“Moon ! Moon ! Moon !” Le cri résonne au long des travées de l’Assemblée nationale. En 1986, une centaine de députés chahutent le parlementaire frontiste Pierre Ceyrac, qui monte à la tribune. Nouveau député du Nord, ce neveu de l’ancien président du CNPF, le Centre national du patronat français devenu le Medef, est un membre de la secte Moon.
“Le révérend Moon pensait que le communisme était un danger pour le monde”, explique aujourd’hui Pierre Ceyrac, qui fut missionnaire pour la secte dès 1972 et secrétaire général pour l’Europe du mouvement Causa, le bras politique des moonistes, à partir de 1983.
“Dans l’Église, il a été décidé qu’une personne devait intégrer le FN”
Pour diffuser son discours, la secte subventionne alors des mouvements politiques anticommunistes. Aux États-Unis, elle approche l’aile droite du Parti républicain ; en France, c’est vers le Front national qu’elle se tourne. Ceyrac raconte : “En 1985, le colonel coréen Bo Hi Pak, haute figure de l’Église, rencontre Jean-Marie Le Pen à Saint-Cloud. Il est séduit. Il avait combattu le communisme dans son pays, Le Pen avait fait pareil en Indochine.” Les deux hommes trouvent rapidement un accord.
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Dans la perspective de l’élection présidentielle de 1988, la secte Moon injecte beaucoup d’argent dans la machinerie frontiste. “Nous savons que l’organisation a versé au FN entre 20 et 30 millions de francs (de 3,5 à 4,5 millions d’euros) jusqu’en 1986″, analyse l’historien Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême droite. Une aide financière que Jean-Marie Le Pen réfute, même s’il reconnaît avoir bénéficié d’un apport logistique de l’Église lors de ses campagnes. “Nous n’avons pas reçu d’argent de Moon, déclare-til aujourd’hui, mais en revanche, ils nous ont envoyé des militants fantastiques. Je me souviens qu’en 1986, trente types venant de toute l’Europe ont débarqué à Marseille. Ils ont tapissé la ville d’affiches. Ils couchaient à même le plancher : des gens d’un dévouement extraordinaire.” Dans leur profession de foi, les moonistes se doivent en effet de “participer à la vie politique auprès des forces chrétiennes afin de préparer l’avènement du royaume de Dieu”, précise Nicolas Lebourg.
Une lune de miel qui tourne court
Pour peaufiner la stature internationale du candidat Le Pen, la secte Moon lui ouvre également son carnet d’adresses. Au lendemain de la chute de la dictature de Marcos aux Philippines, en 1986, le président du FN parvient ainsi à rencontrer Cory Aquino, nouvelle présidente de l’archipel. Surtout, en février 1987, l’Église permet à Le Pen d’obtenir sa fameuse photo aux côtés de Ronald Reagan, alors Président en exercice. Ce jour-là, la secte Moon avait réuni la crème du Parti républicain dans un hôtel Hilton à Washington. On y retrouvait le colonel Bo Hi Pak, bras droit du révérend Moon et président de la société News World Communications, qui contrôlait alors le Washington Times. C’est cet officier coréen qui, sous l’oeil des objectifs, a présenté un président du FN tout sourire à Ronald Reagan. Préparé un an à l’avance, ce voyage fut un vrai triomphe médiatique.
La lune de miel entre moonistes et frontistes a pourtant tourné court. Quelques mois après la photo, Jean-Marie Le Pen qualifie les chambres à gaz de “point de détail de la Deuxième Guerre mondiale” lors d’une interview sur RTL. Les rapports entre l’Église et Le Pen se dégradent aussitôt. Malgré les pressions de la secte, le président du FN refuse de faire des excuses publiques.
La chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide rendaient aussi moins nécessaire le financement d’un parti devenu sulfureux.
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