vérité, qui se sont effondrés avec l’explosion de la bulle financière en 2008. Et revoilà donc, le « modèle allemand », efficace, discipliné. Une illusion ! L’économie allemande est délabrée. Avec des équipements en ruine, et douze millions de pauvres, avec de moins en moins d’enfants, les jeunes qui quittent le pays, des vieux qu’ils relèguent, et une espérance de vie en recul, qui veut être allemand ?
Mon livre reprend le débat européen. On affichait qu’on ferait l’Europe sans défaire la France. Pour l’instant, on défait la France sans faire l’Europe des êtres humains. L’Allemagne nous domine, nous gronde, nous corrige, nous coupe de nos bases méditerranéennes ! Que reste-t-il ? Juste un grand marché qui nie notre modèle colbertiste qui est notre atout. En France, l’entrepreneur se met à la file du peloton ouvert par l’État. Quand on décide de faire des fusées, c’est l’État qui prend les choses en main. Et aujourd’hui, nous avons 50% du marché mondial… Et je pourrai citer bien d’autres exemples. Il n’y a pas une seule réussite européenne qui ne soit, à l’origine, française. Pas une seule ! L’Allemagne nous plombe !
Vous donnez le sentiment que la France n’a plus rien à faire avec l’Allemagne…
Non, je ne dirai pas les choses comme ça. L’Allemagne est là de toute façon. Mais on ne peut accepter sa domination. Mon livre montre ses abus de pouvoir. Et sa manie d’imposer aux autres ce qu’elle croit bon pour elle. La sortie raisonnable, ce n’est pas de s’affronter avec eux mais de les remettre à leur place. Et de porter sans complexe notre propre message universaliste. Le retraité allemand n’est pas seul au monde : il faut aussi prendre en compte le sort des jeunes français et celui de la planète. L’Europe est la première puissance économique du monde. Cela nous impose des responsabilités. Or, l’ordo-libéralisme allemand ne permet pas de les endosser. Aucune ! »
Heinrich Himmler, le chef de la Gestapo et de la Waffen SS, sur le front russe, en 1942.(1)
Oui, le RN est « l’héritier de Pétain », le FN a été fondé par des anciens nazis[0] !
Malgré cette histoire, les médias dominants et le camp présidentiel passent leur temps à dédiaboliser le RN issu du FN
L'idéologie des combattants volontaires des légions nazies contre le «judéo-bolchevisme» a alimenté les idées de l’extrême droite radicale d’après-guerre et lui a donné la capacité de se réorganiser.
En faisant du 8 mai un jour férié, le Président François Mitterrand a voulu souligner comment la victoire contre le nazisme était celle de l’ensemble des Français. Il prolongeait ainsi le récit gaullo-communiste, opposant une France de la Résistance à un gouvernement de Vichy qui n’eût été que trahison de quelques élites. A dire vrai, la défaite de l’Axe fut aussi celle de certains Français.
En effet, sur ses 900.000 membres en 1944, la Waffen-SS était composée pour moitié de non-Allemands. Ce que l’extrême droite radicale nomme «la grande armée européenne» avait attiré son lot de Français, acquis à l’édification du «Nouvel ordre européen» promis par la propagande nazie. Quelles étaient ces unités françaises ? Quels hommes y trouvait-on ?...
Voici Léon Gaultier[19], chroniqueur à « Radio Vichy », un des fondateurs de la Milice française, il combattit sous l'uniforme allemand de la Waffen-SS avec le grade de Untersturmführer, il commanda une unité française sur le Front de l'Est durant l'été 1944. et fut l'un des co-fondateurs du Front National en 1972.
Cette photo[1] date de 1943 où il était Waffen SS. Vous savez ceux qui ont participé à l'extermination de juifs, tziganes, homosexuels, handicapés, autistes et j'en passe... Non le FN n'a pas changé, il a juste repeint sa façade...
CONNAISSEZ VOUS LES FONDATEURS DU FN ?
Pierre Bousquet, secrétaire général du Parti de l'Unité Française et ancien de la division SS Charlemagne [2] ;
Roger Holeindre, ancien résistant, OAS, fait partie du service d'ordre de Jean-Louis Tixier-Vignancour, fondateur du Parti national populaire, participe à la fondation du FN. [3] ;
Victor Barthélemy, ancien du Parti communiste français, puis de la LVF, puis secrétaire général du PPF (voir son livre de mémoires " Du communisme au fascisme ") [5] ; et comme il faut frapper le fer tant qu'il est chaud, qui sont les politiques suivants ?
Jacques Bompard - Membre fondateur du Front national en 1972 - crée OAS Cambronne, un réseau de soutien à l'OAS. Il rejoint par la suite les rangs du mouvement étudiant d'extrême droite Occident dont il intégrera plus tard le secrétariat national puis à Ordre nouveau après la dissolution d'Occident en 1968 [6] ;
Jack Marchal - Adhérent du mouvement Occident dès 1966, il rejoint en 1968 le noyau fondateur du Groupe union défense (GUD) et entre à la direction politique d'Ordre nouveau, dont il dirige la presse. Il participera à ce titre à la création du Front national en 1972 avant de rejoindre deux ans après le Parti des forces nouvelles. Il a rejoint le Front national en 1984 [7] ;
Jean-François Galvaire - Membre d'Ordre nouveau en 1970, il fut l'un des fondateurs du Parti des forces nouvelles (PFN). Il devient par la suite conseiller régional Poitou-Charentes pour le Front national et président des Amis de National Hebdo [8] ;
Pascal Gauchon - ex-rédacteur en chef de Défense de l'Occident, il fut membre d'Ordre nouveau, puis devint secrétaire général du Parti des forces nouvelles, mouvement d'extrême droite, de 1974 à 1981. En mai 1979, il participe, en 4e position, derrière Michel de Saint-Pierre, Jean-Louis Tixier-Vignancour et Jean-Marie Le Pen, à la tentative de liste commune PFN/FN pour les élections européennes [9] ;
Martial Bild -organe du Parti des forces nouvelles (PFN), puis adhère deux ans plus tard, en septembre 1980 [10] ;
Didier Lecerf - Il fut membre de la direction du Parti des forces nouvelles et l'un des principaux rédacteurs du journal Pour une force nouvelle. Il rejoint, en 1984, le Front national [11] ;
Georges-Paul Wagner – Ancien d’Action Française, élu député des Yvelines en 1986, sous les couleurs du Rassemblement national, fondateur avec Roland Hélie et Philippe Colombani, de l'Institut d'histoire et de politique, centre de formation au service du FN [12] ;
Georges Theil - condamné en 2001 par la Cour d'appel de Grenoble pour contestation de crimes contre l'Humanité, condamné le 3 janvier 2006 à 6 mois de prison ferme pour des propos tombant sous le coup de la loi Gayssot qui réprime le négationnisme de la Shoah. conseiller régional FN en Rhône-Alpes de 1998 à 2004 [13] ;
François Brigneau, ancien milicien, condamné pour collaboration avec les nazis, relaxé, puis à nouveau condamné pour diverses raisons et notamment diffamation [14] ;
François Duprat, journaliste et ancien de Ordre nouveau, diffuseur du négationnisme, assassiné en 1978 [17] ;
Roland Gaucher, ancien collaborateur, après-guerre, il est condamné pour intelligence avec l'ennemi [18] :
Léon Gaultier, ancien proche collaborateur du Secrétaire général à l'Information du gouvernement du Maréchal [19] ;
Pierre Marion, un des fondateurs de la Milice, il a combattu sous l'uniforme allemand de la Waffen- SS sur le Front de l'Est durant l'été 1944 ;
Jean-Jacques Susini – Créateur de l’OAS, condamné deux fois par contumace, à la peine de mort par la Cour de sûreté de l'État, pour son appartenance à l'OAS et comme inspirateur de l'attentat manqué contre Charles de Gaulle. Amnistié sur décision du général de Gaulle en 1968, Candidat pour le Front national aux élections législatives de 1997 dans les Bouches-du-Rhône [20] ;
Pierre Sergent - participant du putsch d'Alger, chef d'état major de l'OAS-Métropole en 1961, condamné à mort par contumace par deux fois en 1962 et 1964, lors du procès par la Cour de Sureté de l'État des 8 principaux dirigeants de l'OAS, amnistié en 1968. Élu en 1986 député des Pyrénées-Orientales sous l'étiquette du Front national qu'il avait rejoint en octobre 1972 [21] ;
Albert Rosset - a déclaré à propos des chambres à gaz (11 octobre 2004, Lyon, conférence de presse du FN, en présence de Bruno Gollnisch) : « Il faut faire la différence entre la mémoire vécue et la mémoire rapportée. Moi, j'ai vu les chambres à gaz, je les ai même utilisées. Elles ont servi à désinfecter des milliers de prisonniers, pouilleux ou atteint du typhus ». Conseiller régional Front National de la région Rhône-Alpes, élu sur le département de l'Ardèche [22] ;
Fabrice Robert – Militant de troisième Voie (TV) organisation nationaliste révolutionnaire française, née en 1985 de la fusion du Mouvement nationaliste révolutionnaire avec des dissidents du Parti des forces nouvelles, dissoute en 1992, réactivée en 2010 sous l'impulsion de Serge Ayoub et dissoute de nouveau en 2013. Conseiller municipal du Front national à La Courneuve [23] ;
Alain Renault - Secrétaire général d'Ordre nouveau, secrétaire général du Front national (FN) jusqu'en 1980 [24] ;
Jean Madiran - décoré de la Francisque, secrétaire de Charles Maurras, collabore à l'hebdomadaire Rivarol et à L’Action Française. Ses écrits expriment sans retenue antisémitisme et antimaçonnisme, “Nous sommes à droite de l’extrême droite.” disait-il, Compagnon de route du Front national [25] ;
Guillaume Luyt - Ancien militant royaliste et dirigeant d'Unité radicale, il a succédé à Samuel Maréchal comme chef du Front national de la jeunesse (FNJ) [26] ;
Alain de La Tocnaye – OAS , Parti nationaliste français, Mouvement Travail Patrie, condamné à mort le 4 mars 1963. Le 11 mars, sa peine est commuée en prison à perpétuité. Il est gracié et libéré en 1968, Front national, au sein duquel il n'a pas de responsabilité particulière [27] ;
Serge Jeanneret - Action française, chef adjoint de cabinet d'Abel Bonnard dans le gouvernement Pierre Laval. En 1986, il adhère au Front national. Il est élu conseiller régional FN d'Île-de-France, puis vice-président du groupe FN [28] ;
Gilbert Gilles - intègre la Waffen SS (au sein de la Division Charlemagne, avec le grade de Oberscharführer), a ensuite appartenu à l'OAS, puis adhéra au Front national [29] ;
Pierre Descaves -s'engage en 1961 dans l'Organisation armée secrète (OAS), rejoint le Front national en 1984, membre du comité central [30] ;
Jean-Pierre Cohen -adhère à 20 ans à l'OAS, Membre du comité central du Front national [31] ;
Christian Bouchet -rejoint en 1971 la Nouvelle Action française, cadre dirigeant du mouvement nationaliste-révolutionnaire européen, puis secrétaire-général des mouvements Troisième voie, Nouvelle résistance et Unité radicale, FN depuis 2008 [32] ;
Thibaut de La Tocnaye, également militant et membre du front national [33]
La proximité du Front national et du nazisme
"Ni de près ni de loin" va répétant Marine Le Pen pour situer son parti par rapport aux mouvements d'extrême droite radicale (nazisme, néo-nazisme, fascisme, etc.). Politproductions montre ici qu'en ce qui concerne tant le passé que le présent et l'avenir, cette antienne est un déni de la part de la Présidente du Front national qui discrédite totalement son entreprise de "dédiabolisation".
