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23 décembre 2024 1 23 /12 /décembre /2024 13:42
Nicolas Roinsard Une situation postcoloniale Mayotte ou le gouvernement des marges

 

 

Mayotte : le cyclone Chido du 14 décembre 2024 détruit[0], le sous-développement tue[1]...

Abandon des Mahorais et changement climatique : le cyclone Chido est aussi un phénomène politique[0bis]

 

 

Mayotte, petite île de l’océan Indien, symbolise à elle seule la collision brutale entre histoire coloniale, fractures sociales et désastres environnementaux. Département français depuis 2011, elle est un territoire en crise, où la misère humaine et les catastrophes naturelles s’entrelacent dans une spirale infernale.
Les événements récents – séismes, tornades, montée des eaux (NDLR : cyclone Chido)– ne sont que la face visible d’un effondrement plus global
[1bis]Ils révèlent une vulnérabilité accumulée sur des décennies, amplifiée par des promesses non tenues, des inégalités criantes et une gestion déconnectée des réalités locales

 

 

Sources : THE CONVERSATION | mis à jour le 12/03/2025

- En 1974, Mayotte se sépare des Comores à l’issue d’un référendum où les Mahorais choisissent de rester français[2]

Ce choix, né du désir d’échapper à l’instabilité politique des Comores indépendantes, place l’île dans une situation paradoxale : elle devient un territoire français entouré de voisins économiquement fragiles. Cette appartenance à la République française, vue comme une chance à l’époque, isole Mayotte[3] de son propre environnement géographique et culturel. Rapidement, cette singularité engendre des tensions avec les autres îles de l’archipel, notamment l’île comorienne d’Anjouan[4], d’où proviennent chaque année des milliers de migrants.

 

L’intégration comme département[5], survenue en 2011, devait marquer une nouvelle ère pour Mayotte. Les Mahorais espéraient voir leur île se développer et accéder à des droits égaux à ceux des métropolitains c’est-à-dire que s’y applique pleinement les lois françaises et européennes, à la différence d’une collectivité territoriale. Mais cette départementalisation s’est révélée un leurre. La croissance fulgurante de la population, (76 000 habitants en 1991, 300 000 habitants en 2023[6]), dépasse largement la capacité des infrastructures et des services publics à répondre aux exigences, tout en exacerbant l’obsolescence des équipements, faute d’entretien.

 

 

- Effondrement des services publics

L’éducation, en particulier, est le symbole de cet échec. Avec des classes surchargées, des enseignants en sous-effectifs et des écoles délabrées, le système scolaire est incapable de répondre aux besoins d’une jeunesse nombreuse et en quête d’avenir. Cet effondrement du système éducatif alimente un sentiment d’abandon et de mépris parmi les Mahorais. Ils constatent chaque jour que la promesse d’égalité républicaine[7] reste une illusion.

 

Les infrastructures sanitaires et sociales sont tout aussi défaillantes. Les femmes comoriennes qui bravent les flots pour accoucher à Mayotte afin que leurs enfants acquièrent la nationalité française, contribuent à une pression démographique croissante. Mais ces enfants, bien que nés sur le sol français[8], grandissent souvent dans des conditions indignes. Ils alimentent les bidonvilles, des espaces d’exclusion où se forment des bandes de jeunes livrés à eux-mêmes, vecteurs de violences et d’émeutes récurrentes. À leur majorité, en vertu du droit du sol, ces enfants peuvent acquérir la nationalité française.

 

La colère gronde dans une population qui se sent méprisée, prise en étau entre un État central distant et des besoins locaux criants. Mais ce mépris ne se limite pas aux politiques sociales : il se manifeste aussi dans la gestion de l’environnement [NDLR  notamment en ce qui concerne la question de l'eau[9]). Mayotte est une île en pleine dégradation écologique, où les bidonvilles, sans réseaux d’assainissement, rejettent leurs déchets dans une mer polluée, comme j’ai pu l’étudier dans le cadre d’une mission pour l’association Littocean[10]. La destruction des mangroves (due à un développement urbain incontrôlé et au changement climatique) et en conséquence des récifs coralliens, essentiels pour limiter l’érosion et les submersions marines, témoigne de l’incapacité à relier environnement et développement.

