- la Commission Trilatérale (1973) : créée à l’initiative des principaux dirigeants du Bilderberg group et du Council on Foreign Relations, dans le but de « promouvoir et construire une coopération politique et économique entre l’Europe occidentale, l’Amérique du Nord et l’Asie Pacifique » – en réalité, de satelliser les pays d’Asie non communistes, au premier chef desquels le Japon – elle réunit 300 à 400 personnalités, parmi lesquelles David Rockefeller, Henry Kissinger, Zbigniew Brzezinski, Jean-Louis Bruguière et Jean-Claude Trichet, qui préside le groupe européen.
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les groupes bilatéraux entre les Etats-Unis et leurs satellites, notamment la French-American Foundation (1976) : Créée à Washington par les présidents Gérald Ford et Valéry Giscard d’Estaing sur l’initiative de Henry Kissinger, dans le but d’« œuvrer au renforcement des relations entre la France et les États-Unis » – c’est-à-dire de re-satelliser la France après la parenthèse gaullienne –, elle brille moins par ses membres que par son « programme phare » des Young Leaders. Financé par la CIA et de grands groupes (dont de très grands groupes français, auxquels s’ajoute l’Université Paris I !), ce programme vise à formater les futures élites qui seront ensuite placées aux postes clés. Parmi les anciens Young Leaders, on trouve François Hollande, Pierre Moscovici, Arnaud Montebourg, Najat Vallaut-Belkacem, Ernest-Antoine Seillère, Nicolas Dupont-Aignan, Bernard Laroche, Alain Juppé, Éric Raoult, Valérie Pécresse, Jacques Toubon, Jean-Marie Colombani, Alain Minc et Christine Ockrent, pour ne citer qu’eux.
Il est saisissant de constater que ces groupes choisirent exactement la même « noble cause » – garantir la paix et promouvoir l’entraide entre pays – que Bernays jugeait indispensable au camouflage de buts inavouables. Leur véritable finalité apparaît néanmoins clairement à la lumière des observations de Bernays. En réunissant de manière informelle l’ensemble des dirigeants les plus influents du « monde libre » sous la tutelle des États-Unis, l’objectif de ces groupes est de promouvoir les intérêts des États-Unis et de l’Otan auprès des dirigeants mondiaux, généralement « à l’insu de leur plein gré », l’idée centrale étant de les persuader de l’omnipotence des États-Unis, au moyen notamment d’une narrative scénarisée dans laquelle s’inscrivent, par exemple, les théories grossières de la fin de l’histoire et du choc des civilisations. Ces groupes furent constitués pour manipuler les dirigeants des pays satellites et entretenir chez eux le sentiment quasi-hégélien que l’hégémonie américaine est un processus inexorable dont l’achèvement marquera la fin de l’histoire.
Le grand nombre de leurs participants, l’absence de factions partisanes et de règles de votes et de majorité, le partage du pouvoir que cela supposerait avec un grand nombre de personnes et d’autres pays que les Etats-Unis, l’absence même de décisions formelles prises au cours de ces meetings, montrent assez que ces groupes agissent sans doute moins en organes de gouvernement mondial qu'en réseaux constitués en vue d’asseoir un tel gouvernement, projet qui se heurtait dans les années 1960 au bloc communiste et à la politique de la France, et qui bute aujourd’hui sur ce que les américains appellent avec dédain the Rest of the World, Russie et Chine en tête.
Faut-il conclure qu’un tout petit nombre de personnes est en mesure de diriger le monde à leur guise ?
