La professionnalisation de la politique dans le contexte du néolibéralisme a maintenant pleinement produit ses effets :
Perte de crédibilité des partis traditionnels,
corruption,
progression de l’extrême droite,
grande difficulté pour les forces politiques alternatives à faire front et s’organiser
Sources : Parti de Gauche Midi-Pyrénées par Hervé Debonrivage
I – La politique désastreuse des gouvernements de François Hollande
Austérité budgétaire, cascade de reculades et d’engagements non tenus sous la pression des groupes financiers et du Medef la politique économique ultralibérale menée par François Hollande non seulement conduit la France à un désastre économique mais a déjà provoqué deux échecs électoraux successifs d’une grande ampleur générant un champ politique en bouleversement : affaiblissement important de l’influence électorale du PS le plaçant à terme en difficulté financière, stagnation du Front de gauche, montée en puissance du FN (arrivé en tête dans 71 départements) améliorant notablement sa situation financière et abstention record.
Colère, résignation, découragement, sentiment de trahison ont conduit une bonne partie de l’électorat de gauche à s’abstenir et une partie de l’électorat populaire à voter pour le Front National.
Comme le fait remarquer à juste titre Thomas Piketty, le PS n’a pas mis à profit ses dix années d’opposition, pour élaborer un programme électoral et de gouvernement à la hauteur des enjeux économiques et sociaux (notamment dans le domaine de la fiscalité) qu’exigeait la situation préoccupante de notre pays après 10 années de règne de la droite aggravé encore par la crise financière internationale. On constate ici les effets de l’absence de débats d’idées, de larges concertations avec les syndicats, associations et différentes composantes de la gauche, l’absence d’une ligne idéologique définie : improvisation, opportunisme, absence de perspectives claires et dynamiques.
Tout se réduit à une gestion comptable à courte vue reposant sur des dogmes libéraux assis sur aucune base scientifique et dont les effets désastreux sont déjà connus.
Je ne m’étendrai pas plus longtemps sur cette politique désastreuse qui a fait l’objet d’une myriade d’articles.... Mais cette politique économique calamiteuse se déroule dans un contexte politique global particulièrement dégradé.
II – L’intégrité morale des hommes politiques remise en cause sur une vaste échelle
- Côté PS, après le scandale Cahuzac, deux conseillers de François Hollande sont mis en cause : Aquilino Morelle et Faouzi Lamdaoui.
- Côté UMP, la situation est bien plus catastrophique encore.
- Côté FN...
- Le secrétaire d’État socialiste Jean-Marie Le Guen assujetti à l’impôt sur la fortune, qui a initialement « sous-déclaré » son patrimoine d’environ 700 000 euros à la HAT, devrait subir un redressement fiscal ;
- La ministre déléguée à la francophonie Yamina Benguigui a cédé à la fin du mois de janvier pour 430 000 € de parts dans une société belge qu’elle n’aurait pas mentionnées dans sa déclaration de patrimoine
* Au niveau local, des élus ou têtes de liste sont mis en examen :
- Le député-maire Jean-Pierre Kucheida, Patrick Sève, Jean-Noël Guérini.
Malgré des reculs concernant le texte sur la transparence du patrimoine des élus, la commission de la transparence rappelle à l'ordre 296 élus. La réticence et les tergiversations des élus pour publier leur patrimoine ne peuvent qu’alimenter la suspicion des électeurs.
Suspicion de fraude à l’occasion des élections internes et, guerre des chefs, différentes affaires judiciaires concernant Nicolas Sarkozy, l’affaire Bygmalio
- Marine Le Pen condamné pour de faux tracts.
* Au Niveau local, le FN n'est pas non plus épargné par les affaires.
Trésorier de Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, jusqu’en mars 2012, Olivier Duguet a été condamné en juin 2012 à six mois de prison avec sursis dans une affaire d’escroquerie au préjudice de pôle emploi dont le montant s’élève à plus de 100 000 euros.
Les comptes en Suisse de Jean-Marie Le Pe "Le président d’honneur du Front national est aussi visé par une enquête préliminaire sur son patrimoine ouverte fin 2013, déclenchée après que la Commission pour la transparence financière de la vie politique a évalué son enrichissement personnel à 1 127 000 euros entre 2004 et 2009 et l’a jugé suspect", d’après des informations recueillies par Médiapart.
