- Le CFA, un outil au service du maintien d’une relation coloniale au-delà des indépendances entre la France et les 15 pays des zones francs[1]...
En mettant le feu un billet de 5 000 FCFA lors d'un rassemblement le 20 août dernier à Dakar, le polémiste Kémi Séba a relancé un débat brûlant. Le Franco-Béninois, très controversé, proche de certains membres de l'extrême droite française, a finalement été relaxé mardi 29 août par la justice sénégalaise. Mais ce geste a suscité une avalanche de réactions sur le Franc CFA, la dernière monnaie coloniale encore utilisée.
par Anne Cantener, Alice Pozycki, Matthieu Millecamps | mis à jour le 20/11/2021
Comment fonctionne le franc CFA ?
Depuis les accords de Bretton Woods de 1945, . Cette zone comprend 14 pays répartis au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) auxquels s’ajoutent les Comores. Près de 155 millions de personnes utilisent le franc CFA.
Au moment de sa création, l’acronyme signifiait « Franc des Colonies françaises d’Afrique ». Par la suite, il est devenu le franc de la Communauté financière africaine pour les Etats de l’UEMOA et le franc de la coopération financière en Afrique centrale pour les pays de la CEMAC. Dans chacune de ces deux zones, une banque centrale est chargée de régir la politique du franc. Il s’agit de la Banque des Etats d’Afrique de l’Ouest pour l’UEMOA, et de la Banque des Etats d’Afrique centrale pour la CEMAC.
Depuis 1945, la Banque de France est le troisième acteur de ce système monétaire. Le franc CFA est arrimé à l’euro selon une parité fixe décidée par la France. En contrepartie, les pays de la zone franc ont l’obligation de déposer 50 % de leurs réserves de change au Trésor français. C’est aussi en France que sont imprimés les billets de francs CFA, à des milliers de kilomètres des banques centrales africaines.
Quelles conséquences pour les pays de la zone franc ?
Le système garantit aux pays africains concernés la possibilité de convertir le franc dans n’importe quelle autre devise et garantit également la stabilité de la monnaie. Comme le franc CFA est indexé sur l’euro, pas de brusques dévaluations possibles. Toujours à cause de ce lien avec l’euro, le franc CFA est une monnaie plutôt forte, ce qui facilite les importations. En revanche, les pays de la zone franc sont pénalisés pour les exportations.
Quelles sont les critiques portées par les opposants à ce système ?
En plus de 70 ans, le franc CFA a essuyé de nombreuses critiques. Les opposants à cette monnaie commune estiment qu’elle est la preuve d’une « survivance coloniale ». dénonce la « servitude monétaire » issue de l’obligation pour les pays africains de déposer 50 % de leur réserve au Trésor français. « Le mécanisme d’assurance qu’offre le Trésor français à la zone franc est un mécanisme qui permet de s’assurer contre les défaillances de la gouvernance économique et politique en Afrique. Ce n’est pas un mécanisme qui peut permettre à l’Afrique d’enclencher sa transformation structurelle. Donc, cette question de la souveraineté monétaire de l’Afrique est une question cruciale ».
Pour l’économiste, trois choses posent problème : le franc français n’existe plus, pourquoi le franc CFA existe donc encore ? Pourquoi les billets de banque CFA – fabriqués uniquement en France – ne peuvent-ils pas être fabriqués en Afrique ? Enfin, la BCEAO, comme la BEAC en Afrique centrale sont désormais indépendantes des Etats et elles vont s’inféoder un ministère d’un pays étranger, le ministère français des Finances pour gérer le franc CFA.
« La France, une ancienne puissance coloniale, fait circuler sa monnaie dans 15 pays alors même qu’elle ne l’utilise plus, c’est une situation exceptionnelle », s’insurge l’économiste Martial Ze Belinga. Les deux experts voient également dans cette monnaie un frein au développement des pays de la zone franc. L’arrimage à l’euro, une monnaie forte, empêcherait les Etats de proposer des prix compétitifs au détriment des exportations.
L’économiste Carlos Lopes, lorsqu’il était encore secrétaire général adjoint de l’ONU, a fait sensation en remettant en cause le franc CFA de manière publique. , il a qualifié les mécanismes du franc CFA de « désuets ». « Il faut que le mécanisme soit dynamique. Il ne faut pas voir la composition et les caractéristiques actuelles, parce qu’elles ne sont pas de nature à répondre à la dynamique des croissances et à la dynamique internationale économique », expliquait-il alors.
