De quoi la lutte contre l’« islamo-gauchisme » est le nom ?[1bis]
L’accusation d’islamo-gauchisme : un nouveau terrorisme idéologique issu de l’extrême droite relayant celui de Judéo-bolchevisme et porteuse de l'islamo-lepénisme[11]
En réponse à l’extrême droite et à l’islamisme, une seule question : qui sommes nous[12] ?
Après la déclaration de Darmanin à l'Assemblée nationale du 6 octobre[1], on assiste depuis plusieurs jours à une charge des médias comme appareil idéologique de combat contre La France Insoumise et même le PCF considérant ces organisations comme ayant une sympathie non avouée pour l’islam politique.
Cette charge est une construction politicienne fondée sur des fausses informations ou informations tronquées comme nous allons le voir ci-dessous.
Elle a plusieurs fonctions :
- affaiblir la gauche populaire remettant en cause le système économique actuel ;
- faire diversion à la crise économique, sociale et sanitaire ;
- valoriser le PS pour le faire renaître de ses cendres ;
- favoriser l’influence du RN en relayant ses thématiques pour construire un face-à-face entre Macron et Le Pen en 2022 ;
Que des gens manifestent leur réprobation contre l’attaque d’une mosquée occasionnant deux blessés est une démarche naturelle pour tout républicain respectant les droits de l’homme et du citoyen.
La réprobation de ces mêmes gens serait identique s’il c’était agi de l’attaque d’une église, d’une synagogue ou d’un temple bouddhiste.
Sur le fond, pour tout démocrate républicain attaché à la laïcité, il n’y a pas de controverse en la matière : les choses sont simples.
Mais malheureusement, dans un pays où la république est malade et la démocratie moribonde, ce genre de réaction humaniste « naturelle » pose problème.
Nous traversons une période de polycrises (sanitaire, économique, sociale, sécuritaire) durant laquelle la peur devient un instrument de manipulation politique et de gouvernement.
Une telle période nécessite de la rigueur, de la précision, de la raison pour ne pas se trouver asservi par l’émotion et surtout par le flou.
La formation des journalistes ne favorise pas la rigueur et le raisonnement. Il suffit simplement de savoir parler et écrire avec fluidité, de savoir commenter des comportements.
EN DÉFINITIVE, comme l’écrit Shlomo Sand, le terme « islamo-gauchisme » est une « symbiose propagandiste » redoutablement efficace, comme le fut le « judéo-bolchévisme » en son temps. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de faire croire à l’existence d’un complot contre le mode de vie fantasmé de Français essentialisés.
Sources : par Shlomo Sand, Hervé Debonrivage, Antoine Léaument, complément de Hervé Kempf | mis à jour le 07/07/2021
« L'islamo-gauchisme », voilà l'ennemi
C’était le message envoyé régulièrement par Manuel Valls en 2016 dans ses différentes prises de parole publiques. Un concept assez flou dans lequel le Premier ministre englobe à la fois Clémentine Autain et Tariq Ramadan[2]. Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Tel-Aviv, Shlomo Sand s’interroge sur l’utilisation de cette rhétorique.
Dans les années 1930, en France comme dans d’autres pays d’Europe, les communistes et diverses personnalités de la gauche radicale étaient fréquemment qualifiés de « judéo-bolcheviks ». Ainsi, par exemple, mon père qui, avant la Seconde Guerre mondiale, était un communiste polonais, était considéré par les autorités et la presse du pays comme faisant partie de la « Zydokomuna ».
Étant donné que plusieurs dirigeants de la Révolution d’Octobre, tout comme nombre de communistes et de défenseurs de l’URSS, dans toute l’Europe, étaient d’origine juive, l’association langagière entre judaïsme et menées subversives était très populaire parmi les judéophobes.
Une symbiose propagandiste très efficace
D’Adolf Hitler[3] à Carl Schmitt[4] et Martin Heidegger[5], de Charles Maurras[6] à Louis-Ferdinand Céline[7] et Pierre Drieu-La Rochelle[8], l’identification rhétorique entre juifs et bolcheviks a toujours été empreinte de tonalités effrayantes puisées dans une vieille tradition religieuse, mêlée à des menaces pleinement modernes et laïques.
Cette symbiose propagandiste s’avéra très efficace, et elle conduisit, entre autres, à ce que plus de 5 millions de Juifs croyants, et leurs descendants, ainsi que 2 millions de soldats soviétiques furent exterminés, en même temps, dans les camps de la mort nazis. Hitler avait ainsi espéré enrayer le « danger » d’une conquête judéo-bolchévique de l’Europe.
Si, à la fin du XXe siècle, la judéophobie n’a pas totalement disparu, elle a, cependant, très notablement régressé dans les centres de communication des capitales européennes. Les élites intellectuelles et politiques ont voulu oublier et ont aspiré à se fondre dans leur civilisation blanche, à l’aide d’une nouvelle politique des identités. À toutes fins morales utiles, cette civilisation a même troqué son appellation de « chrétienne » en « judéo-chrétienne ».