A la fin de la Seconde guerre mondiale, le Conseil National de la Résistance a créé un système de protection sociale solidaire, et nationalisé les grandes sociétés d’assurances privées, au motif que la souffrance ne devait pas être source de profit pour « les grandes féodalités ».
Cette Sécurité Sociale a rapidement agacé le patronat de l’époque. Dès 1948, la Chambre de Commerce de Paris s’en indignait : « La Sécurité sociale est devenue pour l’économie une charge considérable. Les salariés ont profité de traitements dont ils n’avaient peut-être pas un besoin certain, la moindre maladie a été le prétexte de repos. L’absentéisme s’est développé. »
En 2000, Claude Bébéar, alors PDG d’AXA®, crée l’Institut Montaigne, un thilk-tank d'économistes "indépendants"… financé par des banquiers et des assureurs (Areva®, Axa®, Allianz®, BNP Paribas®, Bolloré®, Bouygues®, Dassault®, Pfizer® ), qui dans les média est chargé de distiller le venin : le système de santé, déficitaire, doit être réformé de toute urgence. La preuve : le "trou de la Sécu" conséquence de l'irresponsabilité des malades et de la malhonnêteté des médecins. Jamais aucun de ces experts ne pointe qu’en 25 ans, 10% de la richesse nationale est passée des salariés aux dividendes financiers des actionnaires, entraînant une baisse cumulative des cotisations. La protection sociale des Français est donc constamment pointée comme coûteuse, irresponsable, un frein à la compétitivité et aux profits.
En 2004, Jacques Chirac, ami intime de Claude Bébéar, nomme à la tête de l’Assurance-Maladie Frederic Van Roekeghem, un ancien directeur du groupe AXA®. Proconsul nommé par l’Elysée, l’assureur Van Roekeghem peut enfin passer outre les avis des centrales syndicales et des syndicats médicaux, qui toutefois ne dénoncent pas la manipulation, trop heureux de garder leurs postes et leurs jetons de présence.
Dans le même temps, les assureurs entrent au Conseil de la Sécurité Sociale au sein de l’UNOCAM. Nommant et virant les directeurs de caisses locales comme il l’entend, Van Roekeghem s’entoure de sbires qui transforment la Sécu en intégrant les pires techniques de management : utilisation d’un langage commercial orwellien « C’est en changeant tous un peu qu’on peut tout changer », non-remplacement des agents retraités, transfert non rémunéré de la saisie informatique des feuilles de soins aux soignants, primes d’intéressement des médecins conseils, manipulation programmée des chiffres d'arrêts de travail " injustifiéés ", pouvoir disciplinaire discrétionnaire des directeurs de caisses sur les soignants, harcèlement des médecins. A force d’endoctrinement et de primes, les médecins-contrôleurs de la Caisse intégrent ce paradigme : utiliser les pires méthodes de management du privé "sauverait la Sécu ".
Début 2005, un petit arrangement entre amis permet à Xavier Bertrand, accessoirement ancien assureur chez AXA® lui aussi, de signer une convention avec les syndicats médicaux les plus proches du pouvoir en détruisant le système du médecin référent. Ouvrant la voie à la pénalisation des assurés, aux franchises sur les soins, le système du médecin traitant consiste en un magnifique tour de passe-passe, surchargeant les généralistes de travail administratif sans leur octroyer les moyens de payer un secrétariat, désespérant leur relève et hâtant leur disparition sur l’ensemble du territoire.
Dans le même temps, à l’hôpital, se met en place la tarification à l’activité. Les directeurs d’hôpitaux, eux aussi nommés par le pouvoir politique, inculquent au personnel soignant la culture du résultat. Rapidement, les vieux, les sans-grade, les malades atteints de pathologies complexes et nécessitant, outre des explorations médicales, du « temps soignant », sont refoulés de l’hôpital, pour des raisons d’équilibre budgétaire.
En 2006, à sa prise de fonction, Guillaume Sarkozy déclare être « fier de prendre la direction de Médéric®, un acteur historique majeur de la protection sociale. Mon ambition est que Médéric® relève les défis des réformes à venir qui transformeront profondément l’intervention des acteurs complémentaires, notamment dans le domaine de la santé, pour jouer un rôle de premier plan dans l’amélioration des services de protection sociale. »
Stigmatisation des patients, dénigrement des soignants
En 2007, son frère Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir et, au prétexte de la réduction des déficits, se lance dans la " responsabilisation " des patients en instaurant des franchises sur les soins. Philippe Seguin, président de la Cour des Comptes, propose une alternative : plutôt que de ponctionner 800 millions d’euros par an dans la poche des cancéreux et des diabétiques, la simple taxation des stock-options ramènerait 4 milliards par an dans les caisses de l’Etat. La proposition est évidemment passée à la trappe.
Confrontés en 2009 à une campagne vaccinale contre la grippe aussi calamiteuse sur le plan scientifique que financier, ces « représentants » se taisent courageusement, concentrant leur tir sur les médecins de ville, accusés de vouloir vacciner leurs patients par appât du gain. Ils évitent ainsi à Roselyne Bachelot-Narquin et à Nicolas Sarkozy d’avouer clairement qu’il ne leur est pas venu un instant à l’idée de baser un plan pandémique sur une espèce dont ils organisent la disparition.
En faisant une fois de plus preuve de leur indépendance d’esprit vis-à-vis des pouvoirs et des pseudo-experts, les médecins de ville renforcent la conviction des politiques : il n’y a rien à attendre d’un corps de métier aussi disparate, individualiste, rétif à toute directive administrative infondée : le magistère de la santé doit être retiré au corps médical. Béats d’admiration devant les vaccinodromes Bachelot, certains idiots utiles comme Jean-Luc Mélenchono et François Chérèqueaccompagnent la manœuvre, incapables de saisir que ce n’est pas aux pieds du peuple, mais aux pieds des assureurs que le politique compte déposer ce magistère.
En 2009, Frédéric Van Roekeghem innove en proposant aux généralistes une rémunération à la performance. Certains des items scientifiques en sont très discutables, voire contraires à l’intérêt des patients, le calcul de la rémunération en est opaque. Le but est de déterminer, au sein des soignants, les plus compliants. Ceux qui passent sous les fourches caudines de la CNAM pour quelques deniers pourront demain, pour une somme modique, être agréés par les réseaux des assureurs privés.
En 2010, de déremboursement en franchise, la « Sécu » ne rembourse bientôt plus que 50% des soins ambulatoires, en maintenant la pression sur les professionnels de santé les moins bien rémunérés, infirmiers, généralistes et spécialistes de secteur 1, pour les pousser à la disparition. Sous couvert d’améliorer la gestion, se créent alors des Agences Régionales de Santé, sous la houlette de Nicolas Sarkozy. Une flopée de pontes « de gauche » habitués des hauts salaires, dont Claude Evin, qui a vigoureusement soutenu la réforme des hôpitaux, s’y précipite pour accepter des postes, cautionnant la manœuvre. Au menu : restrictions financières, coupes claires et autoritarisme d’une administration pléthorique jamais satisfaite.
