« Unité populaire a allumé un feu souterrain »
La formation dissidente de Syriza a essuyé un revers électoral en échouant à entrer au Parlement. Mais son chef de file Panayotis Lafazanis veut croire en la constitution d’un "front de gauche" capable de porter le débat sur la sortie de l’euro.
ropos recueillis par Fabien Perrier
Le 21 août, l’annonce avait fait du bruit : un pan important de Syriza quittait le parti pour former Unité populaire. Peu à peu, le mouvement a rassemblé des figures emblématiques de la gauche grecque : Panayotis Lafazanis, Kosas Isychos, Dimitris Stratoulis, Manolis Glezos ou encore Zoe Konstantopoulou. Même Yanis Varoufakis avait indiqué l’avant-veille du scrutin qu’il voterait pour deux candidats d’Unité populaire en lesquels il avait confiance pour avoir travaillé avec eux. Un appel au vote indirect. Rien n’y aura fait : UP n’obtient que 2,87% des voix, et ne peut donc entrer au Parlement (le seuil étant de 3%). Entretien avec Panayotis Lafazanis, chef de file d’Unité populaire.
Regards : Comment expliquez-vous l’échec d’Unité Populaire (UP) qui n’entre pas au Parlement ?
Dès l’annonce des élections, UP a annoncé sa constitution et s’est lancé dans une bataille difficile. Mais il aurait fallu que nous affrontions ces bêtes sauvages en trois semaines ! Nous avions comme adversaire les forces européennes et celles de l’intérieur qui s’opposent à tout changement. Il nous manque malheureusement 7.000 voix pour entrer au Parlement car nous avons eu du mal à communiquer avec le peuple grec et à lui transmettre notre message. Jusqu’à la dernière minute, nous avons dû nous faire connaître en tant qu’Unité populaire. Nous rencontré des difficultés pour exprimer notre vision de la sortie de l’euro. Mais ce débat a été ouvert dès l’annonce de la tenue d’élections. De surcroît, nous avons été victimes d’attaques qui terrorisaient les électeurs.
L’abstention vous a-t-elle pénalisés ?
Elle a été très forte, augmentant de sept points par rapport à janvier. Elle a sauvé Tsipras. Ces électeurs n’étaient pas avec Alexis Tsipras, avec les mémorandums. Ce sont des gens déçus. Ils considèrent que nous ne pouvons plus rien faire à partir du moment où Tsipras est là et a trahi leurs aspirations. Si ces électeurs avaient voté, le scrutin aurait été très différent pour notre parti.
En restant dans le gouvernement d’Alexis Tsipras, vous l’avez aussi cautionné. Ne l’avez-vous pas quitté trop tard ?
Certains nous font ce reproche. Mais personne n’aurait compris que nous partions plus tôt du gouvernement. Nous aurions été accusés de lui retirer le tapis sous les pieds, alors qu’il était en pleine négociation, et de le faire chuter. Nous nous sommes inscrits dans Syriza pour que ne soit pas signé un nouveau mémorandum appliqué à la Grèce. Après la signature du troisième mémorandum, le 13 juillet, la division était la suite logique.
Vous prônez la sortie de l’euro. La population n’a-t-elle pas peur d’une catastrophe en cas de retour à une monnaie nationale ?
L’euro, c’est la catastrophe assurée ! Bien sûr, le peuple grec n’a pas encore tous les éléments pour comprendre le sens d’une sortie de l’euro. Le débat sur cette sortie et ses conséquences vient juste d’être lancé, grâce à Unité populaire. Bien que tous les autres partis invoquent des arguments différents, tous préfèrent l’euro. Désormais, la discussion commencée en pleine campagne électorale ne peut être arrêtée. Comme nous avons remis cette question au centre des débats, notre image sera donc très vite différente dans l’espace politique et la société. Le résultat électoral a allumé un feu, même si ce n’est pour l’instant qu’un feu souterrain.
Mais comment porter ce débat sur l’euro ? Vous n’êtes plus représenté à la Vouli...
Il existe d’autres lieux de débat. Cette discussion se fera dans les quartiers, dans les entreprises, dans les usines, dans tous les endroits de la vie quotidienne. Et bien sûr, nous la mènerons aussi sur Internet et dans tous les espaces permettant une discussion objective sur le sujet. Comme le sujet est désormais sur la table, plus personne ne peut bâillonner la discussion. Le dilemme de ce pays n’est pas de choisir entre Syriza, les Grecs indépendants, le Pasok... – bref, entre les membres d’une grande famille politique avec ses petits différends intrafamiliaux – mais de suivre le mémorandum ou d’emprunter une voie anti-mémorandaire, directement reliée à l’euro ou à la monnaie nationale.
Sur cette question, Unité populaire semble divisé. Manolis Glezos ou Zoe Konstantopoulou ne prônent pas la sortie...
Évidemment, nous avons des avis parfois différents. Unité populaire n’est pas un parti monolithique : c’est un front de gauche, avec des personnalités progressistes ; c’est un front radical, anti-austérité, à horizon socialiste. Le principal courant d’Unité populaire considère que ce programme ne peut être appliqué dans l’eurozone. La monnaie n’est pas un fétiche, ni une fin en soi. Mais pour appliquer cette politique radicale, il nous faut notre propre monnaie.
La société grecque vient toutefois de reconduire Alexis Tsipras à la tête du pays. La politique que vous défendez a-t-elle un espace ?
Bien sûr ! Avant la signature du troisième mémorandum, Syriza avait d’ailleurs un programme de ce type. C’est en proposant une opposition radicale et en défendant un programme de changements radicaux que Syriza s’est implanté sur la scène politique. Cette orientation n’est pas étrangère à la société grecque. Il n’y a d’ailleurs aucune autre voie de sortie de crise. Le libéralisme a échoué dans l’Europe tout entière. L’alternative ne peut être ni le fascisme, ni l’extrême droite.
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