Les juifs survivants et les bolchéviks, quasiment disparus, ont cessé de constituer une menace pour la position et l’identité des élites dominantes, mais l’état de crise permanent du capitalisme, et l’ébranlement de la culture nationale, consécutif à la mondialisation, ont incité à la quête fébrile de nouveaux coupables.
Une appellation qui émerge dès 2002
La menace se situe désormais du côté des immigrés musulmans et de leurs descendants, qui submergent la civilisation « judéo-chrétienne ». Et voyez comme cela est étonnant : de nouveaux incitateurs propagandistes les ont rejoints ! Tous ces gens de gauche qui ont exprimé une solidarité avec les nouveaux « misérables » ont fini par s’éprendre ouvertement des invités indésirables venus du sud.
Ces antipatriotes extrémistes trahissent une nouvelle fois la glorieuse tradition de la France dont ils préparent l’humiliante soumission « houellebecquienne ». L’appellation « islamo-gauchiste » a émergé parmi les intellectuels, avant de passer dans l’univers de la communication, pour, finalement, être récupérée par des politiciens empressés.
Pierre-André Taguieff[9], futur conseiller du CRIF, fut, semble-t-il, le premier à recourir à la formule « islamo-gauchisme » (dans le sens actuel de terme), déjà en 2002. Caroline Fourest, Elisabeth Badinter, Alain Finkielkraut et Bernard-Henry Lévy s’emparèrent du terme et veillèrent à lui assurer une diffusion à longueur d’interviews et d’articles. Des figures comme Alain Gresh, Edwy Plenel, Michel Tubiana et Raphael Liogier devinrent des « islamo-gauchistes » archétypiques.
Une marche supplémentaire vient cependant d’être franchie. Cela a commencé avec Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui, au nom du républicanisme universel, dans un article intitulé : « La gauche qui vient[10] », s’en est pris à la gauche de la gauche, accusée de soumission au pluralisme culturel. Il a particulièrement ciblé Clémentine Autain, la porte-parole d’Ensemble, l’une des composantes du Front de gauche.
La lourde charge de Manuels Valls
Mais c’est de Manuel Valls qu’est venue la charge la plus lourde, dans la vague de stigmatisation de « l’islamo-gauchisme ». À l’occasion d’une interview accordée, le 21 mai, à Radio J, une radio communautaire juive, n’a-t-il pas déclaré[2] :
- « Il y a ces capitulations intellectuelles… Les discussions entre Madame Clémentine Autain et Tariq Ramadan, les ambiguïtés entretenues qui forment le terreau de cette violence et de cette radicalisation. »
- Et Manuel Valls de ne pas hésiter à ajouter : « Il n’y a aucune raison pour que M. Tariq Ramadan obtienne la nationalité française ».
Il convient tout d’abord de préciser que Clémentine Autain n’a jamais rencontré Tariq Ramadan, dont, évidemment, elle n’approuve pas le discours idéologique. Il faut ensuite se féliciter qu’en France, le droit d’obtenir la citoyenneté relève de la loi, et non pas d’une décision d’un chef du gouvernement. Tariq Ramadan réside en France où il est actif ; il est marié, depuis plusieurs années, avec une citoyenne française, ses enfants sont français, et, à ma connaissance, il n’a pas enfreint la loi ni prêché la violence.
Enfin, les auditeurs de Radio J, à Paris et à Jérusalem, ont certainement apprécié cette flatteuse interview, et si d’aventure, elle a été diffusée en Arabie saoudite, il est probable qu’elle y aura également été reçue avec sympathie, puisque Tariq Ramadan y est interdit de séjour. Après cette interview passionnée de Manuel Valls, je suis persuadé que Tariq Ramadan n’a aucune chance de se voir décerner la Légion d’Honneur, contrairement au prince héritier du roi d’Arabie saoudite.
Une formule qui permet de faire diversion
Lorsque j’ai entendu ces propos de Manuel Valls, je n’ai pas pu m’empêcher de m’interroger sur ce qui se serait passé si Tariq Ramadan avait été un fidèle juif et non pas musulman.
Si, par exemple, comme l’ensemble des fidèles juifs (mais non pas juives), il avait dû dire, dans sa prière du matin : « Sois béni de ne pas m’avoir fait femme, et sois béni de ne pas m’avoir fait goy (non-juif) ». Autrement dit : un authentique fidèle juif, dont les valeurs fondamentales diffèrent totalement de ma conception du monde républicaine et laïque.
Malgré tout, même s’il s’agissait d’un juif conservateur, porteur d’un système de valeurs réactionnaire, je me serais, sans aucun doute, employé de toutes mes forces pour que lui soit attribués des droits d’égalité citoyenne. Je l’aurais combattu au plan de la réflexion théorique, mais j’aurais vu en lui un compagnon politique légitime, dans la lutte contre toute forme de judéophobie et de discrimination raciale, sous le masque d’une laïcité culturelle.
