Selon le chercheur Jacques Sapir " la position des pays de l’UE, et de la France en particulier, d’appeler à ne pas reconnaître ces élections n’est pas seulement une faute, mais c’est une stupidité grave ".
En une semaine, l’ouest et le centre du pays ont voté pour que des législatives se tiennent dans l’Ouest et, dans le Donbass, pour élire un parlement et un président à chacune des deux régions. Deux élections qui confirment l’éclatement d’un pays où chacune des parties joue sa propre partition et où la crise sociale pourrait accélérer les mouvements séparatistes sur l’ensemble du territoire.
Sources : L'Humanité | mis à jour le 18/12/2023
Deux élections pour une Ukraine ? Une semaine après les législatives, la partie orientale du pays a voté pour élire son Parlement et son président. Non reconnu par une partie des dirigeants européens et les États-Unis, ce scrutin a vu sa participation frôler les 80 % dans les deux Républiques populaires de Lougansk (LNR) et de Donetsk (DNR). Au final, Igor Plotnitsky et Alexander Zakhartchenko ont été élus dirigeants respectifs des deux entités du Donbass. Mais quelle légitimité peuvent-ils avoir ? Pour le chef de la Commission électorale centrale (CEC), Sergueï Koziakov : « Les élections se sont déroulées légitimement et sans aucun incident capable d’en influencer les résultats. Actuellement, nous disposons d’un pouvoir légitime. Le Donbass ne fait plus partie de l’Ukraine. »
De son côté, le chercheur Jacques Sapir sur son blognité estime que « la question de la légitimité réelle se pose pour chaque pouvoir, celui de Kiev élu avec une participation de moitié environ, et celui de Donetsk où la participation pourrait atteindre les trois quarts du corps électoral. C’est pour cela que la position des pays de l’UE, et de la France en particulier, d’appeler à ne pas reconnaître ces élections n’est pas seulement une faute, mais c’est une stupidité grave ».
Vers la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie ?
Le scrutin dans les régions de l’Est avait été accepté lors de l’accord de paix signé à Minsk (Biélorussie), le 5 novembre, entre les représentants de Kiev, des dirigeants de la LNR et de la DNR, avec la médiation de la Russie et de l’OSCE. « La différence, c’est que Kiev avait décidé qu’elles auraient lieu en décembre et seraient organisées sous son égide. En gros, que l’on accorderait quelques avancées à ces régions récalcitrantes, sous-estimant le dégât des opérations militaires auprès des populations », explique la politologue Elena Tchaltseva, réfugiée à Slaviansk. L’année écoulée depuis le soulèvement de Maïdan, à Kiev, a fracturé l’Ukraine. L’option militaire, choisie par le pouvoir ukrainien depuis avril, a fait basculer le pays dans une guerre civile. Les organisations humanitaires sur place évoquent entre 5 000 et 10 000 morts. Le retour de ces régions dans le giron d’un État ukrainien semble improbable. Le principal défi reste posé : l’unité du pays. Le risque d’un démantèlement est bien réel. La crise économique, les mesures sociales imposées par le FMI et l’UE, et la com position du Parlement ukrainien laissent craindre un « Tchernobyl politique et social » que nous décrivait l’ancien diplomate Andreï Gratchev (« HD » n° 434). Des mouvements autonomistes et indépendantistes apparaissent sur l’ensemble du territoire. « Dans la région occidentale de Galicie, des mouvements séparatistes demandent soit leur indépendance, soit, plus probablement, leur rattachement à la Pologne. Cela aurait pour conséquence l’émergence de mouvements demandant à leur tour le rattachement à la Hongrie et à la Slovaquie dans la zone des Carpates », constate Jacques Sapir.
- LE CHOIX DU GOUVERNEMENT D’AGIR MILITAIREMENT A FAIT ENTRE 5 000 ET 10 000 MORTS.
À l'ouest, 60 % d'abstention
La composition du prochain Parlement ukrainien inquiète. Si la presse française se targue d’une victoire écrasante des forces « pro-européennes », qualifiées par d’autres d’antirusses, elle sous-estime un phénomène : l’abstention. La participation a atteint 52 % des suffrages. Et entre 5 et 7 millions d’Ukrainiens n’ont pu participer au vote (Donbass, Crimée...) ; des partis de l’opposition, dont le Parti communiste ukrainien, n’ont pu faire campagne... Au total, l’abstention dépasse les 60 % et dévoile un succès en trompe-l’œil, la participation étant très forte dans l’Ouest, fief des ultranationalistes d’où leur forte présence parlementaire. Pour Philippe Migault, directeur de recherche à l’IRIS : « L’entrée au Parlement de députés membres de formations paramilitaires arborant des insignes nazis et accusés de crimes de guerre dans l’Est ne semble pas un signe de bonne santé démocratique. Or Porochenko, qui ne dispose pas de majorité, devra nécessairement composer avec eux, ce qui augure mal d’une sortie de crise négociée dans l’est du pays. »
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