En 2010 toujours, la légalisation de la « télémédecine » fait les unes de la presse. Experts du ministère et charlatans 3.0 exaltent conjointement une industrialisation du soin qui réaliserait le rêve d’une médecine sans médecin, gérée à distance depuis un centre d’appel vers des objets connectés.
Au Congrès de la Mutualité cette année-là, Marisol Touraine vient plier le genou devant le véritable Ministre de la Santé, Etienne Caniard. Elle lui accorde le report de publication des frais de gestion des complémentaires, "dont nous connaissons les difficultés qu'elles créaient pour vous" . Le pauvre homme est probablement comme le député Thévenoud l’une des premières victimes de la phobie administrative, et Marisol Touraine ne veut pas l’accabler en le contraignant à révéler aux cotisants quel pourcentage de leur argent est réellement consacré au remboursement des soins, et quel pourcentage va au marketing, aux publicités calamiteuses de Chevalier et Laspalès, ou au sponsoring de rallyes automobiles. Sous les vivats des dirigeants de complémentaires, François Hollande annonce la mise en place de l’Accord National Inter-régimes (ANI). « Une mutuelle pour tous », lance fièrement l’ennemi de la finance. L’Association Diversité et Proximité Mutualiste ( ADPM) regroupant de petites mutuelles, dénonce sans être entendue les manoeuvres en cours de financiarisation du secteur au profit des grands groupes. Et très peu comprennent que cette prétendue avancée signe un recul supplémentaire de la solidarité : dans un pays où la Sécurité Sociale rembourserait chacun correctement, personne ne devrait se voir contraint de cotiser à une complémentaire…
Dans le même temps, tandis que Cahuzac et Morelle donnent des leçons de morale à la Terre entière, en flagrant conflit d’intérêt, des députés socialistes ex-administrateurs de mutuelles douteuses, de la MNEF à la LMDE, passent en force à l’Assemblée Nationale la loi sur les réseaux de soins, histoire de renforcer le pouvoir des assureurs sur les professionnels de santé.
Dans le même temps, les laboratoires de biologie médicale font l’expérience de la main-mise des ARS sur leur survie. Accablés par la loi Bachelot de démarches-qualité et d’évaluations onéreuses, ne pouvant faire face à l’avalanche de textes et de contraintes administratives, nombre de biologes sont contraints de vendre leur laboratoire à de grands groupes. Comme par hasard, le dossier est géré au gouvernement sous la houlette de Jérôme Cahuzac, alors ministre délégué au budget, et par certains de ses proches.
Diminuer le « coût » de la protection sociale et servir la finance
Et nous voici en 2015. Accélérant le mouvement, le gouvernement de reniement de François Hollande cherche à déréglementer le secteur de la santé, et à livrer les professionnels aux financiers et aux assureurs, appâtés par l’odeur du gain, tout en cherchant désespérément une mesure emblématique de gauche pour servir de caution sociale de sa politique antisociale : ce sera le tiers-payant généralisé.
Dans le même temps, au prétexte de la loi sur l’accessibilité aux personnes handicapées, le gouvernement met en péril la survie de nombre de cabinets médicaux isolés. Les moyens diffèrent, mais la technique est identique à celle qui a été utilisée avec succès pour les laboratoires de biologie médicale. Empiler les contraintes ingérables au tarif actuel de la consultation, forcer au regroupement dans des structures qui demain seront bradées aux complémentaires et aux financiers. Quand 50.000 médecins refusent telle ou telle directive imbécile, il est plus simple pour les ARS d’ordonner aux directeurs de 3000 maisons de santé de suivre les protocoles décidés en haut lieu.
Avec le TPG, il ne s’agit pas de diminuer le coût final pour les malades, mais de rendre l’assureur maître d’œuvre de la procédure médicale, selon l’adage qui veut que celui qui paie décide, surtout s’il a tout moyen de faire pression sur le professionnel. Lorsqu’elle répète en boucle dans les média que le tiers-payant généralisé ne coûtera rien à l’Etat, Marisol Touraine n’a pas tort, dans la mesure où la Sécurité Sociale est totalement incapable de gérer informatiquement 600 mutuelles complémentaires. Frédéric Van Roekeghem, qui a quitté son poste de fossoyeur après dix ans de bons et loyaux services pour retourner pantoufler dans le privé, a tellement dégraissé la Sécu que ses services ne sont même plus capables de comptabiliser correctement le nombre de patients ayant choisi tel ou tel médecin traitant. Comment son successeur, Nicolas Revel pourrait-il gérer correctement le règlement des soins aux professionnels ? De son côté, Etienne Caniard fait le tour des médias, annonçant comme un camelot de téléachat qu'il a dans ses cartons une solution informatique simple et fiable pour assurer le paiement aux professionnels, alors qu’encore aujourd’hui la majorité des complémentaires est incapable d’assurer correctement le règlement de la part mutualiste aux assurés bénéficiant du tiers-payant. Mais Marisol Touraine s’en moque. Ce qui lui importe, c’est l’effet d’annonce. C’est de marteler une fois de plus, comme Cahuzac, Morelle et Thévenoud avant elle, qu’elle est de gauche, et donc du côté des petits, des démunis, des pauvres et des sans grade, avant de monter en voiture pour aller dîner au Siècle.
Ultime retournement de veste d’un gouvernement aux abois et signe de l’amateurisme qui a accompagné tout au long le projet de loi Santé, Marisol Touraine lâche dans la dernière ligne sous la pression insistante des médecins les mutuassureurs en chargeant la seule Assurance-Maladie de gérer le tiers-payant, provoquant la colére dépitée d'Etienne Caniard. Le président de la Mutualité, qui n’a pas ménagé ses efforts de lobbyiste, voit s’éloigner avec ce flux unique l’accès direct des assureurs aux données des patients. Même son de cloche chez Cegedim, éditeur de logiciels pour l’industrie pharmaceutique dont le PDG… mis en examen dans l’affaire de la MNEF, fustige un dispositif « techniquement et juridiquement » intenable… qui protège encore un temps les données des patients… jusqu’au prochain décret ou amendement passé en douce.
Car derrière ce recul momentané, la menace est toujours présente, et de plus en plus clairement exprimée par les parlementaires « socialistes ». Olivier Véran, rapporteur de la Loi Santé, plaide en termes sibyllins pour une « redéfinition du panier de soins », tandis que Pascal Terrasse, député PS de l’Ardèche et spécialiste des affaires sociales, se prononce de manière plus franche pour le transfert de la médecine de ville, « les petits soins » aux assureurs, quand la Sécurité Sociale se concentrerait sur les pathologies lourdes : " Oui, il faut aller vers ce transfert, et y aller à fond... " Quand aux données de santé, que convoitent les assureurs… « il faut avancer sur l’open data, je le demande au gouvernement ». Pour que les choses soient parfaitement limpides, il assume de manière décomplexée, comme Denis Kessler à droite, l’abandon du pacte fondateur du Conseil National de la Résistance : « Le monde avance, le monde change. Et la Sécurité sociale de 1946 n’était sûrement pas ce que certains prétendent ».
Ce qui se joue ici, c’est une certaine façon d’exercer la médecine. C’est la destruction d’une médecine de l’individu, au profit d’une industrie de santé adossée aux appétits des actionnaires. Il y a deux ans, l’énoncer clairement aurait soulevé l’incompréhension. Mais après deux ans de règne de François Hollande, de reniement en reniement, il est évident que l’homme qui se proclamait ennemi de la finance est en fait son meilleur ami, et que pour passer sous les fourches caudines de la Commission Européenne, il est prêt à brader la santé et le système de protection social français en les livrant aux assureurs et aux financiers pour bien montrer sa capacité de « réformes » antisociales. Financiarisation du secteur santé, perte d’indépendance des professionnels… Hollande, Valls, Macron, Touraine, Moscovici, Cahuzac… Si la finance n’a pas de visage, elle a un gouvernement.
Christian Lehmann
PS : Je suis médecin généraliste depuis plus de trente ans. Trente années pendant lesquelles j’ai vu naître, grandir, vieillir, mourir, un grand nombre de patients. J’ai été le médecin généraliste de chacun d’entre eux, considéré comme un individu, et non pas une ligne de bilan comptable. Comme j’ai refusé hier d’être le larbin de l’industrie pharmaceutique, je refuserai demain d’être le larbin d’un assureur, fût-il caché sous le mot-valise « mutualiste ».
Où je commence par la fin, contre les Le Pen, c'est Mélenchon et Delapierre qui ont raison
L’aviez-vous oublié ? Pas nous. A distance de bien de bavardages lassants, depuis 2008, dans la lutte quotidienne contre le FN, il est assez fréquent que le PG et ses responsables soient en première ligne et premières cibles des attaques de l’extrême droite. Certes, on abdique pas l’honneur d’être une cible faisait dire heRostand au grand Cyrano. Mais, les ignorants et les « salauds », généralement tranquillement assis dans leurs fauteuils de notables politiques ou médiatiques, qui jugent parfois pertinent de tirer un signe égal entre le FN et nous (après une lecture assoupie des programmes) devraient le noter dans un coin de leur caboche. C’est nous que le FN frappe pas eux. Bien sûr, la justice nous donne souvent raison, mais un peu de solidarité élémentaire, quand nous sommes attaqués ne feraient pas de mal. Je pense en premier lieu à ceux qui bêlent qu’il faut d’urgence « s’unir contre l’extrême droite », formule qui dans leur esprit signifie uniquement qu’il faut appeler à voter pour eux (si possible dès le premier tour) et taire toute critique devant leur politique catastrophique. Vous les avez reconnu. A bon entendeur, salut !