Bernays est conduit à admettre que « […] tous tant que nous sommes, nous vivons avec le soupçon qu’il existe dans d’autres domaines des dictateurs aussi influents que ces politiciens [de l’ombre]. ». En bon manipulateur, il reste toutefois réaliste en rappelant que la nouvelle propagande, aussi achevée soit elle, restera toujours sujette à des aléas hors de tout contrôle : « Trop d’éléments échappent toutefois à son contrôle pour qu’il puisse espérer obtenir des résultats scientifiquement exacts. […] le propagandiste doit tabler sur une marge d’erreur importante. La propagande n’est pas plus une science exacte que l’économie ou la sociologie, car elles ont toutes les trois le même objet d’étude, l’être humain. »
Conclusion : « Cétait avant que les gens n'acquièrent une conscience sociale »
La machine construite par Edward Bernays a longtemps paru implacable. Jamais les opinions publiques ne furent assujetties à des manipulations d'une telle ampleur, que ce soit à des fins consuméristes par la publicité ou à des fins politiques dans les médias. Malgré ses « succès » considérables, elle ne le fut pourtant qu’un temps et uniquement à l’égard les peuples des États-Unis et de leurs États satellites. Comme Bernays lui-même le soulignait, il peut toujours surgir des obstacles imprévus qui lui font échec, tels que les référendums français et néerlandais de 2005. Surtout, la nouvelle propagande, qui fête son centenaire, s’est émoussée. Ceci, Edward Bernays l’avait aussi compris avant les autres. Quelques années avant sa mort en mars 1995, il reconnut, non sans nostalgie, devant le journaliste Stuart Ewen : « C’était avant que les gens n’acquièrent une conscience sociale ». Depuis plusieurs années, cette conscience sociale déplorée par Bernays devient, lentement mais sûrement, une conscience politique qui pourrait bien permettre un jour à la France de recouvrer son indépendance et aux Français leur liberté.
Notes :
[1] La construction européenne a été financée par les américains....
[2] Edward Bernays et Sigmund Freud, dont il était le double neveu de Sigmund Freudet et il vouait une admiration sans bornes.
[3] Ivan Petrovitch Pavlov en 1904. Convaincu que le marxisme reposait sur des postulats erronés, il eut ces mots fameux, parlant du communisme : « Pour le genre d’expérience sociale que vous faites, je ne sacrifierais pas les pattes arrières d’une grenouille ! » Ayant reçu le Prix Nobel de médecine en 1904, il fut toutefois autorisé à continuer ses travaux pendant la période soviétique. Il eut la douleur de les voir récupérés par des idéologies scientifiques – au premier rang desquelles la psychologie soviétique et le behaviorisme – qui heurtaient profondément sa foi orthodoxe et son personnalisme chrétien.
[4] John Broadus Watson, père du béhaviorisme, vers 1916-1920. Décidé à faire de la psychologie une science objective au même titre que la physique, il entendait se cantonner à l’étude rigoureuse des comportements tels qu’on peut les observer en réponse à des stimuli, en excluant tout aspect introspectif, émotionnel ou humanisant. Afin de démontrer que tous les comportements humains peuvent s’expliquer sans recourir à la notion de conscience et qu’ils ne diffèrent en rien des comportements des animaux, il eut l’idée de soumettre un bébé prénommé Albert à une expérience aussi célèbre que controversée. Aidé de son assistante Rosalie Rayner (à droite sur la photo), qui devint par la suite sa femme, il conditionna ce bébé à avoir peur d’un rat blanc en produisant un son violent – en frappant une barre métallique avec un marteau – à chaque fois qu’il lui présentait le rat au toucher. Il pensait ainsi démontrer que la théorie du comportement simple qu’Ivan Pavlov avait déduite de ses études sur les animaux rendait compte des comportements humains. Si le succès des totalitarismes du XXe siècle sembla d’abord lui donner raison, les résistances qu’ils suscitèrent signèrent l’échec de son idéologie scientifique. Le conditionnement behaviorien est un thème majeur des romans dystopiques d’Aldous Huxley (Le Meilleur des mondes) et de Georges Orwell (1984).
[5] Tommaso Padoa-Schioppa, l’un des despotes éclairés de la construction européenne, ancien ministre de l'Economie et des Finances italien (2006-2008), ancien membre du directoire de la Banque Centrale Européenne et Président du think-tank Notre Europe. Dans un article intitulé Les enseignements de l’aventure européenne paru dans le 87e numéro de la revue Commentaire (automne 1999), il écrivait : « La construction européenne est une révolution, même si les révolutionnaires ne sont pas des conspirateurs blêmes et maigres, mais des employés, des fonctionnaires, des banquiers et des professeurs […]. L'Europe s'est formée en pleine légitimité institutionnelle. Mais elle ne procède pas d'un mouvement démocratique […]. Entre les deux pôles du consensus populaire et du leadership de quelques gouvernants, l'Europe s'est faite en suivant une méthode que l'on pourrait définir du terme de despotisme éclairé. » Jacques Delors tiendra des propos similaires lors d’une conférence à Strasbourg, le 7 décembre 1999 : « L'Europe est une construction à allure technocratique et progressant sous l'égide d'une sorte de despotisme doux et éclairé ».
