La soirée électorale a vu culminer les approximations des commentateurs comme des sondeurs. Jamais fourchette d’estimations "sortie des urnes" n’a été aussi grande. Et le premier ministre en a rajouté une louche avec ses mirifiques 26% de suffrages socialistes[1].
Il faut dire qu’Emmanuel Valls avait cette fois un prétexte commode : l’institution de binômes complexifie à l’extrême les modes de calcul. Il suffisait ainsi au chef du gouvernement – qui connaît bien l’Intérieur et ses méthodes… – d’ajouter aux scores du PS, non seulement ceux de ses alliés du moment, mais aussi ceux des "divers gauche", quand bien même ils se présentaient sans l’onction du Parti socialiste.
Pour tenter d’y voir plus clair, j’ai utilisé le fichier détaillé des résultats par binômes établi par le PCF [2]. J’ai par ailleurs constitué un fichier compilant les données de 2008 et de 2011 dans environ 1.400 cantons, pour l’essentiel hors agglomération urbaine dont le découpage autorise le regroupement simple des communes. Pour les zones urbaines profondément restructurées, il faudra donc attendre des analyses plus fines.
1. Les grandes lignes sont à peu près établies.
Le tableau ci-après rappelle les résultats de 2008 et 2011.
En 2015, ce qui est à peu près assuré est le total par grandes familles politiques : la gauche engrange 36,7% des suffrages, la droite "classique" obtient 37,5% et le Front National passe de 4,8% en 2008 et 15.1% en 2011 à 26% en 2015. En tête dans plus de 300 cantons, il consolide son implantation nationale, ce que risque de confirmer le second tour de dimanche prochain. Quant à la gauche, son recul est sévère par rapport à 2008 (48,2%) et 2011 (49,5%).
Le Parti socialiste est loin de ses résultats antérieurs (26,7 et 24,9%). Les binômes où l’on retrouve ses candidats recueillent 21,1% des suffrages exprimés. Là-dessus, 0,6% sont obtenus en couple avec le PCF et 1,2 % en couple avec les Verts. Pour ces derniers, les estimations sont souvent fantaisistes. Des listes vertes autonomes ne recueillent certes que 2% du total national. Mais ce chiffre doit être doublement relativisé : par le fait que les Verts n’étaient présents que dans un quart des cantons ; par le fait qu’ils se trouvent plus dans des binômes avec le Front de gauche (1,6%) et avec le PS (1,2%) qu’en autonomie.
2. Les résultats du Front de gauche témoignent d’une plutôt bonne résistance dans un scrutin calamiteux pour la gauche.
Le PCF en 2008 et le Front de gauche en 2011 recueillent entre 8,8 et 8,9% des suffrages exprimés sur la France métropolitaine et 9,4% sur les cantons où ils sont présents (environ 3.600 au total pour 2008 et 2011). En 2015, les binômes où figure au moins une composante du Front de gauche recueillent 9,4% des suffrages exprimés sur le total des cantons métropolitains et 11,9 % sur les seuls cantons où il présentait des candidats (1.540 cantons). Si on laisse de côté les 0,6% obtenus par une alliance PC-PS, le FDG retrouve son niveau global des scrutins précédents, alors que la gauche s’effondre. Le phénomène est encore accentué si l’on se fixe sur les seuls cantons où il était présent d’une manière ou d’une autre : on se rapproche alors du résultat de la présidentielle de 2012.
L’ouverture des alliances vers d’autres composantes de la gauche dite "radicale" et surtout l’esquisse d’un rapprochement local avec Europe-Écologie-Les Verts ont montré leur utilité dans un contexte périlleux. Mais le résultat confirme aussi que le Front de gauche n’a pas su apparaitre comme une alternative attractive au socialisme recentré. La fonction de "coup de pied dans la fourmilière" a été assurée par le FN. Et les composantes du FDG n’ont pas su imposer une image suffisamment claire, dynamique et crédible pour rompre la morosité qui accompagne depuis longtemps le recul du mouvement ouvrier et le démantèlement de "l’État-providence".
3. Le résultat global du FDG ne doit pas cacher d’importantes disparités dans l’évolution de quelques années.
Si l’on prend en compte les 1.400 cantons où la comparaison est possible avec 2008 et 2011, on constante des progrès dans 900 cantons environ (dont 400 sont en hausse de plus de 5%) et des reculs dans 500 autres (dont 80 connaissent des reculs de 5 à 10%).
Or le phénomène se rapproche de celui que l’on avait observé dans des élections antérieures, et notamment les législatives de 2012 et les municipales de 2014. Dans des élections où la représentation communiste est forte (les deux tiers des candidatures en 2015 et une présence dans plus de 80% des binômes), les zones de densité ancienne forte continuent de s’effriter alors que des zones de faible implantation initiale enregistrent des poussées souvent sensibles.
Sur 180 cantons où le Front de gauche dépassait les 20% en 2008 et 2011, 135 sont en recul, dont 40 perdent la moitié du pourcentage antérieur. Les vieux "bastions" reculent encore, tandis que les territoires où le communisme s’était plus ou moins marginalisé connaissent un phénomène de renationalisation du vote. À sa manière, le vote FDG se "moyennise"…
4. Bien sûr, ce constat permet de comprendre l’extrême incertitude qui entoure le nombre de conseillers départementaux.
D’ores et déjà, une quarantaine de cantons ont été perdus dès le premier tour et beaucoup de ceux qui restent en lice sont dans une situation défavorable. En fait, dimanche prochain tout dépendra de trois facteurs entremêlés : la qualité des reports à gauche ; la capacité à remobiliser l’électorat récent (celui de 2012) dans une élection peu stimulante ; l’ampleur enfin des transferts de voix entre l’électorat de la droite "parlementaire" et celui du Front national.
Notes
[1] Dans sa débandade le PS c'est empressé de s'attribuer des résultats qui ne sont pas les siens... La réalité est qu'il est derrière le FN, même avec les Radicaux de Gauche et une partie des Verts...
[2] La recension des résultats a été coordonnée par Yann Le Pollotec, que nous remercions pour nous avoir permis d’accéder à ces données.
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