Une fois ce rappel fait, je saisis l’actualité au vol. Elle me comble. Jugez-en. Quoi ! Le Président d’Honneur aurait un compte en Suisse nous dit Médiapart ? Merci de l’enquête fouillée que nous attendions tous, mais fondamentalement bonjour le scoop ! En novembre 2013, Jean-Marie Le Pen avait porté plainte contre Jean-Luc Mélenchon après publication d’un billet sur son blog portant pour titre « Le FN ami de la finance ». Manifestement, il n’avait pas apprécié de lire toute une série de vérités à commencer par le fait que, comme l’écrit Jean-Luc :« Loin d'affronter l'oligarchie financière, la famille Le Pen en applique les méthodes. C'est un proche conseiller de Marine Le Pen qui a ouvert le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac. Et Jean-Marie Le Pen a été condamné pour fraude fiscale. Ces pratiques sont aussi cohérentes avec les orientations du programme du FN en faveur de la finance. »Furieux, le vieux chef de l’extrême droite avait voulu étouffer qu’on lui rappela ses amours helvétiques pour dissimuler l’argent qu’il doit légitimement à la collectivité. Marine Le Pen s’était montré solidaire de son paternel dans cette attaque pour amener Jean-Luc Mélenchon devant un tribunal.
Pire même, prenant exemple, en février 2014, Marine Le Pen elle même, attaquait en justice mon camarade François Delapierre car, dans un article du Parisien, il avait fait le lien évident entre l’entourage de cette dernière et les proches amis de M. Jérome Cahuzac qui avaient aidé l’ex Ministre du Budget, spécialiste du cheveux (coupé en quatre ou non), pour, lui aussi, planquer son argent chez les helvètes.
Depuis fin 2013 et début 2014, ces deux plaintes courent toujours contre mes camarades. Raquel Garrido, notre avocate, elle même d'ailleurs attaquée en justice par Marine Le Pen (ce qui est, déontologiquement, assez inédit) préparait une défense de façon méticuleuse.
Mais désormais, si procès il y a, on va bien rire.
Au bal des faux culs, les Le Pen ne seront pas à l'orchestre
Le journal Médiapart a donc annoncé que le cellule de renseignements financiers Tracfin, a fait un signalement à la justice à propos d’un compte en banque en Suisse détenu par Jean-Marie Le Pen et caché chez HSBC puis à la Compagnie bancaire helvétique (CBH). Depuis l’argent serait partie vers des paradis fiscaux notamment aux Bahamas. Une enquête est donc ouverte. Tant mieux. Il est tout de même regrettable que tout ceci se déclenche après une longue séance électorale durant laquelle il eut été utile que toutes les faces sombres du FN soient connues. Les faits sont graves, s'ils sont avérés le fondateur du FN serait un délinquant financier.
Mais qui cela étonnent-ils vraiment ?
Au Front National on est officiellement gêné et beaucoup font mine d’être surpris avec une hypocrisie confondante. En coulisse, nul doute que cela n'étonne pas grand monde et cette révélation du Médiapart peut même être une des clefs d'explication de ce pour quoi Marine Le Pen cherche à prendre toutes ses distances, médiatiquement parlant, avec son père. Peut être savait-elle que cette nouvelle affaire allait sortir ? Et peut-être ceci, explique-t-il cela ?
Parlons franc, au FN, seuls des « crétins » , pour reprendre un mot cher à la députée FN Marion Maréchal, peuvent sérieusement s’étonner de ce compte en Suisse (ou ailleurs désormais). Cet argent dissimulé n’est qu’une des conséquences troubles dans lesquelles le fondateur du FN a fait fortune. Résumons l'affaire. Dans les années 70, l’héritier des ciments Lambert, militant d’extrême droite, intellectuellement totalement dégénéré et physiquement très malade a, peu de temps avant sa mort, cédé sa fortune à Jean-Marie Le Pen qui lui avait fait miroiter mille promesses totalement folles. Toutefois, l’argent de l’héritier Lambert devait servir à « la cause ». Jean-Marie Le Pen mélangea cette dernière avec ses intérêts personnels et mis dans sa poche personnelle. Ainsi, il assura le confort de sa famille. Ses trois filles vécurent dans le confort du Château de Montretout avec personnels de maison et majordome pour Monsieur. La prétendue fille du peuple est donc une « gosse de riche » dont le papa a acquis sa fortune dans des conditions opaques.
C’est donc de façon totalement parasitaire que ces gens là ont acquis une petite fortune.
Déjà, dans un ouvrage rédigé en 1988, la première épouse de Le Pen racontait...
Vous voulez davantage de précisions ? Pas de problème. Dans un ouvrage rédigé en 1988 et non publié, mais dont certains chapitres furent publié par le site Backchich, la première femme de Jean-Marie Le Pen raconte les choses ainsi, avec forces détails :
« Il serait inconcevable d’écrire sur Jean-Marie Le Pen sans évoquer l’affaire Lambert. (…) Je l’affirme, et l’affirmerai jusqu’à la fin de mes jours, Jean- Marie n’a strictement rien fait pour hériter des Lambert, mère et fils. J’ajouterais qu’il s’est montré envers eux d’une telle désinvolture qu’à l’heure ultime l’héritage aurait très bien pu passer entre d’autres mains… (…)
[Après la mort d’Hubert Lambert, héritier sans enfants des Ciments Lambert, ami du couple Le Pen] Du jour au lendemain, des amis de la veille se retournèrent contre nous. Il y avait Jean Féraudy, il y avait les frères Sidos, dont il convient de dire qu’ils possédaient des testaments de la main d’Hubert Lambert, mais dépourvus de valeur légale, comme ce fut démontré au cours de nombreux procès, tous gagnés par Jean-Marie.
Évidemment, lorsqu’ils apprirent que Jean-Marie Le Pen héritait, ses coreligionnaires se persuadèrent qu’il s’agissait d’un "héritage politique". Chacun traduisait à sa manière et faisait des comptes intéressés. Ceux du Front National étaient dans le ravissement. Ils se voyaient déjà nantis, certains que le parti allait désormais rouler sur l’or.
Jean-Marie précisa dans les meilleurs délais que ce n’était pas un testament politique, mais un testament en faveur de sa famille. Ce fut un beau tollé. Sa cote de popularité tomba en flèche. Jean-Marie alla jusqu’à déclarer publiquement, ce qui écartait encore mieux le caractère hypothétique d’une donation en faveur du Front National : "Le choix des Lambert s’est arrêté définitivement sur nous grâce à la personnalité de Pierrette. Si les Lambert n’avaient pas reconnu en elle des qualités essentielles, si elle n’était pas ce qu’elle est, nous n’aurions peut-être pas hérité". (…)
Par la suite, avec sa malice habituelle, il "noya le poisson" en démontrant que le fisc lui avait tout pris, ou presque. Il oublie délibérément le plus important. L’autre "source d’eau claire", dont apparemment personne ne cherche à savoir si elle est "potable" ou pas. Je veux parler de la Suisse.
Il faut être un rude casse-cou pour narguer le fisc comme le fait Jean-Marie, reprochant à l’administration de l’avoir dépouillé à outrance sur ce fameux héritage Lambert en France, alors que l’essentiel de cet héritage se trouve en Suisse.
Il y est pour la bonne raison que les Lambert, eux aussi souhaitaient échapper au fisc (ils ne sont pas les seuls) et éviter ainsi, par le jeu des « Fondations », d’être assujetti à l’impôt.
Jean-Marie en bénéficiera totalement, ou presque. Il y avait certes les Philippe Lambert, mais un arrangement fut conclu, très heureux pour les deux parties…
Habile comme toujours, Jean-Marie fit tant et si bien qu’il ne laissa apparaître, aux yeux des jaloux et du fisc crédule, que la partie immergée de l’iceberg Lambert. Quand nous fûmes « envoyés en possession » à Saint-Cloud, nous devions découvrir des documents laissant apparaître qu’un trésor gisait en Suisse.
Encore fallait-il le récupérer. Depuis une vingtaine d’années, Jean-Marie usait et abusait des services gracieux d’un brillant avocat, Maître André Guibert, qui réussit l’étonnante performance de gagner trente-trois procès dans l’année contre Philippe Lambert, qui se jugeait injustement dépouillé par le testament. Maître Guibert l’accompagna, nanti du testament l’instituant légataire universel, pour faire valoir ses droits chez MM. Broccard, père et fils, gestionnaires d’une fiduciaire, Grand-Palace à Fribourg, lesquels leur révélèrent l’existence de la « Fondation Saint-Julien ».
Le principe des « fondations » est qu’il libère les héritiers de tous droits successoraux. Pour ce faire, il est nécessaire d’avoir recours à un notaire.