Il est bien évident que quelles que soient les issues judiciaires de ces différentes affaires largement relayées par les médias, ces différentes mises en cause affectent considérablement la crédibilité des responsables politiques.
III – Confusionnisme politique et brouillage des repères. Le désarroi des électeurs.
Il manque un élément au tableau noir précédent pour mieux comprendre la situation dans laquelle se trouvent les électeurs : le brouillage des frontières politiques, ce qui est confirmé par plusieurs sondages.
Tentons de faire un inventaire des différents nuages de brume qui s’accumulent sur la scène politique avant l’orage.
1 . Il n’y a plus de différence entre la ligne économique conduite par le PS et celle conduite par l’UMP ou le centre ;
2 . Le Front national pille et récupère un certain nombre de positions du Front de gauche : lutte contre les délocalisations et la désindustrialisation, dénonciation du libre-échange aveugle, nécessité de promouvoir les investissements publics, etc.d’où son attraction, ce qui relativement nouveau, envers une partie des couches populaires ;
3 . Et la confusion arrive à son comble lorsque le PCF décide de faire alliance avec le PS au premier tour dans plus de la moitié des communes aux dernières élections municipales, alors que par ailleurs il n’a pas de mots assez durs pour dénoncer la politique d’austérité du gouvernement Hollande et alors que le FdG dispose d’un programme spécifique : "l'Humain d'abord".
Dans ces conditions, ce programme ne peut être que perçu comme un slogan électoral dépourvu de contenu ou perçu comme un lot de promesses qui ne seront pas tenues.
Consécutivement au tableau précédent décrivant le brouillage des frontières, on assiste donc à une certaine effervescence sans ligne générale claire pour progresser vers plus de lumière.
Comment peut-on alors imaginer qu’il existe bien deux gauches en France et non une seule : celle du PS et de ses satellites ? Pour le coup, c’est le FN qui peut apparaître pour une fraction de l’électorat populaire comme celui qui peut être porteur d’une vraie radicalité "Anti système’’ ! Un comble !
Cette idée qu’il n’existerait qu’une seule gauche, celle incarnée par le PS, est rabâchée par tous les médias qui n’invoquent que "La gauche" (sous-entendu : le Front de gauche n’existe pas et la seule gauche est le PS). Et évidemment, le FN développe la même idée de concert avec les médias.
Et comme toujours, cette confusion favorise non seulement l’abstention mais aussi l’extrême droite |
- Mais la confusion ne s’arrête pas là !
Une partie des élus du PS dits les "affligés" ou "frondeurs" contestent la politique d’austérité de Hollande – Valls
– alors qu’existe déjà les contestataires de la "Nouvelle donne"… qu’ils ne rejoignent pas
– ils continuent de soutenir la politique gouvernementale en votant la réforme ferroviaire le 24 juin, la loi de finances rectificative (PLFR) pour 2014 le 1er juillet, et le 8 juillet, le budget rectificatif de la sécurité sociale (PLFRSS) !
Comme le dit Jean-Luc Mélenchon : "la fronde a fait pschitt !"
- Et la confusion continue encore avec les positions contradictoires de EELV
D’un côté une fraction suivant la position de François de Rugy veut toujours collaborer avec le gouvernement Et l’autre, suivant la décision de Duflot et Canfin décide de quitter le gouvernement
Mais il est clair que, bien que critiques, Jean-Vincent Placé, chef de file des sénateurs écolos, Barbara Pompili et François de Rugy, coprésidents du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, et enfin Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale n’ont nullement l’intention de couper les ponts avec le PS
Dans cette confusion générale, pour un nombre grandissant d’électeurs, les partis politiques ne sont plus porteurs d’une ligne politique et d’un programme mais apparaissent comme des écuries électorales dépensant l’essentiel de leur énergie à obtenir à tout prix des sièges grâce à toutes sortes de combines d’appareils et de renoncements..
Et pour couronner le tout, le Front National apparaît comme la seule organisation politique ayant une ligne politique claire et non ambiguë notamment du fait que ce parti n’a contracté aucune alliance avec d’autres partis de droite au premier tour des élections.(même s’il peut exister des porosités ponctuelles entre l’UMP et le FN au niveau local ayant conduit au deuxième tour à des désistements du candidat FN pour celui de l’UMP)
Dans un tel contexte, ce qui s’impose donc au Front de gauche, c’est la clarification de ses positions et l’affirmation d’un programme et d’un projet de société lisibles et alternatifs non assujettis à des contingences électorales et à une géométrie variable. |
IV – La stagnation du Front de gauche.
