Dimanche, Jean-Luc Mélenchon lance sa campagne pour l’élection présidentielle 2017. Refus de la primaire, présidentialisation, insoumission, divisions à gauche, programme, méthode : il explique sa démarche.
Regards. : Dimanche prochain, le 5 juin, vous lancez votre campagne présidentielle par un rassemblement place Stalingrad. En vous engageant dans ce processus, n’aggravez- vous pas la présidentialisation de la vie politique ?
Jean-Luc Mélenchon : Je connais bien cette critique depuis l’élection du président de la République au suffrage universel en 1965. Mais je constate que cette élection s’est installée dans notre pays, qu’elle est devenue une culture collective et je crois que nous pouvons et devons l’utiliser. Quand commence un match de foot, il vaut mieux ne pas le jouer comme une partie de volley… Une campagne politique comme la présidentielle est globale et totale. Elle transforme tous ceux qui y participent. Cette idée est largement partagée quand il s’agit de la lutte sociale. Cela vaut aussi pour le combat électoral. Une élection transforme ceux qui votent autant que ceux qui s’engagent dans la campagne. Faire campagne électorale c’est vouloir convaincre et entrainer. Ce n’est pas une petite chose secondaire. Gagner des bulletins de vote, c’est gagner des consciences.
Onze mois avant l’échéance, n’est-ce pas prématuré ?
Mais la campagne a déjà commencé à LR, à l’extrême droite et au PS ! En février, j’ai voulu lancer la mobilisation politique de notre famille pour vivre 2017 comme une chance et non comme un piège. Je m’inscris dans la longue durée pour construire le rapport de forces dont nous avons besoin. La durée est le moyen de notre enracinement. C’est nécessairement de longue haleine. Il est vrai qu’en donnant ce rendez-vous du 5 juin, je n’anticipais pas, alors, le contexte politique avec le mouvement social en cours contre la loi El Khomri et les mobilisations des Nuits debout. C’est là un propulseur d’énergie qui tombe particulièrement bien. Car de quoi s’agit-il ? Certainement pas de vendre un produit, de "prendre des parts du marché politique ou électoral". Notre sujet est la construction d’un mouvement politique de plusieurs millions de personnes. Ce dont il est question, c’est de la révolution citoyenne. Ce processus ne fait que commencer, même s’il s’inscrit déjà dans une histoire dont 2012 fut un moment de franchissement de seuil.
Mais vous décidez seul de votre candidature et de son tempo...
Factuellement, rien n’est plus faux. J’ai cherché à discuter avec les dirigeants du Front de gauche de ce que nous pouvions faire dès le mois de décembre. Je n’ai pas été écouté. Je ne veux pas mettre de l’huile sur le feu en rappelant ces faits, mais je voudrais bien que chacun assume ses désaccords sans les transformer en problèmes personnels : il n’est pas vrai que j’ai agi dans mon coin sans crier gare. À présent, je travaille déjà en équipe, avec l’appui de plusieurs secteurs politiques et sociaux, sans oublier le renfort de plusieurs milliers de communistes, de socialistes et de syndicalistes. Bien sûr, il y a une dimension personnelle de la décision. Encore heureux !
Cette décision découle-t-elle de votre refus d’une primaire ?
Le point de départ de ma décision est mon refus[1] et celui du Parti de gauche d’entrer dans la primaire. Depuis 2007, j’analyse le système de la primaire comme un tamis social et politique destructeur. Aujourd’hui davantage encore, une primaire de toute la gauche ne peut être qu’une source de confusions démoralisantes. Quand on mesure à quel point la parole politique du Front de gauche a déjà été discréditée, cette confusion pourrait effacer toute notre influence de la carte ! Le PCF a milité pour ces primaires de toute la gauche et Ensemble a commencé par s’y associer plus ou moins. Le PCOF, Socialisme et république et le PG les ont rejetées. Personne ne m’a consulté, nous n’en avons jamais discuté collectivement. J’ai donc annoncé ma décision de ne pas m’y plier dès le mois de décembre. Et j’ai proposé ma candidature à un moment calculé en équipe : au lendemain de la déclaration de candidature de Marine Le Pen et de l’entrée au gouvernement d’écologistes, en plein débat sur la déchéance de nationalité. La droite dominait le débat, Hollande flirtait avec le programme du FN et divisait encore davantage les écolos en embauchant Emmanuelle Cosse. Ma proposition de candidature se présentait comme un sursaut contre l’effacement.
Pierre Laurent vient de déclarer qu’il souhaitait une « candidature commune d’alternative à gauche ». Comprenez-vous cet appel comme un premier pas vers un rapprochement ?
