Les relations entre Cuba et Washington ont entrepris un tournant historique ces derniers mois, avec la reprise du dialogue entre le président états-unien Barack Obama et son homologue cubain Raul Castro. Un dialogue qui en réalité a été entrepris depuis plus longtemps mais qui vient de porter ses fruits avec un échange de prisonniers à la clé : condamné à 15 ans de prison pour importation de dispositifs satellitaires interdits à Cuba, l’agent de l’USAID Alan Gross a été libéré coté cubain en échange de trois des "Cinq héros" cubains (les deux premiers ayant été libérés en 2011 et 2013), condamnés à perpétuité par Washington pour avoir infiltré les milieux anti-castristes de Floride et accusés d’avoir infiltré des bases militaires américaines. Washington a également annoncé un nouvel allègement des sanctions drastiques infligées à Cuba depuis plus d’un demi-siècle.
Cependant, le tournant historique reste la reprise du dialogue entre les deux états, qui rompt avec plus de 50 ans de relations économiques et diplomatiques inexistantes, accentués par une série de textes imposant à l’île des Caraïbes des sanctions unilatérales drastiques et contribuant à sa marginalisation au niveau mondial, beaucoup de pays subissant une pression les contraignant à s’aligner sur la position des États-Unis.
C’est ainsi que l’Union Européenne a adopté depuis 1996 une "Position commune" rompant toute relation économique ou diplomatique avec Cuba. Cette résolution, bien que dans les faits peu respectée depuis 2008, notamment par la France qui a conclu plusieurs accords avec l’île, est remise en question depuis 2012 et des négociations ont été entreprises depuis le début de l’année 2014 entre les États membres en vue de son abolition.
Adoptée en son temps par l’ancien chef du gouvernement espagnol José Maria Aznar, cette "Position commune" est remise en question depuis quelques années de par son inefficacité - une quinzaine de pays membres de l’UE entretenant des relations de types économiques ou diplomatiques avec Cuba - mais aussi par l’aberration qu’elle implique. En effet, une résolution de ce type n’est pas appliquée pour des pays tels que l’Iran ou le Zimbabwe, pour lesquels un embargo a pourtant été décrété.
C’est un peu ce qui motive la nouvelle donne posée par les États-Unis. On sentait déjà une volonté chez Barack Obama de revoir la position des États-Unis au sujet de Cuba, ce dernier ayant d’ailleurs déclaré il y a un an, suite à la poignée de main symbolique avec Raul Castro lors des funérailles de Nelson Mandela, qu’il "était peut-être temps pour Washington de revoir ses relations avec Cuba". Cette volonté s’est désormais concrétisée mais il reste une étape à franchir : celle de la levée de l’embargo.
Comme pour la "Position commune" de l’Union Européenne, les sanctions économiques infligées par Washington à La Havane brillent par leur inefficacité et ce depuis 1962. Loin de faire fléchir le régime, elles affectent tous les secteurs de la société cubaine et constituent une entrave au développement de l’île, en plus de constituer une grave violation du Droit international. La fin de cet état de siège économique est d’ailleurs réclamé par une majorité grandissante de voix et de pays, comme le démontre la dénonciation unanime des quinze États membres de la Communauté des Caraïbes réunie récemment en sommet à La Havane. Cuba est aujourd’hui un membre important de l’OEA et bénéficie du soutien d’une grande partie de l’Amérique latine, et l’hostilité de Washington à son égard constitue un obstacle au développement de relations avec l’Amérique latine, et notamment l’Amérique du sud.
Par ailleurs, en octobre 2014, et ce pour la 23ème année consécutive, la levée des sanctions contre Cuba a été votée par 188 pays lors de la réunion annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies. Seul Israël, allié indéfectible des Etats-Unis, lui a apporté son soutien.
A l’intérieur même de l’élite politique outre-Atlantique, nombreuses sont les voix qui estiment que l’embargo contre Cuba doit être levé. C’est le cas d’Hillary Clinton [1], secrétaire d’Etat d’Obama durant son premier mandat, qui estime dans son dernier ouvrage que l’embargo contre Cuba "n’a pas eu les résultats escomptés" et qui a exhorté Obama à assouplir l’embargo, voire le supprimer. C’est aussi le cas de Charlie Christ [2], ancien gouverneur démocrate de la Floride, qui est "arrivé à la conclusion que [les Etats-Unis] doivent lever l’embargo. La définition de la folie est de refaire la même chose en espérant un résultat différent".
Le New York Times [3] a récemment consacré un long éditorial à cette réflexion, dans lequel l’auteur se positionne en faveur d’un rétablissement des relations diplomatiques et économiques avec Cuba :
« Pour la première fois depuis plus de 50 ans, un changement de politique aux Etats-Unis et à Cuba rend politiquement possible le rétablissement de relations diplomatiques formelles et le démantèlement de cet embargo insensé. [...] M. Obama devrait saisir l’opportunité de mettre un terme à une longue ère d’inimitié et aider la population qui a énormément souffert [...]. Le gouvernement [cubain] a fait part de sa disposition à rétablir les relations diplomatiques avec les États-Unis sans conditions. En guise de premier pas, l’administration Obama devrait éliminer Cuba de la liste du Département d’État des nations soutenant le terrorisme [...]. Le gouvernement des Etats-Unis reconnait que La Havane joue un rôle constructif dans le conflit en Colombie en accueillant des pourparlers entre le gouvernement et les leaders de la guérilla. Depuis 1961, Washington a imposé des sanctions pour se débarrasser du régime castriste. Au fil du temps, il est devenu évident pour de nombreux responsables américains que l’embargo est un échec cinglant. [...]. Un sondage récent montre qu’une ample majorité de Cubains-américains de Miami sont désormais opposés à l’embargo. Une majorité significative d’entre eux est favorable au rétablissement de relations diplomatiques, reflétant ainsi le point de vue de l’ensemble des Américains ».
La levée des sanctions contre Cuba est donc inéluctable, comme était inéluctable la remise en question de la Position commune de l’Union Européenne, ce type de sanction ayant montré son inefficacité malgré plus d’un demi-siècle de mise en application.
Retour sur l'embargo
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Notes :
[1] Matthew Lee, « Hillary Clinton demande la fin de l’embargo contre Cuba », The Associated Press, 6 juin 2014.
[2] Agence France Presse, « Charlie Crist critique l’embargo et veut voyager à Cuba », 17 mai 2014.
[3] The New York Times, « Obama Should End the U.S. Embargo on Cuba », 11
[4] approuvée le 29 octobre 2013 par 188 voix pour de la part des États membres de l'ONU
Pour en savoir plus :
21/12 Discours de Raúl Castro Ruz devant l’Assemblée nationale, le 20 Décembre 2014 - Text (...)
20/12 Cuba/Etats-Unis : angélisme, pragmatisme, stupidités
19/12 Le « home run » de la diplomatie cubaine.
Mais aussi :
- Cuba. Petit rappel sur l’état de siège économique le plus long de l’histoire