Jean-Marie choisit le plus averti, le plus célèbre de Genève : Maître Zyclounov, qui le remit entre les mains de Pierre Jaccoud (…), homme affable et sympathique. De surcroît fort efficace, il sut régler toutes les péripéties sans encombre et à notre avantage. Le capital de la « Fondation Saint-Julien » était composé de titres et de valeurs, d’actions, qui furent vendues dans d’excellentes conditions par des spécialistes au niveau de quatre milliards de centimes (1977) [environ 20 millions d’euros, ndlr], et le dépôt fut effectué à l’Union des Banques Suisses (…) »
Collard, l'avocat du diable qui veut être dédiabolisé
Aussi, 25 ans plus tard, l’hypocrisie est totale. Après les révélations de Médiapart, feignant la surprise, Marine Le Pen affirme « attendre des explications ».Florian Philippot évoque une « affaire personnelle », comme si au FN, ce qui touche la famille Le Pen et son argent, ne concernait pas l’ensemble de l’organisation. Gilbert Collard, député FN et expert en « langue de con » qu’il pratique avec assiduité depuis longtemps affirme sur I Télé « Moi, a priori, par ma formation, tant qu'un juge ne m’a pas dit que l’infraction existe, je n’ai pas de raison d’y croire ».
C’est donc là que se noue une des dimensions politiques les plus grotesques du nouveau drame familial qui secoue les Le Pen, père, mère, fille, petite fille, gendre et avocat de la famille... Le film « Festen » passerait presque pour une gentille bluette. Car, chez les Le Pen et compagnie, comme pour la famille « tuyau de poêle », tout les histoires s’emboitent l’une dans l’autres. Plus ridicule encore, certains acteurs paraissent et réapparaissent parfois à des postes différents lors des différents épisodes qui se suivent. Les trahisons se succèdent, les vestes se retournent, et les adversaires d’hier se rallient avec opportunisme. Car on l'a vu, la première a évoqué l’existence d’un compte en Suisse détenu par Jean-Marie Le Pen est la propre mère de Marine Le Pen, Mme Pierrette Le Pen, à l’occasion en 1987 de son fracassant divorce avec Jean-Marie Le Pen. Plus croustillant, qui avait conseillé à Mme Pierrette Le Pen de faire cette révélation à la presse ? Réponse : Me Gilbert Collard, à l’époque avocat de Mme Le Pen mère contre Le Pen père. Et c’est à cette occasion, selon qu'ils en disent eux mêmes publiquement, que Marine Le Pen et Gilbert Collard se lièrent d’amitié et devinrent complices, ce qui en dit long sur le fait que la fille ne faisait en réalité pas reproche à sa mère (et son avocat) sur les « révélations publiques » de l’existence de ce compte en Suisse.
Où l'INA ne sert pas uniquement à payer des notes de taxi...
En 2015, Marine Le Pen prétend demander des explications à son père. Serait-elle amnésique ? Ou nous prend elle pour des "crétins" ? Le mieux est qu’elle les demande à sa mère ou à Gilbert Collard. Mais, elle connaît déjà les réponses.
L’extrait qui suit, puisé dans les archives de l’INA, et datant de 1987 est éclairant.
Ils ont toutes les tares de la Ve République... en pire
Pour conclure et compléter le tableau, faut-il rappeler que c'est l'avocat M. Philippe Péninque, amie de Marine Le Pen, qui a ouvert le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac qui avait fait scandale ? Ce même Péninque, ancien du GUD, aida longtemps les services financiers du FN aux côtés de l'actuelle présidente. Là encore, cette présence de proche des le Pen dans ces différents scandales financiers qui éclabousse la Ve République est éclairante. A l'extrême droite, on déteste toujours l'oeuvre de Jean-Paul Sartre, mais on connait les Mains sales... et pour nous c'est La Nausée.
Cumul des mandats, double discours, népotisme, opacité, fraudes fiscales… la famille Le Pen et les autres têtes folles qui composent leur entourage au FN accumulent depuis des décennies toutes les tares de la Ve République finissante.
1 - Il y a 40 ans : grandeurs et limites de la Révolution portugaise
Le 25 avril, le Portugal fête le quarantième anniversaire de la « Révolution des œillets ». Dernier exemple d’un soulèvement populaire et radical dans le monde occidental, elle fit tomber la plus vieille dictature d’Europe et s’approfondit jusqu’à menacer le pouvoir de la bourgeoisie.
Alors que l’offensive capitaliste s’accélère dans toute l’Europe, et en particulier dans les pays d’Europe du sud, c’est là un spectre bien encombrant pour la classe dirigeante portugaise et pour la troïka (Commission européenne, BCE et FMI), qui ne craignent rien tant qu’une irruption des classes populaires sur la scène politique et sociale.
D’avril 1974 à novembre 1975, la classe ouvrière portugaise va ainsi chercher à briser l’appareil d’Etat hérité du régime salazariste et à inventer les voies d’un socialisme démocratique, dans des conditions d’arriération économique et de répression politique léguées par une dictature qui se sera maintenue plus de quarante ans. S’enracinant en partie sur le terrain des contradictions propres au colonialisme portugais, la révolution s’ouvre le 25 avril 1974 par une révolte de capitaines organisés dans le cadre du Mouvement des forces armées (MFA), avant de se radicaliser par bonds – à travers l’auto-organisation croissante dans les entreprises et les quartiers, parmi les soldats et les paysans – en réponse aux tentatives successives de la classe dominante d’en arrêter le cours.
Il faudra toute la détermination contre-révolutionnaire de la bourgeoisie, s’appuyant sur les fractions conservatrices de l’armée et le pouvoir idéologique de l’Eglise, pour faire refluer la combativité populaire et la montée d’une large conscience anticapitaliste. La responsabilité en revient également aux deux grands partis de la gauche portugaise, à des titres différents : là où le Parti socialiste (PSP) assumera pleinement la tâche de gérer loyalement les intérêts de la bourgeoisie et de maintenir les structures de l’Etat capitaliste, le Parti communiste (PCP) consacrera une grande partie de son énergie à détourner le prolétariat de toute action politique autonome et à limiter les objectifs de lutte, cherchant à saper l’audience croissante des groupes d’extrême gauche (maoïstes et trotskystes).
Une révolution qui vient de loin
Une révolution n’est jamais un éclair dans un ciel serein ; elle s’annonce à travers de multiples indices avant-coureurs qui, le plus souvent, ne deviennent lisibles en tant que tels qu’après-coup, une fois le soulèvement populaire amorcé.
Cette difficulté à interpréter les modifications silencieuses du rapport de forces et les soubresauts de la colère populaire explique pourquoi les organisations authentiquement révolutionnaires sont rarement à l’initiative durant les premiers moments d’une révolution et peuvent éprouver les plus grandes peines à conquérir une influence au sein des mouvements de masse, en particulier lorsqu’ils sont confrontés à des partis mieux structurés, disposant de moyens financiers supérieurs, d’un accès régulier aux grands médias et d’une audience acquise de longue date.
La Révolution portugaise prend racine dans la crise du régime salazariste. Dictature fasciste s’appuyant sur une idéologie réactionnaire dont s’inspirera le régime de Vichy, l’Estado novo présente des traits originaux par rapports aux fascismes mussolinien et hitlérien, qui permettent d’en expliquer à la fois la longévité et la faiblesse au moment de sa crise du début des années 1970.
Si le régime fondé en 1933 par Salazar [1] se maintient aussi longtemps, c’est qu’il est parvenu à unir les différentes fractions de la classe dominante portugaise autour d’un projet politique fondé sur la répression de toute opposition syndicale et politique [2], assurant la surexploitation du prolétariat et la défense de la grande propriété foncière, mais aussi sur le maintien d’une domination coloniale particulièrement brutale.
Néanmoins, contrairement aux dictatures mussolinienne et hitlérienne, l’avènement et l’installation de cette dictature n’est pas le produit d’une radicalisation politique de la petite bourgeoisie ou d’une fraction de la bourgeoisie, s’exprimant dans des partis fascistes de masse combattant les organisations de la classe ouvrière. Ce n’est qu’une fois l’appareil d’Etat mis en place par Salazar que celui-ci jugera opportun de développer un parti unique – l’Union nationale, devenue plus tard l’Action nationale populaire – qui n’eut jamais la vigueur et l’autonomie du Parti nazi (NSDAP) en Allemagne.
Non seulement le régime ne parvient pas réellement à susciter une adhésion de masse à sa politique, mais la bourgeoisie demeure incapable de se structurer de manière autonome dans le champ politique. Cela explique en partie l’hébétement de cette dernière dans la période postérieure au 25 avril 1974, incapable de trouver une solution capitaliste à la crise politique ouverte par la révolte des capitaines.
Mais ce sont essentiellement les guerres coloniales, engagées en 1961, qui vont bousculer les équilibres internes à l’Estado novo, en se nouant à la crise du régime ouverte par la candidature à l’élection présidentielle du général Humberto Delgado en 1958. Celui-ci parvient à unifier sur son nom l’opposition antifasciste, restructurée et revivifiée après la Deuxième Guerre mondiale, mais l’élection se solde par une fraude électorale massive et par l’assassinat, en 1965, de Delgado.
Le régime se présente alors à tous sous son jour véritable : une dictature violente, réprimant par le meurtre, l’emprisonnement ou l’exil toute velléité d’opposition ou d’autonomie. Rapportées à la taille du pays, les guerres en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau vont coûter en vies humaines et en argent le double de ce que représenta la guerre du Vietnam pour les Etats-Unis [3], traduisant la violence inouïe d’un régime s’accrochant à ses possessions coloniales.