Une question alors simple s’impose, et qui est d’ailleurs assez souvent posée par des journalistes à des responsables du Front de gauche : comment se fait-il que la situation politique dégradée actuelle ne profite pas au Front de gauche mais engendre plutôt l’abstention et un meilleur ancrage du Front National ? Pire encore, toutes les prévisions économiques Front de gauche sont confirmées par les faits. Ses analyses économiques sont, pour l’essentiel, partagées par un grand nombre d’économistes pas forcément affiliées au FdG. En outre, contrairement aux autres partis, aucun responsable du FdG n’a été l’objet de quelconques poursuites judiciaires.
La réponse est le plus souvent évasive ou de type économiste : c’est la faute de la politique économique d’austérité de François Hollande, de l’abandon des fondamentaux économiques de la gauche,…Ou encore d’autoflagellation invoquant des carences qui ne mettent pas en évidence la question fondamentale de la capacité de diffusion des idées du FdG.
En voici un exemple emblématique, parmi d’autres : "…mais le Front de gauche n’apparaît toujours pas comme une alternative au social-libéralisme. C’est une question majeure qu’il faut désormais prendre à bras-le-corps. Je suis convaincu de la justesse de la stratégie de Front de gauche, mais je m’interroge sur ses contours et sa mise en mouvement. Le Front de gauche dans sa forme actuelle (cartel d’organisations), dans la cohérence de son projet (qu’oppose-t-il concrètement aux idéologies du coût du travail et de baisse de la dépense publique, ou bien encore à la dérive présidentialiste ou sur la laïcité... ?), dans l’image qu’il véhicule (trop force d’opposition et non de propositions, trop sectaire et pas assez susceptible de rassembler au-delà de lui-même des socialistes et des écologistes, des syndicalistes et des acteurs culturels, des féministes et des antiracistes...), bref le Front de gauche ne fait pas envie."
Ces explications apparaissent comme extrêmement insuffisantes comme réponses à la question. Nous allons, pour notre modeste part, essayer d’y répondre.
L’absence de percée du FdG lors des dernières élections relèvent des causes suivantes :
1 . La politique désastreuse de François Hollande dont l’impopularité frappe aussi le FdG – du fait que celui-ci lui a apporté 4 millions de voix au premier tour des présidentielles. – du fait que le PCF a contracté de nombreuses alliances avec le PS au premier tour des élections municipales. Pour de nombreux électeurs, le FdG apparaît ainsi comme coresponsable de la situation actuelle ;
2 . La stratégie de marginalisation du FdG par les médias tendant à gommer son existence sur la scène politique, c’est-à-dire l’existence même d’une seconde gauche. Cela se réalise par utilisation de trois tactiques : – déséquilibres considérables dans les temps de parole et espaces rédactionnels au détriment du FdG et à l’avantage de l’UMP et du PS. Aucun débat ou quelconque publicité concernant le programme du FdG " L’humain d’abord." – formatage libéral et dépolitisation – mise en avant du FN ;
3 . L’absence d’une stratégie politique à l’égard des médias et plus généralement concernant tous les moyens d’information et de communication. L’absence d’une organisation structurée et dynamique entre les différentes composantes du FdG fondée sur la coopération et la mutualisation des moyens techniques et humains. L’absence enfin d’une politique de formation des militants et des citoyens à la hauteur des enjeux et de la complexité sociale et économique.
Il résulte de tout cela une faible diffusion des idées et des propositions du FdG malgré les efforts considérables et tout le talent de Jean-Luc Mélenchon notamment lors de ses meetings pour éclairer les citoyens. |
V – Il existe bien deux gauche en France, comme en Europe : une gauche qui remet en cause radicalement l’hégémonie de la classe dominante et une autre qui s’en accommode.
J’ai évité ici d’utiliser la terminologie gauche radicale ou anticapitaliste et gauche réformiste ou réformatrice car ces termes sont tellement galvaudés qu’il est difficile de les utiliser sans en préciser le sens. Je préfère une terminologie relative au positionnement des sous-groupes dominés par rapport à la classe dominante.J’ai développé ce point de vue, plus en détail, ailleurs. Les turbulences qui agitent le PS au cours de son histoire, ne peuvent faire oublier qu’il existe bien deux gauches en France.
