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23 juillet 2014 3 23 /07 /juillet /2014 17:00
Manifestation contre l'austérité, le 12 avril 2014. (NICOLAS MESSYASZ/SIPA)

Manifestation contre l'austérité, le 12 avril 2014. (NICOLAS MESSYASZ/SIPA)

Source : Aude Lancelin, le Nouvel Observateur

Le PS mène-t-il encore une politique de gauche ? Pourquoi le Front de Gauche ne profite-t-il nullement de ses déboires électoraux ? Eric Fassin et Laurent Bouvet ont répondu aux questions de "l'Obs".

 

- Le NOUVEL Obs. : Le Premier ministre, Manuel Valls, a récemment évoqué une mort possible de la gauche. Etes-vous d'accord avec l'idée d'une singularité totale de la crise actuellement traversée par le PS ?

Laurent Bouvet : Les partis politiques sont mortels, les cas sont nombreux dans l'histoire. Toutefois le PS a connu, en un peu plus d'un siècle d'existence, de nombreuses crises dont il s'est toujours sorti. Aujourd'hui, le PS doit sans doute se refonder comme il l'a fait en 1969-1971. Les "deux corps" du PS sont en effet touchés. Son "corps immatériel", doctrinal, est entièrement à reconstruire. Le PS ne produit plus d'idées, de projet de société ou même d'orientations politiques fortes, identifiables, depuis un long moment. La nouveauté, c'est que désormais son "corps matériel", ses élus, ses militants, ses réseaux, ses affidés... est gravement touché. La perte de 30.000 élus aux municipales et de 25.000 militants depuis 2012 est un signe du délitement de l'ensemble organisationnel et réticulaire que représentait le PS.

 

Eric Fassin : Manuel Valls parle aux socialistes ; mais il choisit, pour une fois, de s'inquiéter de "la gauche". C'est une manière de ne pas évoquer la mort annoncée du PS. Il est vrai que le PS entraîne aujourd'hui toute la gauche dans son naufrage. La crise de la social-démocratie, c'est plutôt un renoncement idéologique qu'un échec politique - un peu partout en Europe : Blair et Schröder avant Valls. François Hollande "assume", dit-on, d'être social-démocrate. Mais le pacte de responsabilité n'a rien à voir avec la social-démocratie : au lieu d'arbitrer entre capital et travail, le président négocie avec le patronat en oubliant les syndicats ! Serait-il social-libéral ? En réalité, il n'est ni social ni libéral : il met l'Etat au service des banques et des marchés. Il est donc néolibéral. Mais beaucoup sont dans le déni. Regardez : en Europe, Hollande et Renzi ont soutenu Juncker ; et il est des éditorialistes qui ont salué un "virage à gauche salutaire" !

 


- Le NOUVEL Obs. : Outre les classes populaires, quelles sont les autres catégories de la population dont le décrochage explique la faiblesse actuelle du vote socialiste ?

Laurent Bouvet : Outre les classes populaires que le PS a "perdues" depuis longtemps, l'ensemble de son socle électoral s'est dilué depuis deux ans (partielles, municipales, européennes). Les choix économiques et "sociétaux" divisent profondément l'électorat de François Hollande de 2012. Ainsi, le vote PS à telle ou telle élection pour un électeur de gauche est devenu en soi un problème. Pour beaucoup d'électeurs des catégories moyennes et supérieures, les augmentations d'impôt jouent un rôle dissuasif comme on l'a vu dans les enquêtes faites à l'occasion des municipales. Pour les agents publics la baisse des dépenses publiques est vécue comme une menace sur leur activité même - sans parler des mesures sectorielles qui passent mal, comme les rythmes scolaires auprès des enseignants. S'est ajoutée à cela la démobilisation de certains électorats insatisfaits sur des questions plus spécifiques comme le mariage pour tous ou le genre.

 

Eric Fassin : L'électorat que perd le Parti socialiste, c'est d'abord l'électorat de gauche. Pourquoi voter pour un parti qui n'est plus de gauche ? On a voulu nous faire croire que le PS perdait le peuple pour garder les "bobos". Qu'il sacrifiait les classes populaires aux minorités, et qu'il s'occupait du mariage plutôt que du chômage. Mais ce gouvernement ne fait rien pour les banlieues ; ni contre les discriminations. Quant aux droits des minorités sexuelles, c'est fini ! Bref, on ne pourra plus dire que c'est à cause des questions "sociétales" qu'on ne s'occupe pas de la "question sociale"...