La dictature et ses contradictions
Non seulement l’armée portugaise commence à subir des défaites face aux mouvements de libération nationale, poussant l’Estado novo à accroître fortement ses dépenses militaires (et limitant de facto les investissements publics dans la métropole). Mais ces guerres finissent par susciter une importante lassitude dans l’armée, du côté des soldats et des officiers composant la hiérarchie intermédiaire, mais aussi dans la population. S’ajoutant à la misère et à la répression, le refus d’aller combattre pour défendre les colonies sera à l’origine d’un énorme mouvement d’émigration : au début des années 1970, près d’un quart du peuple portugais se trouve à l’étranger.
A partir de septembre 1973, des capitaines s’organisent pour formuler des revendications d’abord strictement professionnelles et corporatistes, mais qui vont rapidement s’élargir jusqu’à poser la question du maintien de la dictature fasciste. Le MFA naîtra ainsi des échecs de la guerre coloniale et de la frustration sociale de ces « cadres moyens » de l’armée, mais aussi de la pression que commencent à exercer les luttes ouvrières, paysannes et étudiantes au Portugal.
Alors dirigé par Marcelo Caetano [4], le régime se caractérise au début des années 1970 par un haut niveau de déséquilibres économiques et de tensions sociales. Devenu dépendant des capitaux étrangers en raison des guerres coloniales et de son intégration en 1960 à l’AELE [5] (qui précède un accord de libre-échange avec la CEE signé en 1973), le Portugal occupe une position dominée dans la division internationale du travail, et ne peut faire valoir comme « avantage comparatif » aux capitaux impérialistes qu’une répression violente de la classe ouvrière, permettant d’abaisser artificiellement les salaires.
Se développe une industrie d’exportation, qui coexiste avec le maintien d’une agriculture largement archaïque, reposant – notamment dans l’Alentejo – sur d’immenses domaines possédés par des latifundistes faisant régner l’ordre dans les campagnes. Le Portugal connaît un développement industriel réel : le secteur secondaire occupe, en 1969, 35,5 % de la population active, contre 26,5 % en 1950). De même, la part des travailleurs salariés – incluant ouvriers, employés, techniciens, etc. – passe de 53,6 % à 74,7 % de la population active, atteignant 82,3 % à Porto et 86,5 % à Lisbonne.
La modernisation capitaliste de l’économie portugaise favorise ainsi l’émergence d’une classe ouvrière urbanisée et qui, au fil de ses luttes, prend conscience de sa force et s’organise (l’Intersyndicale regroupe en 1970 deux millions de travailleurs). Les années 1968-1969 sont le théâtre de mouvements revendicatifs de grande ampleur dans les principales concentrations ouvrières : transports urbains, TAP (compagnie aérienne), Lisnave (chantiers navals), métallurgie, automobile, conserverie, etc. On voit également éclater des luttes dans la jeunesse mais aussi parmi les paysans de l’Alentejo, qui dès 1962 étaient parvenus à conquérir la journée de 8 heures grâce à la mobilisation de 300 000 ouvriers agricoles.
25 avril 1974 : action militaire et irruption populaire
C’est dans ce contexte que le MFA est créé clandestinement en mars 1974, dans une indépendance relative à l’égard de la haute hiérarchie militaire. Composée pour l’essentiel d’officiers subalternes et traversée par l’ensemble des courants de l’opposition antifasciste (des démocrates libéraux à l’extrême gauche en passant par la social-démocratie ou le PCP), c’est cette organisation qui va préparer puis exécuter avec succès l’initiative militaire du 25 avril.
A 0h25, la célèbre chanson « Grandôla, Vila Morena » – interdite par le régime – est diffusée sur « Radio Renaissance » pour annoncer le lancement de l’action. Vers 3 heures du matin, les locaux des principales radios sont occupés, qui permettront de diffuser une série de communiqués dans les heures qui suivent, de même que les aéroports de Lisbonne et Porto. Les quartiers généraux des régions militaires des deux grandes villes, mais aussi les ministères, les bureaux de la police (PSP) et la banque du Portugal, sont assiégés par les troupes dirigées par le MFA.
Un ultimatum est adressé à Caetano qui, réfugié dans la caserne du Carmo au centre de Lisbonne, n’accepte de se démettre qu’à 16h30, exigeant de remettre la direction du pays à un officier supérieur, qui ne faisait pas partie du MFA, afin que le pouvoir « ne tombe pas dans la rue » : Antonio de Spinola, un général démis de ses fonctions deux mois auparavant en raison de son opposition (très mesurée) à la politique du régime dans les colonies.
Néanmoins, on ne saurait réduire le 25 avril ni à un simple putsch, dans lequel certains virent la main de la CIA ou du groupe Bilderberg, ni même à une succession d’opérations militaires bien menées. C’est que la population portugaise descend spontanément dans la rue dès l’aube pour soutenir l’action du MFA (allant jusqu’à offrir des œillets aux militaires), fêter la fin de la dictature et veiller à ce que cette victoire ne lui soit pas volée, contredisant les communiqués du MFA qui l’invitaient à « garder son calme et à rentrer chez elle ».
Un capitaine du MFA, Maia de Santarem, a d’ailleurs déclaré après-coup : « Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait faire quelque chose, parce que si nous ne le faisions pas, ce serait la population qui le ferait. Nous avions le sentiment que nous étions en train de marcher vers un abîme et que cet abîme aboutirait à une guerre civile où le peuple prendrait les armes ». Même si cela ne reflète sans doute pas la gamme très variée des opinions au sein du MFA, il paraît clair que celui-ci n’avait ni prévu l’ampleur des manifestations de rue ni souhaité une telle irruption populaire.
Les militaires insurgés n’ont pas pu faire sans le peuple portugais, qui a d’emblée manifesté un grand esprit d’initiative en cherchant à mettre à bas l’appareil répressif du régime, aussi détesté qu’imposant [6]. Ainsi s’est affirmé un « 25 avril d’en bas » [7] : les manifestants à Lisbonne se réunissent devant la caserne de la GNR (Garde nationale républicaine) où s’était réfugié Caetano, assiègent le quartier général de la PIDE (qui tire sur la foule) et les locaux du parti unique, envahissent et mettent à sac l’immeuble de la censure, encerclent la prison de Caxias jusqu’à obtenir la libération de l’ensemble des prisonniers politiques (y compris de ceux que Spinola voulait maintenir enfermés en raison des attentats qu’ils avaient commis).
Presque partout dans le pays on assiste aux mêmes scènes de liesse, traduisant l’euphorie de voir enfin la dictature tomber, mais aussi la vigilance populaire contre une transition qui se contenterait de troquer un personnel dirigeant pour un autre en maintenant intacts les instruments de répression et de censure. Le peuple lisboète ne parviendra toutefois pas à éviter que Caetano s’enfuie tranquillement, escorté par les militaires du MFA, et laisse le pouvoir au général Spinola.
Luttes de classe dans la révolution portugaise
Spinola est alors le dirigeant sur lequel compte la bourgeoisie portugaise, sa trajectoire personnelle rassurant tous ceux qui n’aspirent qu’à un polissage du régime et à une meilleure intégration du capital portugais au marché mondial, en somme une révolution sans révolution. Engagé volontaire aux côtés des franquistes durant la guerre civile espagnole (1936-39) puis avec les troupes nazies sur le front Est au moment de la bataille de Stalingrad, loyal serviteur de l’Estado novo dans ses guerres coloniales (ce qui lui assure le soutien des sommets de la hiérarchie militaire), proche des milieux financiers portugais pour avoir fréquenté les salons de la riche famille capitaliste Champalimaud, Spinola apparaît alors à la classe dominante comme la seule solution pour maintenir le calme dans le pays.
Et c’est effectivement à limiter la combativité populaire, qui se déploie dans les jours suivant le 25 avril (en particulier lors de la manifestation du 1er mai qui réunit entre 300 000 et 500 000 personnes), que va s’employer le « général au monocle ». Non seulement Spinola va échouer, mais ses tentatives d’accroître son pouvoir pour empêcher la décolonisation et réprimer les grèves qui se multiplient aux mois de mai-juin 1974, vont aboutir à des mouvements de masse d’ampleur croissante. Le 16 mai 1974, le 28 septembre de la même année et le 11 mars 1975, les classes dominantes subissent des défaites retentissantes qui finissent par contraindre Spinola à s’enfuir en Espagne, où il fonde une organisation d’extrême droite se donnant pour objectif d’imposer un régime autoritaire.
Le 11 mars, la tentative de putsch est repoussée par la population qui forme des piquets devant les casernes, par les soldats et l’aile gauche du MFA qui s’organisent pour repousser les attaques des putschistes et par les travailleurs qui se mettent en grève partout dans le pays, à l’appel de l’Intersyndicale (qui organise par ailleurs des manifestations très suivies dans la soirée). Cette victoire populaire constitue un tournant dans la révolution : non seulement l’échec du spinolisme laisse la bourgeoisie sans solution politique ni perspective stratégique (au moins provisoirement), mais les travailleurs portugais prennent confiance et se politisent.
D’avril 1974 à novembre 1975, les travailleurs portugais vont ainsi renouer avec les traditions combatives d’un mouvement ouvrier qui, sous la Première République (de 1910 à 1926), avait organisé pas moins de 158 grèves générales (près de 10 par an !), avant d’être brutalement réprimé après le coup d’Etat militaire de 1926. Même si la montée d’une conscience anticapitaliste demeure très inégale d’un secteur d’activité à l’autre et d’une région à l’autre, l’auto-organisation progresse indéniablement.