 

 

- Une gestion écologique devenue symbole technocratique

À cela s’ajoute un paradoxe criant : tandis que les populations locales luttent pour survivre, des moyens considérables sont mobilisés pour protéger l’écosystème marin par le biais du parc naturel de Mayotte. Ce parc, destiné à préserver la biodiversité exceptionnelle des récifs coralliens, devient un symbole d’une gestion technocratique[11] déconnectée des réalités humaines. Les Mahorais, exclus de ce projet, perçoivent cette conservation comme une nouvelle forme de colonialisme : une « colonisation bleue » où la priorité est donnée à la nature, administrée par l’État français, au détriment des habitants. Ce fossé entre la préservation de l’environnement et les besoins des communautés accentue le sentiment d’abandon[12] et l’idée que Mayotte n’est qu’un territoire périphérique, instrumentalisé pour des objectifs extérieurs et géopolitiques, traité comme une colonie et non comme un territoire français à part entière

 

Dans ce contexte, le changement climatique agit comme un catalyseur. Il intensifie les phénomènes naturels extrêmes, tels que les cyclones[0] ou les sécheresses, et exacerbe les inégalités. L’élévation du niveau de la mer menace directement les habitations précaires situées sur les littoraux, tandis que les ressources en eau, déjà insuffisantes, s’amenuisent. Les catastrophes naturelles[13] se multiplient, mais elles ne sont pas de simples fatalités : elles frappent un territoire déjà fragilisé, où chaque événement climatique devient un désastre humain par manque de préparation.

 

 

- Un avenir impensable et tragique

Face à cette accumulation de crises, c’est le rapport au temps qui interroge. À Mayotte, l’idée même d’un avenir semble inatteignable. Les Mahorais vivent dans un présent sans repères, où les mêmes drames – émeutes, violences, destructions – se répètent sans fin. François Hartog, dans sa réflexion sur le présentisme[14], décrit cet état où le passé perd sa valeur, où le futur est inconcevable, et où seul le présent s’impose, figé dans l’urgence et l’incapacité d’anticiper.

 

Mayotte incarne cette temporalité brisée.

  • L’île n’a pas de nostalgie d’un âge d’or, car son histoire est marquée par des fractures successives : colonisation, séparation des Comores, départementalisation ratée.
  • Elle n’a pas non plus de projet d’avenir, car les conditions de vie, les inégalités et les crises structurelles la maintiennent dans un état d’urgence permanent.

Ce présentisme exacerbé renforce le sentiment d’impuissance, rendant impossible toute perspective de reconstruction ou de progrès.

 

🔴 La situation actuelle de Mayotte peut être qualifiée d’hypercriticité[15] : un état où les tensions sociales, politiques et environnementales atteignent un point de rupture, où chaque élément, même mineur, peut précipiter un effondrement global.

Ce terme désigne non seulement l’accumulation des vulnérabilités, mais aussi l’incapacité à s’en extraire. " L’hypercriticité ", c’est l’impossibilité de penser au-delà de l’urgence, l’incapacité de construire des ponts entre les crises pour trouver des solutions globales. À Mayotte, cet état est visible dans chaque aspect de la vie :

  • dans l’école qui échoue à offrir un avenir,
  • dans les bidonvilles qui s’étendent,
  • dans la mer qui rejette les déchets de l’île et engloutit peu à peu ses côtes,
  • dans l’accès à l’eau et à un environnement sain, dans la pression démographique et ses conséquences écologiques.

 

▶️ Cette crise révèle une conjonction inédite entre deux histoires :

  • celle, humaine, de la globalisation, avec ses migrations, ses inégalités et ses fractures coloniales ;
  • et celle, planétaire, d’une Terre abîmée par la dégradation accélérée des écosystèmes.