Je comprends surtout que la direction communiste ne croit plus aux primaires. J’avais donc raison de ne pas m’être enferré dans cette histoire et de n’avoir pas perdu ces quatre mois en intrigues. J’ai mis ce temps à profit pour construire : 110.000 appuis et 1.000 groupes de base. À présent, Pierre Laurent dit vouloir éviter l’éclatement de la gauche d’alternative pour accéder au second tour de la présidentielle. Je ne comprends pas. Les frondeurs ont beaucoup voté et soutenu le gouvernement Hollande-Valls et ils forment de nombreux clans concurrents ; les écologistes sont totalement atomisés. Aucun ne renonce à une candidature de leur parti.
Comment interprétez-vous la position du Parti communiste, et quelle est la vôtre à son égard ?
Je trouve pénible que le PCF abandonne la méthode du rassemblement qu’a été le Front de Gauche pour des partenariats aussi incertains. La proposition de Pierre Laurent n’a donc pas de réalité politique. Je crains que les communistes ne se retrouvent très isolés à l’arrivée. Alors que le combat a besoin d’eux, de leurs idées, de leur engagement. Je suis prêt à faire équipe. Chacun peut prendre sa place dans la lutte dès l’instant où il y a de la clarté dans l’objectif et sur la méthode. Et de la cohérence entre ce qu’on dit et ce qu’on fait. Comme si nous n’avions pas les bases d’une candidature ; comme si nous n’avions pas déjà réuni quatre millions de voix et comme si nous n’avions pas déjà un programme partagé. Je déplore cet a priori sans motif à mon égard. Mais il est de mon de devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit.
Pourquoi ne pas avoir accepté de participer à une primaire sur les bases du Front de gauche ?
Parce que personne ne l’a jamais proposé. Ce dont il a été publiquement question, cela a été d’une primaire de toute la gauche. Et maintenant, il est trop tard pour revenir en arrière. En revanche, il est injuste de dédaigner la main que je tends. Cela m’affecte. Je ne comprends pas que la critique prenne toujours ce tour personnel, souvent au-delà du trait ! Qu’il est triste de voir tant d’amis d’hier espérer mon échec et ajouter leurs croche-pieds aux coups que me donnent nos adversaires. Heureusement qu’il y a l’accueil amical que me réservent des milliers de militants et sympathisants communistes, malgré l’acrimonie de leurs porte-parole.
Comment comptez-vous élaborer le programme de votre candidature ?
Le programme est l’affaire centrale de la campagne. Ce n’est pas une formalité, mais une préparation de chaque citoyen à l’exercice des responsabilités publiques avant même la victoire. Il faut accueillir toutes les contributions dès lors qu’il s’agit de radicalités concrètes. Et je paierai mes dettes : je dirai d’où viennent les idées que nous reprenons. Par exemple, je fais mien le scénario négaWatt [2] et je dis qui l’a élaboré. La société a déjà produit une partie du programme. Et depuis 2012, il s’est réfléchi de très nombreux sujets et inventé de nombreuses solutions, parmi les syndicats, les associations, les intellectuels. Sachons les écouter, les reprendre. Nous ne sommes pas au-dessus d’eux.
Vous liez la question du programme à celle de son élaboration. Comment se pose celle de son application ?
Nous avons besoin de préciser nos idées autant que la manière de les mettre en œuvre. Je reste traumatisé par l’expérience de 1983 [3]. Nous avions alors un programme hautement transformateur. Lorsque nous nous sommes retrouvés face au mur de l’argent, deux points de vue se sont affrontés. Ceux qui voulaient rester dans le cadre du système monétaire européen (SME) et ceux qui proposaient une autre politique. J’étais de ceux-là. L’inconvénient de notre point de vue est que nous n’avions rien de concret à proposer. Et nous avons été éliminés. C’est la même leçon que je tire des déboires en Amérique latine ou de la Grèce de Tsipras. Si nous accédons au pouvoir, il nous faut un plan A et un plan B en toutes circonstances. À cette exigence programmatique s’ajoute la claire conscience de l’importance de l’engagement du peuple. En 1981, pour revenir à cette expérience pour moi fondatrice, nous n’avons pas souhaité l’intervention populaire. Pire, nous avons demandé à chacun de rester dans les clous. La méthode de la révolution citoyenne tourne la page de cette erreur.
Vous affirmez vous inscrire dans la perspective de l’exercice du pouvoir. Pourtant, vous paraissez seul… Un homme ne change pas une société.
Je souriais amèrement, au début, lorsqu’on me renvoyait à ma solitude. Et puis j’ai mesuré la part de mépris qu’il y a dans cette affirmation. Donc les 107.000 personnes qui déclarent leur soutien ne compteraient pour rien ? Parmi eux, il y a plus de 2.000 syndicalistes de tous les métiers, de tous les syndicats, de tous les niveaux de responsabilité… Parmi eux, il y a des communistes, des écologistes de lutte parmi les plus reconnus, des militants socialistes et tout le PG. Je suis seul si l’on regarde du balcon. Mais je sais que je suis inséré dans un milieu de dizaines de milliers de gens qui s’engagent. Et la révolution citoyenne, c’est l’implication de millions de personnes dans l’action gouvernementale.