Dès le mois de mai 1974 sont organisées des occupations de maisons ou d’appartements vides par des familles pauvres, avant que des commissions d’habitants (moradores) se développent dans les villes. A la campagne, en particulier dans l’Alentejo, les ouvriers agricoles s’organisent pour arracher une véritable réforme agraire. Sur les lieux de travail, grèves et occupations s’accompagnent de la formation de commissions de travailleurs. Enfin, on voit émerger en août 1975 les comités SUV (« Soldats unis vaincront »), qui cherchent à favoriser l’auto-organisation et la politisation des soldats.
Ces initiatives demeurent minoritaires et ne sont pas structurées nationalement, si bien qu’on ne saurait parler d’une situation de « double pouvoir » sans prendre ses désirs pour la réalité. Auraient-elles pu constituer un embryon de pouvoir populaire ? Sans doute, si du moins elles n’avaient été affaiblies par le sectarisme de certains mouvements maoïstes, et par l’hostilité des organisations réformistes, en particulier le PCP qui bénéficiait de loin de l’implantation la plus solide dans le monde du travail et dans les syndicats, n’acceptant de participer aux commissions de travailleurs que par crainte de perdre du terrain face à une extrême gauche dont l’audience était croissante.
Reste que les commissions de travailleurs, d’habitants et de soldats non seulement traduisent la radicalisation des mouvements de masse, en réponse aux velléités contre-révolutionnaires des classes dominantes, mais rappellent que la confrontation avec la bourgeoisie et son Etat ne peut s’engager favorablement que si la classe des exploités et des opprimés parvient à se doter, au cours même de la crise révolutionnaire, d’instruments démocratiques de lutte capables de se muer en organes d’un pouvoir alternatif à l’Etat capitaliste, du local au national.
Les classes dominantes reprennent la main
L’hypothèque Spinola étant levé par la victoire du 11 mars, c’est en grande partie au sein du MFA – dont le prestige acquis le 25 avril reste très important tout au long de l’année 1975 – que vont se nouer les contradictions sociales et politiques ayant émergé du processus révolutionnaire, et que va se poser la question du pouvoir. En effet, le MFA prétend à la direction du processus et s’institutionnalise en mars à travers la création du Conseil de la révolution, et opère un tournant à gauche.
Sous la pression des travailleurs, le Conseil des ministres décide en effet une réforme agraire (qui reste très partielle mais va s’accompagner d’une multiplication des occupations de terres) et décrète, de mars à août, une série de nationalisations dans des secteurs clés de l’économie portugaise (banques, assurances, électricité, transports, sidérurgie, compagnies pétrolières, tabacs, cimenteries, etc.), sans que soient toutefois posées les questions décisives, du point de vue révolutionnaire, de l’indemnisation des anciens propriétaires et du contrôle des travailleurs sur la gestion des entreprises nationalisées.
Il serait trop long de revenir ici sur les mois qui séparent ce tournant à gauche dans la révolution et le putsch des 25 et 26 novembre 1975, mené par les fractions de droite et d’extrême-droite de la hiérarchie militaire et du MFA, en liaison avec le PSP, les partis bourgeois ainsi que le président Costa Gomes. L’initiative intervient après une accélération des luttes ouvrières, qui commencent à échapper au contrôle des appareils réformistes.
En particulier, le 12 novembre, une manifestation d’ouvriers du bâtiment encercle l’Assemblée nationale, séquestre les députés durant 36 heures jusqu’à ce que ces derniers accèdent à leurs revendications. Le 16 novembre, une manifestation appelée par les commissions et soutenue par le FUR (Front d’unité des révolutionnaires) et le PCP, réunit 100 000 personnes à Lisbonne. La bourgeoisie comprend que seul un coup de force pourrait lui permettre de modifier le rapport de forces en sa faveur, évitant préventivement une éventuelle insurrection populaire.
Sans les atermoiements de la gauche du MFA, qui bénéficiait pourtant d’une large supériorité militaire, et sans le refus du PCP de lancer une contre-offensive ouvrière, le putsch n’aurait sans doute pas abouti ou aurait conduit à une situation de confrontation militaire et politique. Dès le 25 novembre, l’état de siège est décrété et la publication de la presse interdite, les putschistes occupent quelques points stratégiques mais ne parviennent pas à prendre la caserne de la police militaire (dominée par l’extrême gauche).
Plutôt que d’accepter le combat et de lancer leurs forces dans l’action, les leaders de la gauche du MFA se rendent au palais présidentiel pour négocier leur propre reddition. La révolution portugaise ne se relèvera pas d’un tel coup d’arrêt : la bourgeoisie reprend confiance dans ses propres forces, s’appuyant sur le PSP pour assurer la normalisation et en finir avec les embryons de pouvoir populaire qui avaient émergé dans les mois précédents.
En dernier ressort, c’est sans doute à la fois dans les avancées et les limites des formes d’auto-organisation qu’il faut chercher les raisons du succès de la reprise en main par les classes dominantes. Les commissions de base (et les partis d’extrême gauche) étaient trop faibles pour faire ce que le PCP ne voulait pas faire, à savoir résister à une offensive visant à rétablir l’autorité pleine et entière de l’Etat, mais trop développées pour ne pas effrayer la bourgeoisie, les partis de la gauche réformiste (PSP et PCP) et la gauche du MFA, cette dernière restant attachée à la hiérarchie militaire et s’opposant frontalement à tout mouvement d’organisation des soldats.
Rien ne le montre mieux que les propos de Mario Soares, principal dirigeant du PSP, qu’il vaut la peine de citer longuement pour mesurer la peur, le mépris et la violente hostilité que manifestent les chefs réformistes à l’égard des travailleurs lorsque ces derniers cherchent à s’organiser eux-mêmes, en se passant des professionnels de la politique :
« En ville, […] on s’arrêtait de produire pour un oui ou pour un non, une assemblée, une discussion ou une ‘‘manif’’… A la campagne – dans l’Alentejo essentiellement – on confondait réforme agraire et anarchie, on occupait partout des terres qui ne devaient pas l’être […]. Il était temps de remettre de l’ordre, avant que d’autres ne s’en chargent sous la férule d’un Pinochet providentiel. […] A quoi rimait donc cette pagaille monstre, cette indiscipline, cette subversion généralisée ? Que venaient faire dans le Portugal de 1975 ces soviets de soldats et de marins sortis tout droit des garnisons de Petrograd et de Cronstadt […] ? Où nous menait cette anarchie ? Comment ne pas voir, ne pas comprendre la rage de la plupart des officiers devant des bidasses débraillés qui saluent poing levé ? »[Mario Soares, Portugal : quelle révolution ? Entretiens avec Dominique Pouchin, Paris, Calmann-Lévy, 1976, pages 183-185.]].
La régression qui suivra les journées décisives de novembre 1975 sera aussi rapide que profonde. Non seulement les acquis de la révolution sont remis en cause, mais la droite revient au pouvoir dès 1979 en la personne de Sa Carneiro, qui s’était distingué avant la révolution par son appartenance au parti unique, ce qui lui valut d’être élu député sous Caetano.
Pire, le général Spinola est réhabilité dès 1978, élevé au titre de maréchal et nommé président de la commission chargée d’organiser la commémoration officielle du 10e anniversaire d’une révolution populaire dont il n’a jamais voulu. A l’opposé, celui qui avait dirigé l’action militaire du 25 avril 1974 et fut ensuite la grande figure de la gauche du MFA, Otelo de Carvalho, est condamné en 1987 à 15 ans de prison pour sa participation supposée à une organisation clandestine armée (les Forces populaires du 25 avril).
Les destins croisés de ces deux personnages marquants de la Révolution portugaise suffisent à mettre en pleine lumière la réaction thermidorienne qui succède au putsch du 26 novembre 1975, une réaction dont l’ampleur est à la mesure d’une révolution qui effraya la classe dominante portugaise et ébranla l’Europe durant un an et demi.
Notes
[1] D’abord ministre des Finances en 1929, suite au coup d’Etat militaire de 1926, Salazar devient président du Conseil à partir de 1932, poste qu’il occupera jusqu’en 1968.
[2] Alors que la CGT portugaise –dirigée à l’époque par les anarchistes – revendiquait 120 000 membres au début du 20e siècle, elle ne comptait plus que 15 000 adhérents en 1940. Dans le champ politique, le PSP – créé en 1875 – fut réduit à néant ; quant au PCP, il ne comptait plus que 29 adhérents en 1929 selon Alvaro Cunhal, secrétaire général de 1961 à 1992.
[3] Francisco Louça, « Il y a dix ans, le 25 avril 1974, la chute de la dictature », Inprecor, avril 1984, n° 172, page 17.
[4] Celui-ci avait succédé en 1968 à Salazar, gravement malade, au poste de Premier ministre.
[5] Zone de libre-échange composée de la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège, le Danemark, l’Autriche et la Suisse.
[6] La police politique (PIDE) était composée de 22 000 agents et de 200 000 informateurs, ce qui représentait environ un Portugais sur quarante.
[7] Sur ce point, voir le livre très riche – mais dont l’orientation politique est contestable – de Gérard Filoche (alors militant de la LCR), Printemps portugais, Paris, Actéon, 1984.
[8] On reprend ici le titre du bel ouvrage de Charles Reeve (de son vrai nom Jorge Valadas), militant libertaire portugais : Les œillets sont coupés. Chroniques portugaises, Paris, Editions Paris-Méditerranée, 1999.