On ne va pas refaire ici l’histoire du parti socialiste, mais chacun sait que le PS a non seulement a accompagné le néolibéralisme depuis 1984 mais a été un agent actif pour sa construction et son développement malgré les quelques réformes sociales importantes qu’il a pu mettre en œuvre, réformes qui ont été ensuite l’objet d’attaques et de régression (retraite à 60 ans, loi de 35 heures notamment).
- On peut se référer à l’excellente "Histoire du réformisme en France depuis 1920" (de 1920 à 1974 édité en 1976 aux éditions sociales ) rédigé par un collectif d’historiens. Cet ouvrage en deux tomes n’a pas été réédité mais on peut se le procurer d’occasion sur Internet pour un prix dérisoire au regard du volume considérable de données historiques qu’il contient ;
- Pour la période 1981 à nos jours, on a une bonne rétrospective critique du PS réalisée par le sociologue Jean-Pierre Garnier dans une vidéo "La deuxiéme droite" faisant ainsi référence au livre du même titre qu’il a publié en 1984 –86 et réédité en avril 2013. L’extrait de la vidéo à partir de la 27ème minute sur la néo petite bourgeoisie est particulièrement éclairant et permet en effet de ne se faire aucune illusion sur les velléités des "frondeurs" du PS ;
- Pour la période récente on peut aussi se référer au livre de Michel et Monique Pinçon Charlot "La violence des riches", aux chapitre où il est question du parti socialiste.(notamment le chapitre III). Le livre est disponible en ligne ICI.
Nous avons d’ailleurs consacré un article à ce sujet sur ce site "Les réseaux de François Hollande dans le monde le la finance".
Tout citoyen qui connaît l’histoire du parti socialiste et de ses relais syndicaux, sait parfaitement que ce parti est hégémonique, et possède son propre système Tina (There is no alternative) de sauvegarde. Sa composante majoritaire ne se laisse guère influencer ni par les courants internes censés représenter la gauche du PS, ni par quelconque pression extérieure de gauche.
Certes pendant de brèves périodes, le PCF a pu influencer et infléchir à gauche la direction du PS, mais cela était possible en raison du poids électoral du PCF de l’époque (conditionnant ainsi par désistement l’élection de très nombreux candidats socialistes) et de l’existence de la puissance soviétique.
Mais avancer un tel argument depuis les années 1995 relève de l’aveuglement ou plutôt de la mauvaise foi. |
Il est vrai que certaines luttes sociales de forte intensité peuvent influer et infléchir quelque peu la fraction dominante du PS, mais celle-ci est beaucoup plus sensible aux pressions du Medef et des banques qu’aux revendications des salariés. Mais observons que ces luttes sociales ont relevé plutôt de la responsabilité des organisations syndicales que du PCF.
Dans de telles circonstances, plutôt exceptionnelles, les parlementaires du Front de gauche ont pu prendre le relais et avoir une certaine utilité ponctuelle en déposant des amendements plus favorable aux salariés.
Combien d’amendements déposés par les parlementaires communistes ou du Front de gauche (pression extérieure) ou par les parlementaires socialistes dits contestataires (pression intérieure) ont été retenus ? Une quantité négligeable du point de vue statistique ? Il est dommage que le site des parlementaires du FdG, (par ailleurs tout à fait soucieux de l’information des citoyens car leur site est très informatif), ne nous permet pas de disposer d’une telle information qui pourrait être actualisée après chaque saison parlementaire. Ensuite un bilan pourrait être fait sur la totalité de la mandature
VI – Le dipôle UMP – PS déforme les lignes du champ politique
Nous empruntons à Pierre Bourdieu les concepts sociologiques de champ, de capital symbolique et de capital économique.
1 - Les institutions de la Ve République favorisent la bipolarisation de la vie politique en France. Difficile pour un petit parti de survivre. Ce système institutionnel incite les partis à contracter des alliances pour pouvoir maintenir leur existence. Ces institutions déterminent les règles du jeu du champ politique (représentatif) pour une bonne part. Elle favorise la personnalisation et les concentrations de pouvoir.
2 - Par ailleurs, la professionnalisation de la vie politique détermine les conditions d’existence matérielles et morales des élus.
Ainsi, l’UMP et le PS sont les principaux pourvoyeurs de salaire et d’emplois pour ces professionnels de la politique via les dotations de l’État, (plus généralement de la puissance publique) et des dotations émanant d’organismes ou de personnes privés. Ils ont aussi pourvoyeurs de prestige et de postes permettant d’exercer différents pouvoirs.