 


- Le NOUVEL Obs. : Les déboires du PS ne semblent pourtant aucunement profiter à la gauche de la gauche, comme l'a montré le résultat des dernières européennes. Comment l'expliquez-vous ? Pourquoi la France ne produit-elle pas de phénomène à la Syriza, parti de gauche radicale arrivé en première position en Grèce ?

Eric Fassin : C'est effectivement la grande question. Puisque François Hollande mène la même politique économique que Nicolas Sarkozy, on pourrait imaginer que la critique de la dérive néolibérale bénéficierait autant à la gauche de gauche qu'à l'extrême droite. Or ce n'est pas le cas. Pourquoi ? D'une part, le PS donne raison au FN qui dénonce l'"UMPS". Et l'alternance sans alternative alimente le rejet de la démocratie - par le vote d'extrême droite, mais aussi par l'abstention. Comment croire à la démocratie si l'élection ne change rien ?

 

D'autre part, le FN a fini par imposer son langage identitaire, non seulement à l'UMP, mais aussi au PS (qu'il s'agisse des immigrés, des musulmans ou des Roms). L'hégémonie économique, c'est le front UMP-PS ; mais l'hégémonie culturelle, c'est le front FN-UMP-PS. Dans ces conditions, pas facile de faire entendre autre chose. Le principal espoir, c'est "l'hypothèse Syriza" : l'effondrement complet du Pasok [le Parti socialiste grec, NDLR] a enfin ouvert un espace à gauche, et donc une alternative. Du coup, en Grèce, on s'abstient moins, on vote moins pour l'extrême droite, et on vote plus pour la gauche de gauche. Aujourd'hui, en France "l'hypothèque PS" obstrue le paysage de la gauche.

 

Laurent Bouvet : Le Front de Gauche tient un discours en décalage par rapport à son électorat. Son discours porte sur les conséquences néfastes de la mondialisation et du capitalisme, et s'adresse en priorité à leurs victimes (aux plus exposés et aux plus faibles). Or les solutions proposées pour y remédier (l'augmentation des dépenses publiques et le renforcement du rôle du service public) apparaissent comme pouvant profiter d'abord à des populations (les agents publics) moins exposées aux risques de la mondialisation (chômage ou délocalisation notamment). Ce hiatus entre discours, propositions et électorat est à mon sens au coeur des difficultés du Front de Gauche.

 

 

- Le NOUVEL Obs. : Vous semblez toutefois considérer, Laurent Bouvet, que le socialisme incarné par Valls est la bonne voie pour la gauche, notamment dans la reconquête du vote populaire. Que répondez-vous à ceux qui considèrent aujourd'hui que la gauche actuellement au pouvoir n'est rien d'autre qu'une "droite complexée" ?

Laurent Bouvet : Je ne sais pas si c'est la "bonne voie" pour la gauche ! Ce que je constate, plus modestement, c'est que la proposition politique de Manuel Valls - en gros le retour à une forme d'autorité dans la manière dont l'action publique est menée articulée à un projet économique ouvertement social-libéral - offre un choix clair aux socialistes et à la gauche en général, au regard d'une autre proposition, plus interventionniste sur le plan économique mais aussi plus libérale pour ce qui concerne les questions de société (incarnée par EELV notamment). Il faudra voir en 2017 comment ces deux propositions s'incarnent et laquelle l'emporte à gauche face à celles de la droite et de l'extrême droite.

 


- Le NOUVEL Obs. : La gauche est devenue électoralement dominante en 2012 à un moment où sa décomposition doctrinale était déjà très avancée. Qu'est-ce qui n'a pas été fait selon vous et quelle serait la thérapie de choc à adopter ?

Eric Fassin : L'hégémonie idéologique de la droite décomplexée repose sur une gauche complexée. Nos gouvernants se croient réalistes ; en fait, ils croient seulement que la réalité est de droite. Pour compenser, ils prétendent se rapprocher du peuple en s'en prenant aux Roms, par exemple. C'est parier sur l'idée que le peuple serait de droite. Il faut inverser la logique : revendiquer une idéologie de gauche. C'est ainsi qu'on pourra enfin espérer rencontrer un électorat de gauche.

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Rédacteur

  • Pour une Révolution citoyenne par les urnes
  • Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT  de 1978 à 2022.
  • Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT de 1978 à 2022.

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