J’ai, envers la philosophie de Tariq Ramadan, une vision fortement critique, tout comme, pour d’autres raisons, envers celle d’Alain Finkielkraut. Mais exploiter des positions conservatrices de l’intellectuel musulman afin de salir ceux qui luttent contre la propagation du racisme, en faire un dangereux épouvantail pour utiliser le terme stigmatisant d’islamo-gauchiste, n’est pas à l’honneur d’un chef de gouvernement socialiste, qui, par ailleurs, commet une erreur en assimilant antisionisme et antisémitisme (je suis quasiment sûr que le républicain Manuel Valls ne soutient pas la politique communautaire d’un État qui, par principe, appartient, non pas à tous ses citoyens mais aux juifs du monde entier, qui n’y résident pas).
Certes, le terme d’ »islamo-gauchisme » n’est pas encore identique ni proche de la vieille appellation du « judéo-bolchévisme ». Il est destiné, pour le moment, à clouer le bec, et à faire diversion dans le débat public, par rapport à d’autres problèmes sociaux et politiques un peu plus sérieux. Toutefois, qui peut affirmer que le recours à la formule « islamo-gauchisme » n’est pas promis à un sombre futur imprévu ? Il se pourrait qu’elle constitue une contribution rhétorique, non marginale, vers l’approche d’un trou noir supplémentaire dans l’histoire moderne de l’Europe.
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« Islamogauchisme » : depuis quelques mois, les macronistes n'ont plus que ce mot là à la bouche.
Pourtant, il ne veut rien dire, ne désigne rien et n'a pas de sens. Pour résumer : l'islamogauchisme n'existe pas. Alors à quoi sert ce mot pour ceux qui l'utilisent ?
Dans cette vidéo, j'explique comment ce mot est apparu à l'extrême droite avant d'être repris par Manuel Valls puis par l'ensemble de la macronie. J'explique qu'il vise deux objectifs : faire diversion et disqualifier politiquement un adversaire, en l'occurrence la France insoumise.
Pour bien analyser le moment où apparaît ce mot, je retrace l'historique de son apparition et j'explique pourquoi il constitue l'aboutissement d'une double stratégie du système médiatique de dédiabolisation de Marine Le Pen et de l'extrême droite d'un côté et de diabolisation de l'opposition insoumise et de Jean-Luc Mélenchon de l'autre.
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Pour Hervé Kempf " Il faut cibler les causes du phénomène, à savoir ces alliances coupables et notre dépendance au pétrole qui en est le ressort "
Derrière l’accusation d’"islamo-gauchisme", les classes dirigeantes veulent cacher leur propre responsabilité dans le terrorisme islamique, lourde du fait de leurs liens avec les pétromonarchies et leur radicalisation néolibérale. Ce qui émerge, en fait, c’est un « capitalo-fascisme », qui abandonne les idéaux républicains de liberté, d’égalité et de fraternité pour maintenir un ordre inégal, destructeur de la biosphère, et écrasant les libertés publiques[13].
Notes :
[1] Pour Darmanin, LFI est liée à l'« islamo-gauchisme » qui « détruit la République »
[1bis] Jean-Luc Melenchon : De quoi la lutte contre l’« islamo-gauchisme » est le nom ?
[2] Valls, Autain, Tariq Ramadan et l'axe "islamo-gauchiste" : polémique en 4 actes
[3] Adolf Hitler ; [4] Carl Schmitt ; [5] Martin Heidegger ; [6] Charles Maurras ; [7] Louis-Ferdinand Céline ; [8] Pierre Drieu la Rochelle ; [9] Pierre-André Taguieff
[10] "Islamo-gauchisme": Autain "porte plainte politiquement" contre Le Guen
[11] Attentat de Conflans-Sainte-Honorine : deux amis de Le Pen en lien avec l'islamiste Sefrioui
[12] En réponse à l’extrême droite et à l’islamisme, une seule question : qui sommes nous ?
[13] Hervé Kempf ; Islamo-gauchisme et capitalo-fascisme. Il faut cibler les causes du phénomène, à savoir ces alliances coupables et notre dépendance au pétrole qui en est le ressort
Pour en savoir plus :
- Islamo-gauchisme, le nouveau judéo-bolchevisme
- Gérald Darmanin et l'«islamo-gauchisme», qualificatif usé jusqu’à la corde
- Vous avez dit “ islamo-gauchisme " ?... et si nous parlions de l'islamo-capitalisme !
- Ce que l’unité du pays veut dire
- Quand Jaurès parlait des " fanatiques de l'Islam "
- En réponse à l’extrême droite et à l’islamisme, une seule question : qui sommes nous ?
- Jean-Luc Melenchon : Ce que l’unité du pays veut dire
- « Islamo-gauchisme » : un mot pour bastonner
- CNRS : L’« islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique
- Islamo-gauchisme et capitalo-fascisme
- Le judéo-bolchevisme, histoire d’un amalgame meurtrier
- Présidentielles 2020 : MACRON / LE PEN : DU SOIT-DISANT “REMPART” AU MARCHE-PIED
- Quand les nazis accusaient les juifs de séparatisme…
- "ISLAMOGAUCHISME" : LE PIÈGE DE L’ALT-RIGHT SE REFERME SUR LA MACRONIE
- L’« islamo-gauchisme », une supercherie intellectuelle. Retour sur le Manifeste des 100
- La riposte politique et sociale
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