« Bernard Friot : " La souveraineté populaire sur le travail est une urgence " ![0] »
« Valeur travail » : version actualisée de la devise « le travail rend libre » ?
Ce texte un peu long est destiné aux amis et ex-étudiants de Gérard Prévost qui l’ont sollicité pour donner son avis sur le débat actuel.
Sources : Gérard Prévost | mis à jour le 26/11/2022
Le « travail » n’est pas une valeur, c’est un concept !
Présenter le travail comme « valeur » renvoie à l’idée d’une valeur morale, à le penser comme lieu « où l’individu se construit, se réalise et s’épanouit », le lieu du « beau travail », du « travail bien fait » sinon comme « art » - le travail artiste - par analogie avec la production artisanale, précapitaliste, de biens, devenue en effet « art » aujourd’hui, ou vendue et exposée comme telle souvent de façon abusive. Le « travail » ainsi idéologisé fonctionne peut-être dans les premières années d’un « travailleur », mais il évolue et se termine le plus souvent dans la souffrance[1][1bis]. Si c’est çà la « valeur travail », alors oui c’est une valeur de Droite ! Elle l’impose à la société du fait qu’elle détient, autrement dit les forces sociales qui la composent, le monopole du pouvoir de dire ce que doit être le travail et ce qu’il doit produire pour l’ensemble des « travailleurs : une définition capitaliste du travail.
Quel est le sens du travail ressenti par les travailleurs salariés ?
On sait maintenant qu’elle est largement contredite par les enquêtes sur le peu de sens du travail ressenti par les travailleurs salariés[2] : désintérêt, ennuis, rapports hiérarchiques autoritaires, suicides etc. Tout cela est abondamment documenté (Graeber, Chevalier, Coutrot-Perez). De fait, pour les « travailleurs » seules comptes les fins de semaine, les congés payés, les jours fériés et à partir de 50 ans ils ne pensent plus qu’à une seule chose : le moment où ils pourront faire valoir leur droit à la retraite ! Ce sont des droits qui valent « droit à la paresse » !
D’où l’angoisse ressentie à la veille de la reprise et du retour obligé au travail. Paul Lafargue (Le droit à la paresse) s’étonnait de l’amour apparent de la « classe ouvrière » pour le travail et que l’on puisse supporter l’exploitation plus de 3 heures par jour. Or, aimer son travail découle de la nécessité, on a pas le choix ; c’est la nécessité d’aimer son présent : « l’amour du bonheur présent » comme disait Bourdieu. Cependant, les moments de « paresse » ne sont jamais vide d’activités et de sens ; au contraire, le « temps libre » promotionné par le ministère d’André Henry en 1981[4], le « hors travail », comme l’a montré Florence Weber, est le lieu d’amples occupations de travail, le plus souvent non salariées, de don et de contre don, d’entraides, de créativité, jusqu’à des formes contemporaines de potlatch. Certes, c’est moins vrai dans les catégories moyennes hautes, où l’on est plutôt mobilisé en permanence pour suivre des stratégies de carrière.
C’est hélas cette vision « capitaliste » du travail que Fabien Roussel tente de répandre[5][6], alors que son rôle devrait être d’en faire la critique comme activité exploitée dont il faut s’émanciper.
Bernard Friot, membre du PCF, ne doit pas être fier. Roussel ferait bien de le lire pour comprendre que les allocs sont indissociables du travail salarié ; certains pensent qu’il voulait dire autre chose, par exemple « je veux une société du travail libéré des logiques capitalistes » : ce n’est pas ce qu’il a fait. La raison de cette posture ? Usul (Médiapart)pose l’hypothèse d’un déficit de formation politique, mais il se trompe, Roussel a été formé au sein d’un PCF profondément stalinisé : il s’est nourri de la vieille chimère du PCF comme parti du travail et des travailleurs, y compris dans sa forme la plus populiste : la bonne viande et le bon vin pour tous (j’ai expliqué çà dans une précédente publication).
