Sources : le 10 mars 2016 par Michel Husson
Le principe essentiel qui sous-tend les réformes néolibérales est au fond le suivant : les employeurs ne devraient payer leurs salariés que quand ceux-ci travaillent effectivement pour eux. Les chômeurs, les malades, les accidentés du travail, les vacanciers, les retraités, les allocataires, etc. ne produisent pas pour leurs employeurs et représentent autant de faux frais qui nuisent à la compétitivité et au libre jeu du marché.
Bien sûr, il s’agit d’un idéal hors d’atteinte, mais c’est vers lui qu’il faut tendre en réduisant le « coût du travail », les « charges » et autres « prélèvements obligatoires ». Cette logique peut aller loin dans les détails et s’accompagner des pires mesquineries, quand il s’agit par exemple de retirer le temps d’habillage du décompte du temps de travail ou de baisser le nombre de jours d’absence pour un décès.
Rigidité ou flexibilité importent peu pour la création d’emploi
L’un des principaux arguments des défenseurs du projet El Khomri est que les employeurs auraient « peur d’embaucher » parce qu’il serait ensuite trop difficile ou coûteux de licencier, bref ils auraient donc à payer des salariés dont ils n’auraient plus besoin. Il y a longtemps qu’une armée d’économistes (bien payés) est mobilisée pour la défense et l’illustration de ce principe selon lequel les rigidités du marché du travail sont défavorables à l’emploi. Ils utilisent les indicateurs de « protection de l’emploi » (EPL : employment protection legislation) calculés par l’OCDE. Cette dénomination même est biaisée : la protection de l’emploi serait néfaste, de même d’ailleurs qu’une indemnisation trop généreuse favoriserait le chômage.
Il est pourtant facile de montrer que cette théorie ne tient pas la route. Le graphique ci-dessous y suffit : il n’existe aucune liaison entre la rigidité du marché du travail ainsi mesurée et la variation du taux d’emploi (la proportion de la population en âge de travailler qui occupe un emploi) entre 2007 et 2014. Des pays supposés rigides comme la France ou la Belgique ont des résultats analogues à ceux de pays supposés flexibles comme la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis ou le Canada.
En sens inverse, des pays dont le degré de « rigidité » est comparable peuvent avoir de bonnes performances (Pologne, Allemagne) ou de très mauvaises (Espagne, Grèce). Le coefficient de corrélation (R2 = 0,009) est très faible, ce qui veut dire, en langage courant, qu’on obtiendrait le même genre de graphique par tirage au sort.