Sont concernés par ces salaires (appelés souvent indemnités) et emplois non seulement les élus eux-mêmes (que Bourdieu appelle les mandataires) mais leurs colistiers, leurs conseillers, une partie du personnel territorial, une partie des fonctionnaires d’État et de responsables de multiples organismes techniques et même certains membres de leur famille Son évidemment, sont concernés aussi les fonds propres et l’emploi des permanents de ces partis.
Même le PCF n’échappe pas à cette analyse : il dispose de permanents, il crée de l’emploi dans différents journaux, magazines. Certes les 40 librairies de son réseau de diffusion n’existent plus mais il en reste quelques-unes survivantes "Tout ceci donne le sentiment d’une absence de réflexion globale sur la place du livre au sein du monde communiste. Il n’est donc guère étonnant que l’édifice se soit totalement effondré avec la fin du « communisme réel ». À ce jour, il n’existe plus de maisons d’édition intrinsèquement liées au PCF (mais des éditeurs proches comme Le Temps des cerises et La Dispute), et il ne reste que quatre des 40 librairies que compta le réseau La Renaissance-Messidor" (Source : le Parti Communiste Français et le livre)
Mais le PCF n’est évidemment pas le parti rêvé pour les carriéristes car une partie des indemnités est versée au parti. "En 2011, , 46% des revenus du PCF, soit plus de 14 millions d’euros, provenaient de ses élus. Les dons représentaient aussi une part non négligeable de son budget (16%) avant le financement public (12%) et les cotisations de ses adhérents (10%)." Source : ICI.
Les subventions de l’État perçues par les partis politiques dépendent du nombre de voix obtenues et du nombre d’élus. "Ainsi, en 2013, le montant global versé aux partis et formations politiques de métropole et d’outre-mer s’est élevé à 70 083 332,15 € dont notamment : 28 480 742,50 € pour le PS ; 19 870 309,79 € pour l’UMP ; 5 543 646,41 € pour le FN ; 3 521 792,11 € pour Europe Écologie-Les Verts ; 3 222 320,99 € pour le PCF (décret n°2013-430 du 27 mai 2013) Plus d’informations ICI.
En outre, en cas d’échec électoral, le réseau construit par le parti ou l’élu sur de longues années permet un reclassement non seulement de l’élu mais aussi d’un certain nombre des agents politiques ou administratifs "victimes" de la défaite : le parti joue le rôle d’une agence de reclassement. Mais tout ce processus, évidemment, ne se réalise pas toujours sans difficultés et dans la transparence.
Observons que le montant de ces indemnités est loin d'être négligeable surtout dans un contexte de rigueur salariale qui dure depuis 30 ans et dans un contexte de chômage de masse qui frappe aussi les personnels hautement qualifiés.
En appliquant le concept d’idéologie développé par Marx dans son célèbre ouvrage L’idéologie allemande et par Althusser, aux responsables politiques, il est clair que l’idéologie des élus, c’est-à-dire leur ligne politique, est influencée par ces facteurs économiques : c’est l’effet de ce qu Bourdieu appelle le capital économique (CE).
3 - Capital économique et capital symbolique dans le champ politique.
Les représentations sociales et politiques déterminant notamment des options de programmes et de projets de société constituent le champ idéologique des responsables,des militants politiques et en particulier des élus Les vecteurs stables de propagation de ce champ sont les partis politiques, les médias et plus généralement les appareils idéologiques. Dans leur forme communicationnelle, on les nomme souvent convictions.
Le champ idéologique des élus ou représentants (appelés mandataires par Bourdieu) tel qu’il est perçu par les électeurs (appelés mandants) constitue le capital symbolique de ces mandataires (voir un cours sur les concepts de Pierre Bourdieu ICI).
Il est possible de rapprocher la notion de capital symbolique à celle de "valeur perçue" utilisée en marketing : "La valeur perçue est la valeur d’un bien, d’une marque ou d’un service qu’un individu perçoit, au-delà de sa valeur d’usage et/ou de sa valeur d’échange. La valeur perçue est donc subjective en fonction des besoins de l’individu, mais également en fonction de la perception qu’il peut avoir de l’élément concerné" (source : l'encyclopédie du marketing.
