En novembre 1918, après l’offensive de l’armée française renforcée par l’arrivée des troupes américaines, la débâcle allemande devenait inéluctable. Pour sauver l’honneur du Reich, les amiraux de la marine allemande, ancrée dans les ports de Kiel et de Wilhelmshafen, décidèrent d’engager un dernier combat, perdu d’avance, contre les navires anglais.
Mais les marins ne voulurent pas mourir pour rien ; le 3 novembre ils se révoltèrent et le drapeau rouge flotta bientôt sur tous les navires. La contagion révolutionnaire se répandit rapidement à Hambourg, Brême, Cologne, Munich et Berlin, ce qui contribua à la chute de l’Empire et à l’instauration de la première République en Allemagne. Les marins de Kiel, en grande partie alsaciens, revinrent alors au pays animés d’un fort sentiment révolutionnaire.
Entre le 8 et le 22 novembre, jour de l’arrivée des troupes françaises à Strasbourg, des conseils de soldats et d’ouvriers furent constitués par les marins dans les principales villes d’Alsace, non pas pour garder celle-ci dans le giron d’une Allemagne impérialiste et vaincue, mais bien pour la soustraire au capitalisme français et la maintenir dans une Allemagne qui serait révolutionnaire et internationaliste… Mais l’Histoire en décida autrement.
- Un documentaire de 53 minutes écrit et réalisé par Jean-Noël Delamarre
- Sur une idée originale de Philippe Joyeux
Note d’auteur
« Quand on m’a dit qu’il y avait eu en novembre 1918 un drapeau rouge tout en haut de la flèche de la cathédrale, j’ai pas voulu y croire ! » nous raconte Didier Daeninckx . « Plus tard on m’a montré un film en 16mm noir et blanc tourné à l’époque et j’ai compris ce que ça pouvait avoir d’iconoclaste. On n’est pas dans l’injure mais dans quelque chose d’extrêmement violent et je crois qu’aujourd’hui encore, c’est une image qui n’a pas été admise et digérée. Le fait, non pas qu’il y ait eu un soviet à Strasbourg, mais que d’un seul coup, ce soit sur la cathédrale qu’on ait mis le drapeau rouge. »
En effet, qui aurait pu imaginer que, par un jour gris de novembre, dans le vent diabolique qui tourne autour de la cathédrale de Strasbourg comme pour en interdire l’accès, un « alpiniste » grimperait au sommet de la flèche, à 142 mètres du sol, et y accrocherait un drapeau… rouge en plus ?
- Qui aurait pu imaginer que ce drapeau ne serait plus celui de l’Empire prussien ?
- Qui aurait pu imaginer que ce drapeau ne serait pas encore celui de la République française ?
- Qui aurait pu imaginer que ce drapeau serait celui de l’Internationale Socialiste, et que ce foulard rouge au cou d’une des plus haute cathédrales d’Europe, flotterait le temps d’une révolution ?
Ce sont ces quelques jours révolutionnaires en Alsace, et surtout au coeur de Strasbourg, que nous voulons relater dans ce documentaire. Nous irons tout d’abord à Kiel pour aller ensuite rejoindre Berlin, puis nous suivrons le parcours des marins revenus en Alsace pour y apporter la révolution, leur volonté d’organiser des conseils de soldats et d’ouvriers (appelés aussi « soviet ») à Colmar, Mulhouse, Haguenau, Strasbourg… Puis nous verrons comment l’opposition des alsaciens socialistes français a su détourner cette vague révolutionnaire pour activer l’arrivée de l’armée française, délivrant ainsi l’Alsace du joug allemand qu’il soit impérialiste ou bolchevique.
Il faut comprendre qu’après l’annexion de l’Alsace-Lorraine après la défaite de 1871, les Alsaciens (même chose pour les Mosellans) sont devenus des citoyens Allemands et devaient se conformer aux lois allemandes, dont l’obligation de faire le service militaire sous l’uniforme allemand. En 1914, 250 000 Alsaciens-Lorrains seront enrôlés dans l’armée allemande dont 15 à 16 000 envoyés dans la marine pour leur qualité de technicien mais surtout pour les éloigner d’un contact avec les « français de l’intérieur ». Ce sont ces marins qui se révolteront contre la hiérarchie militaire méprisante et qui porteront cette révolte jusqu’en Alsace.
Cette période « est bien la fin de la première guerre mondiale par la signature de l’Armistice et le retour de l’Alsace à la France. Mais ce n’est pas seulement ça. C’est beaucoup plus compliqué. Ce sont aussi les derniers jours du IIe Reich, son effondrement politique et militaire, la mutinerie des marins de Kiel en Allemagne qui s’organisent en conseils et dont le mouvement s’étend en quelques jours à toute l’armée, à toutes les usines du pays. L’Alsace fait encore partie de l’Allemagne et se couvre aussi de conseils de soldats et de conseils ouvriers. » (Jean-Claude Richez)
La « République des soviets » de Strasbourg, aussi brève que fût son existence, reste un feu d’artifice trouble, pleins de lueurs et d’ombres. Nous voudrions la faire revivre l’espace de quelques minutes, le temps bien court de notre documentaire.
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