Pour lui, la stabilité des taux de change a eu ses avantages, mais « la consommation interne est devenue la plus importante des composantes de la croissance » dans les régions de la zone franc, rendant cette politique des taux fixes handicapante.
Il reste cependant persuadé qu'« une zone monétaire est un atout », mais qu’il faut se pencher sur les caractéristiques de cette zone monétaire : « Quelle politique est associée à cette zone monétaire ? Comment on utilise les réserves ? Comment on fait en sorte qu’il y ait un peu plus de contribution des politiques monétaires à la transformation structurelle ? » Pour Carlos Lopes, « le débat doit être un débat de fond et pas un débat idéologique ». Dans des pays où les secteurs agricoles sont fragiles et le secteur industriel souvent embryonnaire, les économies des pays de la zone franc sont engagées dans des transformations structurelles importantes. « Il faut que la monnaie accompagne ces politiques avec des mesures spécifiques. Actuellement, les mesures ne sont pas d’accompagnement, mais plutôt immuables, où l’on essaie de protéger les pays de la zone », jugeait Carlos Lopes en octobre dernier.
Quels avantages pour la France ?
Le système permet de garantir un cadre sûr dans une zone où la France a beaucoup d’intérêts économiques et de liens commerciaux. D’ailleurs, l’indexation du franc CFA sur l’euro et le fait qu'il soit une monnaie forte facilitent les investissements d’entreprises françaises en Afrique. Plusieurs économistes précisent en revanche que Paris ne gagne pas d’argent avec les fameux 50 % des réserves obligatoirement déposés en France. Cette somme se trouve à la Banque de France. Tous les ans, l’institution reverse les intérêts aux pays africains. Et il existe un taux minimum fixé en 2013 : 0,75 %. Concrètement, cela signifie que les pays africains ne peuvent pas toucher moins, même si le taux d’intérêt officiel est plus bas. C’est le cas en ce moment, le taux se situe autour de 0,25 %.
- Débat du jour - Faut-il en finir avec le Franc CFA ?
Rôle du Franc-CFA dans la domination africaine
Je partage cette analyse selon laquelle : " la politique monétaire permet de jouer sur les importations et exportations. C’est un outil fondamental de la souveraineté, comme l’est l’indépendance militaire par exemple. Or, les Etats les africains n’ont pas cette liberté d’action et donc cette indépendance économique et politique.
La Banque de France et maintenant la Banque centrale européenne avec l’euro ont décidé des dévaluations et du moment où elles ont eu lieu. Un gouverneur de la Banque de France dispose du droit de veto, sur les politiques de la Banque Centrale africaine francophone en matière monétaire. L’Afrique francophone est donc ainsi dépossédée de se souveraineté monétaire et donc économique."
http://www.mondialisation.ca/la-domination-des-banquiers-au-coeur-des-tats/15505 |
La France insoumise :
Une émission présentée par Charlotte Girard, avec : - Kako Nubukpo, Économiste et ancien ministre de la Prospective du Togo - Mathilde Panot, députée FI - Théophile Malo, rédacteur du livret Pour une France indépendante au service de la paix
Note :
[1] Le franc CFA, ou le colonialisme monétaire. Synthèse pour non économistes
Pour en savoir plus :
- Essai. L’Afrique sous servitude monétaire
- Mobilisation pour demander la fin du franc CFA en Afrique
- Kako Nubukpo: le franc CFA «c'est la servitude volontaire»
- Franc CFA : les propos de M. Macron sont « déshonorants pour les dirigeants africains »
- Un cadre de la Francophonie suspendu après une tribune anti-CFA publiée sur « Le Monde Afrique »
- A la place du franc CFA, une monnaie commune d’Afrique de l’Ouest ?
- Histoires françafricaines : le Franc CFA
- La France donne un ultimatum à la Guinée équatoriale de mettre fin à sa nouvelle monnaie
- Franc CFA. Le colonialisme français se perpétue en Afrique
- Franc CFA : La monnaie commune est-elle un frein au développement? (Deutsche Welle)
- La fin du franc CFA pourrait «couper les liens entre le Trésor français» et l’Afrique (Sputniknews)
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