Ce champ idéologique (CI) et ce capital symbolique sont plus ou moins assujettis au capital économique (CE) et se trouve ainsi déformés voire même partiellement altérés ou écrasés lorsque les agents politiques accordent plus d’importance à leur capital économique qu’à leur capital symbolique pour les raisons expliquées ci-dessus.
Cette situation n’est pas sans analogie avec le couple conceptuel valeur d’usage/valeur d’échange développée par Marx. Dans le système capitaliste, le pôle dominant est la valeur d’échange des marchandises exprimées monétairement par leur prix. L’aliénation des partis politiques dans le cadre d’un système capitaliste de plus en plus financiarisé avec le néolibéralisme est la domination du capital économique sur le capital symbolique. Cette aliénation induit un comportement politique bien connu : l’électoralisme. L’activité politique se résume aux campagnes électorales.
Cette professionnalisation conduit aussi à utiliser des techniques de marketing de type commercial : appel à des agences de communication, spin doctors, utilisation des instituts de sondage pour connaître les idéologies des populations cibles et pour avoir un indice de popularité, utilisation synchrone des différents supports médiatiques pour véhiculer la bonne parole, les bons slogans, etc.
Les partis politiques deviennent alors des écuries de course électorale, des entreprises concurrentes se partageant les parts du marché électoral. |
Tels sont les moyens mis en œuvre pour optimiser le capital économique (en maximisant le nombre de postes de pouvoir obtenus aux élections et donc les ressources financières) et l’action du champ idéologique (par l’étendue et l’ampleur des procédés de persuasion à destination des mandants, appelés plus couramment électeurs). Ce type de management politique poussé à sa logique extrême aboutit à la marchandisation du politique c’est-à-dire que le capital symbolique (positions idéologiques) devient un "argument de vente" pour augmenter le capital économique. Dans un tel cas, l’agent politique ne croit plus à ce qu’il dit mais construit des discours de toutes pièces en fonction des études sociologiques du marché idéologique électoral réalisé par les instituts de sondages.
Précisons maintenant la nature du champ idéologique des partis.
Nous avons défini dans un autre article comment les dominés se positionnent en quatre sous-groupes par rapport au groupe dominant "G". Nous plaçons dans le contexte historique actuel de la France. Je rappel schématiquement cette typologie.
- Le groupe G1 est le sous-groupe des "collaborateurs" : il partage totalité des représentations de la classe dominante. Politiquement, il est constitué des partis de droite. L’extrême droite en est la roue de secours si les sous-groupes G3 et G4 deviennent plus importants que les deux premiers groupes.
- Le groupe G2 est le sous-groupe des "collaborateurs critiques" : il partage en bonne partie les mêmes représentations que le premier groupe dans le domaine économique. Ses différences s’affirment surtout dans le domaine sociétal Politiquement, il est constitué du PS, du PRG et de EELV. Ces deux groupes partagent l’idéologie du libéralisme avec ses différentes variantes.
- G3 est le sous-groupe que j’ai appelé "réactif" qui ne partage pas le système de représentations dominant mais qui n’a pas élaboré un système idéologique et politique élaboré de remplacement. Politiquement, il est constitué des partis dits d’extrême gauche et de la mouvance anarchiste.
- Le sous-groupe G4 que j’ai appelé "cognitif" ne partage pas non plus les représentations sociales et politiques du groupe dominant et dispose d’un système de représentations propre alternatif. Politiquement il est constitué des partis du Front de gauche. Syndicalement, il est essentiellement constitué de la CGT, la FSU, Sud solidaire Les groupes G3 et G4 partagent une idéologie anti-libérale avec quelques variantes.
Le champ idéologique "CI" est donc bipolaire : libéral (L) et antilibéral (AL). Ce n’est rien d’autre que l’expression idéologique de la lutte de classe entre dominants et dominés si l’on adopte un point de vue marxiste.
4 – Le jeu d’alliances assujetti au capital économique est régi par le dipôle UMP –PS
a) Lorsque deux partis d’un même sous-groupe de dominés établissent une alliance, pour conserver ou accroître leur capital économique, le capital symbolique respectif de chaque parti ne se trouve pas trop altéré.La lisibilité politique reste relativement claire et la confiance des électeurs (croyances dirait plutôt Bourdieu) n’est pas trop entamée si l’alliance a été réalisée loyalement. C’est par exemple le cas de l’UMP et de partis du centre. Pour ne pas perdre un nombre de sièges importants, de nombreux centristes ont préféré se rallier à Nicolas Sarkozy et à l’UMP plutôt que de suivre de manière autonome François Bayrou et le MoDem.