Comme l’explique Dipesh Chakrabarty dans " Une planète, plusieurs mondes[16] ", ce croisement marque une rupture : à Mayotte, cette rencontre s’incarne dans une « planète des pauvres », où les damnés de la Terre subissent de plein fouet l’amplification de ces dynamiques destructrices. Ici, les vulnérabilités humaines et écologiques se confondent dans un cycle sans précédent, soulignant la nouveauté tragique de cette crise.

 

▶️ Toutefois, " l’hypercriticité " peut aussi être un point de départ. Elle force à regarder en face l’ampleur des problèmes et à repenser radicalement les relations entre les hommes, leur territoire et leur futur.

  • Si Mayotte continue sur cette voie, elle risque de devenir un archétype de l’effondrement insulaire, un avertissement pour d’autres territoires.
  • Mais si elle parvient à dépasser ce présentisme, à prendre en compte l’histoire passée, à s’attaquer aux urgences présentes tout en imaginant un avenir collectif mettant en avant la double identité mahoraise française et comorienne pour en faire un exemple d’hybridité culturelle réussie, elle pourrait, paradoxalement, transformer sa fragilité en force, en inventant un modèle résilient face aux défis du XXIe siècle.

 

Le temps, à Mayotte, n’a pas encore retrouvé son cours, mais il n’est pas trop tard pour le remettre en mouvement.

Bernard Kalaora, Professeur honoraire, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

 

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- Cyclone Chido à Mayotte : Jean-Luc Mélenchon dénonce « le mépris de classe qui a tué »

 

 

Notes :

[0] Cyclone Chido à Mayotte : comprendre le phénomène météorologique et son impact catastrophique

[0bisAbandon des Mahorais et changement climatique : le cyclone Chido est aussi un phénomène politique

[1] Cyclone à Mayotte : Jean-Luc Mélenchon dénonce « le mépris de classe qui a tué »

[1bis] Mayotte : une société disloquée

[2Le vote pour l'indépendance est de 99 % à Mohéli, Anjouan et en Grande Comore. Mayotte vote quant à elle à plus de 63 %, pour le maintien dans la République. Globalement, au niveau de l'archipel, 95 % des votants se déclarent pour l'indépendance.

[3] Mayotte, une exception géopolitique mondiale

[4] Aux Comores, des migrants suspendus à la fin du droit du sol à Mayotte

[5Mayotte : les spécificités de l'archipel en 7 questions

[6] Estimations de population - Ensemble - Mayotte Paru le : 11/03/2024

[7] Mayotte, les Comores, la métropole : ambiguïtés d’une situation (post)coloniale

[8] À Mayotte, changer le droit du sol ne fait pas forcément baisser le nombre de naissances issues de parents étrangers

[9À Mayotte, l’eau ne coule presque plus

[10] Quelle gouvernance des récifs coralliens à Mayotte ?

[11Le parc naturel marin de Mayotte : une aire marine protégée consensuelle ?

[12] Outre-mer, les oubliés de la mémoire ?

[13] La pression démographique et la déforestation associée sur l’île de Mayotte menacent les ressources en eau et en sol en à peine 10 ans

[14Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps

[15Criticité et hypercriticité Saisir l'enchevêtrement des processus critiques en restant fermement sur des appuis pragmatistes

[16Dipesh Chakrabarty : " Une planète, plusieurs mondes "

 

Pour en savoir plus :

Scandale – À Mayotte, de l’eau au robinet moins d’un jour sur trois, l’État distribue des bouteilles en plastique

[Communiqué du député européen Younous OMARJJEE, président de la commission REGI] sur sa proposition, la Commission européenne se dit prête à étudier une aide financière d’urgence pour Mayotte

Mayotte : « Il faut en tuer », l’appel au meurtre de jeunes Comoriens par le Vice-Président du Conseil départemental

- Mayotte : il faut respecter les droits des enfants

À Mayotte, un drame écrit d’avance

- Mayotte : derrière le cyclone, la faillite de l’État

Mayotte, laboratoire des violences de l'Etat néolibéral

 

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  • Pour une Révolution citoyenne par les urnes
  • Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT  de 1978 à 2022.
  • Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT de 1978 à 2022.

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