Comment travaillent les Allemands ? La croissance allemande (en 2015 1,7 %, contre 1,1 % en France) et surtout le faible chômage que connaissent nos voisins d’outre-Rhin (4,3 % de la population active début 2016) nourrissent constamment la réputation d’efficacité du « modèle allemand », construit entre autres par les réformes de Gerhard Schröder entre 1999 et 2004.
À l’occasion de la réforme du droit du travail portée par Myriam El Khomri, la rigidité du code du travail français est de nouveau critiquée comme un frein à l’embauche en CDI.
Et l’Allemagne bien souvent érigée en exemple. Qu’en est-il vraiment ?
Licenciements, CDI : l’Allemagne plus « rigide »
Si l’on jette un œil chez nos voisins allemands, force est d’observer que les licenciements sont loin d’y être aussi faciles, la législation allemande étant aussi protectrice que la législation française. Les données de l’OCDE relatives au niveau de protection contre les licenciements indiquent que l’Allemagne dispose d’un indice de « rigidité » légèrement plus élevé que la France.
- Des licenciements encadrés :
Tout comme en France, les licenciements de salariés en contrat à durée indéterminée en Allemagne sont encadrés et doivent être justifiés. Les licenciements pour motif personnel (attitude du salarié) ou économique (difficultés de l’entreprise) doivent être précédés d’une consultation obligatoire du comité d’entreprise et sont notifiés au salarié par une lettre écrite remise en main propre.
- Des salariés protégés :
Les mêmes interdictions existent dans les deux pays quant aux salariés ou catégories de salariés protégés contre le licenciement (sauf pour faute grave ou cessation d’activité). Femmes enceintes, salariés en situation de handicap ou membres du comité d’entreprise ne peuvent être licenciés, sauf autorisations respectives de l’inspection du travail, du comité des salariés handicapés et du comité d’entreprise.
- Le licenciement économique doit être justifié.
Les licenciements pour motif économique sont eux aussi bien encadrés. L’employeur souhaitant licencier lorsque son entreprise est en difficulté doit justifier que la réorganisation du travail dans l’entreprise exclut le maintien du salarié dans l’entreprise : en d’autres termes, que le licenciement est la dernière option pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise.
- Des employeurs moins bien lotis qu’en France.
Sur certains points, la loi allemande est plus stricte que la loi française. En cas de faute grave de l’employé, l’employeur a deux semaines à partir du jour où il apprend la violation du contrat par son salarié pour réagir et notifier le licenciement à ce dernier. Un délai court au-delà duquel il n’est plus possible d’invoquer la faute en question. La loi française ne précise aucun délai, mais la jurisprudence est de deux mois (arrêt du 6 octobre 2011 de la Cour de cassation). Le délai de préavis à respecter pour l’employeur est également plus élevé de l’autre côté du Rhin pour les salariés ayant cinq ans ou plus d’ancienneté (jusqu’à sept mois pour vingt ans d’ancienneté contre deux en France).
- Mais des salariés parfois moins aidés.
D’autres dispositions, en revanche, protègent moins le salarié qu’en France. C’est le cas pour les prud’hommes par exemple. Le délai pour contester son licenciement n’est que de trois semaines après la notification par l’employeur, là où un salarié français pourra contester la décision jusqu’à douze mois après.
Sur les CDD, les licenciements sont aussi moins difficiles à justifier, le droit allemand étant plus souple que le droit français sur les contrats temporaires.
Les contrats temporaires bien plus souples en Allemagne
Si les deux pays sont très comparables quant aux lois régissant les CDI, ils diffèrent réellement sur les contrats temporaires, la loi allemande était bien plus souple que sa voisine française.
- Des CDD sans limite de temps.
Si « raison objective » il y a, un CDD allemand n’est pas limité dans le temps comme l’est le CDD français (18 mois). Il peut alors durer plusieurs années sans contrainte, du moment que le motif de l’embauche ayant motivé le contrat reste valable. Cela se rapproche en un sens du CDD d’usage français, un type de contrat limité à certains secteurs d’activité (hôtellerie, restauration, secteurs culturels, etc.) et renouvelable sans limite ni contraintes (pas de période de carence entre deux contrats, pas d’indemnités de précarité).
Si le contrat n’a pas de « raison objective », il peut être renouvelé deux fois sur une période maximale de deux ans (quatre ans dans une entreprise nouvelle et cinq ans pour les employés de plus de 52 ans), soit plus que les 18 mois en vigueur dans notre pays.
- Des possibilités accrues d’y recourir.
Les motifs permettant le recours aux contrats temporaires sont aussi plus nombreux. Les protections légales contre les licenciements abusifs ne s’appliquant que pour les employés disposant d’une ancienneté d’au moins six mois dans une entreprise de plus de dix salariés, les salariés en CDD peuvent être licenciés sans motif ni préavis les six premiers mois de leur contrat.
Un droit du travail rigide n’est pas corrélé à un chômage élevé
Les données de l’OCDE disponibles montrent que, contrairement aux idées reçues, la rigidité du marché du travail d’un pays n’est pas forcément liée à la variation de son taux de chômage, c’est-à-dire que ces deux variables ne suivent pas les mêmes courbes dans le temps (les données étudiées ici vont de 2000 à 2013). Ainsi, dans le tableau ci-dessous, plus le coefficient tend vers 1 ou -1, plus les deux données sont corrélées (en évoluant dans le même sens, ou le sens contraire). Plus ce coefficient tend vers zéro et moins ces deux données sont corrélées.
Dans le cas de la France, la corrélation est présente mais inverse : plus la flexibilité du travail est grande, plus le taux de chômage a grimpé. C’est le cas également en Grèce, en Espagne ou au Portugal. En Allemagne, le taux de corrélation entre la courbe du chômage et la rigidité de son marché du travail (CDI et CDD confondus) est quasiment nul.
Plusieurs pays voisins connaissent une augmentation de leur taux de chômage alors même que leur indice de rigidité est plus faible qu’en France, c’est le cas notamment de la Finlande et de la Suède.
Pour en savoir plus :
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- Le « modèle » impérialiste allemand
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