Tout en s’affranchissant aussi d’une telle critique, François Ruffin ne dit pas çà ; il met l’accent sur la dignité au travail surtout pour les activités de « travail essentiel », sous forme d’héroïsation et sur le travail comme ressource pour vivre ou survivre. Son point de vue[7] le rapproche d’une définition générique du travail développée par l’économie politique (Marx et Ricardo) : le « travail » est un des universaux de la culture comme sens de l’activité humaine orientée vers la survie, le maintient et la reproduction de l’espèce, laquelle inclut celle de la « force de travail ».
Le concept de travail n’est compréhensible que dans son rapport aux pratiques sociales de travail.
On peut considérer comme Marx que le « travail » est consubstantiel à la vie humaine, il n’est en rien comparable aux activités des cueilleurs-chasseurs. L’activité humaine y crée certes des valeurs d’usage de survie, néanmoins les valeurs d’échange produites ne s’y articulent pas identiquement, elles s’actualisent selon des formes congruentes avec la période historique : antiquité, pré-capitaliste et capitaliste. On troc, on achète, mais on n’échange pas toujours, on tue aussi face à la nécessité. Ce que raconte le mythe de la guerre du feu s’inscrit dans cette structure dont l’inversion a accouché de la civilisation : on en est encore qu’au début.
Autrement dit, c’est quand il y a des pratiques de « travail » très différenciée que le concept de travail en général apparaît et se simplifie et se généralise quand apparaît une complexification des pratiques dans la réalité sociale et dans les formes de solidarité chère à Durkheim : mécaniques et organiques.
En résumé, il est impropre d’évoquer « la valeur travail », puisquel’activité de « travail », comme le disait Marx, est la source unique de la valeur
Ce qui revient à dire que le travail ne consiste pas à produire de la richesse mais à mettre en valeur du capital : pour çà il crée des valeurs d’usage et d’échange, de même que des dispositifs de valorisation de la valeur, lesquels engendrent une fascination envers les objets à haute valeur monétaire et envers ceux qui les possèdent. Dire qu’une société est riche parce qu’elle produit des biens en abondance est donc une affabulation ; il faut que leur « valeur » soit reconnue : c’est le marché qui en décide (et la lutte de classe) tout en confortant l’idéologie de la richesse. Quand la valeur monétaire d’un bien rare ou pas, (la seule qui compte), décline, son effet « richesse » décline en même temps, jusqu’à sa destruction quand sa valeur de marché est trop faible (exemple des produits agricoles).
Pour que la notion de richesse d’une société se vérifie, il faudrait que les biens produits soient répartis équitablement dans la population. Évidemment ce n’est pas le cas.
Conclusion : dans la lutte pour s’accaparer des biens utiles en vue de la reproduction de notre espèce, la « valeur travail » n’est autre que la « valeur » de chaque « travailleur » mesurée en kilo-euro ; de quel est son poids en euros, c’est à dire de quoi il dispose pour vivre.
Notes :
[0] Bernard Friot : " La souveraineté populaire sur le travail est une urgence " !
[1] Merci Hollande et Macron : la France est devenue le plus mauvais élève européen des accidents du travail !
[1bis] La dévalorisation économique et sociale de la force de travail des salariés.
[2] DARES : Quand le travail perd son sens
[3] Le Droit à la paresse, ouvrage de Paul Lafargue paru en 1880, puis en 1883 en nouvelle édition1, est un manifeste social qui centre son propos sur la « valeur travail » et l'idée que les humains s'en font.
[4] André Henry Ministre du Temps libre
[5] À la fête de l’Humanité, Roussel veut une « gauche du travail et pas des allocs »
[6] La faute de Fabien Roussel secrétaire national du PCF
[7] Par François Ruffin : Ruffin-Roussel, même combat ?
Pour en savoir plus :
- BERNARD FRIOT : « LA SOUVERAINETÉ POPULAIRE SUR LE TRAVAIL EST UNE URGENCE »
commenter cet article …