Ce dont il est question, c’est de l’absence de soutien de partis politiques…
Le Parti de gauche, la NGS de Liêm Hoang-Ngoc, les communistes insoumis, les "Ensembles insoumis" ne comptent pas ? De qui parle-t-on ? Du PCF. Aujourd’hui, c’est lui qui est seul, et je m’en désole. Autre chose : ceux qui émettent cette critique mesurent-ils le discrédit dont souffrent les partis ? Il faut arrêter avec ce mauvais procès. Je veux que l’on comprenne ma démarche. Je refuse la confusion du "rassemblement de la gauche" ! Après la publication de L’Ére du peuple, j’ai cherché la transversale qui fédère l’ouvrier qui lutte, la femme qui se démène pour tenir sa famille hors de l’eau, le lanceur d’alerte, le chercheur qui s’accroche… Le mot "insoumis" m’a paru être celui qui les réunit tous. Insoumission au cadre globalitaire qui veut tout régenter, la société, nos goûts et nos corps. L’action contre ce cadre nous fédère.
Vous croyez en une dynamique de fédération de la contestation et des alternatives ?
Je crois que cela va se cristalliser lors de cette campagne et se déployer avec la victoire. Le mouvement va s’auto-organiser. Je ne sais pas encore comment. Il va falloir l’inventer. Mais je sais aussi que « le chemin se fait en marchant », comme le dit si bien Antonio Machado. J’ai beaucoup regardé en France et ailleurs, j’ai beaucoup expérimenté pour trouver les nouvelles formes d’organisation. Je ne propose pas la disparition des partis, mais je souhaite qu’ils sachent se dépasser par l’action. Les outils numériques nous donnent de nouvelles possibilités pour agréger chacun, toutes nos différences. Pourquoi les refuserions-nous ?
Vous liez campagne présidentielle et création d’un mouvement. Est-ce que cela n’est pas trop d’un coup ? Les militants des partis constitués sont souvent attachés à les conserver…
C’est vrai que je pourrais me contenter d’un bon slogan, d’affiches et d’émissions de télé. Mais je ne vais pas le faire. J’ai trop compris ce qui arrivait à nos amis d’Amérique latine. Nous avons besoin, pour réussir la grande transformation nécessaire, d’un peuple motivé et conscientisé. Et je crois qu’il faut créer ce grand corps militant qui réunit ceux qui décident d’animer, déclencher, solliciter notre peuple. Le Front de gauche aurait pu être ce lieu, ce réseau. Cela ne l’a pas été. Si le Front de gauche décide de renaître, il peut être une composante de ce mouvement, de cette France insoumise. Au nom de quoi pourrais-je m’approprier l’étiquette Front de gauche ? Je ne l’ai jamais fait. J’ai déploré que Pierre Laurent le fasse sans mandat tant de fois !
On en revient aux divisions au sein de la gauche de gauche…
Je comprends que les communistes soient attachés à la permanence de leur parti. Mais c’est à eux de trouver le chemin stratégique qui permettra de combiner leurs volontés et l’aspiration de dizaine de milliers de gens à entrer dans un cadre commun. Je ne peux le faire à leur place ni renoncer à ce que j’ai analysé sur notre temps. L’objectif est bien de fédérer. Pour le faire, il faut être capable de tourner les pages de l’aigreur. Je ne demande pas qu’on me rallie. Je tâche de faire bien mon travail, d’accomplir la part qui me revient et je sais que je ne suis pas éternel. Il nous faut faire naître un monde neuf. Nos vieux habits peuvent rester dans l’armoire ou le grenier. Ils ne vont pas s’envoler. On pourra les retrouver, quand on voudra, si l’on en a besoin…
Note
- [1] refus de principe déjà exposé dés 2009 dans son livre "L'autre gauche" repris en extrait dans une note de blog
Il y qualifiait notamment, la primaire de : Le règne de l’égocratie ; - La course au moins disant politique ; - Une machine à diviser la gauche ; - L’outil du glissement au centre (de la gauche) ;
- [2] NDLR : le "scénario négaWatt", conçu par l’association éponyme qui regroupe experts de l’énergie et intellectuels, promeut une transition énergétique permettant de se passer de l’énergie nucléaire et presque totalement des énergies fossiles à l’horizon 2050.
- [3] NDLR : le "tournant de la rigueur" impulsé par le gouvernement Mauroy.
Le PCF va-t-il s’allier à Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle ?
- Lettre de Roger Martelli à Jean-Luc Mélenchon : "Je serai avec toi au rassemblement du 5 juin."
- Jean-Luc Mélenchon : « L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne »
commenter cet article …