Mais ce n’est pas toujours le cas, si l’alliance ne se réalise pas loyalement et devient conflictuelle. C’est par exemple le cas de l’alliance PS –EELV. Dans tous les cas, le parti dont le capital économique est le plus important est (ou a tendance à être) hégémonique.
b) Lorsque deux partis de deux sous groupes de dominés différents contractent une alliance, pour conserver ou augmenter leur capital économique, le capital symbolique de chaque parti se trouve altéré dans des proportions semblables s’ils ont un capital économique de niveau à peu près équivalent.. C’est généralement le cas pour les alliances contractées par des partis de droite et sociaux démocrates en Europe
Si l’un des deux partis a un capital économique beaucoup plus faible que l’autre, celui-ci voit son capital symbolique fortement altéré voire écrasé La confiance des électeurs se trouve alors fortement remise en cause. Les repères politiques sont alors brouillés C’est le cas de l’alliance PCF–PS. Au fil des alliances successives avec le PS depuis les années 1990, le capital économique et le capital symbolique du PCF ne font que décroître, pouvant même le placer derrière les partis du groupe G3 qui n’ont contractés aucune alliance avec le PS (Voir les détails statistiques cliquant ICI et LA
5 – Lorsque le capital économique fait exploser le capital symbolique
Lorsque l’augmentation du capital économique jusqu’à l’enrichissement personnel devient le moteur principal de l’action politique, la corruption et la violation des lois républicaines peuvent s’installer d’abord dans l’opacité puis parfois apparaître au grand jour.
D’autre part, la politique marketing, ponctuée de meetings extrêmement coûteux, d’une stratégie publicitaire budgétivore, peut devenir un gouffre financier pour certains partis et conduire à des conduites illégales dont on ne détaillera pas ici la variété décrite par Mediapart. Les différents scandales consécutifs à ces pratiques ont pour conséquence une quasi destruction du capital symbolique porté par certaines personnalités ou même par la totalité d’un parti dont la crédibilité alors s’effondre.
La situation devient alors critique pour la démocratie lorsque cet effondrement touche la quasi-totalité des partis. Et c’est effectivement le cas en France depuis ces 10 dernières années où les taux d’abstention ne font que croître pour atteindre des valeurs record.
Les médias parlent alors de la "crise de confiance des Français envers la classe politique". Ainsi, selon un sondage du CEVIPOF de janvier 2014, 87% des Français pensent que les responsables politiques se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pensent les gens D’autre part,69% des personnes interrogées estiment que la démocratie en France ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout, contre 48% en 2009. (Ce sondage a eu lieu avant l’affaire Bygmalion et la mise en examen de Sarkozy).
Cela fait dire au sociologue Jean-Pierre le Goff "Nous assistons aujourd'hui à l'autodestruction du monde politique". |
Mais cette hypertrophie de l’importance accordée au capital économique finit par retourner celui-ci contre lui-même lorsque la justice se mêle de l’affaire et provoque alors un effondrement financier.
6 – Lorsque le capital économique modifie le capital symbolique par mimétisme stratégique
Comme le montrent certaines études ou reportages récents, le FN n’est pas épargné par la politique marketing et l’obsession d’augmenter son capital économique. Pour capter l’électorat populaire et se parer d’une image défendant les intérêts des travailleurs, le FN reprend à son compte un certain nombre de thématiques du Front de gauche qui constitue pour lui son principal concurrent pour ce type d’électorat. Ainsi est-il amené à modifier jusqu’à le restructurer son ancien capital symbolique destiné aux classes moyennes (commerçants et artisans, professions libérales). Cela ne l’empêche pas pour autant de conserver certains anciens marqueurs comme la dénonciation du fiscalisme, de l’immigration sauvage, etc. lui permettant en même temps de se distinguer du Front de gauche et de conserver son électorat traditionnel.
L’absence d’alliances électorales officielles avec l’UMP lui permet d’avoir un capital symbolique propre le présentant comme une force politique alternative possible pour une frange non négligeable de l’électorat. Cette stratégie se paye par un nombre d’élus très restreints affectant ainsi son capital économique.
VII – Refonder le Front de gauche ? Vers un Front du peuple ? Refonder la gauche ?
La suite, voir : "Le Front de gauche en quête d’identité dans un contexte de crise économique et politique généralisée (2ème partie)."
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