Heureusement, le coût net ne sera pas si élevé. Ces emplois entraînent de l’activité, donc des recettes fiscales. Le chiffrage n’a de sens qu’en comparaison avec d’autres options en matière de création d’emplois. Par exemple, subventionner 200 0000 emplois associatifs à hauteur de 20 000 euros annuels par emploi (beaucoup d’associations en créent avec bien moins) dans l’humanitaire, l’environnement, l’action caritative, la culture, le soutien scolaire ou dans d’autres domaines jugés d’utilité publique, coûterait quatre milliards, moins de dix fois le manque à gagner du pacte de responsabilité. Dans notre « Évaluateur des dépenses publiques », nos 200 000 emplois d’aides éducative coûtent cinq milliards. Et eux aussi entraînent de l’activité, donc un coût net bien moins grand. La comparaison est sans appel.
L’impact des baisses de dépenses Le gouvernement prévoit 50 milliards de baisses de dépenses par an d’ici 2017. L’impact économique de cette décision dépend du type de dépense. S’il s’agit de prestations sociales, qui bénéficient en grande partie aux plus modestes (beaucoup sont versées sous conditions de ressources), l’effet est fortement et rapidement négatif. Si elles concernent les commandes publiques, l’effet va se répercuter sur l’activité des entreprises privées prestataires de services aux collectivités. Si l’on réduit le nombre de fonctionnaires, il y aura une conséquence directe sur le nombre d’emplois global, un impact sur la (les salaires de ces derniers alimentent l’activité), mais aussi sur les services rendus (moins de sécurité dans les rues, plus d’élèves par classe, etc.). Au total, selon les prévisions du ministère des Finances, citées par la rapporteure du budget, le plan de réduction des dépenses de 50 milliards devrait détruire 250 000 emplois à l’horizon 2017. Pour autant, dépenser pour dépenser n’a pas plus de sens que la réduction des prélèvements. Ce n’est pas l’effort budgétaire lui-même qui est en cause. L’endettement et le niveau considérable du déficit public [3] ne sont pas les seules ni même les principales raisons pour lesquelles il faut réduire les dépenses. Celles-ci sont prélevées dans le porte-monnaie de chaque citoyen, qui ne peut l’accepter que si elles servent l’intérêt général et qu’elles ont une utilité sociale démontrée. La réduction des dépenses inutiles (chasse aux niches fiscales et à la fraude, services publics en doublon, coûts surévalués des commandes publiques, dépenses militaires, etc.) doit permettre de répondre à des nouveaux besoins, à moderniser l’action de l’État. |
Comment en est-on arrivé là ?
Il est difficile de répondre à cette question. Il faut comprendre comment le parti socialiste s’est converti aux baisses d’impôts à partir de la fin des années 1980. La gauche économique moderne et influente est celle de la politique de l’offre [4] (lire notre article ). Elle ne craint pas de remettre en cause les « tabous », nouveau nom des « acquis sociaux ». Elle utilise une comparaison des dépenses publiques en Europe totalement biaisée [5], notamment parce qu’en France les retraites sont pour l’essentiel financées par les prélèvements obligatoires alors qu’ailleurs les prélèvements privés sont plus développés.
De nombreux facteurs jouent, de l’emprise de la société de communication (médias, sondeurs, etc.) sur le parti socialiste [6], à la proximité entre ses dirigeants et les élites du pouvoir, en passant par la sociologie des militants. Les baisses d’impôts qui ont eu lieu de 2000 à 2009 ont coûté au moins 80 milliards, selon le rapporteur du budget UMP de l’époque Gilles Carrez [7]. Elles n’ont jamais relancé l’activité et l’emploi et pourtant, on recommence. A partir de 2010, les gouvernements se sont résolus à augmenter les impôts devant l’ampleur des déficits. Une partie des baisses antérieures ont été annulées. Les prélèvements ont augmenté de 65 milliards entre 2011 et 2013. C’était de trop. A partir de l’été 2013, le ministre de l’économie Pierre Moscovici lui-même lance la thèse d’un « ras-le-bol fiscal », qui sera ensuite largement relayée (lire notre article ) en utilisant des sondages sans valeur ce qui constitue une tactique ancienne. Pour comprendre l’utilisation suicidaire des sondages voir , Louis Maurin, Rue 89, novembre 2013.
La difficulté actuelle n’est pas propre à la gauche. Quelques-uns à droite, surpris par le revirement du Parti socialiste se lancent dans la surenchère : toujours plus de baisses d’impôts, toujours moins de dépenses publiques. Ces politiques ne peuvent se faire qu’au détriment des catégories populaires, celles là même qui paient les conséquences de la crise et le font savoir dans les urnes. Plutôt que d’alimenter le vote extrême en se livrant à la démagogie, de droite comme de gauche, conservateurs ou progressistes, chacun des camps ferait mieux de réfléchir aux besoins de la population et à la façon d’y répondre.
Combien vont coûter les baisses d’impôts ? Le coût des baisses de prélèvements, 46,6 milliards d’euros, est un montant annuel, une fois que toutes les mesures entrent en activité, c’est-à-dire en 2017. Contrairement à ce que beaucoup pensent, il ne s’agit pas d’un montant à étaler sur quatre années, de 2014 à 2017. Une baisse de cotisations entraîne un coût supplémentaire une année donnée qui se maintient l’année suivante, sauf à revenir en arrière en augmentant à nouveau les taux. 11,6 milliards de pertes de recettes sont prévues dès 2014, 29 milliards en 2015 et 40 milliards en 2016. De 2014 à 2017, la collectivité aura perdu 128 milliards d’euros (la somme cumulée de chaque année). Économiquement, le coût pour la collectivité n’est pas aussi élevé. Les diminutions de prélèvements vont accroître l’activité, ce qui va faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État. Le coût réel dépend de ce que les économistes appellent l’effet « multiplicateur ». Le coût brut n’a d’intérêt qu’en comparaison des dépenses qui auraient pu être effectuées à la place, dont nous donnons quelques exemples dans notre outil, qui elles aussi auraient un impact. Du point de vue de la conjoncture, les économistes s’accordent pour dire qu’une hausse de dépenses a un effet supérieur à une baisse de prélèvements, dont une partie est directement épargnée. A long terme, la différence se fait dans la nature des activités. Une dépense publique doit répondre à un besoin collectif réel, sinon elle stérilise une partie de la économique. |
Notes
[1] Cette somme est celle qui est chiffrée par Valérie Rabault, la rapporteure socialiste du budget, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014 ;
[2] Chiffre obtenu en divisant le coût de la baisse des charges, 40 milliards par an en 2017 par 190 000 emplois créés ;
[3] Le montant du déficit public est de 88 milliards d’euros et la dette de 1,9 milliard, selon l’Insee. Chaque année la collectivité vers l’équivalent de 40 milliards de frais d’intérêt pour rembourser sa dette.
[4] Voir récemment « », Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen, Le Monde, 26 juin 2014. En 1999, Laurent Fabius, alors ministre des Finances, raillait déjà les « dépensolâtres », pour défendre les baisses d’impôts.
[5] Voir « Dépenses publiques : des comparaisons piégées », Louis Maurin, Alternatives Economiques, septembre 2013. .
[6] Comme bien entendu les autres partis.
[7] n° 2689, Gilles Carrez, député, 30 juin 2010. Voir aussi « » « ’, Collectif pour un audit citoyen de la dette publique, mai 2014.
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