* * Paru dans la Revue L’Anticapitaliste n°53 (avril 2014). http://npa2009.org/
2 - Portugal De la révolution (1974) à la désillusion
Tôt, le 25 avril 1974, au Portugal[9] , des capitaines en rupture avec le système de Salazar[10] se révoltent et prennent le pouvoir. La voix calme d’un mystérieux « Commandement du Mouvement des Forces armées » transmise par les radios de Lisbonne, Renascenta et Radio Clube[11] donnant le signal de la révolte aux capitaines mutins, exhorte les gens à rester chez eux et à garder leur calme.
C’est compter sans les sentiments de la population. Ne tenant aucun compte de ces conseils, répétés à intervalles réguliers, ils envahissent les rues et les places en se mêlant aux militaires. Le Premier ministre Marcelo Caetano se réfugie dans la principale caserne de gendarmerie de Lisbonne où un jeune capitaine de cavalerie, Salgueiro Maia, accepte sa reddition.
Caetano, qui avait succédé en 1968 au dictateur Antonio Salazar, victime d’une attaque cérébrale (1899-1970), demande à remettre le pouvoir au général Antonio Spinola « pour qu’il ne tombe pas dans la rue ». Puis le successeur du dictateur, est mis dans un avion avec un aller simple pour le Brésil. Seule la PIDE, la redoutable police politique qui a entretenu la terreur durant cinquante ans de salazarisme, oppose une résistance qui fera six morts. Elle est réduite durant la nuit. Toute la journée, une foule énorme s’est massée au centre-ville, près du marché aux fleurs, pour appuyer les rebelles de l’armée. Ce 25 avril 1974, c’est la saison des oeillets.
Le lendemain, Spinola, le « général au monocle », annonce la formation d’une Junte de salut national sous sa présidence, et lit la proclamation du Mouvement des Forces armée (MFA) qui propose de rendre le pouvoir aux civils après des élections libres et de mener la politique des « trois D » : démocratiser, décoloniser et développer.
Pour le Portugal, la page est tournée presque sans effusion de sang. Indissociablement liées, la démocratisation et la décolonisation allaient être accomplies avec le concours des partis politiques :
le Parti communiste, seul doté de fortes assises dans le pays, dirigé dans la clandestinité par Alvaro Cunhal ;
le Parti socialiste, créé en Allemagne en 1973 par Mario Soares[12] ;
ainsi que les nouveau-nés : Parti social démocrate (PSD, libéral) et le Centre démocratique social (CDS,droite). Rentrés d’exil, Soares et Cunhal vont célébrer ensemble, dans une ambiance fraternelle, la première fête du 1er mai non interdite.
Le sort de la révolution se noue durant l’année 1975. D’un côté, le général Spinola cherche à gagner du temps dans les colonies africaines. Modernisant un vieux mythe salazariste, il verrait bien le maintien de " l’empire portugais " sous forme d’une fédération. De l’autre, Mario Soares commence à parler du " socialisme du possible ". Entendez la mise en place d’un Portugal au capitalisme rénové, tourné vers l’Europe.
Les communistes appuyés sur les mouvements populaires dans la région de Setubal, dans l’Alentejo et au sein de l’armée, veulent consolider les conquêtes démocratiques par des conquêtes économiques et sociales. Enfin, au sein d’une armée délivrée de sa hiérarchie salazariste, les surenchères de gauche, pour ne pas dire gauchistes, font florès. Les affrontements les plus durs portent notamment sur la mise en place ou non d’un syndicat unique. Les socialistes s’affrontent durement sur cette question avec certains secteurs du MFA (Mouvement des Forces armées : mouvement des militaires fidèles au 25 avril). Maria de Lourdes Pintasilgo (elle fut premier ministre durant quelques mois a l’époque où le général Eanes était président de la République) juge durement cette époque .
La tentative de coup de force du général Spinola, le 25 novembre 1975, marque la fin de la première époque. Les formations de droite, organisées ou non, sont battues comme en témoigne la grande vague de nationalisations des banques et, dans la foulée, des terres et de l’essentiel des grandes entreprises portugaises. S’ouvre une ère de provocations en tout genres. Elles vont conduire à la chute des gouvernements nettement marqués à gauche du général Gonçalves, à la division et à l’extinction du MFA, et enfin à la mise en place d’un système politique et économique oscillant entre une droite réputée modérée et un socialisme menant une politique libérale bien tempérée. A la fin des années soixante-dix, l’économie portugaise est restructurée pour la préparer à l’adhésion à l’Europe de 1986. Dans le même temps, des révisions successives de la Constitution la vident de toutes ses conquêtes sociales (nationalisations, réforme agraire, contrôle des banques, droit d’interventions des salariés dans la gestion, etc.)...
Notes :
[9] ; Portugal : officiellement République portugaise (en portugais, Répública portuguesa), pays du sud-ouest de l’Europe situé sur la façade atlantique de la péninsule Ibérique, bordé, au nord et à l’est, par l’Espagne et, au sud et à l’ouest, par l’océan Atlantique, où se trouvent les archipels portugais des Açores et de Madère. La superficie totale du pays est de 92 072 km2. Sa capitale est Lisbonne.
[10] ; António de Oliveira Salazar, (1889-1970), homme d’État portugais qui, de 1932 à 1968, régna en dictateur sur le Portugal étudia le droit et devint en 1918 professeur d’économie politique à l’université de Coimbra. En 1926, il se vit proposer le poste de ministre des Finances par la junte militaire qui venait de s’emparer du pouvoir sous la conduite du général Carmona, mais il le refusa, faute d’obtenir les pouvoirs spéciaux qu’il exigeait. Il l’accepta en 1928, après qu’on lui eut partiellement donné satisfaction. En un an, il équilibra le budget national et, peu de temps après, régla la dette étrangère. Nommé président du Conseil en 1932, il fonda le « Nouvel État » (Estado Novo), imposant une dictature dotée d’un parti unique et s’appuyant sur l’armée et l’autorité morale de l’Église. Fort également de l’appui des grands propriétaires terriens, des banquiers et des industriels, il résista à toute évolution sociale et politique et s’attacha à réprimer les mouvements nationalistes dans les possessions portugaises d’Afrique. Il soutint le général Francisco Franco pendant la Guerre civile espagnole et, pendant la Seconde Guerre mondiale, il défendit la neutralité du Portugal. Victime d’une hémorragie cérébrale en 1968, il dut abandonner le pouvoir à son ancien collaborateur Marcello Caetano. Son régime ne lui survécut pas longtemps ; en avril 1974, un groupe d’officiers, las de lutter contre les mouvements indépendantistes outre-mer, balayait l’Estado Novo.
[11] ; Communiqué du 25 avril 1974 à 04h26 le Présentateur Joaquim Furtado a fait la lecture de la première notification officielle du MFA, aux micros de la radio clube portugais :
"Aqui posto de comando do Movimento das Forças Armadas.As Forças Armadas portuguesas apelam para todos os habitantes da cidade de Lisboa no sentido de recolherem a suas casas, nas quais se devem conservar com a máxima calma. Esperamos sinceramente que a gravidade da hora que vivemos não seja tristemente assinalada por qualquer acidente pessoal, para o que apelamos para o bom senso dos comandos das forças militarizadas no sentido de serem evitados quaisquer confrontos com as Forças Armadas. Tal confronto, além de desnecessário, só poderia conduzir a sérios prejuízos individuais que enlutariam e criariam divisões entre os portugueses, o que há que evitar a todo o custo.Não obstante a expressa preocupação de não fazer correr a mínima gota de sangue de qualquer português, apelamos para o espírito cívico e profissional da classe médica, esperando a sua acorrência aos hospitais, a fim de prestar eventual colaboração, que se deseja, sinceramente, desnecessária."
Résumé bref : le commandant du mouvement des forces armées appèle la population a resté chez elle pour éviter toute confrontation avec les forces armées car cela pourrait créer des divisions entre les Portugais et faire couler le sang inutilement. De plus l’armée demande aux médecins si ils veulent apporter leur contribution aux Hôpitaux.
Chanson de José Afonso qui fut le signal du début de la révolution
Grândola, vila morena Terra da fraternidade, O povo é quem mais ordena Dentro de ti, ó cidade
[12] ; Mario Soares, (1924- ), chef d’État portugais, dirigeant du Parti socialiste portugais (PSP), Premier ministre (1976-1978, 1983-1985), et président de la République depuis 1986. Il naquit à Lisbonne et fit ses études à l’université de Lisbonne et à la faculté de droit de la Sorbonne, à Paris. Au sein du parti communiste, puis du parti socialiste dont il devint le secrétaire général en 1973, il fut l’un des principaux dirigeants de l’opposition démocratique face aux régimes d’António de Oliveira Salazar puis de Marcello Caetano. Emprisonné 12 fois, banni en 1968, il vécut en France en exil. En 1974, il revint au Portugal après le soulèvement d’avril et fut ministre du gouvernement provisoire, s’opposant à la confiscation du pouvoir par les communistes. Il accéda en 1976 au poste de Premier ministre à la suite de la victoire du parti socialiste, poste qu’il conserva jusqu’en 1978. Les élections de 1983 le ramenèrent au pouvoir ; il put alors s’engager en faveur de l’adhésion de son pays à la Communauté économique européenne. Il fut élu président de la République en 1986 et réélu en 1991.