[6] Jean Monnet et Robert Schuman sont un bon exemple du mécanisme manipulatoire décrit par Bernays : si tous deux prenaient leurs instructions au Département d’État américain[1], le premier était l’homme des milieux d’affaires anglo-saxons et incarnait l’homme de l’ombre (« Si c’est au prix de l’effacement que je puis faire aboutir les choses, alors je choisis l’ombre ... »), tandis que le second, archétype de l’homme politique inoxydable, était chargé de présenter bien et de faire adopter par la classe politique et l’opinion publique françaises les projets atlantistes. La France étant, au sortir de la guerre, la « première puissance démocratique [vocable qui, dans la terminologie des relations publiques, désigne un satellite des États-Unis d’Amérique, de la même façon qu’il désignait un satellite de Moscou dans la terminologie soviétique. La France perdra ce label démocratique pendant la présidence de De Gaulle] du continent » (Dean Acheson, dans sa lettre à Robert Schuman du 30/04/1949), il fallait que la paternité de la construction européenne conçue par Washington soit attribuée de préférence à un Français. La fameuse Déclaration Schuman du 09/05/1950 fut conçue outre-Atlantique par les services du Secrétaire d’État américain Dean Acheson, avant d’être rédigée et transmise à l’intéressé par Jean Monnet.
[7] Dîner de la Pilgrim’s Society, 09/01/1951. Son logo officiel – que l’on aperçoit ici entre les deux drapeaux, au-dessus du tableau – a pour devise « Hic et ubique » (Ici et partout). Patronnée par la reine d’Angleterre, la Pilgrim’s Society a réuni des membres aussi influents que Paul Warburg (banquier et promoteur de la Federal Reserve), John Pierpont Morgan (fondateur de la banque du même nom), Jacob Schiff (directeur de la Kuhn Loeb, banque concurrente de la J. P. Morgan), William MacDonald Sinclair (archidiacre anglican de Londres), Henry Codman Potter (évêque épiscopalien de New-York), Grover Cleveland (ancien président américain), Joseph Kennedy (patriarche de la famille Kennedy), Henry Kissinger, Margaret Thatcher… sans oublier Jean Monnet.
[8] Elihu Root, président du premier Council on Foreign Relations, avocat d’affaires, Secrétaire d’État, Secrétaire à la Guerre, sénateur et prix Nobel de la paix en 1912. Dans le premier numéro de la revue Foreign affairs, lancée en septembre 1922 par le Council on Foreign Relations, il écrivit qu’isolationniste ou pas, l’Amérique était devenue une puissance mondiale et que le public devait le savoir. Le véritable objectif du Council on Foreign Relations transparaît également dans sa devise – « Ubique » (Partout), référence directe à la paternité de la Pilgrim’s Society – et dans le programme de cinq ans lancé en 2008 et intitulé International Institutions and Global Governance : World Order in the 21st Century, dont l’un des buts est de « promouvoir un leadership constructif des États-Unis ».
[9] Première réunion du groupe, à l’Hôtel Bilderberg (Pays-Bas), du 29 au 31 mai 1954. Une réunion préparatoire avait eu lieu le 25/09/1952, à l’hôtel particulier de François de Nervo (Paris), en présence d’Antoine Pinay, alors Président du Conseil, et de Guy Mollet, patron de la SFIO. En furent ou en sont membres Georges Pompidou, Dominique Strauss-Kahn, Beatrix des Pays-Bas, Henry Kissinger, Javier Solana, David Rockefeller, George Soros et Bernard Kouchner.
[10] Comité d’action pour les États-Unis d’Europe, 8ème session, Paris, 11/07/1960. Groupe de pression créé par Jean Monnet à Paris le 13/10/1955, le Comité rassemblait des responsables syndicaux et des chefs des partis politiques démocrates-chrétiens, libéraux et socialistes de l’Europe des Six. Parmi les hommes politiques français, figuraient : Pierre Pflimlin, Robert Lecourt, René Pleven, Valéry Giscard d’Estaing, Antoine Pinay, Gaston Defferre, Guy Mollet, Maurice Faure, François Mitterrand, Raymond Barre, Jacques Delors, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Jean Lecanuet et Alain Poher.
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